Lors du premier sommet du G20 réuni à Washington le 15 novembre 2008, les chefs d’État et de gouvernement ont défini un certain nombre de principes de réforme des marchés financiers. En particulier, ils se sont engagés « à faire en sorte que tous les marchés, tous les produits et tous les acteurs soient soumis à une réglementation ou à une surveillance appropriée à leur environnement ».
Une telle déclaration peut surprendre un observateur français pour qui il est naturel que toutes les activités à caractère financier fassent l’objet d’un contrôle de la part d’une autorité publique. En revanche, elle est très novatrice dans bien d’autres pays où seules certaines activités ou certaines institutions financières sont soumises à réglementation ou à surveillance. Ainsi, aux États-Unis, la distribution de crédits à des entreprises comme à des particuliers ne fait l’objet d’aucune réglementation fédérale spécifique, ce qui explique, en grande partie, le développement incontrôlé des prêts subprimes ou du shadow banking system ; de même, jusqu’à la loi Dodd-Franck de juillet 2010, les opérations sur produits dérivés, tels que les CDS (credit default swaps), n’étaient soumises à aucune forme de surveillance. Au sein de l’Union européenne, on constate également qu’aujourd’hui encore, dans divers États, les entreprises qui exercent des activités à caractère incontestablement financier, telles que la délivrance de garanties ou la distribution de crédits à des entreprises, ne sont pas non plus toutes soumises à des normes prudentielles.
La crise de 2007-2008 a clairement montré les multiples dangers qu’entraîne l’absence de réglementation ou de surveillance appropriée : développement inconsidéré des activités, des instruments et des institutions financières non régulés, distorsions de concurrence entre intermédiaires régulés et non régulés, mauvaise appréciation des risques, arbitrage réglementaire, perte de confiance de la clientèle…
Depuis 2008, de très nombreux travaux ont été engagés, tant au plan international qu’européen ou national, pour remédier aux insuffisances que la crise avait révélées en matière de régulation. Jusqu’à présent, ils ont surtout porté sur les aspects prudentiels, notamment sur les normes de fonds propres, de liquidité et de gouvernance imposées aux institutions financières contrôlées. Diverses initiatives ont également concerné les deux autres principaux aspects de la régulation financière, à savoir le bon fonctionnement et l’intégrité des marchés, d’une part, la conduite des activités et les méthodes de commercialisation, d’autre part. Mais que ce soit en matière prudentielle, de marchés ou de relations avec la clientèle, la question du champ d’application des normes et du champ de la surveillance se pose toujours. Le moment paraît donc venu de faire le point des réflexions en cours dans ce domaine.
Un sujet longtemps négligé
À mesure que se développent les échanges financiers internationaux, le besoin d’un rapprochement des normes et des pratiques se fait sentir.
Au plan mondial, c’est le plus souvent à la suite de la survenance de difficultés concrètes que des initiatives ont été prises. De telles difficultés ont, par exemple, résulté de la défaillance d’établissements exerçant des activités dans plusieurs pays, de délits d’initiés commis par des personnes opérant de l’étranger, d’une transparence insuffisante des opérations transfrontalières ou de crises financières internationales. Les mesures prises alors ont notamment consisté à créer des instances de coopération entre autorités nationales, telles que le Comité de Bâle pour la surveillance bancaire établi en 1975, l’Organisation internationale des commissions de valeurs mobilières (OICV) créée en 1983, l’Association internationale des contrôleurs des assurances (AICA) lancée en 1994 et le Forum de stabilité financière mis en place en 1999, auquel le Conseil de stabilité financière (CSF) a succédé en 2009.
Au plan européen, les actions engagées ont eu un objectif encore plus ambitieux puisqu’elles ont visé à créer un marché unique des capitaux et des services financiers et, par suite, à définir les conditions nécessaires au bon fonctionnement d’un tel marché. Il ne s’est donc pas seulement agi d’harmoniser les réglementations nationales mais, si possible, de définir des normes communes applicables dans l’ensemble de l’Union européenne.
Une œuvre très importante de rapprochement a ainsi été menée au cours des trente dernières années. Au plan international, des principes harmonisés de surveillance ont, par exemple, été fixés pour les banques, les entreprises d’assurances et les marchés ; des normes de solvabilité ont été arrêtées pour les banques (Accords de Bâle de 1988 et de 2004) et des exigences harmonisées ont été définies en matière d’information des sociétés cotées. Au plan européen, des règles communes ont été déterminées tant en matière prudentielle, c’est-à-dire d’agrément, de surveillance et d’exigences de fonds propres des intermédiaires financiers (établissements de crédit, entreprises d’investissement et d’assurances), que de conduite des activités pour ce qui concerne les services d’investissement et de paiement, le crédit à la consommation ou certaines activités d’assurance.
Néanmoins, jusqu’en 2008, la question du champ de la régulation n’a fait nulle part l’objet d’analyses systématiques ou de réflexions globales de la part des autorités. En particulier, alors même que de très nombreux documents ont été publiés par chacune des instances de coopération internationale (Comité de Bâle, OICV, AICA), aucun, semble-t-il, n’a abordé ce sujet. Le Comité de Bâle n’a, par exemple, jamais publié d’étude comparative des champs effectifs d’application, dans chacun des pays représentés en son sein, de ses principes de surveillance ou de ses normes de fonds propres. De même, il ne semble pas non plus que l’OICV ait publié de comparaison de l’étendue des marchés réglementés parmi ses différents membres. Plus surprenant, alors même que depuis 1985, l’Union européenne a l’ambition de créer un marché unique des services bancaires et financiers, elle n’a, sauf erreur, jamais entrepris d’étude systématique de l’étendue effective de la régulation financière dans chacun des États membres, ni d’analyse des impacts des différences existantes.
La question de l’étendue de la régulation financière ne paraît pas davantage avoir fait l’objet de réflexions globales de la part d’autres organismes, publics ou privés. Les professionnels de chaque secteur ont naturellement, pour la plupart, une connaissance précise des différences de champ d’application des réglementations nationales et des conséquences négatives qui en résultent, notamment au regard de la concurrence. Pour autant, ils n’ont guère été en mesure, jusqu’à présent, de définir des propositions communes sur ce sujet au plan européen, ni a fortiori au plan international. Et il faut constater que de leur côté, les universitaires et les centres d’études n’ont guère eu les moyens d’engager des réflexions fondées dans ce domaine, faute notamment de documentation appropriée.
Même si elle était clairement justifiée, compte tenu des événements qui avaient précédé la réunion de Washington, la déclaration du G20 de novembre 2008 touche ainsi un sujet qui a longtemps été négligé et dont les enjeux n’ont guère été analysés jusqu’à présent.
Des lacunes et des disparités nuisant au bon fonctionnement du système financier et des marchés de capitaux
À défaut d’analyses globales, il est difficile de décrire précisément le champ actuel de la régulation financière dans le monde. L’observation des régimes en vigueur dans les principaux États membres de l’Union européenne et aux États-Unis permet néanmoins d’identifier certaines lacunes et disparités qui, souvent, ont des conséquences très importantes sur le fonctionnement du système financier, comme sur celui des marchés de capitaux.
Comme cela a déjà été rappelé, l’Union européenne a entrepris depuis 1985, en matière de services financiers, une œuvre très importante d’harmonisation. Celle-ci s’est traduite par des initiatives à la fois très nombreuses et très diverses (directives, règlements, livres blancs ou verts, plans d’action…).
Dans certains domaines, l’harmonisation entreprise en Europe a été très complète, couvrant à la fois la conduite des activités, les règles prudentielles que doivent respecter les prestataires et, si nécessaire, le fonctionnement des marchés. Tel est le cas pour les services d’investissement, avec la directive du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers (directive MIF), ou pour les services de paiement régis par la directive du 13 novembre 2007.
En revanche, dans d’autres secteurs d’activité, cette harmonisation n’a été que partielle. Ainsi, les directives du 6 juin 2002 sur les garanties financières et du 23 avril 2008 sur le crédit à la consommation traitent essentiellement des conditions de conduite de ces opérations, mais guère des normes que devraient respecter les intermédiaires proposant ces services. De tels textes permettent certes de répondre aux besoins de protection de la clientèle, mais pas aux exigences d’une surveillance prudentielle appropriée ou d’une concurrence égale entre prestataires.
De manière paradoxale, c’est en matière de réglementation des activités bancaires que l’harmonisation européenne est la moins achevée et présente des lacunes certaines. Les dispositions actuellement en vigueur dans ce domaine, résultant de la directive du 14 juin 2006, concernent l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice. Le texte qui a complété et remplacé diverses directives adoptées depuis 1977 comporte en effet deux insuffisances : d’une part, il ne prévoit pas de disposition générale concernant la conduite des principaux types d’opérations bancaires, qu’il s’agisse de la collecte de dépôts, la distribution de crédits, l’émission de garanties, du change ou de la conservation de titres ; d’autre part, il ne retient qu’une définition étroite de la notion d’établissement de crédit, celle d’une entreprise qui reçoit des dépôts du public et octroie des crédits, et il laisse donc hors champ de toute régulation prudentielle les entreprises exerçant des activités bancaires sans collecter de dépôts, par exemple les sociétés spécialisées dans le financement ou la garantie. Certes, un bon nombre de législations nationales, notamment en Allemagne et en France, ont un champ plus large que celui prévu par les directives européennes et font entrer ces entreprises dans celui de la surveillance prudentielle. Par contre, tel n’est pas le cas dans tous les États membres, par exemple en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas. À défaut d’une harmonisation suffisante, il subsiste ainsi, au sein même de l’Union européenne, des lacunes en matière de surveillance prudentielle d’institutions financières et il en résulte d’incontestables distorsions de concurrence.
Mais c’est surtout entre l’Europe et les États-Unis que les disparités sont les plus marquées. Sous réserve de ce qui vient d'être dit en matière de prêts ou de garanties dans certains États membres, la quasi-totalité des activités et des intermédiaires financiers sont en effet soumis à un certain encadrement réglementaire au sein de l’Union européenne. Aux États-Unis, en revanche, le champ de la régulation était, du moins jusqu’à la crise, nettement plus restreint : en effet, seules la collecte de dépôts, la négociation de titres sur des marchés organisés, la gestion pour le compte de tiers ainsi que l’offre de contrats d’assurance classiques (dommages, responsabilité civile, vie) étaient soumises à un certain encadrement réglementaire ; inversement, les activités aussi importantes que l’offre de crédit, de services de paiement ou de garanties financières, ou encore le placement et la négociation d’instruments financiers négociables de gré à gré ne faisaient pratiquement l’objet d’aucune forme de réglementation ; de même, les institutions financières importantes, telles que les principales investment banks (Lehman Brothers, Merrill Lynch, Morgan Stanley, Goldman Sachs…), les grands groupes d’assurances comme AIG ou les grands spécialistes du crédit (GE Capital, GMAC – General Motors Acceptance Corporation –, American Express…), n’étaient soumises ni à des exigences de fonds propres fondées sur l’ensemble de leurs risques, ni même à une surveillance prudentielle sur base consolidée, à la différence de leurs concurrents européens.
La situation a en partie évolué depuis 2008. Juste après la faillite de Lehman Brothers, les plus importantes institutions financières jusqu’alors non régulées et encore indépendantes (Goldman Sachs, Morgan Stanley, American Express, GE Capital et GMAC) ont en effet adopté le statut de bank holding company et sont ainsi soumises à la fois aux règles prudentielles applicables aux banques, en particulier aux normes de Bâle, et à la surveillance du Federal Reserve Board. De son côté, la loi Dodd-Frank a étendu le champ de la réglementation aux produits dérivés et prévoit un contrôle des conditions de commercialisation d’une large gamme de services financiers, en particulier les prêts hypothécaires. En dépit de ces mesures, il faut constater que de larges segments de l’industrie financière américaine continuent à n'être soumis ni à des exigences strictes de fonds propres, telles que Bâle II et III ou Solvency II, ni même à une surveillance prudentielle.
Le maintien de telles disparités nuit manifestement à un développement ordonné des marchés de capitaux et à la stabilité globale du système financier puisqu’il permet la poursuite d’arbitrages réglementaires, du développement du shadow banking system et de prises de risques inconsidérées.
Les premières réponses à la question de l’étendue de la régulation
Depuis novembre 2008, le G20 a tenu quatre autres réunions : à Londres en avril 2009, à Pittsburgh en septembre 2009, à Toronto en juin 2010 et à Séoul en novembre 2010. La question du champ de la régulation financière a été évoquée à chaque occasion dans des termes qui ont toutefois constamment évolué.
Alors qu’au sommet de Washington, il était question, comme cela a été rappelé au début de cet article, de soumettre toutes les opérations, toutes les institutions financières et tous les marchés à une réglementation ou une surveillance appropriée, la déclaration du sommet de Londres n’a plus évoqué que la nécessité d’assurer la solidité des institutions financières à caractère systémique et la cohérence des réglementations nationales. De son côté, la déclaration du sommet de Pittsburgh s’est limitée à souligner la nécessité d’éviter la fragmentation des marchés et l’arbitrage réglementaire. La déclaration de Toronto s’est référée, quant à elle, à quatre piliers : un cadre réglementaire fort, une surveillance effective, une régulation appropriée des institutions financières à caractère systémique (systemically important financial institutions – SIFI) et une procédure transparente d’évaluation internationale. Enfin, la déclaration du sommet de Séoul, après avoir approuvé les accords conclus par le Comité de Bâle en matière d’exigences de fonds propres et de solvabilité, a plus particulièrement porté sur deux sujets : la situation des SIFI, notamment celles présentant un caractère global, et le shadow banking system, sur lequel un rapport a été demandé au CSF pour le milieu de l’année 2011.
D’une demande de réflexion générale sur le champ de la régulation financière, on est ainsi progressivement passé à une approche beaucoup plus focalisée portant essentiellement sur deux thèmes, certes économiquement importants, mais néanmoins restreints : les SIFI, d’une part, et le shadow banking system, d’autre part.
Le concept de SIFI n’a émergé qu’à la suite de la crise de 2008. Le CSF a publié en novembre 2010 deux documents les concernant :
- le premier, intitulé « Reducing the Moral Hazard Posed by Systemically Important Financial Institutions »1, présente une série de recommandations destinées à prévenir la défaillance de telles institutions financières ou d’en limiter les conséquences ; il s’agit en particulier de leur imposer des exigences accrues de fonds propres, de les soumettre à une surveillance renforcée et d’élaborer des règles appropriées de gestion liquidative, en cas de difficultés ;
- le second, intitulé « Intensity and Effectiveness of SIFI Supervision »2, formule trente-deux recommandations à l’attention des autorités compétentes en matière de surveillance de ces institutions financières.
Il convient néanmoins de noter qu’aucun de ces deux documents ne propose de définition des SIFI et ne suggère de critères en la matière, même pour les Global SIFI dont le cas est pourtant évoqué expressément dans le communiqué du G20 de Séoul. La responsabilité de l’identification des SIFI est donc laissée à chaque autorité nationale, ce qui soulève d’incontestables questions de principe, en particulier en matière de concurrence.
De son côté, l’existence et le développement d’un shadow banking system ont déjà été identifiés depuis longtemps. Souvent désigné dans le passé sous d’autres termes, par exemple celui d’institutions parabancaires ou d’institutions financières non régulées, le shadow banking system désigne l’ensemble des activités d’intermédiation financière effectuées par des institutions financières non soumises à la réglementation bancaire, telles que des fonds de titrisation, des hedge funds, des special purpose vehicles (SPV) ou d’autres « conduits ». Ce phénomène a pris une ampleur particulière aux États-Unis dans la mesure où ni la distribution de prêts, ni l’achat de créances ne sont régulés et où toutes sortes d’institutions financières interviennent dans l’origination, le placement ou le financement de crédits, sans avoir à respecter de règles de commercialisation ou d’exigences de fonds propres.
C’est d’ailleurs à New York qu’a été réalisée la seule étude officielle actuellement disponible sur ce sujet. Il s’agit du document de travail intitulé « Shadow Banking » qui a été publié par la Federal Reserve Bank of New York (FRBNY) en juillet 20103. Cette étude décrit les principaux types de circuits qui, aux États-Unis, permettent de rapprocher la demande de financements de l’offre de capitaux sans passer ni par l’intermédiation traditionnelle, ni par l’appel aux marchés organisés. Elle fournit également une première estimation de l’ampleur de ce phénomène aux États-Unis. Celui-ci aurait atteint en mars 2008, avant la crise, un ordre de grandeur de 20 000 Md$, soit un montant supérieur à celui de l’ensemble des ressources du système bancaire classique évalué à 13 000 Md$, et il serait revenu à environ 16 000 Md$ en mars 2010, le montant des ressources du système bancaire classique étant resté approximativement stable au cours de cette période.
La seule mention des ordres de grandeur cités par cette étude révèle l’importance macroéconomique de ce sujet outre-Atlantique. En particulier, même si ce point n’est pas évoqué dans cette étude, il faut observer que si au lieu d'être portées par des entités non régulées, ces créances étaient inscrites au bilan d’établissements soumis aux exigences définies par le Comité de Bâle, il en résulterait un besoin supplémentaire de fonds propres supérieur à celui du montant total des fonds propres dont dispose actuellement l’ensemble du système bancaire américain.
À défaut de disposer, pour d’autres zones économiques, notamment pour l’Union européenne, d’une étude comparable à celle de la FRBNY, il est impossible d’estimer l’ampleur du shadow banking system en dehors des États-Unis. Tout au plus, on peut considérer que le développement de ce phénomène a certainement été beaucoup plus limité en Europe, en raison de l’organisation financière de la majorité des pays européens.
Outre ces réflexions sur les SIFI et le shadow banking system, il convient également de signaler l’étude publiée en janvier 2010 par le Joint Forum, c’est-à-dire l’ensemble des trois instances de coopération internationale en matière de surveillance financière (Comité de Bâle, AICA et OICV), sous le titre « Review of the Differenciated Nature and Scope of Financial Regulation »4. Ce document, préparé en réponse à une demande spécifique formulée lors de la réunion du G20 de novembre 2008, analyse essentiellement les différences existant en matière de principes de surveillance des banques, des assurances et des activités de marché ainsi que de modalités de surveillance des groupes financiers, des prêts hypothécaires, des hedge funds et des instruments de transfert de risques de crédit. En revanche, il ne présente ni comparaison des champs d’application des réglementations en vigueur dans les principaux pays, ni recommandation concernant l’étendue de la surveillance des opérations, des institutions ou des marchés.
Or il faut bien reconnaître que si une réglementation ou un contrôle ne s’applique pas à toutes les opérations ou à toutes les institutions d’un même type, les acteurs sont inévitablement amenés à arbitrer en faveur du territoire ou du marché où les contraintes sont moindres. Toute réflexion et, a fortiori, toute recommandation en matière de régulation, par exemple concernant le shadow banking system, nécessiteraient par suite un accord préalable sur la nature des activités et des instruments que l’on souhaiterait identifier et mesurer.
La nécessité d’une réflexion globale
À une époque où les moyens techniques rendent possible la circulation des capitaux ainsi que la prestation transfrontalière des services bancaires et financiers et où tous les acteurs peuvent donc assez librement choisir le lieu dans lequel ils conviennent de réaliser une opération, on peut se demander si des lacunes dans le champ de la régulation ou même simplement des disparités sont encore compatibles avec les attentes actuelles en matière de stabilité financière, de transparence et d’intégrité des marchés, de protection de la clientèle ou de concurrence entre institutions financières.
Comme cela a été rappelé précédemment, il faut constater que jusqu’à présent, les initiatives prises en matière de régulation financière ont davantage concerné ses méthodes et ses moyens que son étendue. Pour répondre aux besoins actuels, il semblerait également nécessaire d’engager une réflexion globale sur son champ d’application. Cette réflexion devrait s’étendre à chacun des aspects de la régulation financière (conduite des activités, surveillance prudentielle des intermédiaires, fonctionnement des marchés) et reposer sur le principe général : même activité, même réglementation, même contrôle.
Ainsi, dès lors que de nombreux pays entendraient à la fois observer le développement de l’usage des produits financiers et contrôler les conditions de leur commercialisation, il conviendrait, au préalable, de dégager des critères communs de définition des services et des instruments qui devraient faire l’objet d’un tel suivi ou d’un tel contrôle. Dans la mesure où, pour renforcer la sécurité des marchés, on inciterait à une compensation des transactions par des organismes centraux, il conviendrait également de s’entendre sur les critères de définition des instruments concernés et de différencier nettement le traitement des opérations, selon qu’elles sont ou non compensées par de tels organismes. De même, un renforcement de la stabilité du système financier ne saurait seulement reposer sur un durcissement des normes prudentielles, notamment des exigences de fonds propres, mais exigerait au moins autant une plus grande harmonisation du champ de la surveillance prudentielle ainsi qu’un traitement nettement différencié des opérations conclues avec des institutions financières soumises à surveillance de celles effectuées avec des entreprises non régulées.
Cette réflexion sur l’étendue de la régulation mériterait d'être engagée d’abord par l’Union européenne. Un alignement des champs d’application des normes communautaires serait en effet cohérent avec l’objectif de création d’un véritable marché unique. Compte tenu des mesures d’harmonisation déjà prises, un tel alignement n’impliquerait d’ailleurs pas d’importantes mesures nouvelles, mais seulement l’extension à toutes les activités et à toutes les institutions financières des principes qui s’appliquent déjà à la plus grande partie d’entre elles. En pratique, il s’agirait de soumettre partout l’exercice d’activités de crédit et de garantie à un corps minimum de règles de commercialisation et de normes prudentielles. Au-delà de la contribution qu’une telle démarche apporterait à la réalisation du marché intérieur, elle aurait également l’avantage de permettre à l’ensemble des États membres de présenter une position commune au sein des instances internationales.
C’est en effet à leur niveau que devrait ensuite être recherchée une plus grande cohérence dans la définition du champ d’application de la régulation. On mesure bien, naturellement, les réserves que toute extension de ce champ peut susciter. En même temps, il faut reconnaître que toute augmentation des contraintes pesant sur le secteur régulé conduit immédiatement à un développement des activités non régulées, comme vient justement de le souligner une étude du cabinet Oliver Wyman5.
Pour renforcer la sécurité et la stabilité du système financier dans son ensemble, il semblerait ainsi préférable de définir le champ de la régulation de manière assez extensive et de soumettre un ensemble assez large d’activités et d’institutions financières à des exigences relativement modérées. Si, en revanche, seul un ensemble restreint d’activités et d’institutions financières était soumis à des exigences renforcées, le risque serait grand que l’on assiste à une progression rapide des opérations d’arbitrage réglementaire et à un développement massif du shadow banking system et que l’on manque par suite l’objectif recherché de sécurité et de stabilité.