Le risque inflationniste existe encore dans les pays émergents
Beaucoup de pays émergents (nous regardons ici les situations du Brésil, de l’Inde et de la Turquie) sont confrontés à des pressions inflationnistes (cf. graphique 1 infra) qui proviennent de la présence de nombreux goulots d’étranglement sur le marché du travail, d’où les hausses rapides des salaires (cf. graphique 2 infra), concernant la production d’électricité qui est trop faible (cf. graphique 3 infra), ce qui limite la capacité de production de l’industrie, affectant les infrastructures de transport, insuffisantes pour rendre possible le développement industriel, le transport des matières premières (cf. tableau infra).
Ces différents goulots d’étranglement expliquent l’apparition de pressions inflationnistes structurelles. La problématique pour les banques centrales des pays émergents est alors traditionnelle. Soit elles poursuivent une politique ciblant la lutte contre l’inflation et mènent une politique monétaire restrictive avec le risque de déprimer l’investissement, d’aggraver les goulots d’étranglement et de déprimer l’activité. C’est aujourd’hui le cas du Brésil (cf. graphique 4a infra). Soit elles renoncent à lutter contre l’inflation, mènent une politique monétaire peu restrictive pour soutenir l’activité, avec le risque que l’inflation persiste ; c’est le cas, par exemple, de la Turquie et de l’Inde (cf. graphiques 4b et 4c ci-contre), entre 2011 et 2014.
La problématique est très différente pour les pays de l’OCDE
Les banques centrales des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) sont confrontées à deux nouvelles évolutions importantes. Il s’agit d’abord de la faiblesse structurelle de l’inflation. Le pouvoir de négociation des salariés a beaucoup faibli dans de nombreux pays : États-Unis, Japon, Royaume-Uni depuis 2008, Espagne. Cela implique que même lorsque les économies reviennent au plein-emploi, l’augmentation des salaires et des coûts salariaux unitaires connaît peu d’accélération.
On le constate dans la période récente, par exemple aux États-Unis (cf. graphique 5 infra). L’inflation sous-jacente reste donc faible même dans les périodes d’expansion (cf. graphique 6 infra) ; la hausse récente de l’inflation sous-jacente au Japon vient de la hausse de la TVA et de la dépréciation du yen.
De plus, l’affaiblissement de la croissance mondiale et de l’industrie dans les pays émergents a réduit la demande mondiale de matièrespremières et a donc fait baisser leurs prix d’équilibre, ce qui réduit encore plus le risque inflationniste.
Les banques centrales des pays de l’OCDE sont donc confrontées à une inflation faible (cf. graphique 7) qui devrait rester inférieure à leur objectif d’inflation même dans les périodes de croissance.
Il s’agit ensuite de l’efficacité réduite des politiques monétaires. La seconde évolution à laquelle les banques centrales des pays de l’OCDE sont confrontées est la perte d’efficacité des politiques monétaires expansionnistes. Elle est essentiellement due au niveau élevé des taux d’endettement du secteur privé (cf. graphique 8 infra) qui implique que même avec des taux d’intérêt très faibles, la demande de crédit ne redémarre pas (Royaume-Uni, zone euro, Japon) ou ne redémarre que tardivement (États-Unis).
Conclusion : deux problématiques de politique monétaire très différentes dans les pays émergents et les pays de l’OCDE
Dans les pays émergents, la problématique de la politique monétaire est celle de la difficulté d’utilisation de l’inflation targeting en stagflation, c’est-à-dire dans une situation où les problèmes structurels (goulots d’étranglement) font apparaître à la fois l’inflation et la croissance faible.
Dans les pays de l’OCDE, les banques centrales sont confrontées à la faiblesse structurelle de l’inflation, qui reste inférieure à l’objectif d’inflation avec le « nouveau » fonctionnement du marché du travail et le recul des prix des matières premières, et à l’inefficacité des politiques monétaires expansionnistes avec le niveau élevé des taux d’endettement du secteur privé.
Cela conduit les banques centrales des pays de l’OCDE à des politiques monétaires très expansionnistes (quantitative easing, taux d’intérêt à long terme inférieurs à la croissance nominale, cf. graphiques 9 ci-contre) puisque l’inflation est inférieure à l’objectif d’inflation et que la politique monétaire est inefficace pour stimuler l’activité donc l’inflation.
Le risque que l’on observe déjà depuis la fin des années 1990 est celui de bulles sur les prix d’actifs (actions, immobilier ; cf. graphiques 10 et 11 ci-contre), d’excès de liquidité conduisant à des flux de capitaux de grande taille et à la forte variabilité des prix d’actifs, des taux de change, comme on l’a vu avec les flux de capitaux liés à la liquidité créée aux États-Unis vers les pays émergents (cf. graphiques 12 ci-contre et 13 infra).
L’interaction, dans les pays de l’OCDE, entre la faiblesse structurelle de l’inflation et l’inefficacité des politiques monétaires fait donc courir un risque majeur d’instabilité et de crise financière à ces pays.