Société Générale a lancé sa transformation digitale. Tous les métiers et toutes les implantations géographiques de ce groupe international de 148 000 personnes ont pris la mesure de la profonde évolution, « révolution », des comportements et des exigences des clients à l’ère de l’utilisation massive des nouvelles technologies.
Les réseaux de banque de détail de Société Générale en France et Crédit du nord se sont engagés dans une profonde mutation qui renforcera la relation avec leurs clients grâce à l’alliance de la banque « humaine » et des outils digitaux mis en place. Moins d’agences certes, mais mieux à même de répondre aux exigences de qualité du conseil demandé par les clients.
Des points de contact avec la banque coordonnés et connectés pour faciliter la relation entre la banque et ses clients : agence, Internet, centres d’appels, application mobile, capables de communiquer en temps réel pour faciliter l’accès à la banque.
La banque en ligne Boursorama est en tête des banques digitales européennes, fortes de ses 700 000 clients (+20 % de croissance en 2015). Marque rupturiste et laboratoire d’innovations FinTech, elle développe des pratiques innovantes (par exemple, le dispositif d’accès à un conseiller par chat) et se place ainsi à la tête des banques françaises en termes de recommandations clients1.
En Afrique, très présente depuis plus de cent ans, dans dix-huit pays, Société Générale a également pris la mesure de l’évolution des besoins et de l’attrait pour 1 milliard de consommateurs potentiels d’une banque simple, accessible partout, en mobilité, à même de les accompagner dans leur vie quotidienne et le développement de leurs économies.
En Europe de l’Est, elle s’appuie sur des filiales telles que Komercni Banka, troisième groupe bancaire tchèque, et la BRD, deuxième banque de Roumanie, qui sont résolument entrées dans des démarches d’innovation alliant digitalisation massive et offre de nouveaux services.
La banque de financement et d’investissement est également concernée. Avec un positionnement de multispécialiste dans trente-huit pays, elle capitalise sur son positionnement de leader sur les produits structurés pour enrichir la relation avec les clients.
Les métiers spécialisés dans l’assurance, le financement d’équipements lourds ou le leasing se sont tous équipés des interfaces digitales qui leur permettent de dématérialiser largement la relation avec leurs clients, en réservant la relation humaine aux sujets plus complexes.
Démarrer un tel mouvement dans une entreprise aussi vaste, vieille de cent cinquante ans, dispersée dans soixante-seize pays, servant trente millions de clients dans le monde, forte de processus et de hiérarchies bien établis, dans un contexte économique mondial difficile et troublé et dans un contexte réglementaire en profonde mutation à la suite de la crise financière de 2008, n’était pas trivial.
Comment mobiliser les consciences autour de cette transition à l’œuvre ?
La transition est peu visible du cœur d’une entreprise occupée en priorité à se reconstruire après les différentes crises que le secteur bancaire a traversées ces dernières années et à répondre aux exigences nouvelles d’une institution de régulation bancaire européenne en construction et définissant à tâtons, mois après mois, de nouvelles règles, de nouvelles consignes. Avec pour priorité de recentrer le business model chahuté dans le nouveau contexte économique mondial, Société Générale se réorganise, s’industrialise, lance la mutualisation et la localisation de ses ressources, le pilotage renforcé de ses processus. Toute la panoplie de l’optimisation des coûts est mise en place à la même époque pour contribuer au renforcement de la solidité de la banque. Les clients sont bien sûr au cœur des préoccupations et ils constituent comme toujours la finalité de son action.
Dès 2010, Frédéric Oudéa, devenu président-directeur général de Société Générale, lui fixe un objectif majeur : « devenir la banque relationnelle de référence ». Mais, à cette époque, la promesse n’a pas encore vraiment pris corps.
Il faut réussir à attirer l’attention sur le nouveau phénomène en cours : la « relation » que les clients souhaitent établir avec la banque est en train de profondément changer. Nous sommes entrés dans l’ère numérique. Comprendre profondément le phénomène à l’œuvre et utiliser ses principaux leviers pour faire bouger l’ensemble de l’entreprise seront dès lors la stratégie simple et persévérante que poursuivra le groupe.
Comprendre d’abord
Une nouvelle façon de faire société
Parce que les dirigeants de la banque ne sont pas tous de la génération Y, il nous faut accepter de décaler notre regard pour observer que les adolescents et les jeunes adultes ont adopté depuis quelque temps déjà (lancement du premier iPhone en 2007) des comportements individuels et des comportements sociaux bien différents de leurs aînés. Et que ce qui change finalement, au-delà de tout le reste, c’est notre façon à tous d’être ensemble, de faire famille, voisinage, de faire société.
C’est Michel Serres, à qui je veux rendre ici un hommage appuyé, qui nous ouvre les yeux avec les premières conférences qu’il donne à Société Générale en décembre 2010. Grâce à sa Petite poucette (Serres, 2012) nous comprenons que le smartphone, quintessence de l’Internet mobile, c’est toute la connaissance du monde dans la paume de la main de ses trois milliards d’utilisateurs dans le monde2.
Comme l’invention de l’écriture avait fait entrer l’humanité dans son Histoire, comme l’imprimerie avait ouvert la voie à l’ère industrielle et ses considérables transformations, l’Internet mobile ouvre la voie d’une nouvelle transition anthropologique de l’humanité. Rien de moins…
La maîtrise du savoir est de moins en moins la propriété de quelques-uns. Le savoir se partage, se communique massivement, de manière virale, à une vitesse parfois ahurissante. La relation à tout type d’autorité qui tirait sa puissance de la maîtrise de l’un ou l’autre savoir en est profondément bouleversée.
Ainsi, la relation de l’étudiant au maître connaît un choc sans précédent quand, alors qu’il distille son cours dans l’amphi, des dizaines de jeunes connectés surfent sur Internet pour trouver la faille dans son discours, les thèses contradictoires, etc. À quoi sert le maître se demande Michel Serres ? Comment doit-il envisager cette nouvelle relation ? Quelle est sa valeur dans ce nouveau contexte ?
La relation du patient à son médecin est de la même façon profondément modifiée quand le patient a pu consulter trois sites médicaux sur Internet avant son rendez-vous et que, soudain, ce que le médecin lui raconte cesse d’être parole d’évangile. Comment transformer, trouver une nouvelle valeur à cette relation particulière ?
Bien sûr, la relation des citoyens à leurs institutions, quelles qu’elles soient, subit le même choc. Qu’il est difficile aujourd’hui d’être juge, parlementaire, homme politique, syndicaliste ! Toutes ces institutions sont décriées par nos contemporains qui les jugent, les comparent, les mettent au défi de répondre à leurs préoccupations singulières.
Enfin, évidemment, la relation que nous tous, consommateurs de biens et de services, entretenons avec ceux qui les fabriquent et nous les proposent (distributeurs de toute sorte, banque, assurance) est également bouleversée. Sans oublier la relation que chacun entretient avec son propre employeur.
Bref, à l’ère numérique, la relation entre les hommes change parce que la relation au savoir désormais médiatisé de manière large, simple et peu coûteuse a changé.
« L’ère de la multitude »
Colin et Verdier (2012) théorisent intelligemment cette évolution. Ces auteurs ont compris avant beaucoup d’autres la nouvelle ère relationnelle dans laquelle nous a fait entrer cette utilisation massive et accélérée des nouvelles technologies, l’ère de la multitude. Dans cette nouvelle ère relationnelle, chaque individu peut réellement jouer un rôle, l’horizontalité des communautés remplace progressivement ou, tout au moins, double les hiérarchies organisées.
Dans cette nouvelle ère, la connaissance se diffuse différemment, par capillarité, dans des organisations réticulaires au sein desquelles chacun a droit de cité, sur un pied de totale égalité.
Dans cette nouvelle ère, la multitude des « gens », citoyens, consommateurs, employés, existe désormais et peut faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre selon des phénomènes de transmission inconnus jusque-là dans leur ampleur et leur rapidité, leur instantanéité parfois.
Certaines entreprises réussissent, d’autres meurent
Gilles Babinet, alors président du premier Conseil national du numérique, présente finement, dans son livre L’Ère numérique, un nouvel âge de l’humanité, l’évolution incroyable que sont en train de subir tous les secteurs de notre vie collective (Babinet, 2014).
Les entreprises, en particulier, vivent ces chocs de plein fouet. De nouveaux acteurs, énormes, tels que Google, Apple ou Amazon, des pure players nés avec le web, bousculent tous les marchés. Leur agilité se fonde moins sur leurs propres innovations technologiques (Apple n’a pas inventé le smartphone, ni la tablette) que sur leur habileté remarquable à capter la valeur créée par les clients eux-mêmes (parmi les 900 000 applications qui figurent au catalogue de l’App Store, très peu ont été créées par Apple, la plupart sont réalisées par son écosystème externe) et à inventer les nouveaux modes du management (transversalité, communautés créatives internes, liberté, autonomie, etc.) qui leur ont permis d’attirer les talents du digital, de les recruter et de les garder. Leurs capitaux, colossaux, font le reste…
Des entreprises bien plus anciennes, bien ancrées sur des produits physiques réussissent cependant, elles aussi, à opérer le mouvement et se retournent vers leurs communautés clients. Nestlé avec Nespresso ne vend plus du café, mais un art de vivre et de consommer autrement, et même Michelin, pionnier et leader, ne vend plus seulement des pneus de grande qualité, mais une expérience du voyage plus agréable (l’application ViaMichelin organise en ligne tous les aspects du déplacement : itinéraire, hôtels, trafic en temps réel, météo, etc.). Les entreprises publiques ne sont pas en reste, la SCNF, la RATP, pour ne citer qu’elles, font de considérables progrès. Monter dans son TGV sans billet (papier s’entend !), consulter son trajet de métro sur son écran, être informé en temps réel du trafic. Air France et La Poste ne sont pas en reste… Ces entreprises décalent progressivement leurs dispositifs d’innovation du produit vers l’expérience client. C’est l’expérience sensorielle procurée par le produit qui en fait désormais la réussite.
D’autres entreprises meurent de n’avoir rien compris. Kodak, marque mythique de la photo, a déposé le bilan en 2012 faute de ne pas avoir entendu la nature disruptive de la transition en cours. La Fnac, après avoir raté le virage de la dématérialisation de la musique et laissé Apple occuper ce créneau, se relève heureusement. L’industrie du livre, la presse, les médias traditionnels sont menacés.
Comprendre donc qu’il faut bouger, vite, et que nul secteur ne sera protégé. Et comprendre que cette transition numérique est peut-être plus une opportunité qu’un problème, qu’elle permettra de multiplier et resserrer les liens avec les clients, avec les collaborateurs, avec la société civile, si nous savons bien nous y prendre.
Oui, mais comment ? Par quel « bout » commencer ? Comment peut-on conjuguer autonomie et contrôle, innovation et pilotage des risques, ouverture et sécurité, transversalité et hiérarchie, anciens systèmes et nouvelles technologies ?
Le temps de l’action
C’est une idée finalement très simple qui surgit. Puisque nous sommes entrés dans l’ère numérique, utilisons ses propres leviers pour effectuer nous-mêmes notre transition. Utilisons la force de la multitude, comme celle de la web génération, libérons la créativité de notre « multitude », outillons l’intelligence collective, offrons des lieux à de nouvelles communautés, pour qu’elles portent ces grands changements. Donnons les moyens à tous les collaborateurs d’être, de manière largement décentralisée, le changement.
Pour Société Générale, le début visible et symbolique de la transformation, ce sera PEPS, la parole à sa multitude
PEPS (projet expérimental participatif et stimulant), un vrai défi culturel, managérial et technologique, au pays de Descartes et de Vauban (pour ne pas citer Louis XIV et Napoléon !), à l’heure de l’hyperrégulation bancaire, une contradiction dans les termes !
148 000 collaborateurs, c’est finalement un bon début de multitude ! En tout cas, ce moteur puissant au cœur de l’organisation, vivant, dynamique, très attaché à l’entreprise, aura pour la première fois la possibilité d’exprimer de manière totalement libre et sans filtre sa vision de l’avenir de la banque dans cette nouvelle ère digitale, au moyen du réseau social d’entreprise (RSE), SG Communities tout récemment mis en place.
Trivial ? Pas du tout. Nous sommes alors en 2013. Il faut un peu d’audace pour lever les barrières du passé qui surgissent à la première tentative : « Mais que vont dire les managers ? » ; « Que vont penser nos organisations syndicales ? » ; « Mais imagine les plaintes et les récriminations de ces collaborateurs libérés ? ».
Une poignée de volontaires visionnaires et courageux (que je remercie du fond du cœur pour avoir tenté cette aventure avec moi) y croit cependant et monte cette première opération de coconstruction directe. Elle se déroulera pendant un mois, par remontée d’idées sur le RSE, selon trois grands thèmes, « client/team/tech » (comment la transition numérique impacte-t-elle la relation à nos clients ? comment impacte-t-elle les relations de travail au sein de l’entreprise ? comment doit évoluer notre technologie à l’ère numérique ?), sera animée par des community managers qui dégagent du temps pour l’opération.
C’est un vrai succès. Il y a tout juste quelques milliers d’abonnés sur le RSE au commencement de l’opération. Nous réussissons à en attirer jusqu’à 15 000 pendant la durée de PEPS. Ils sont aujourd’hui plus de 60 000 sur le RSE de la banque.
Des milliers de posts, de likes, au total plus de 1 000 idées qui illustrent bien l’image que nos collaborateurs se font de la banque de demain : une banque simple, agile, dans une communication facile et transparente avec ses clients et capable de laisser s’exprimer en permanence la capacité d’innovation de ses collaborateurs.
Aucune appréhension n’a été exprimée à l’occasion de ce challenge. Il n’a pas été besoin de réguler les débats. Au contraire, ont été constatés des visions claires, beaucoup de maturité, de responsabilité et d’engagement dans les prises de parole, beaucoup d’exigences et beaucoup d’enthousiasme aussi.
Un événement, présidé par la direction générale, clôt PEPS et lui donne toute son importance symbolique. La banque est entrée « officiellement » dans la transition numérique. Ses collaborateurs ont non seulement fait la démonstration qu’ils avaient compris les transformations sociétales à l’œuvre, mais aussi et surtout qu’ils voulaient en être des parties prenantes fortes et très positivement contributives.
Puis vient le déploiement au cœur de l’entreprise des nouvelles technologies pour tous, le programme Digital for all
L’intelligence collective, ça marche donc ! Il faut continuer de « jouer » avec les phénomènes en cours, nager avec ce nouveau courant plutôt que de le contrer (« Laissons tomber la boxe… choisissons le judo, dis-je à mes équipes. », une autre façon de dire « Faites l’amour, pas la guerre… » !). La transition numérique, c’est la capacité donnée à tous de s’exprimer, de coconstruire, d’échanger aux travers des nouveaux outils. Un vrai rêve de post-soixante-huitard…
Mais pour que cette intelligence de la multitude puisse s’exprimer, il lui faut les outils ! Difficile d’accélérer la transition numérique tant que les collaborateurs restent équipés d’ordinateurs fixes, prisonniers d’applications lourdes et anciennes, interdits d’accès à Internet pour des raisons de sécurité, donc privés de réseaux sociaux et de l’incroyable source de connaissances qu’est devenu le Net. Comment prétendre rester dans la course du xxie siècle avec les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et autres start-up de ce monde en continuant à lutter avec les outils du siècle précédent ?
Digital for all, c’est le nouveau pari que tente Société Générale en 2014. Alors que l’entreprise s’apprête à fêter ses cent cinquante ans, la direction décide d’équiper la majorité des collaborateurs du groupe de tablettes tactiles, formes symboliques puissantes du futur.
C’est une révolution managériale, au sens propre du terme que nous enclenchons, sans que tous réalisent la profondeur du changement qui commence, un véritable retournement culturel. Le message que l’entreprise adresse désormais à ses collaborateurs est celui de l’ouverture au monde du Net et des réseaux, quand l’accès leur en était interdit jusque-là. Non seulement les collaborateurs ont le droit désormais de naviguer pendant les heures de bureau, mais aussi ils en ont même le devoir ! Quel changement !
C’est une gageure technologique aussi ; ces tablettes devront permettre aux collaborateurs d’accéder à la fois au monde protégé de Société Générale et au monde ouvert de l’Internet, sans mettre en danger la sécurité de l’entreprise. Aucun outil, ni aucun grand ponte de l’informatique mondiale ne savent encore proposer ce type de solution sur étagère. Alors l’entreprise innove en construisant dans ce petit objet le socle technique qui va lui permettre de donner corps à une ambition : un accès à la fois ouvert sur le monde et totalement sécurisé à l’entreprise.
Dans la foulée est mis en place le store interne dans lequel sont en cours de déploiement par les collaborateurs eux-mêmes plus d’une centaine d’applications à ce jour. Le wifi est déployé dans l’ensemble des implantations. Société Générale construit un cloud interne, backbone d’infrastructure incontournable à la digitalisation des entreprises. Elle transforme ses méthodes informatiques, les méthodes agiles, les méthodes de continuous delivery gagnent largement du terrain ; elle apprend les architectures ouvertes (la bank as a platform et le mode saas3), les nouveaux outils de big data et bientôt l’intelligence artificielle, le deep learning, la technologie blockchain ; le cœur technologique de l’entreprise doit bouger… vite.
C’est une prouesse en matière de gestion du changement ! Pour avancer, il faut convaincre, convaincre les financiers des retours potentiels, convaincre les juristes, les régulateurs, rassurer les managers, travailler les ressources humaines, travailler le terrain, expliquer, montrer, démontrer, raconter… un énorme travail de gestion du changement… le plus exaltant de tous les jobs.
Ce travail est conduit par une petite cellule qui, à l’instar de ce que nous observons dans les start-up, fonctionne en pizza team. Y sont regroupées des compétences complémentaires en termes de business, de technologies de l’information, de marketing, d’innovations, de juridique, de communication. Les membres de la cellule prennent leurs bâtons de pèlerin, sur le terrain, dans l’ensemble du groupe et convainquent petit à petit que cet outil nouveau, décrié par les uns « parce que ce n’est pas Apple », par d’autres parce qu'« on n’en a pas besoin », par d’autres encore « parce que c’est trop cher » pour finalement ouvrir la voie.
90 000 des collaborateurs du groupe seront équipés d’ici à la fin de 2015. La petite tablette a fait du chemin. Elle a fait tomber beaucoup de barrières mentales au changement. Désormais, les métiers accélèrent le déploiement d’outils plus sophistiqués pour leurs conseillers qui sauront échanger de manière plus efficace avec leurs clients, utilisant les mêmes outils qu’eux, dans un mode « côte à côte » plutôt que « face à face ». Désormais, l’utilisation du réseau social en mobilité est possible et nos collaborateurs commencent à trouver sérieusement le chemin de communautés collaboratives horizontales qui marquent le début du désilotage de l’entreprise.
Demain, le « Bring your own device » sera la règle dans l’entreprise et gageons que nous ouvrirons notre store aux clients, qui créeront avec nous le monde dont ils ont besoin, et pourquoi pas à la multitude qui sera source de critiques et d’idées…
Et le cœur physique de l’entreprise ?
Il faut observer à quel point la relation numérique a modifié la relation physique au travail. Celle-ci demeure nécessaire, mais elle change profondément de sens. Venir au bureau le matin pour se plonger la tête dans l’ordinateur et travailler au travers de cette machine, installé seul derrière sa table ou, pire, au milieu d’un open space sans âme, n’a plus de sens.
Ce travail avec la machine peut être fait désormais de n’importe où, à n’importe quelle heure, dans les conditions qui conviennent le mieux à chacun. Il est possible de communiquer avec toutes les applications du monde et avec le monde entier, sans bouger de chez soi. Mieux même, sans polluer la planète…
Venir au bureau doit procurer autre chose. Ce besoin de chaleur, d’échange, de coopération, ce sont les nouveaux lieux de travail qui y répondront. Pour Société Générale, ce sera Les Dunes, à l’est de Paris. 5 000 collaborateurs y travailleront d’ici à la fin de 2016. Ce sera le technopole du groupe.
Cet immeuble « organique » et son architecture horizontale, qui contrasteront avec la verticalité des tours de La Défense, favoriseront avant tout les espaces de coopération. Ce sera un lieu de vie où l’on vient pour travailler ensemble, un lieu où ces communautés horizontales, multihiérarchies, multicompétences, pourront s’assembler et se désassembler facilement à l’occasion de chaque nouveau projet, où, espérons-le, le temps perdu à la lutte territoriale, propre à toutes ces grandes organisations humaines, l’affrontement des silos, cédera le pas à l’intelligence collective.
Pour relever le défi d’un tel changement, le pilotage même de ce projet gigantesque (200 000 m2 de bureaux) intègre les concepts et les méthodes de l’ère numérique : la cocréation, la collaboration et la coopération.
Les utilisateurs futurs du bâtiment ont été placés au centre de la gouvernance et ont mis en place des communautés qui ont dessiné au fil des mois l’esprit et l’organisation du lieu. Du zoning au design des espaces en passant par le choix des équipements, tout est passé par leurs mains, un processus certes un peu déstabilisant pour les maîtres de l’immobilier, habitués à plus de hiérarchie dans la prise de décisions, mais infiniment créatif.
Cet immeuble, totalement connecté, est en train de prendre forme à Val de Fontenay. Nous le voulons avant tout chaleureux, par son aménagement, ses couleurs, la texture des matériaux qui sont choisis, avec des lieux de vie où l’on échange, des jardins où l’on peut se promener, de l’espace pour jouer et surtout pour innover, 1 000 m2 dédiés aux start-up internes et externes qui viendront s’y installer.
Rester éveillés
Parce qu’une formidable vague d’innovations continue de déferler, il est tout à fait probable que ce que nous avons déjà vu de la transition numérique ne soit rien en comparaison de ce que nous verrons demain. Nous devons rester attentivement éveillés.
L’innovation, c’est une obsession de l’entreprise depuis toujours. C’est dans l’ADN de ces entrepreneurs fondateurs de Société Générale en 1864. Mais l’innovation d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier. Ses leviers ont changé, l’innovation se déporte, du produit vers l’expérience client, de l’innovation incrémentale à l’innovation de rupture, de l’innovation introvertie à l’innovation ouverte et partagée. Surtout, l’accélération de l’innovation est fascinante. Il faut s’adapter.
Frédéric Oudéa en fait « une cause nationale » pour la banque et sera très clair tout au long de ses interventions « innover ou mourir ». Nous mettons en place en 2014 un dispositif d’open innovation, une innovation ouverte qui permet à chacun, au cœur de l’entreprise, de rester connecté à l’évolution du monde.
Le challenge ici est important. Les grosses organisations ont un penchant naturel à ne regarder qu’à l’intérieur d’elles-mêmes, à se considérer immortelles, supérieures. Société Générale n’échappe pas à ces travers. Le dispositif multiforme qu’elle met en place consiste à donner à ses collaborateurs l’opportunité d’échapper à la puissance de la doxa interne.
En l’espace de quelques heures, de quelques jours, de quelques mois, nous voulons leur donner la possibilité de penser sous d’autres angles, de se décaler, d’innover. Michel Serres encore, dans son tout dernier livre, dit que penser c’est innover (penser vraiment, pas reproduire…) (Serres, 2015). Nous cherchons donc à penser.
Grâce à des lieux différents, à l’instar du premier que nous avons investi, le Player à Paris, au cœur de la French Tech, associé à des think tanks d’un nouveau genre comme l’Institut des futurs souhaitables ou des artistes numériques sans pinceaux, ni papiers, comme Bright, nous nous entraînons à penser.
Grâce à l’implantation dans les grands écosystèmes mondiaux d’innovation, la Silicon Valley évidemment, Israël et surtout l’Inde à l’effervescence technologique incroyable, où nous sommes implantés depuis longtemps (effervescence d’une jeunesse hyperactive et très bien formée, start-up qui pullulent, jeunesse de l’Inde qui aidera notre vieux monde).
Grâce aux communautés transverses que nous encourageons sur les sujets de demain, blockchain, big data, deep learning, etc.
Nous nous entraînons à penser. Grâce à l’ensemble de ces dispositifs, nous espérons diffuser du savoir, des idées, mais surtout donner confiance à tous les collaborateurs dans leur capacité à innover, à transformer notre monde.
L’aventure bien sûr ne fait que commencer et ne comporte pas que du positif
Comme disent les Anglo-saxons, il existe aussi des downsides. Aucun changement ne se fait sans abandons. Pour la banque, ces deuils successifs du passé, c’est une relation physique aux clients, dans l’intimité des agences, qui se conjugue désormais au numérique ; ce sont des modes de fonctionnement internes très hiérarchiques, mais finalement très rassurants parce que simples et lents, qui se transforment en des liens multipolaires, horizontaux, hyperrapides ; ce sont des milliards d’euros investis dans des systèmes d’information, ces dernières années, qui ont apporté les réponses aux besoins d’hier, mais pas à ceux de demain.
Cette transition peut être vécue difficilement et être source de questionnements et nous devrons en tenir compte. Certains métiers évolueront drastiquement ; des compétences durement acquises des années durant devront être enrichies de nouvelles compétences, qu’il faudra acquérir parfois difficilement. Le bureau fermé, que l’on n’aura plus, la tranquillité d’espaces privés perdue par la liaison permanente avec son univers professionnel, ces outils qui changent chaque jour, ces réseaux sociaux auxquels il faut consacrer du temps, en plus de tout le reste, dans une compétition mondiale que ces mêmes outils renforcent.
L’adaptation peut sembler extrêmement dure. C’est pourquoi la responsabilité managériale est immense, responsabilité de montrer la ligne d’horizon, le chemin, et d’accompagner l’ensemble des collaborateurs dans ces transformations.
Nous devons avoir confiance en la jeunesse, au monde, aux humains que nous sommes pour faire que ce qui se construit soit beau, plutôt que laid. Notre aventure numérique ne fait que commencer.
Libérer l’intelligence collective, la doter des outils d’aujourd’hui, lui offrir de nouveaux espaces demain, lui permettre d’innover, il a fallu tout cela et de nombreuses autres initiatives encore pour lancer Société Générale dans sa transition numérique. Mais celle-ci est désormais très largement engagée.
Société Générale est une vieille organisation pleine d’avenir, forte de la puissance collective de ses collaborateurs, du soutien toujours énergisant de ses clients et de ses actionnaires. Elle est un organisme vivant qui a fait le choix de comprendre, d’accepter les nouveaux défis et de se transformer profondément parce qu’elle est convaincu de son utilité sociale. C’est son histoire…