Les difficultés de financement des petites et moyennes entreprises (PME) sont un thème récurrent du débat économique français. Il est revenu au-devant de l’actualité du fait des craintes d’une raréfaction du crédit entraînée par la crise financière et l’application des normes Bâle III au secteur bancaire1. Si le sujet le plus sensible était alors celui de la disponibilité de la dette en raison des risques immédiats que sa raréfaction fait peser sur la liquidité des entreprises, l’autre volet du financement externe, celui des fonds propres, est également un sujet de préoccupation permanent. Dans le prolongement de la crise financière, il a fait aussi l’objet de mesures destinées à faciliter l’intermédiation boursière, telles la création du PEA-PME et celle d’Enternext2.
Or les marchés financiers, la Bourse, ne sont que l’un des modes de financement en fonds propres externes accessibles aux sociétés non cotées. De fait, le private equity, apparu en France dans les années 1980, devance très largement la Bourse pour le financement en fonds propres des PME françaises, tant en nombre d’entreprises financées qu’en montant de capitaux investis3. Au-delà de la diversité et du profil des entreprises financées qui expliquent en partie cet écart, la nature de ces deux modes de financement et leurs intérêts respectifs pour les actionnaires jouent sans nul doute un rôle significatif dans le choix des grosses PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI) pour lesquelles les deux types de financement sont possibles.
Cet article vise à éclairer le débat sur la partie fonds propres du financement des PME en comparant l’intérêt relatif pour les actionnaires d’une société privée à recourir à l’une ou l’autre de ces sources de fonds propres externes. Pour ce qui est du private equity, les développements qui suivent concernent les opérations de capital-développement et les opérations sur positions minoritaires. Les opérations de leverage buy-out (LBO), qui entraînent la cession de la totalité du capital et les opérations de capital-risque, du fait des spécificités des entreprises financées, sont de nature différente et ne rentrent donc pas dans cette analyse. Nous avançons ici l’idée que les solutions de financement proposées par le private equity sont pour certaines entreprises au moins aussi performantes que celles offertes par la Bourse. Cela explique en partie le succès de ce mode de financement et, en creux, l’échec récurrent des marchés boursiers qui leur ont été dédiés depuis une trentaine d’années, en Europe et en France en particulier (Vismara et al., 2012).
Après avoir exposé, à l’appui de la littérature, les avantages et les inconvénients pour les actionnaires d’une société non cotée de la cotation sur un marché financier, nous procéderons dans un second temps à une comparaison entre Bourse et private equity à partir de ces éléments. Nous mettrons ensuite en évidence que le private equity par sa capacité à négocier avec les actionnaires des sociétés financées des contrats adaptés à différentes situations permet de mieux préserver l’indépendance financière, élément central de la politique financière de nombreuses PME. En conclusion, il appartiendra de s’interroger sur les priorités des actions à mettre en œuvre pour favoriser le développement des PME au moyen de fonds propres externes.
Conséquences de la cotation pour les actionnaires d’une société non cotée
La littérature financière s’est intéressée à l’ouverture du capital des sociétés non cotées principalement au travers de l’introduction en Bourse. La décision de faire coter une société privée est présentée et analysée comme le résultat d’une comparaison coûts et avantages du point de vue des actionnaires.
Caractéristiques des actions cotées
La cotation en Bourse confère aux actions composant le capital d’une société plusieurs caractéristiques importantes par rapport aux actions des sociétés non cotées : une valorisation permanente par affichage d’un prix public de l’action, une liquidité permettant de réaliser à tout moment des transactions sur les actions qui le composent, la diffusion périodique d’informations sur l’évolution de la société et sur ses perspectives et, plus largement, la protection d’un cadre réglementaire visant à garantir les intérêts des actionnaires minoritaires.
En découle pour les actionnaires une série de conséquences importantes qui modifient les attributs des actions détenues. Certaines sont positives, d’autres négatives. La littérature financière a mis en évidence le fait que la décision de faire coter ou non leur société résulte de leur comparaison et du poids relatif accordé par les actionnaires à chacune d’entre elles.
Avantages et inconvénients de la cotation pour les actionnaires
Les conséquences positives (+) ou négatives (–) de la cotation des actions sur un marché financier pour les actionnaires peuvent être classées en quatre grandes catégories selon qu’elles portent sur le patrimoine, le financement, le contrôle et la gouvernance, ou encore sur les marchés de biens et de services. Nous développons ci-dessous chacun de ces différents points. L’annexe 1 indique les principales références bibliographiques.
Conséquences sur le patrimoine des actionnaires
Prix élevé (+)
La cotation en Bourse permet d’obtenir la valorisation la plus élevée de la société pour trois raisons principales. L’information produite et diffusée publiquement réduit les asymétries d’information vis-à-vis des investisseurs, la cotation procure aux détenteurs de titres l’avantage de la liquidité et enfin, compte tenu de la réglementation et du pouvoir de sanction des autorités boursières, la sécurité juridique des investisseurs est a priori mieux garantie. Ces trois éléments contribuent à réduire le risque et ont une incidence positive sur la valeur de l’entreprise.
Diversification et stratégie de sortie des actionnaires (+)
La liquidité permet aux actionnaires de céder à tout moment des titres sur le marché, elle est donc un instrument de diversification de leur patrimoine. Cela est important pour les dirigeants actionnaires qui ont une part significative, voire la quasi-totalité, de leur patrimoine dans l’entreprise, comme c’est souvent le cas dans les entreprises de taille moyenne. Cette liquidité favorise donc les stratégies de sortie et permet un étalement des cessions de titres dans le temps. Une telle volonté de désengagement du capital est parfois associée à celle de réaliser des projets d’investissement dont les actionnaires ne souhaitent pas assumer seuls le risque (cf. infra).
Coûts monétaires directs (–)
La cotation en Bourse entraîne une série de coûts importants et durables pour la société et donc pour ses actionnaires : frais initiaux d’introduction, d’underwriting et de placement, coûts récurrents de production et de diffusion d’informations à destination du marché (publication des comptes aux normes réglementaires, publicité de ces comptes, communication financière, temps passé par les dirigeants, etc.).
Conséquences sur le financement de la société
Baisse du coût de financement (+)
La cotation en Bourse diminue le coût de financement car les investisseurs demandent une rentabilité plus faible de leur placement du fait de l’atténuation de leurs risques (information, liquidité, plus grande sécurité juridique). Ces éléments conduisent également à un moindre coût de la dette par la réduction des asymétries d’information avec les prêteurs et de la surveillance opérée par les investisseurs.
Volume des financements disponibles et financement d’investissements (+)
La taille des marchés financiers leur permet de fournir aux entreprises des montants de capitaux significatifs. La cotation rend donc possible l’appel aux fonds propres extérieurs pour réaliser des projets d’investissement que les actionnaires en place ne peuvent pas (faute de moyens financiers) ou ne veulent pas financer seuls (pour cause de risque trop élevé). Ils sont donc un instrument puissant du développement des sociétés. Par ailleurs, le renforcement des fonds propres peut avoir un effet d’entraînement sur le montant de la dette mobilisable.
Flexibilité financière et réaménagement de la structure financière (+)
L’introduction en Bourse par augmentation de capital peut être un moyen de trouver une plus grande flexibilité dans les choix de financement. Le rééquilibrage opéré entre fonds propres et dettes peut donner aux dirigeants la possibilité de lever de nouvelles dettes et/ou de réaménager la structure de leur dette financière.
Accès facilité aux fusions et acquisitions (+)
La cotation facilite les opérations de fusion-acquisition. D’une part, elle rend plus visible la société, améliore l’information dont disposent les agents extérieurs et fournit une valorisation qui peut servir de référence à de telles opérations. D’autre part, elle ouvre la possibilité d’un paiement total ou partiel en titres liquides.
Conséquences sur le contrôle et la gouvernance
Surveillance de la gestion (+)
Avec la cotation, la société et son évolution sont analysées par les analystes financiers et les investisseurs. Cette surveillance des marchés fait pression sur les dirigeants et les incite à gérer la société au mieux pour éviter la sanction de la baisse du cours. Elle est donc de l’intérêt des actionnaires. Cet avantage est surtout manifeste pour les PME/ETI cotées dont la gestion est assurée par des managers.
Séparation des droits financiers et politiques (+)
Les marchés financiers permettent l’émission et la cotation d’instruments financiers qui possèdent des droits différents de ceux des actions ordinaires sur les cash-flows de la société et sur le pouvoir dans la société : actions sans droit de vote, actions à dividende prioritaire, etc. Ils permettent donc dans une certaine mesure de dissocier droits financiers et droits politiques, ce qui peut favoriser le maintien d’une certaine indépendance, par la vente d’un plus grand nombre de droits financiers que de droits politiques.
Partage du pouvoir (–)
La présence au capital de nouveaux actionnaires et l’obligation de rendre des comptes limitent les pouvoirs du dirigeant. Ce point est particulièrement sensible pour les dirigeants de PME qui privilégient l’indépendance financière. Dans le cas d’un financement par les marchés, les sociétés sont soumises au contrôle des autorités de supervision, aux règles de l’entreprise de marché ainsi qu’à la surveillance des analystes financiers et investisseurs.
Réduction ou perte des avantages privés liés à la détention du capital (–)
Dans les sociétés non cotées détenues par un individu ou une famille, on constate souvent une certaine confusion entre patrimoine social et patrimoine personnel ou familial, qui se traduit par une utilisation privée d’une partie des revenus de la société. La cotation conduit à une stricte limitation de ces avantages qui peuvent être considérés comme une atteinte aux droits des minoritaires et, plus largement, comme de l’abus de bien social.
Perte d’autonomie managériale (–)
L’autonomie managériale est définie comme la capacité des dirigeants managers à prendre des décisions avec lesquelles les investisseurs ne sont pas d’accord, en particulier pour mener à bien un projet donné (Boot et al., 2006). Dans les sociétés cotées, cette capacité est limitée et résulte des mécanismes de gouvernance mis en place par les régulateurs. Ces mécanismes sont contraignants, s’imposent de manière uniforme à toutes les sociétés et ne peuvent donc être aménagés pour répondre aux besoins spécifiques de telle ou telle société. Cette perte d’autonomie est à mettre en lien avec le coût de financement de la société. Dans un environnement réglementaire contraignant, les investisseurs, mieux protégés, demandent une rémunération inférieure de leurs capitaux.
Conséquences sur la position de la société sur les marchés des biens et des services
Certification des produits (+)
La notoriété acquise par une société lors de son introduction en Bourse et la surveillance des intermédiaires financiers et des investisseurs inciteraient les consommateurs à acheter ses produits. L’introduction en Bourse conférerait à une société opérant sur un nouveau marché avec de nouveaux produits un avantage de « premier entrant » ; les participants sur le marché des biens, en particulier les consommateurs, inférant de l’évolution du cours des informations sur la qualité des produits. Cet avantage a surtout été avancé pour les sociétés de croissance présentes sur de nouveaux marchés.
Position concurrentielle affaiblie (–)
La divulgation publique et obligatoire de nombreuses informations de nature financière, mais aussi stratégique par les sociétés cotées peut profiter à leurs concurrents et les affaiblir. C’est bien évidemment un point très sensible pour les dirigeants et les actionnaires.
Pour les dirigeants actionnaires des entreprises non cotées, la décision de faire coter leur société sur un marché résulte donc de la comparaison de ces différents avantages et inconvénients et de leurs conséquences respectives. On gardera néanmoins à l’esprit que, d’une manière générale, les avantages tirés des marchés financiers pour les PME cotées sont moindres que ceux tirés par les grandes sociétés cotées. En particulier, les marchés européens dédiés aux PME ne procurent souvent qu’une faible liquidité, la surveillance des analystes y est très faible ou inexistante, et l’utilisation de titres hybrides peu répandue. Or une grande partie de la littérature sur le sujet fait implicitement référence aux marchés financiers américains les plus développés.
Avantages et inconvénients comparés de la Bourse et du private equity
Comme l’introduction en Bourse, le recours à un fonds de private equity (FPE) se traduit par l’arrivée de nouveaux entrants au capital et confronte les actionnaires d’une société non cotée à des choix de même nature que ceux de l’introduction en Bourse. Toutefois, du fait des modalités propres à chacun de ces financements, les avantages et les inconvénients diffèrent ou leur intensité est plus ou moins prononcée, pouvant ainsi conduire à des choix différents en fonction des préférences des actionnaires.
Rappel des modalités de fonctionnement des FPE
Les FPE sont des intermédiaires financiers qui financent en fonds propres des sociétés non cotées au moyen de capitaux apportés par des investisseurs4. Ils sont gérés par des sociétés de gestion. Ces fonds, en France essentiellement les FCPR (fonds communs de placement à risque), ont en général une durée de vie de dix ans. Ils investissent leurs capitaux pendant leurs cinq ou six premières années d’existence, puis revendent leurs participations au cours des années restantes, de telle sorte que la présence d’un FPE au capital d’une société non cotée est en moyenne de l’ordre de quatre à six ans. Pour chaque investissement réalisé par un fonds, on peut distinguer trois phases. La première phase précède l’investissement et vise à collecter de l’information sur la société à financer (entretiens avec les dirigeants, examens approfondis de la société, due diligences, etc.) et à négocier les modalités de l’entrée du fonds au capital. Ces modalités sont financières (valorisation de la société, montants apportés, nature des instruments financiers), mais également extra-financières (statuts, pactes d’actionnaires). La deuxième phase, la plus longue, est celle pendant laquelle le fonds actionnaire est informé de l’évolution de la société au moyen de reportings et de réunions périodiques avec les dirigeants. Il s’efforce également de contribuer au développement de la société au moyen de conseils de nature stratégique et financière. Enfin, la troisième phase est celle de la sortie au cours de laquelle la société de gestion cherche à revendre sa participation.
Chaque opération est unique. L’intervention des fonds fait l’objet d’un montage qui résulte d’une négociation globale, financière et juridique, sur un ensemble de paramètres destinés à assurer une cohérence d’ensemble au projet financé et un alignement des intérêts entre actionnaires pour la durée de leur présence. Le recours très fréquent aux instruments financiers hybrides, en particulier aux obligations convertibles, permet de trouver des compromis sur les valorisations et les droits politiques exerçables par les fonds (Kaplan et Strömberg, 2002).
Cet aperçu permet d’ores et déjà de souligner parmi les différences importantes avec les marchés boursiers, celles qui touchent à la disponibilité de l’information, à la détermination des prix, à la nature et à la complexité des montages financiers.
Comparaison private equity / Bourse
Le tableau ci-dessous reprend les différents coûts et avantages de l’ouverture du capital sur les marchés financiers exposés ci-dessus et les met en regard de l’ouverture du capital à des FPE. Dans ce tableau, un signe « + » représente ici un avantage relatif du mode de financement concerné, Bourse ou private equity, c’est-à-dire un avantage supérieur ou un moindre coût.
Sur un certain nombre de points, la supériorité des marchés est évidente. Elle est directement liée à la liquidité offerte par les marchés financiers qui :
- procure un net avantage tant en termes de prix (les fonds pratiquent en règle générale lors de leurs évaluations des sociétés non cotées une décote d’illiquidité par rapport aux prix des sociétés cotées comparablesVoir SFEV (2008) et les guides Afic (Association française des investisseurs pour la croissance) et EVCA (European Private Equity and Venture Capital Association).) qu’en termes de diversification de patrimoine. En effet, si les FPE réalisent des opérations mixtes, alliant financement des sociétés et rachat d’actions aux actionnaires, dans ce cadre, la liquidité n’est pas offerte à tout moment comme sur les marchés financiers, mais seulement au moment de l’investissement du fonds. Elle est donc ensuite, sauf cas très exceptionnels, impossible pendant plusieurs années ;
- permet d’abaisser les coûts de financement en diminuant les rendements attendus par les investisseurs du fait de la réduction du risque (information, liquidité et réglementation) ;
- offre la possibilité de payer en titres liquides lors de la réalisation d’opérations de fusion-acquisition.
Dans ces éléments de supériorité de la Bourse par rapport au private equity, la liquidité joue un rôle plus important que l’information. En effet, le mode opératoire des FPE (cf. supra) leur permet d’obtenir une information de qualité au moins égale, et même souvent supérieure, à celle diffusée de manière obligatoire sur les marchés.
À l’inverse de ces éléments, le private equity présente des avantages par rapport aux marchés financiers. Outre des coûts monétaires directs inférieurs5 à la réalisation de l’opération, mais aussi et surtout par la suite, la société financée par le private equity conserve le statut de société non cotée qui confère une excellente protection de ses informations financières et stratégiques et ne lui fait donc pas courir le risque de voir sa position concurrentielle affaiblie. Ce statut permet aux dirigeants et aux actionnaires de protéger le secret des affaires en ne diffusant publiquement que l’information strictement imposée aux sociétés non cotées, c’est-à-dire très peu par rapport aux sociétés cotées. Cela leur permet également de ne divulguer les informations les plus importantes qu’à leur seul associé financier, le FPE.
Le tableau ci-contre met également en exergue que les points relatifs au contrôle de l’entreprise et à la gouvernance donnent au private equity un avantage par rapport à la Bourse. Ce sont les variables qui touchent directement au pouvoir dans l’entreprise et au partage de la création de valeur. Il peut sembler paradoxal que le contrôle et la gouvernance soient des points forts du financement par les FPE dans la mesure où les fonds ont la réputation, justifiée, d’être actifs dans les sociétés dont ils sont actionnaires et d’être exigeants. Nous développons ces points ci-après.
Séparation des pouvoirs politiques et financiers
Le private equity recourt de manière quasiment systématique à la séparation des droits financiers et de la propriété dans la structuration de ses opérations, notamment par l’utilisation d’instruments financiers hybrides, en particulier des obligations convertibles en actions (OCA). La mise en place de ces instruments financiers permet de figer une certaine structure du capital au moment de l’opération financière et de l’ajuster par la suite, le plus souvent en fonction des résultats de la société ou de la rentabilité de l’investissement des fonds. Ces instruments sont d’une grande souplesse et permettent aux deux parties de trouver des compromis sur l’évaluation et la répartition présente et future des pouvoirs en fonction d’indicateurs objectifs. Cette capacité à mettre en place des contrats « sur mesure » et évolutifs touchant à la répartition du capital, donc au patrimoine et à la répartition des pouvoirs, est l’une des grandes forces du private equity. Elle permet de concilier les attentes des deux parties. À l’inverse, la réglementation boursière s’applique de manière uniforme à toutes les sociétés et soumet les entreprises à un cadre beaucoup plus rigide.
Surveillance de la gestion
Le private equity est sans doute plus capable que la Bourse de surveiller la gestion des sociétés du fait de sa très grande proximité d’avec les dirigeants et du rapport de force qui tient à sa position d’actionnaire significatif. Les FPE exercent une surveillance importante et souvent très active des dirigeants au travers des conseils d’administration, comités stratégiques et de l’information mise à leur disposition contractuellement au moyen de reportings mensuels ou trimestriels. Mais une différence essentielle avec la surveillance des marchés réside dans le caractère contractuel et négocié de ces obligations envers les fonds ainsi que dans les contreparties offertes par les fonds. Par ailleurs, les instruments financiers hybrides présents dans les montages de private equity ouvrent systématiquement la voie à la relution des actionnaires si les conditions de résultat ou de rentabilité sont remplies et, d’autre part, les FPE s’impliquent fortement auprès des dirigeants pour favoriser le développement de l’entreprise et donc l’augmentation de sa valeur (Lerner et al., 2007 ; Acharya et al., 2013). Dans le cas de la Bourse, l’apport des investisseurs présente beaucoup moins de valeur ajoutée, qu’il s’agisse d’investisseurs institutionnels ou de personnes physiques. Enfin, la présence des FPE au capital des entreprises est limitée dans le temps du fait des modalités de fonctionnement des fonds et ne présente donc pas aux yeux des dirigeants le caractère définitif d’une introduction en Bourse (même si un retrait de la cote est toujours possible).
L’indépendance financière : facteur déterminant dans le choix entre marchés financiers et private equity
L’indépendance financière peut être définie comme la capacité des dirigeants actionnaires à dépendre le moins possible des financements extérieurs pour réduire les contraintes imposées sur l’autonomie de gestion des dirigeants, l’exercice du pouvoir dans la société et la répartition de sa valeur. Elle diffère en ce sens de l’autarcie financière qui repose sur l’absence de recours aux financements extérieurs.
Dans la liste des avantages et des inconvénients mis en exergue par la littérature et que nous avons développés, plusieurs concernent le pouvoir dans l’entreprise, la capacité à prendre des décisions de manière autonome, à préserver le patrimoine d’ingérences extérieures, et ressortent donc directement de l’indépendance financière. Ils sont particulièrement sensibles pour de nombreux dirigeants de PME.
Sur ces points, notre comparaison fait apparaître que le private equity possède un avantage relatif par rapport au financement de marché. En dépit des contraintes apparentes imposées par les fonds aux dirigeants, la capacité du private equity à proposer des accords contractualisés, des accords « sur mesure » et flexibles est déterminante. Dans ce cas, la perte d’autonomie ou d’indépendance acceptée par les dirigeants a été négociée, souvent âprement, sur la base d’un projet défini lors de la négociation.
Finalement, le choix des dirigeants de PME confrontés à la nécessité de recourir à des fonds propres externes et décidés à le faire dépend sans doute en grande partie de leur attitude vis-à-vis de l’indépendance financière et de l’importance qu’ils y accordent.
Si la Bourse permet avant tout la diversification du patrimoine et le financement de la croissance au moindre coût, le private equity permet également le financement de la croissance, mais en conservant les avantages d’une certaine opacité, d’une certaine maîtrise du capital et de l’appui d’actionnaires professionnels impliqués. Il est sans doute également perçu comme moins définitif car borné dans le temps par la durée de vie des fonds.
Conclusion
Pour une société non cotée d’une certaine taille, un financement par fonds propres externes significatif peut être assuré par les marchés financiers ou le private equity. Le choix entre ces deux sources de capitaux dépend des avantages et des inconvénients qu’ils procurent aux actionnaires. En comparant les modalités de financement et leurs conséquences, il apparaît que si ces deux modes de financement semblent capables d’apporter des solutions assez semblables, celles-ci diffèrent cependant sur de nombreux points et en particulier sur ceux qui touchent à l’indépendance financière. Les marchés financiers offrent un avantage important avec la liquidité et la meilleure valorisation ; le private equity permet la confidentialité et des montages financiers personnalisés, capables de mieux traiter les enjeux de pouvoir et de patrimoine.
On peut alors comprendre que le private equity ait connu, en France en particulier, un développement important et continu qui ne concerne pas exclusivement les petites entreprises, mais également nombre d’entreprises de taille moyenne6, satisfaisant théoriquement aux critères d’une introduction en Bourse. C’est qu’il répond sans doute mieux aux besoins de la majorité des actionnaires des PME souhaitant ouvrir leur capital.
Dès lors, il paraît important dans le cadre d’une politique visant à faciliter le financement des entreprises performantes et innovantes, capables de favoriser la croissance économique, que l’accent soit mis prioritairement sur le financement par private equity. L’accès aux marchés financiers est certes important, il doit être favorisé et encouragé, mais pour les actionnaires et les chefs d’entreprise aux préférences desquels il ne répond qu’imparfaitement, il importe que les solutions alternatives soient également favorisées. Beaucoup a déjà été fait en France comme en témoigne la réussite du private equity, mais il est important pour la vitalité de l’économie française que les flux de capitaux vers ce secteur d’activité continuent à croître.