Il s’agit probablement du lot de toute période qui suit les ultimes soubresauts d’une crise financière de l’ampleur de celle qui a secoué l’ensemble des économies mondiales, courant 2007-2009, que de permettre de distinguer, parmi les décombres ou les vestiges de l’ancien monde, ce qui reste et subsistera – le cas échéant sous des formes nouvelles – et ce qui a disparu et ne reviendra pas.
À cet égard, s’interroger sur l’avenir de la banque de détail aux États-Unis (retail banking) ne manque pas de piquant dès lors que l’on s’accorde à considérer que c’est précisément au cœur des activités et des pratiques de cette dernière, à laquelle certains observateurs autorisés prédisaient un avenir radieux (Clark et al., 2007), que se situent certains des principaux éléments déclencheurs de la dernière crise financière (notamment à raison du recours massif aux fameux crédits subprimes). Ce sont ainsi les banques de détail qui, en 2008, à l’instar des géants Washington Mutual et Wachovia, ont affiché en premier une détresse financière. Dès lors, s’il est une composante du système financier dont on peut légitimement s’attendre à ce que, d’une manière ou d’une autre, elle ressorte transformée de cet épisode traumatique, c’est assurément celle-là.
L’activité de banque de détail se définit principalement par ses destinataires, à savoir les particuliers et/ou les PME/PMI (petites et moyennes industries). Elle consiste, pour l’essentiel, à fournir à ces derniers des moyens de paiement et une source de financement qui résulte principalement de la transformation de maturité des fonds remboursables reçus du public (au titre de la collecte des dépôts en particulier) en offre de crédit. Ainsi, la banque de détail constitue un maillon essentiel du financement de l’économie et se distingue, tout à la fois, des marchés financiers, en ce qu’elle repose sur l’intermédiation, de la banque d’investissement en raison des produits et des services qu’elle propose et, bien évidemment, par construction, du secteur financier non bancaire (shadow banking) qui tend, quant à lui, à proposer une offre concurrente (ou complémentaire, selon les perceptions), fondée sur d’autres modalités et canaux de refinancement (originate to distribute versus originate to hold), et qui est essentiellement placé en dehors du cadre de supervision institutionnel.
En tout état de cause, poser la question de l’avenir de la banque de détail revient à s’interroger sur sa raison d'être et sa viabilité à un horizon plus ou moins lointain (son devenir…). C’est aussi interpeller la pertinence de son modèle et, plus fondamentalement encore, sa pérennité (est-il encore adapté ? doit-il et/ou peut-il évoluer ? sous quelle(s) forme(s) ?).
Ces interrogations prennent une dimension particulière dans le contexte postcrise où, en raison des nombreuses réformes qui ont été adoptées, les activités de marché (consubstantielles aux banques d’investissement) tendent à devenir plus difficiles à réaliser pour les établissements bancaires (car plus consommatrices de fonds propres, par exemple), voire tout simplement impossibles (car prohibées au titre de la Volcker Rule ou de nature à remettre en cause la capacité de ces entités à faire l’objet d’une résolution rapide et ordonnée). Ce faisant, ces maillons historiques de la chaîne d’intermédiation financière se retrouvent dans une situation moins favorable en comparaison des opérateurs alternatifs.
Appréhender la problématique en prenant les États-Unis pour terrain d’observation implique, de surcroît, de se demander si la question de l’avenir de la banque de détail s’y trouve posée en des termes spécifiques, en raison d’un contexte local particulier, résultant tout à la fois de considérations historiques (la structuration du secteur – cf. annexe 1 –, le rôle joué par l’État fédéral, à travers le soutien explicite fourni à des pans substantiels de l’activité de banque de détail – garantie fédérale des dépôts, Small Business Act ou garantie des government-sponsored enterprises – GSE), concurrentielles et socioéconomiques (la montée en puissance concomitante de la génération du millénaire1 et de la silver wave, de même que l’amorce d’une normalisation de la politique monétaire, etc.), ou encore de la profonde remise à plat du cadre législatif et réglementaire (notamment la transcription des principes bâlois, de la Volcker rule, etc.) et de l’incroyable montée en puissance du risque contentieux2. C’est aussi l’opportunité, à partir d’un poste d’observation avancé, de tirer quelques éléments d’enseignement qui permettent d’anticiper certains des futurs mouvements de l’industrie bancaire européenne, voire mondiale.
Finalement, s’interroger sur l’avenir de la banque de détail aux États-Unis invite tout à la fois à prendre en considération les principaux facteurs qui, dans le contexte postcrise, ont substantiellement transformé l’un des principaux canaux du financement de l’économie (première partie), à déterminer en quoi, par réaction, les différents opérateurs, qu’ils soient historiques ou émergents, ont pris la mesure de ce nouvel environnement (deuxième partie), avant d’envisager, enfin, en quoi ces évolutions modifieront ou non les équilibres qui prévalent encore aujourd’hui (troisième partie).
Un environnement réglementaire et technologique substantiellement refondu
Si deux séries de facteurs de transformation de l’activité de banque de détail ressortent tout particulièrement dans le contexte postcrise, ce sont assurément ceux qui, procédant directement de cette activité, à l’instar du cadre prudentiel renforcé initialement destiné aux établissements bancaires, se révèlent à tout le moins être spécifiques au secteur financier, d’une part, et ceux qui, sans être précisément liés à la sphère financière, à l’instar des profondes mutations technologiques (big data, monnaies virtuelles, etc.) ou démographiques (l’avènement de la génération millénaire ou de l’économie des seniors), trouvent au sein de cette activité une caisse de résonance toute particulière de nature à profondément perturber la chaîne de valeur, d’autre part.
L’activité de banque de détail à l’épreuve d’un cadre législatif et réglementaire renouvelé
Il convient de distinguer ici deux corps de règles spécifiques. Alors qu’une première série de dispositions, de nature prudentielle, d’ores et déjà très largement retranscrites en droit positif, tendent principalement à s’imposer aux établissements qui appartiennent au secteur bancaire, une seconde série de dispositions, liées à la montée en puissance de certaines thématiques, telles que la protection du consommateur ou la cybersécurité, tendent, quant à elles, à revêtir une portée beaucoup plus générale, de nature à concerner l’ensemble des prestataires de services bancaires.
Un cadre prudentiel renforcé à l’égard des établissements bancaires
Consécutivement à la récente crise financière, les établissements bancaires qui financent classiquement leurs activités de crédit par la collecte de dépôts ont vu leur modèle économique substantiellement modifié eu égard aux surcoûts générés par les nouvelles règles prudentielles (cf. annexe 2). Ce constat se révèle particulièrement vrai au États-Unis pour les entités supposées être d’importance systémique dès lors que le cadre prudentiel renforcé, transcrit par l’intermédiaire du Dodd-Frank Act (DFA) dans l’ordonnancement juridique interne (cf. Sect. 165 DFA), tend prioritairement à viser les établissements dont le total bilan excède 50 Md$ (soit 38 entités sur un total de 6 500 environ…)3. Il expliquerait, en tout état de cause, la panne observée en matière d’agrément, alors même que le secteur bancaire des États-Unis se trouve structurellement être en phase de consolidation, et ce, depuis plusieurs décennies (cf. annexe 1 et graphique 1)4.
Les nouvelles contraintes sont pour l’essentiel directes. Elles résultent tout à la fois de la mise en place progressive de nouveaux ratios réglementaires tels que le ratio de liquidité à court terme (LCR – liquidity coverage ratio) ou le ratio de levier (renforcé le cas échéant pour les entités de nature systémique), de l’encadrement renforcé des opérations de titrisation (à travers notamment l’introduction de l’obligation de rétention) ou encore de la perspective d’un futur ratio de capacité d’absorption des pertes (TLAC – total loss absorbing capacity). De la même manière, l’augmentation du montant global de la contribution au Deposit Insurance Corporation Fund des insured deposit institutions (IDI), d’ici à 2020 (ce dernier devra alors couvrir 1,35 % des dépôts)5, est de nature à accroître les coûts associés aux dépôts bancaires, dont l’essentiel figure au bilan des plus grands établissements (cf. graphique 2).
Ces nouvelles contraintes peuvent aussi être indirectes, dès lors que sont également appréhendées les règles qui ont pour objet d’imposer une adaptation structurelle. Il en va ainsi de la Volcker Rule6 (qui contraint les établissements bancaires à substantiellement limiter leurs opérations pour compte propre, ainsi que tout investissement ou support en direction de véhicules réputés spéculatifs)7 ou encore de l’ensemble des adaptations que certains établissements bancaires doivent introduire afin de garantir une résolution rapide et ordonnée8, notamment s’agissant de celles des filiales qui, au sein du périmètre de consolidation, ont une activité de dépôt.
Un cadre de protection du consommateur commun pour tous les acteurs
La protection du consommateur de services financiers apparaît également être emblématique des réformes du cadre de supervision postcrise, au point qu’un titre X du DFA a pu lui être intégralement dédié et qu’une nouvelle autorité de supervision a été instituée (le Consumer Financial Protection Bureau – CFPB)9. Cet encadrement renforcé est loin d'être neutre pour les entités qui y sont assujetties puisqu’il implique une mise en conformité (c’est notamment le cas pour les prestations de services qui prennent appui ou sont liées à des hypothèques10). À cet égard, il convient de relever que les efforts attendus tendent à peser davantage sur les entités qui, n’appartenant pas au secteur bancaire, ne supportaient pas jusqu’alors ce type de contraintes11 et, par essence, ne sont pas habituées et préparées à répondre à l’attention toute particulière que le superviseur tend à leur réserver12.
De la même manière, une thématique nouvelle, destinée à prévenir la montée en puissance d’un risque systémique jusqu’alors évanescent, émerge au travers de ce qu’il est convenu de désigner sous le vocable de « cybersécurité ». Encore très largement embryonnaire sur le plan de la transcription législative et réglementaire, la prise en charge de ce risque, présent à la fois sur le plan prudentiel (à raison du risque opérationnel sous-jacent) et sur le plan de la protection du consommateur (à raison de la menace qu’il constitue ne serait-ce qu’au titre de l’utilisation frauduleuse des données personnelles), revêt une importance majeure pour les autorités de supervision qui, au gré de leurs plus récentes interventions, ont exprimé leurs attentes et formulé ce que pourraient être leurs exigences.
La chaîne de valeur de l’activité de banque de détail est bouleversée par les (r)évolutions technologiques et sociétales
La démocratisation et la sophistication croissante des smartphones au sein d’une population naturellement encline à utiliser et solliciter ce type de supports (la génération du millénaire) accompagnent tout naturellement la progression constante du recours aux services de mobile banking par la clientèle des établissements bancaires. Ainsi, en 2014, 39 % des détenteurs de smartphone ont consulté le site internet de leur banque durant l’année, contre seulement 29 % en 2012. Ce phénomène s’accompagne d’une fréquence accrue des consultations, avec une valeur médiane de quatre consultations mensuelles13.
Dans ce contexte, les banques de détail doivent répondre à une demande de services dématérialisés et, dans le même temps, faire face à l’émergence d’opérateurs alternatifs qui, en raison de leur base de coûts réduite et de moindres exigences réglementaires, se trouvent en capacité de fournir des services complémentaires, voire favoriser l’accessibilité aux services bancaires à des populations non bancarisées. De la même manière, le développement de méthodes de paiement alternatives (téléphones portables, portefeuilles virtuels, types Google Wallet, Paypal, etc.) (cf. infra), sans compter l’apparition des monnaies virtuelles (dont le fameux Bitcoin), contribue à réduire la place occupée par les espèces (ces dernières représentent encore le moyen de paiement pour près de 40 % des transactions aux États-Unis) et à attirer un nombre toujours plus important de commerçants.
Cette dynamique se trouve par ailleurs renforcée par l’effet couplé de l’apparition des comparateurs en ligne de services bancaires, ainsi que par une transparence et une lisibilité accrue des tarifs, qui favorisent l’accès et la mise en concurrence des différentes offres de services bancaires pour les clients. Cette amélioration renforce le cadre compétitif et aboutit à une pression adverse sur la profitabilité pour ceux des clients qui, par-delà la qualité de service, s’avèrent plus sensibles à la question tarifaire, étant précisé que les récentes initiatives réglementaires favorables à la portabilité des comptes bancaires ont probablement eu un effet amplificateur.
Les opérations bancaires basiques (consultation des soldes, virements, etc.) ne sont pas les seules transactions touchées par cette évolution des modes de consommation ; le conseil financier ou la gestion de fortune commencent aussi à voir l’arrivée de nouveaux acteurs.
Un cadre concurrentiel partagé entre les anciens et les modernes
Alors que le concept et l’activité de banque de détail semblent indissociables du statut de l’établissement bancaire, cette perception tend à être remise en cause dans le contexte postcrise, et ce, particulièrement aux États-Unis où, historiquement, la notion de monopole bancaire a toujours été moins prégnante14.
Si l’activité de banque de détail demeure ainsi, pour partie, l’apanage des IDI, seules entités à pouvoir financer l’octroi de prêts à travers la collecte de dépôts, cette perception monolithique semble cependant être remise en cause. L’avènement des nouvelles exigences prudentielles conduit en effet à accélérer les mutations internes déjà à l'œuvre au sein du secteur bancaire, en accentuant l’écart entre les grands et les petits établissements (à la banque de détail succéderaient plusieurs modèles de banques de détail), tout en stimulant dans le même temps le développement d’une offre de services alternatifs proposée par une myriade d’acteurs nouveaux ou préexistants (aux banques de détail se substitueraient les « détaillants bancaires »).
Les acteurs bancaires se segmentent dans un système à deux vitesses
Il s’agit ici de prendre en considération l’activité de banque de détail en distinguant selon la taille ou l’importance du bilan des entités qui l’exercent. Ainsi, les grands établissements, probablement incités dans une certaine mesure par les nouvelles contraintes réglementaires (cf. supra), y compris celles relatives aux moyens de paiement15, tendent à se focaliser tout à la fois sur les zones urbaines et les clients à haut potentiel (les « affluents »16) et, subséquemment, à réduire leur activité dans les zones rurales et/ou défavorisées17, alors que les plus petits établissements restent focalisés sur une activité de proximité, tournée en direction des ménages et des PME localement implantés.
Les données publiées par la FDIC pour le 4e trimestre 2014 semblent d’ores et déjà traduire semblable dichotomie. Elles indiquent en effet que dans le contexte de la reprise économique et de la perspective d’une normalisation du fed funds rate18, l’augmentation de l’activité de crédit apparaît plus marquée chez les petits établissements bancaires (+11 % au sein de ces derniers, avec un return on equity au plus haut depuis sept ans, contre +7,4 % pour l’ensemble du secteur)19. Ce chiffre ne saurait cacher cependant les profondes disparités entre les community banks (dont le nombre n’a cessé de chuter en raison d’un phénomène de consolidation structurel du secteur, mais aussi des faillites enregistrées dans le contexte postcrise20) et l’importance relative occupée par les grands établissements sur certains segments tels que les prêts à la consommation (cf. graphique 3).
Ainsi, sur fond d’appréhension du risque systémique, la distinction au sein du secteur bancaire entre les grands établissements, présumés porteurs de risque pour la stabilité financière, et les établissements de plus faible importance semble s’accentuer. Alors que les premiers, à raison du poids des exigences qui leur sont imposées, seraient incités à se recentrer sur les activités réputées les plus rentables de la banque de détail et à privilégier les centres de profit les plus rémunérateurs (les grands centres urbains et les clients les plus aisés), moyennant les contraintes en termes de redéploiement que peut comporter le respect des exigences prescrites aux termes du Community Reinvestment Act (CRA)21, les seconds, davantage tributaires de leurs implantations locales, se trouveraient en situation de récupérer ou tout simplement conserver une part substantielle du marché de la banque de détail dans les zones précisément délaissées par les établissements les plus importants22. Il convient de relever que semblable mouvement pourrait encore être amplifié en fonction des éventuels allégements consentis sur une base bipartisane par le Congrès aux communauty banks (FDIC, 2012) et aux credit unions (dont les actifs consolidés ont dépassé 1 000 Md$ pour la première fois en 2013)23.
L’activité de banque de détail accentue sa désintermédiation
Portée par les évolutions technologiques et sociétales, autant que par un corpus réglementaire moins contraignant, une offre alternative développée par des intervenants extérieurs au secteur bancaire tend à émerger tant au regard de l’activité de crédit que des services de paiement.
La montée en puissance d’une offre de crédit alternative
Le financement participatif monte en puissance aux États-Unis : il se divise entre le peer to peer lending (destiné le plus souvent à des particuliers) et le crowdfunding (pour des projets plus sophistiqués ou des entreprises et des start-up). Bénéficiant d’une image positive, liée à sa dimension de prêt communautaire et à la désintermédiation, l’encours des crédits réalisé par des plates-formes spécialisées a ainsi atteint près de 10 Md$ en 2014, un chiffre à comparer à 1,5 Md$ réalisés en 2011. Si ces montants peuvent apparaître dérisoires, une estimation récente de Goldman Sachs indique qu’ils pourraient s’élever à près de 1 565 Md$ dans un futur proche (cf. tableau infra ; le seul domaine du crowdfunding a doublé son encours de crédits depuis 2011). Ces plates-formes de financement collaboratif affichent en effet une capacité croissante à attirer la confiance des investisseurs potentiels, ainsi qu’à professionnaliser le calcul de la prime de risque des projets à financer. Bénéficiant de coûts significativement plus faibles que les acteurs bancaires traditionnels (Goldman Sachs les estime à seulement 1,7 % d’un prêt, contre 5,3 % pour une banque traditionnelle), les acteurs du crowdfunding explorent des mécanismes nouveaux afin de maximiser l’utilisation des informations disponibles sur les réseaux sociaux (big data) pour créer des plates-formes communautaires ou mieux appréhender le risque de crédit des emprunteurs. Ces acteurs bénéficient en outre d’une appétence réelle des jeunes générations (la fameuse génération du millénaire) qui se déclarent dix fois plus intéressées par ce type de solutions que leurs parents24.
N’ayant pas à répondre aux exigences prudentielles des banques traditionnelles, les acteurs du non-bank lending ont fortement accru leur rôle dans le financement de l’économie depuis la crise. Ils jouent désormais un rôle quasiment identique aux banques traditionnelles dans l’origination de crédit immobilier (près de 45 % des nouveaux crédits ont été originés par des non-banques en 2014, contre 15 % en 2001), significatif dans la collecte des créances (27 % du servicing en 2014, contre 8 % en 2012), et ont commencé une intrusion notable dans le crédit à la consommation aux particuliers où ils représentent déjà près de 2 % du marché. Cette progression s’explique en particulier par une très grande rapidité dans le temps de validation des dossiers (facilitée par des règles de souscriptions moins strictes), des conditions de financement attractives dans un contexte de taux très faibles, ainsi qu’une structure de coût réduite (s’agissant des perspectives de captation, cf. tableau ci-contre).
Par-delà les seuls aspects quantitatifs, il convient toutefois de relever, par comparaison au secteur bancaire traditionnel, un mouvement symétriquement inverse sur le plan qualitatif : alors que les entités du secteur non bancaire se concentrent principalement sur les prêts octroyés à des individus ou des entreprises qui présentent un profil de risque élevé (c’est particulièrement le cas en matière de prêts hypothécaires, de prêts automobiles ou même de prêts étudiants)25, les établissements bancaires, quant à eux, tendent très nettement à conserver à leur bilan, à raison des contraintes réglementaires qui leur sont propres, les crédits de meilleure qualité26.
L’avènement de nouveaux moyens et modalités de paiement
Au titre des nouveaux moyens de paiement, il convient de citer le développement des cartes prépayées, instruments par l’intermédiaire desquels les consommateurs ont désormais la possibilité de charger une somme prédéterminée sur un support attaché à un détaillant (comme Starbucks), afin de bénéficier de réductions inédites au titre de leur fidélité. Les commerçants se trouvent alors en capacité de mieux cerner le profil de consommation tout en faisant l’économie des coûts de transaction avec la banque et son terminal de paiement (nonobstant le plafond désormais imposé en la matière). Ces cartes prépayées représentent un montant marginal en 2014, mais l’industrie bancaire observe de près le phénomène qui la contourne et la coupe de données de transactions essentielles qu’elle pourrait utiliser en vue d’alimenter et d’améliorer l’appréciation du profil de risque de sa clientèle.
De la même manière, s’agissant des modalités de paiement, le recours aux téléphones mobiles apparaît comme une évolution significative en ce qu’elle aboutit à ce que les établissements bancaires traditionnels soient privés de certaines données transactionnelles liées à leurs clients et cantonnés à l’exécution purement technique de l’opération sans bénéficier simultanément du détail des transactions, informations pourtant cruciales pour évaluer le profil de crédit du client et constituer des bases de données pertinentes.
Hybridation ou perspective d’un jeu à somme nulle
La perspective que les mouvements tectoniques observés au sein de l’activité de banque de détail aux États-Unis se révèlent être in fine un jeu à somme nulle apparaît assez probable, à raison de la convergence ou à tout le moins de l’hybridation des modèles qui pourraient advenir dans un avenir plus ou moins lointain. Encore balbutiante, cette propension semble à l’examen susceptible d'être observée dans les deux sens, que ce soit à travers le mouvement que font les banques de détail traditionnelles vers les pratiques et les services développés par les opérateurs alternatifs, ou encore par l’intermédiaire du mouvement que font ces derniers acteurs vers le secteur bancaire.
Le mouvement des banques traditionnelles vers les offres alternatives
Il convient de relever que les établissements bancaires traditionnels investissent dans les « FinTech » (les entreprises innovantes dans le domaine des services financiers alternatifs)27 et contribuent à l’expansion du secteur (passé de 1 Md$ en 2008 à 3 Md$ en 2013, le montant total des investissements devrait doubler pour atteindre 8 Md$ en 2018). Cette évolution illustre la porosité des frontières entre l’activité de banque de détail traditionnelle et le secteur non bancaire, qui se manifeste à travers de nombreuses initiatives emblématiques d’un mouvement que d’aucuns qualifient d’hybridation.
Ainsi, parmi d’autres, l’initiative engagée par le consortium BancAlliance, qui rassemble près de 200 communauty banks, d’une part, et Lending Club, la plate-forme de crédit entre particuliers, leader aux États-Unis, avec plus de 7,5 Md$ de prêts octroyés depuis 2006 (et récemment introduite en Bourse, pour une valorisation initiale de 870 M$), d’autre part, en vue de reprendre des parts de marché aux grands établissements bancaires sur le segment des prêts à la consommation, mérite tout particulièrement d'être soulignée. L’offre de services consiste en effet à ce que les membres du consortium renvoient une partie de leur clientèle (principalement celle qui à raison de son scoring ne peut prétendre à un prêt traditionnel) en direction de la plate-forme gérée par Lending Club, par l’intermédiaire de laquelle une offre de crédit est proposée, étant précisé qu’in fine, les titres ayant pour sous-jacent les prêts accordés émis par Lending Club à des fins de refinancement se trouvent souscrits par les communauty banks (WSJ, 2015a).
Cette participation des banques à des mécanismes alternatifs se retrouve également, sous d’autres formes, mais avec le même objectif d’arbitrage réglementaire, chez certains établissements plus importants, dont la caractéristique première était précisément, jusqu’alors, de ne pas exercer d’activité prédominante dans le domaine de la banque de détail. À cet égard, le renforcement de Goldman Sachs dans le secteur des business development companies (BDC)28 (véhicule d’investissement spécialisé dans les prêts aux PME non cotées ; WSJ, 2015c), à travers l’introduction en Bourse de Goldman Sachs BDC, mérite d'être souligné.
Le mouvement des acteurs alternatifs vers les banques traditionnelles
Pour l’heure, les acteurs du shadow banking bénéficient d’une forte progression en raison de l’avantage comparatif qu’ils tirent d'être exemptés de nombre des exigences prudentielles applicables aux établissements bancaires traditionnels. Pour autant, cette croissance exponentielle pose la question de l’adéquation du régime juridique applicable, notamment concernant l’encadrement prudentiel, dès lors qu’en substance, compte tenu précisément de leur activité de crédit, ces acteurs se rapprochent peu ou prou de la catégorie formelle des établissements bancaires. Il suffit pour s’en convaincre de considérer l’importance de l’activité de crédit des filiales spécialisées de certains géants industriels comme Walmart ou Target. Si le second a déjà franchi le pas, en convertissant sa filiale dédiée en établissement bancaire, Walmart apparaît être en revanche toujours hésitant eu égard aux conséquences qu’une telle évolution comporterait, y compris une structure faîtière (on relèvera toutefois le partenariat stratégique récemment noué avec un établissement bancaire, à travers la création de la banque en ligne GoBank ; Journal Sentinel, 2014).
Sur le plan des pratiques commerciales, un certain nombre de dérives identifiées chez les payday lenders (établissements spécialisés dans les avances sur salaires) ou les mortgage servicers (collecteurs de créances) ont d’ores et déjà suscité des réactions de la part des autorités de supervision, sous la forme de sanctions pécuniaires (première condamnation de mortgage lenders ou encore perspectives de sanctions à l’égard de Paypal ; WSJ, 2015e), d’attention accrue comme celle de la part du Superintendant Benjamin Lawsky qui a ouvert une enquête contre OCWEN Financial, voire de projets réglementaires spécifiques (cf. les initiatives récentes du CFPB vis-à-vis des payday lenders)29. Ainsi, le renforcement des exigences relatives à la commercialisation des produits proposés par les shadow banks, le développement d’un régime prudentiel ad hoc (pour les entités non bancaires qui disposent d’une empreinte systémique de nature à faire peser un risque sur la stabilité financière, mais aussi, plus généralement, pour les mortgage lenders, à travers le projet d’un cadre commun conjointement proposé par l’ensemble des régulateurs des États fédérés), voire la montée en puissance des enjeux liés à la cybersécurité pourraient progressivement contribuer à lisser l’avantage concurrentiel dont les shadow banks pouvaient se prévaloir.
Subie, la bancarisation des shadow bankers pourrait aussi être choisie par certains géants de l’industrie numérique (Apple, Google, Amazon, etc.) ou de la téléphonie (AT & T, T-Mobile, etc.) qui possèdent déjà plusieurs millions de comptes clients ainsi que les données de transaction et de cartes de crédit associées. Ces précieuses informations pourraient constituer une solide plate-forme susceptible de soutenir le déploiement d’une banque en ligne (près de la moitié de la population américaine se déclare prête à recourir aux services bancaires que serait susceptible de fournir ce type d’entités30). À ce titre, le symbole que constitue le débauchage de l’ancienne directrice financière de Morgan Stanley par Google ne peut qu'être relevé. Il est toutefois à souligner que la création de conglomérats intégrant activités financières et industrielles (ou digitales) ne semble pas dans l’air du temps, comme l’atteste la récente scission de GE Capital annoncée par General Electric en avril 2015. Il est vrai que l’intrusion dans l’activité bancaire traditionnelle pourrait coûter aux sociétés disruptives de chaîne de valeur l’avantage compétitif qu’elle retire de leurs services inédits et/ou de leur qualité d’entités non régulées.
Conclusion
Considéré comme un pôle d’activité bancaire aux revenus stables, le modèle industriel traditionnel de la banque de détail amorce une mutation profonde aux États-Unis, sous l’influence croisée de la réforme du cadre de régulation et des évolutions rapides observées tant sur le plan technologique que démographique.
Les bouleversements sont d’abord internes au secteur bancaire, avec une dichotomie de plus en plus marquée entre les grands établissements systémiques, incités à recentrer leur activité de détail sur les services à forte valeur ajoutée et à cibler les clients à haut potentiel, d’une part, et la myriade d’établissements de petite taille qui, localement implantés, se replient sur une clientèle plus captive, d’autre part. Les facteurs d’évolution sont ensuite externes, du fait de l’essor de l’offre concurrentielle des prestataires alternatifs (cf. les mortgage lenders, etc.) et surtout de l’apparition de nouveaux acteurs (shadow banks, structures communautaires de crédit ou purs prestataires de technologies financières) déterminés à capter une partie de la chaîne de valeur du secteur bancaire traditionnel, voire de certaines activités historiques comme le crédit. Bénéficiant de l’agilité procurée par leur taille réduite et un cadre réglementaire allégé ou embryonnaire, ces nouveaux acteurs, à la fois trublions et aiguillons, semblent s’installer dans le paysage industriel de la prestation de services bancaires de détail, sans qu’il soit encore possible de déterminer s’ils ont vocation à se substituer aux banques ou, au contraire, par voie de capillarité et d’émulation, à inciter ces dernières à redéployer leurs activités.
L’impact de cette recomposition apparaît ambivalent. Sur le plan microéconomique, tout d’abord, elle peut aussi bien favoriser l’inclusion bancaire (les évolutions technologiques et la concurrence accrue qui semble transparaître sont autant d’éléments de nature à permettre un accès aux services bancaires, quels que soient le profil de risque et/ou la localisation géographique) que générer des phénomènes d’exclusion (car les prestataires de services, en privilégiant les cibles à forte valeur ajoutée, créent un risque accru de segmentation de la clientèle, voire de discrimination). Sur le plan macroéconomique, par suite, le développement d’une nouvelle offre concurrentielle est a priori favorable à la réduction des rentes et à l’allocation efficace des ressources, mais peut dans le même temps tout aussi bien contribuer à renforcer une intermédiation qui, à la différence du modèle européen, ne reposerait pas quasi exclusivement sur le système bancaire stricto sensu. Enfin, du point de vue de la stabilité financière et de la prévention du risque systémique, il n’est pas indifférent que ces mutations tendent à évincer le risque de crédit du secteur bancaire traditionnel vers des acteurs moins strictement encadrés qui ne disposent pas nécessairement de l’expérience et de l’expertise dans la sélection et le suivi du crédit.
D’une crise à l’autre, il serait certainement regrettable que toutes les leçons ne soient pas tirées et que l’Histoire puisse se répéter. Ainsi, poser la question de l’avenir de la banque de détail conduit à s’interroger sur l’adéquation du périmètre de supervision à un domaine en rapide mutation. À cet égard, la réforme du cadre institutionnel apparaît encore très embryonnaire aux États-Unis (cet aspect est quasiment absent du DFA) et par-delà les règles matérielles, une réflexion sur le maillage des autorités de supervision reste très certainement à mener, comme l’appelle du reste de ses vœux Paul Volcker à travers une récente proposition de réforme particulièrement ambitieuse (Reshaping the Financial Regulatory System)31.