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 Comprendre le déficit de financement des PME pour stimuler leur croissance


Michel DIETSCH Institut d’études politiques, université de Strasbourg. Contact : michel.dietsch@unistra.fr.
Xavier MAHIEUX Inseec Business School. Contact : xmahieux@inseec.com.

De nombreuses questions restent encore sans réponse concernant le financement des PME. De fait, les PME présentent des spécificités qui sont à la source de réelles contraintes et conduisent à un déficit de financement. Ces spécificités tiennent à des caractéristiques économiques et comportementales des PME et créent trois grands obstacles à leur financement : un déficit d’information, un déficit d’incitations à la croissance et un déficit d’appétit au risque des institutions financières. Mais ce déficit est également associé aux structures du système financier qui ne canalise pas assez l’épargne vers ces entreprises en dépit de l’existence d’une large variété d’instruments financiers. Il importe donc de créer un environnement légal et réglementaire permettant de réduire tous ces obstacles et de faire évoluer les comportements.

S’il est incontestable que la croissance dépend aujourd’hui largement du dynamisme des PME, de nombreuses questions restent encore sans réponse concernant le financement de cette catégorie d’entreprises. Certaines renvoient directement au thème de l’accès des PME au financement : quelle est l’importance du déficit de financement ? quelles sont les PME les plus touchées par les problèmes de financement ? de quelles formes de financement manquent-elles le plus ? quel rôle précis jouent les garanties pour consolider le financement des PME ? et sous quelles formes doivent-elles être mobilisées ? comment faciliter l’accès des PME aux marchés de titres ? D’autres questions renvoient aux structures et à l’organisation du système financier : le financement des PME est-il dépendant du type de banques, de l’existence de techniques particulières de crédit mises en œuvre par les banques et les autres institutions financières, de la capacité des banques à transformer les fonds dans un contexte où les contraintes réglementaires se renforcent ? est-il plus généralement dépendant de la capacité du système financier à financer à long terme le secteur productif ?

Les outils habituels de la théorie financière ne permettent pas d’apporter des réponses à ces questions. Ils considèrent un ensemble d’options de financement qui ne sont en réalité disponibles que pour des entreprises plus grandes. Les PME1, de leur côté, sont largement dépendantes des banques et n’ont qu’un accès limité aux marchés financiers. La théorie financière, de Modigliani-Miller à Myers et Jensen-Meckling, met en avant comme facteurs explicatifs la déductibilité des intérêts, les coûts de faillite, les conflits d’agence, les asymétries d’information et les coûts de transaction. La structure financière y est considérée comme le résultat de la recherche de maximisation de la valeur financière de la firme qui guide le comportement des actionnaires. Mais en réalité, peu de ces facteurs jouent un rôle dans la définition des stratégies financières des PME. Ces théories ont été développées par référence aux sociétés cotées, ayant accès au marché financier et étant capables de s’y financer facilement. Se pose donc la question de la validité pour les sociétés non cotées, et pour les PME en particulier, de ces résultats. La théorie financière considère ainsi l’impact sur les choix financiers et la disponibilité des fonds des conflits de pouvoir – entre actionnaires et créanciers ou entre dirigeants et financiers –  qui ne sont pas ceux qui caractérisent les PME où la propriété et la gestion sont rarement séparées. Tout compte fait, seule la théorie de la disponibilité des fonds ou de leur rationnement aborde un problème central pour le financement des PME. Mais, au total, encore trop peu d'éclairages théoriques ou empiriques sont apportés à la compréhension des problèmes financiers de ces sociétés, et cela explique sans doute en partie que le sujet du financement des PME pourtant si souvent débattu soit en fait encore très méconnu.

Dans cette perspective, le propos de cet article est d’identifier les questions qui doivent être résolues pour améliorer cette connaissance et apporter des solutions. Ces questions peuvent être rangées en deux catégories, celles qui tiennent aux spécificités des caractéristiques économiques et financières des PME et celles qui tiennent aux particularités des structures du système financier.

Les PME présentent des spécificités qui sont souvent à la source de réelles contraintes financières, les solutions de financement apportées par le système financier laissant subsister pour elles ce que l’on appelle un déficit de financement (Udell, 2013). Ce déficit a un caractère structurel plus que conjoncturel. Il est global et n’est donc pas attaché à telle ou telle forme de financement. Le choix des formes de financement est contraint dans cette catégorie d’entreprises par des facteurs particuliers qui sont précisément associés à la taille et qui déterminent les conditions de financement offertes par les banques et les autres investisseurs financiers. Ces facteurs spécifiques communément reconnus – mais qui peuvent être plus ou moins présents selon les PME – sont la concentration relative du pouvoir et de la propriété et son corollaire, le souhait de préserver l’indépendance financière, la grande dépendance économique à l'égard des clients et des fournisseurs et la plus grande sensibilité aux structures des marchés de biens sur lesquels opèrent les PME, la prépondérance du capital humain parmi les actifs, le caractère foncièrement non transférable et par conséquent illiquide des actifs, et enfin l’importance relative des prélèvements privés et une certaine confusion du patrimoine de l’entreprise et du patrimoine privé du chef d’entreprise. Ces facteurs expliquent pourquoi les PME sont a priori en situation de dépendance financière. En effet, ces particularités induisent des risques particuliers pour l’apporteur de capitaux et requièrent que celui-ci mette en œuvre des techniques de financement adaptées.

Ces spécificités créent trois grands obstacles susceptibles de freiner l’accès des PME au financement en crédit et en fonds propres et de pénaliser leur croissance. Tout d’abord, l’information sur la valeur des PME et leur potentiel de croissance est trop coûteuse et difficile à obtenir. Ensuite, les PME font face à trop de contraintes ou ne disposent pas des bonnes incitations pour choisir de croître et atteindre une taille économiquement optimale et financièrement stable. Enfin, les investisseurs ont réduit à des degrés divers leur appétit pour le risque PME depuis la crise, ce qui constitue aujourd’hui un obstacle majeur à leur financement.

On décrit donc ici les raisons du déficit de financement associées aux particularités des PME avant de présenter celles qui tiennent à l’organisation du système financier.

Le déficit de financement est associé à un déficit d’information

Concernant la question de l’information, il est souvent affirmé que les PME sont plus difficiles à analyser que les autres entreprises. Cette idée n’est pas nouvelle. L’opacité des PME est un thème récurrent en économie bancaire et n’est pas la conséquence de la crise. Cette question a été largement traitée dans la littérature théorique et empirique. Il existe ainsi une riche littérature sur le relationship-banking, le scoring et les autres solutions de cette question (Degryse et al., 2009 ; Berger, 2010 ; Degryse et Ongena, 2012). Toutes montrent que leur mise en œuvre entraîne un accroissement de la disponibilité du crédit dans tous les contextes. Le vrai problème est alors de savoir si les banques – dont c’est une activité de base – se donnent les moyens de mettre en œuvre ces solutions. Les informations issues de la banque de relation ont ainsi diminué au moment où elles seraient le plus utile, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit de financer (et d’analyser) des besoins de trésorerie plutôt que de financer des investissements en prenant des garanties. De plus, en France, l’information publique centralisée – sous la forme de la Centrale des risques et de notations d’entreprises – est abondante et réduit considérablement le déficit d’information.

La vraie question est donc de savoir si les banques ont fait les investissements nécessaires ces dernières années pour résoudre les problèmes d’information résultant des spécificités des PME. Les stratégies de réduction des coûts ont sans doute conduit les banques à réduire les moyens de l’analyse crédit et, en particulier, la taille des équipes dédiées au financement des PME. La banque de relation y est probablement moins développée que dans d’autres pays comme l’Allemagne. Les banques françaises ont privilégié les outils de la banque de transaction, en se centrant sur les activités de la banque de détail. Elles combinent donc financement sur gage et scoring. En période de crise, la valeur des garanties diminue. Il est ainsi peu étonnant que le financement sur gage régresse. Il conviendrait donc d'évaluer de façon pertinente (en dénombrant les personnels dédiés à ce marché dans les banques, par exemple) pourquoi on est parvenu à ce déficit, et non de l’attribuer à la crise. En réalité, une raison probable de l’insuffisance de la présence des banques sur ce marché peut être que le rendement des crédits PME est moindre que celui d’autres activités dans une période où les exigences réglementaires en capital ont augmenté. Les statistiques de la Banque de France montrent, dans cette direction, que le spread de taux d’intérêt entre PME et grandes entreprises s’est sensiblement écarté depuis 2009. Mais cela ne suffira pas à rendre le crédit aux PME attractif si les investisseurs maintiennent des exigences élevées de rendement sur fonds propres.

Enfin, comme le montrent des travaux récents, les portefeuilles de crédits aux TPE sont à la source d’effets importants de diversification de leur portefeuille pour les établissements prêteurs, du fait du grand nombre de crédits qu’ils contiennent (Dietsch et Fraisse, 2013). Ces effets tiennent au fait que les situations financières des petites entreprises ne sont pas très fortement dépendantes entre elles, voire sont négativement corrélées. Même si ces effets de diversification ne sont pas pris en compte dans les formules réglementaires, ils tendent de fait à réduire les pertes potentielles des banques et leurs besoins de fonds propres économiques. Toutefois, les banques mettent plutôt l’accent sur le risque de crédit individuel – mesuré par une note individuelle – que sur le risque de crédit dans le portefeuille. Au total, même si les effets de diversification semblent aujourd’hui sous-estimés, ils existent et devraient être mieux reconnus pour agir en faveur des PME.

Cette asymétrie d’information est-elle un obstacle au financement en fonds propres externes ? Deux sources principales sont disponibles pour les PME : les marchés financiers, en particulier les marchés visant à favoriser leur accession à la cote, à l’instar d’Alternext, et le privateequity3. S’il semble avéré que les marchés financiers dans leur structure actuelle ne sont pas encore en mesure de traiter efficacement (pour les investisseurs) l’information des petites capitalisations, faute de moyens humains dédiés et en raison du coût relatif (Giami et Rameix, 2011) des obligations de publicité imposées par les autorités de marché, il n’en va pas de même pour le private equity qui dispose d'équipes spécialisées dans l’analyse du risque des PME sous l’angle de l’actionnaire. Cette expertise a bien entendu un coût qui est intégré dans le fonctionnement de cette industrie et dans les exigences de rentabilité des fonds. L’asymétrie d’information y est sans doute moins forte du fait de l’expertise et des due diligences menées, et de la présence des sociétés de gestion de fonds dans les conseils d’administration ou les comités stratégiques ainsi que de leur capacité à obtenir de l’information récurrente sous forme de reportings

Le déficit de financement est associé à un déficit d’incitations à la croissance

La question de la capacité des PME à devenir grandes ne relève pas seulement de la disponibilité du financement, même si les enquêtes de la Banque centrale européenne (BCE) permettent de montrer que ce facteur est devenu plus important depuis 2009. Des travaux récents sur des données françaises (Fougère et al., 2012 ; Cabannes et al., 2013) montrent : (1) que le principal problème en ce domaine est que la crise a ralenti la croissance des jeunes entreprises ; (2) que la crise a davantage touché les filiales de groupes que les entreprises indépendantes. Ces travaux révèlent deux problèmes, outre l’insuffisance des moyens mis en œuvre par les banques : celui des structures d’accompagnement de l’entrepreneuriat et celui de la transmission d’entreprise et des modes de gouvernance des entreprises moyennes.

Cette question de la capacité des PME à croître doit donc aussi être mise en relation avec la stratégie d’indépendance financière des dirigeants et les enjeux de pouvoir. La concentration du pouvoir et de la propriété conduit dans de nombreux cas les dirigeants à limiter le recours au financement extérieur, en particulier aux fonds propres externes. Plusieurs études réalisées sur le comportement financier des PME constatent qu’il correspond au schéma du financement hiérarchique, priorité donnée à l’autofinancement, puis au financement par dette (bancaire) et, en dernier lieu, recours aux fonds propres externes (Brav, 2009 ; La Rocca et al., 2011). Pour autant, les arguments traditionnels expliquant cette hiérarchie – asymétrie d’information entraînant des coûts croissants – ne sont pas directement transposables aux PME, sauf à intégrer dans les coûts de financement en fonds propres ceux résultant de la perte des avantages de l’indépendance financière.

L’indépendance financière est un frein puissant à l’ouverture du capital, au renforcement des fonds propres par des apports d’actionnaires extérieurs et à la croissance (Hamelin, 2011). De nombreux dirigeants adoptent encore une gestion prudente privilégiant la sécurité relative du patrimoine familial. Cette volonté d’indépendance financière, souvent associée à une relative confusion entre patrimoine familial et patrimoine social avec ses implications en termes de prélèvements et de bénéfices privés monétaires et non monétaires, constitue un obstacle majeur à l’ouverture du capital à des actionnaires tiers, tant du point de vue des dirigeants que de celui des investisseurs redoutant l’aléa moral. Cela conduit inévitablement à couper les entreprises concernées du financement en fonds propres externes qui exige rentabilité et croissance.

Pour les dirigeants actionnaires qui décident malgré tout de privilégier la croissance de leur société et de recourir aux fonds propres externes, les méthodes de financement du private equity ont montré leur efficacité et disposent de certains avantages comparatifs par rapport aux marchés boursiers. Ces opérations permettent, en particulier par le recours aux instruments financiers hybrides, de proposer une grande souplesse quant à la répartition des pouvoirs et l'évolution future du capital, ainsi que l'instauration de modalités de gouvernance convenant aux deux parties, réduisant ainsi la survenance de l’aléa moral (Mahieux, 2010). À l’inverse, les marchés financiers organisés sont par nature des lieux de négociation de produits standardisés, ne pouvant rivaliser avec une telle souplesse, et la gouvernance y est plus affaire de réglementation. Un examen attentif de la littérature théorique sur les principaux coûts et bénéfices de la cotation pour les actionnaires des sociétés privées (Zingales, 1995 ; Pagano et Roell, 1998 ; Stoughton et Zechner, 1998 ; Chemmanur et Fulghieri, 1999 ; Huyghebaert et Van Hulle, 2006) ne fait pas ressortir un net avantage du financement par les marchés, en particulier si l’on tient compte du fait que, même pour les grosses PME et ETI, la liquidité des titres est souvent peu importante.

Le déficit de financement est associé à un déficit d’appétit pour le risque des institutions financières

Il est patent que dans les pays où les banques ont enregistré une montée vertigineuse de créances douteuses, comme l’Espagne, le Portugal ou l’Irlande, l’appétit pour le risque des banques a très certainement diminué. Mais de nombreux autres pays européens dont la France n’ont pas connu cette situation. Il n’en reste pas moins qu’une question importante est celle de la possibilité de mieux garantir les crédits, notamment en développant des garanties publiques. Mais, en fait, ces solutions existent déjà dans un pays comme la France et l’on voit mal comment les étendre sans risquer de favoriser une forme d’aléa moral. À nouveau, la reconnaissance des avantages de diversification dans les portefeuilles de crédits et l’expertise des banquiers dans la maîtrise des comportements d’antisélection des emprunteurs sont de nature à apporter des solutions positives au déficit de financement des PME, si les moyens correspondants sont mis en œuvre.

Peut-on rechercher la cause du manque d’appétit des banques dans le renforcement de la réglementation bancaire avec Bâle III ? Les règles de Bâle III prévoient à la fois un renforcement des exigences en fonds propres, tant en termes de qualité que de quantité, et l’introduction de nouvelles exigences en liquidité, jusqu’alors absentes dans la réglementation de Bâle II. De façon générale, les régulateurs ont porté une attention particulière à la clientèle des PME, qui bénéficie dès lors de mesures plus favorables que les autres entreprises. Si les textes européens (règlement CRR – Capital Requirements Regulation), comme ceux de Bâle, ne font pas de différence entre PME, TPE ou microentreprises, qui sont regroupées au sein de la catégorie des PME, dans la pratique, compte tenu de leur taille et du faible montant unitaire des prêts qui leur sont octroyés, les expositions sur les TPE sont majoritairement classées en clientèle de détail et bénéficient en solvabilité d’un traitement plus favorable que celui des autres entreprises. De plus, à l’initiative du Parlement européen, le règlement CRR a apporté des allégements substantiels aux exigences en fonds propres requises pour les crédits aux PME4. Mais la question peut être de savoir si des aménagements supplémentaires sont envisageables pour les PME. D’un côté, des travaux montrent que les formules réglementaires peuvent surestimer le risque de crédit dans les portefeuilles bancaires à mesure que la taille des entreprises diminue. De l’autre, on vérifie (Brun et al., 2013) que les décisions de crédit des banques sont sensibles au montant du capital requis. Cette mesure crée donc un contexte favorable au financement des PME. Mais en matière d’offre de crédit, l’essentiel réside dans le fait que les portefeuilles de crédits aux PME sont à la source d’effets de diversification importants pour les établissements prêteurs, comme on l’a vu plus haut. Une mesure plus complète de ces effets devrait permettre aux banques de desserrer les contraintes sur les emprunteurs.

En matière de liquidité, la réglementation européenne prévoit la mise en place de deux nouveaux ratios : un ratio de liquidité à un mois (liquidity coverage ratio – LCR), qui impose la constitution d’un coussin de liquidités pour couvrir le déficit que pourrait constater une banque en cas de crise de liquidité, et un ratio de liquidité à long terme (à un an, net stable funding ratio – NSFR) destiné à limiter le risque de transformation des banques. Tout comme en matière de solvabilité, les TPE bénéficient d’un traitement relativement favorable par rapport aux autres entreprises pour le LCR, dès lors qu’elles respectent les critères nécessaires à un classement dans la catégorie clientèle de détail. Les dépôts des PME sont jugés plus stables que ceux des grandes entreprises et bénéficient de ce fait d’un taux de pondération (reflétant leur « fuite » potentielle en cas de crise) inférieur à celui des dépôts des grandes entreprises. En outre, les lignes de crédit et de liquidité non tirées accordées aux PME bénéficient d’une pondération plus favorable, car on considère qu’en cas de crise, ces lignes de crédit ont une plus faible probabilité d'être mobilisées. Du côté des sorties de liquidité, les prêts aux PME bénéficient du même traitement que les crédits aux grandes entreprises. En ce qui concerne le NSFR, la réglementation ne prévoit pas, en l'état, de traitement préférentiel pour les PME, qui ne sont donc pas non plus spécifiquement pénalisées par ce nouveau ratio. En définitive, ce dispositif paraît être neutre, sous réserve toutefois de prendre en compte une spécificité des banques françaises qui est d’avoir relativement peu de ressources sous forme de dépôts (cf. infra).

Pour les fonds propres externes, un autre obstacle sérieux est celui de la rentabilité des PME. Contrairement au prêteur, l’actionnaire a des exigences de rentabilité élevée de son investissement. De nombreuses PME ont une rentabilité, réelle ou apparente, faible et ne sont donc pas susceptibles d’intéresser des actionnaires extérieurs. Ici, tous les obstacles se cumulent et se renforcent mutuellement pour écarter le financement en fonds propres externes : faibles perspectives de rentabilité (ajustée du risque), absence de liquidité, aléa moral… De ce fait, seule une faible fraction des PME sont éligibles à un financement en fonds propres externes et, pour la majorité d’entre elles, les seuls financements extérieurs potentiellement disponibles sont donc les financements bancaires.

La difficulté des entreprises de marché à financer les PME est, quant à elles, évidente, au moins en ce qui concerne l’Europe continentale et la France en particulier (Giami et Rameix, 2011). Euronext a fait l’objet de critiques récurrentes pour son absence d’intérêt supposée pour les valeurs moyennes. Les raisons objectives en sont connues, capitalisations peu élevées, liquidité et volume de transactions faibles, désintérêt des gérants institutionnels pour cette catégorie d’actifs. Si les entreprises de marché possèdent vraisemblablement une part de responsabilité dans cette situation, il faut malgré tout garder en mémoire que les trente dernières années ont connu de nombreuses tentatives destinées à créer et à faire vivre des marchés boursiers destinés à accueillir les grosses PME et les valeurs de croissance, en France comme d’ailleurs dans les autres pays européens. À l’exception de l’AIM (Alternative Investment Market) de Londres, le bilan est largement négatif en regard des ambitions affichées, en dépit des moyens et des efforts mis en œuvre par les entreprises de marché et les pouvoirs publics (Vismara et al., 2012). Cela contraste avec le développement rapide, depuis le milieu des années 1980, du private equity, y compris sur le segment des grosses PME-ETI considérées comme prédestinées aux marchés boursiers.

Le déficit de financement est associé aux structures du système financier

La crise financière et ses répercussions sur la disponibilité du crédit, en particulier pour les PME, la perspective d’un désengagement partiel des banques de ce segment de clientèle ont redonné au sujet du financement des PME une brûlante actualité. Pour pallier l’aggravation anticipée du déficit de financement et permettre aux PME, en particulier les PME de croissance, de se financer tant en fonds propres qu’en dette sans faire face à un rationnement des fonds disponibles, de nombreuses initiatives et rapports ont préconisé le développement de l’intermédiation non bancaire spécialisée et le recours aux marchés boursiers5.

De fait, le système financier français dispose maintenant d’une large palette d’outils de financement accessibles aux PME. Ces outils sont conçus pour répondre aux spécificités des PME et l’expérience montre que de nouveaux outils bien conçus sont capables d’attirer les capitaux des investisseurs institutionnels comme ceux des particuliers fortunés. Il reste cependant un problème plus fondamental : celui de l’orientation par le système financier de l'épargne vers les entreprises et les PME, en particulier.

Une large palette d’outils de financement capables de répondre aux différents besoins des PME

Pour ce qui est de la dette, le système bancaire possède un avantage comparatif sur les autres canaux de financement : sa capacité à analyser les demandes de crédit et à entretenir une relation de long terme avec sa clientèle. À ce titre, il restera un acteur majeur du financement par dette des PME, d’autant plus qu’il aura maîtrisé le développement de la titrisation des crédits.

À côté du financement bancaire sous forme de crédits, l’apparition de nouveaux instruments financiers – fonds communs de titrisation, fonds communs d’obligations émises par les PME à l’exemple des fonds Novo, placements privés obligataires (Euro PP), IBO (inital bond offering)… – rend accessible plus directement l'épargne aux PME. Ces instruments doivent certes, pour la plupart d’entre eux, faire leurs preuves tant du point de vue des émetteurs que de celui des épargnants. Ils nécessitent le développement de compétences, en particulier d’analyse crédit pour une bonne connaissance et une bonne maîtrise du risque crédit, notamment par la diversification des portefeuilles. Quoi qu’il en soit, le système financier français offre désormais une grande variété de sources de financement par dette aux PME, capables de subvenir à leurs besoins de court terme comme aux besoins de long terme.

Il en est de même pour les fonds propres. Des solutions existent pour les entreprises dont les actionnaires sont prêts à passer outre leur volonté d’indépendance financière et dont les caractéristiques, rentabilité et croissance, sont de nature à attirer des capitaux extérieurs. C’est notamment le cas du private equity qui combine articulation entre fonds privés (majoritaires) et fonds publics (principalement la Caisse des dépôts) et incitations fiscales. Cette industrie s’est montrée capable de financer des entreprises de toutes tailles à des stades de maturité différents, des opérations de nature diverses (transmission, développement…) et pour des montants allant de quelques dizaines de milliers d’euros à plusieurs centaines de millions d’euros par opération. Elle a également réussi à mobiliser des montants significatifs de capitaux tant auprès des investisseurs institutionnels qu’auprès des personnes physiques fortunées. C’est certes une industrie qui n’a pas encore atteint sa maturité. Mais la crise financière l’a entraînée dans une phase de rationalisation et il est vraisemblable que dans le futur, elle devienne une activité financière dans laquelle les offres seront plus concurrentielles et plus transparentes, comme on l’observe aux États-Unis.

Du côté des marchés financiers organisés, la situation est moins satisfaisante. Les échecs répétés des différents marchés boursiers susceptibles d’attirer les PME ne peuvent que conduire à s’interroger sur la capacité des marchés à financer de manière récurrente cette catégorie d’entreprises en capitaux propres. Au cours de ces dernières années, l'évolution de l’industrie des marchés organisés n’a pas non plus favorisé une meilleure disponibilité des capitaux pour les entreprises de taille moyenne ou petite. Les efforts récents d’Euronext pour relancer l’accueil des sociétés de taille moyenne vont néanmoins dans le bon sens, tout comme le lancement du PEA-PME.

Canaliser l'épargne vers les entreprises

Le financement de l'économie est confronté à un déséquilibre entre la structure de l’offre et la demande d'épargne : préférence pour la liquidité et la sécurité du côté des ménages, besoins de financement à long terme et plus ou moins risqués du côté des entreprises, mais aussi des ménages pour l’habitat et des administrations publiques. Le rôle des intermédiaires financiers est de « transformer » la maturité et le risque des fonds pour les mettre en adéquation avec les besoins, ce qui implique une prise de risque qui justifie à son tour les règles prudentielles.

Ces déséquilibres – de maturité et de risque – sont spécifiques à la plupart des pays européens, dont la France (Garnier, 2013). La position emprunteuse nette des intermédiaires financiers y est élevée en raison de la croissance du crédit dans les années 2000. En France, l'épargne est moins à court terme que dans la zone euro, en raison du développement des OPCVM et de l’assurance-vie. En conséquence, une part plus faible de l'épargne est intermédiée dans les bilans des banques en France. Et les autres intermédiaires jouent un rôle plus important en France en raison notamment de la bipolarité entre banques et compagnies d’assurances associée au développement de l’assurance-vie, comme le souligne le rapport de Berger et Lefebvre (2013). Ainsi, en France, du fait des particularités du système financier, la capacité des banques à faire de la transformation (du court terme en long terme) est restreinte par la plus faible base de dépôts, et la capacité du système financier à investir en actions est étroite.

Dans le nouveau contexte réglementaire, le maintien voire l’accroissement du taux de transformation bancaire – et de l’investissement productif – devraient passer par un allongement de l'épargne, par un accroissement de la part des produits bancaires dans l'épargne totale pour permettre l’accroissement de la part de l'épargne à long terme dans les bilans bancaires, et enfin par le développement, comme on vient de le voir, du recours au marché pour les emprunteurs pouvant y accéder et celui de ressources de substitution pour les emprunteurs n’ayant qu’un accès limité au marché. Le développement de la titrisation et des autres formules de financements longs de portefeuilles de crédits devrait également contribuer au maintien de la transformation. Une avancée réside dans le fait que des modifications récentes du Code des assurances favorisent les prêts directs et indirects des compagnies d’assurances aux PME, sous réserve des évolutions de Solvency II.

Un problème majeur pour le financement des PME est donc la permanence de l’intermédiation de bilan dans les banques. Les PME dépendent très largement pour leur financement de la capacité des banques, et notamment des banques locales et régionales, à réaliser cette transformation dans leur bilan. Les synergies actif-passif du business model de la banque de détail contribuent de façon essentielle à la stabilité du financement des particuliers et des PME. Or les évolutions réglementaires imposent une plus grande subordination de l’offre de crédit à la collecte de dépôts par le raccourcissement de la maturité et le développement de l’offre de dépôts à terme et de produits d'épargne bilanciels. Elles imposent aussi une plus forte prise en compte du risque de crédit qui est consommateur de fonds propres.

Ainsi qu’il a été souligné plus haut, les initiatives pour combler le déficit de financement des PME ont été nombreuses en France ces dernières années. Pour achever de traiter la question du déficit de financement, il conviendrait de chiffrer, même sommairement, les besoins des PME-ETI et de les comparer au potentiel de financement correspondant à ces initiatives récentes. On ne doit pas être loin du compte. Encore faut-il le montrer. De plus, l’efficacité de ces dispositifs repose sur la capacité des investisseurs à se doter des moyens nécessaires pour mener de véritables analyses crédit. On revient à la question centrale évoquée plus haut de savoir si cette capacité n’est plus autant mise en œuvre dans les banques. L’intermédiation de marché peut se substituer à la transformation opérée par les banques, à condition que la capacité d’analyse crédit des investisseurs institutionnels se développe. Aujourd’hui, ces derniers comprennent encore assez mal l'économie du crédit (voir leur précipitation à acquérir des ABS – asset-backed securities – avant la crise) et n’ont pas de culture du risque PME. De plus, les incitations fiscales sont insuffisantes pour amener les investisseurs institutionnels à abaisser leurs exigences de rendement du capital et pour attirer de façon massive les investisseurs de la banque de détail.

Conclusion

Pour apporter des solutions de financement permettant d’activer la croissance des PME, il convient d’abord d’identifier les causes du déficit de financement. Cet article souligne que les obstacles au financement des PME tiennent autant à des causes qui résident dans les spécificités des caractéristiques économiques et comportementales des PME que dans les comportements des intermédiaires financiers et les structures du système financier. Réduire ces obstacles suppose donc de créer un environnement légal et réglementaire favorisant notamment les changements de comportement, tant des dirigeants de PME que des financiers. Les sujets sont nombreux : incitations fiscales, réforme de la gouvernance, modification de la législation sur les faillites, renforcement des garanties, développement de la transparence financière...  Réduire les obstacles suppose aussi de mettre en œuvre des réformes visant à canaliser davantage l'épargne vers les entreprises. Des changements ont été apportés depuis quelques années en ce domaine. Il est essentiel aujourd’hui d’en accélérer le rythme.


Notes

1 Les PME constituent un ensemble hétérogène quant à la taille, allant des TPE (très petites entreprises) aux ETI (entreprises de taille intermédiaire), et surtout quant au comportement.
2 Le private equity est ici entendu au sens large : capital-risque, capital-développement, LBO – leverage buy-out –,…
3 En effet, l’article 501 du règlement CRR prévoit l’application d’un coefficient réducteur des charges en fonds propres égal à 0,7619 – dit « facteur supplétif » – destiné à compenser l’introduction du coussin conservatoire de 2,5 % (0,7619 = 8 %/10,5 %).
4 En particulier les rapports de Giami et Rameix (2011), de l’Observatoire du financement des entreprises (2012), de Berger et Lefebvre (2013), d’Europlace (2014).

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