L'intérêt des fonds de pension a toujours été contesté en France et, par voie de conséquence, leur place dans l'économie est restée parfaitement marginale. Pour autant, cela ne veut pas dire que dans les pays où cet intérêt n'est pas contesté, leur place est nécessairement beaucoup plus importante. En fait, les systèmes de retraite combinent, dans la plupart des pays, différentes formes de couverture, notamment des couvertures par répartition avec des couvertures par capitalisation, souvent pour les mêmes personnes. Le débat sur les fonds de pension en France a pu laisser penser, un temps, que leur utilité se limitait à leur capacité à absorber les conséquences du retournement démographique et du vieillissement. En réalité, le débat est beaucoup plus fondamental car les propriétés économiques de la capitalisation par rapport à la répartition dépassent largement leur capacité à absorber les chocs démographiques. Notamment, comme on va le voir, les propriétés économiques des fonds de pension et de la capitalisation en font un support extrêmement efficace pour réduire les risques que la répartition fait peser sur les retraites.
Dans cet article, nous détaillerons tout d'abord les caractéristiques des fonds de pension, puis nous préciserons leur place dans les économies avancées, pour finalement analyser de façon approfondie les enjeux qu'ils représentent aujourd'hui pour ces économies.
Les fonds de pension : de quoi parle-t-on ?
Par rapport aux régimes de retraite qui fonctionnent en répartition, les fonds de pension présentent tout à la fois des spécificités fortes et une grande diversité de solutions.
Les fonds de pension présentent deux caractéristiques fondamentales
D'une part, ils fonctionnent en capitalisation, ce qui veut dire que les engagements de retraite souscrits par un fonds de pension sont immédiatement estimés en proportion des cotisations versées et provisionnées dans le bilan du fonds de pension. Les cotisations de l'année financent les retraites futures de ceux qui ont versé ces cotisations. En cela, ils se différencient des organismes de retraite fonctionnant en répartition, dont les engagements ne peuvent être estimés à l'avance et qui ne font donc l'objet d'aucun provisionnement ex ante, puisque ce sont les cotisations de l'année qui financent les retraites de l'année.
D'autre part, les fonds de pension constituent des entités juridiques dotées d'une personnalité morale et dédiées à la seule couverture des retraites de leurs cotisants. En cela, ils se différencient des régimes par capitalisation en entreprise dont les engagements font aussi l'objet d'un provisionnement ex ante, mais dont les provisions sont investies non dans des actifs choisis en fonction de leur capacité à couvrir ces engagements, mais dans l'entreprise concernée dont ils assurent le financement. Du fait de leur gestion d'actifs indépendante de l'entreprise, les fonds de pension évitent le cumul de risque qui affecte les régimes de retraite par capitalisation en entreprise : les difficultés financières de l'entreprise affectent l'emploi et le salaire de ses employés ; en revanche, elles n'affectent pas leurs retraites futures.
Le paysage des fonds de pension est extrêmement diversifié
Ce qui fait l'unité des fonds de pension, c'est leur principe de capitalisation des engagements de retraite. Tous les engagements de retraite qu'ils ont souscrits sont sécurisés par une accumulation suffisante de provisions et de capital. Ils sont donc crédibles ex ante, aussitôt qu'ils ont été souscrits, à l'opposé des engagements souscrits dans le cadre des régimes par répartition qui ne sont crédibles qu'ex post, une fois la pension versée, sachant qu'ils peuvent à tout moment être remis en cause par une loi ou un décret, voire par le refus du législateur ou du gouvernement de procurer aux régimes concernés les moyens suffisants pour financer les retraites de l'année.
Mais, une fois ce principe commun affirmé, le monde des fonds de pension se révèle comme un univers multidimensionnel et extrême ment diversifié, contrairement au monde de la retraite par répartition qui est unidimensionnelle. Les fonds de pension peuvent en effet être soit à prestations définies, c'est-à-dire que la pension versée lors du passage à la retraite peut être définie ex ante, en général en proportion du salaire perçu sur une période de temps à définir. Ils peuvent aussi être à cotisations définies, c'est-à-dire que la pension versée lors du passage à la retraite n'est pas définie ex ante, mais elle est ex post fonction du rendement des actifs dans lesquels les cotisations ont été investies. Il existe une grande palette de formules intermédiaires, où le niveau initial de la rente, au moment du départ à la retraite, peut être à cotisations définies, mais sa revalorisation est fonction non du rendement des actifs, mais de l'inflation ou de l'évolution d'un salaire de référence.
L'adhésion au fonds de pension peut être obligatoire ou facultative. Elle est en général obligatoire quand le fonds de pension couvre la retraite de base et, dans ce cas, elle correspond le plus souvent à un régime collectif d'entreprise. En revanche, elle est souvent facultative quand le fonds de pension couvre la retraite complémentaire ou surcomplémentaire et, dans ce cas, l'adhésion est personnelle, dans le cadre soit d'un régime collectif facultatif d'entreprise, soit d'une aide de l'entreprise aux salariés pour la souscription de contrats de retraite complémentaire ou surcomplémentaire.
Enfin, si les fonds de pension sont en général à sortie obligatoire en rente, certains fonds offrent la possibilité d'une sortie en capital. Par rapport à l'objectif de retraite, la sortie en capital n'a pas en soi d'intérêt particulier. Elle n'a de sens que dans deux cas de figures. Tout d'abord, dans l'hypothèse d'un retraité extrêmement riche qui perçoit des revenus financiers par ailleurs, qui n'est pas intéressé par la liquidité que procure la rente et qui préférerait réinvestir les sommes correspondantes avec parfois, à la clé, la possibilité de faire échapper les sommes correspondantes à l'impôt. Ensuite, dans l'hypothèse où l'on souhaiterait ne pas lier à vie le salarié à un fonds de pension déterminé, mais ouvrir, notamment lors du passage à la retraite, la possibilité de réallouer son capital-retraite à un autre fonds jugé plus performant. Il faut toutefois garder à l'esprit que cette option réduit la duration des engagements des fonds de pension et donc celle des actifs qui couvrent ces engagements, et qu'elle limite par là même les possibilités de mutualisation intertemporelle et la capacité du fonds à capturer la prime de risque. Les bénéfices procurés au futur retraité par cette option dépendent de l'ampleur des effets respectifs et opposés du raccourcissement de la duration des engagements et de l'accroissement de la concurrence sur le rendement des fonds et leur volatilité.
Que représentent les fonds de pension en France et dans les économies avancées ?
La situation des fonds de pension dans le monde et leur place dans les systèmes nationaux de retraite sont extrêmement diverses. Cette diversité recouvre des convictions nationales fortes et souvent extrêmement tranchées, où l'on voit certains pays charger les fonds de pension de tous les maux économiques et sociaux, tandis que d'autres pays y voient la solution à tous leurs problèmes. Ces positions tranchées ont parfois donné une dimension surréaliste au débat sur les fonds de pension, comme en France où ces fonds ont été volontairement circonscrits par les pouvoirs publics et les partenaires sociaux à un rôle ultramarginal.
Les fonds de pension n'occupent qu'une place marginale en France
En France, les contributions à des plans de retraite par capitalisation ne représentent que 0,6 % du PIB, contre 5,3 % aux États-Unis ou 8,4 % en Suisse, et un total de dépenses publiques de retraite égale à 14,9 % du PIB en France. Naturellement la part élevée des dépenses publiques de retraite en France est la contrepartie de la part faible des fonds de pension. Dans les autres pays, la part des dépenses publiques pour les retraites dans le PIB est plus faible de 5 % aux États-Unis, 9,6 % en Suisse.
En conséquence, le patrimoine que représentent les fonds de pension dans l'économie française est réduit : les actifs en couverture des engagements de retraite par capitalisation s'élèvent à 8,9 % du PIB, dont 0,6 % seulement pour les fonds de pension et le reste, soit 8,4 %, pour les compagnies d'assurance qui offrent des produits de retraite (cf. graphique 1 infra). On notera que ces proportions sont en hausse, mais que leur progression ne permet pas d'espérer atteindre les niveaux des pays anglo-saxons ou de l'Europe du Nord. En outre, comme on le verra plus bas, la loi « Sapin » récemment adoptée devrait avoir pour conséquence de reverser l'essentiel des retraites par capitalisation de l'assurance vers les fonds de pension (dénommés « organismes ayant pour objet l'exercice de l'activité de retraite professionnelle supplémentaire » dans la loi).
Bien que les régimes obligatoires constituent l'essentiel des retraites, il est possible d'améliorer sa pension avec des retraites supplémentaires fonctionnant en capitalisation depuis la loi Fillon de 2003, alors que cette possibilité était jusque-là limitée aux seuls agents publics. Cette réforme a mis en place une incitation fiscale à l'épargne-retraite dans le cadre de l'entreprise ou individuelle. Au total, la retraite par capitalisation se fait en France essentiellement à travers les sept canaux suivants qui, pour cinq d'entre eux, résultent de la loi Fillon de 2003 :
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les contrats dits « Madelin » (par référence à la loi Madelin qui les a créés en 1994) : ces contrats sont destinés aux travailleurs non salariés. Ils permettent le versement d'une cotisation annuelle dont le montant est fixé préalablement. Au moment de la retraite, la prestation est servie sous forme de rente viagère. Les cotisations sont déductibles du bénéfice imposable et exonérées des prélèvements sociaux ;
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la « Préfon » : il s'agit d'un véritable fonds de pension, à adhésion facultative et avec sortie en rente obligatoire. Il n'est toutefois ouvert qu'aux seuls agents du secteur public. Les cotisations à ce régime de retraite peuvent être déduites du revenu net imposable dans la limite de 10 % des traitements et des salaires. Les droits obtenus sont exprimés en points de retraite. L'État a toujours refusé d'étendre le bénéfice de ces avantages aux agents du secteur privé ;
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la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP mise en place à la suite de la loi Fillon de 2003) : il s'agit d'un véritable fonds de pension, à adhésion obligatoire et à sortie en rente obligatoire. Géré dans le cadre d'un établissement public, il n'est ouvert qu'aux seuls fonctionnaires dont il gère la part de la retraite assise sur les rémunérations accessoires, dans la limite de 20 % du traitement, selon le modèle de la répartition intégralement provisionnée. Les cotisations sont partagées entre l'employeur et l'employé. Elles sont déduites du revenu net imposable. Les droits obtenus sont exprimés en points de retraite ;
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le plan d'épargne retraite populaire (PERP mis en place par la loi Fillon de 2003) : il permet à chacun de se constituer une épargne- retraite facultative auprès d'un assureur, d'une banque ou d'un groupement d'épargne de retraite populaire (GERP). Il bénéficie jusqu'à 10 % de déduction des cotisations sur le revenu imposable. L'épargne constituée est liquidable à l'âge de la retraite sous forme de rente viagère imposable et soumise aux prélèvements sociaux. Les rentes peuvent être réversibles en cas de décès du souscripteur ;
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le plan d'épargne retraite collectif (PERCO mis en place par la loi Fillon de 2003) : il fonctionne comme un plan d'épargne entreprise (PEE). Il s'agit d'un système d'épargne collectif facultatif permettant aux salariés de se constituer une épargne dédiée à la retraite. Les sommes versées peuvent être touchées sous forme de rente ou de capital au moment de la retraite. Exceptionnellement elles peuvent être débloquées de façon anticipée (en cas de décès du bénéficiaire ou de surendettement notamment). Les abondements de l'entreprise sont exonérés de charges, sauf prélèvements sociaux, et peuvent être déduits du bénéfice imposable. Le montant versé par le salarié n'est pas déductible de l'impôt sur le revenu, mais les plus-values engendrées le sont ;
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le plan d'épargne-retraite en entreprise (« PERE article 83 » du Code général des impôts qui définit sa fiscalité, mis en place par la loi Fillon de 2003) : il s'agit d'un contrat d'assurance vie collectif souscrit par l'entreprise et ouvert à tous les salariés ou à une catégorie objective de salariés (cadres, par exemple), pour lesquels il est obligatoire. Il est « à cotisations définies ». L'épargne constituée est liquidable à partir de l'âge de la retraite sous forme de rente viagère. Les cotisations versées par l'entreprise sont intégralement déductibles de son résultat imposable et exonérées de charges sociales dans la limite d'un plafond individuel. Les cotisations obligatoires versées par l'employeur et le salarié sont exonérées d'impôt sur le revenu dans la limite de 8 % de la rémunération annuelle brute, et ce, dans la limite maximale de huit fois le plafond annuel de la Sécurité sociale. Les versements volontaires des salariés sont exonérés dans des conditions similaires. Les cotisations versées par l'employeur sont assujetties à la CSG (7,5 %) et à la CRDS (0,5 %). Des conditions de rachats exceptionnels sont prévues ;
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le contrat en sursalaire (ou « article 82 » du Code général des impôts qui définit sa fiscalité, mis en place par la loi Fillon de 2003) : il s'agit de contrats individuels d'assurance vie à adhésion facultative, souscrits par l'entreprise au profit de ses salariés ou d'une catégorie d'entre eux. Les primes versées par l'employeur au salarié sont imposables au titre de l'impôt sur le revenu et ne font l'objet d'aucune déduction. Le contrat se dénoue par le versement d'un capital ou d'une rente viagère soumis au régime fiscal de l'assurance vie ;
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le contrat de retraite à prestations définies (CRPD ou « article 39 », mis en place par la loi Fillon de 2003) : il s'agit aussi d'un contrat d'assurance vie collectif souscrit par l'entreprise. Il peut être réservé à une catégorie spécifique de salariés, si l'ensemble des salariés bénéficie par ailleurs d'un PERCO ou d'un PERE. Il est à « prestations définies », additionnelles ou différentielles. Seuls les salariés présents dans l'entreprise au moment de leur départ à la retraite peuvent percevoir ce complément de retraite. Les cotisations sont déductibles du résultat imposable. Elles ne sont soumises ni aux charges patronales, ni à la CSG et ni à la CRDS. Une contribution sociale spécifique s'applique sur les cotisations ou sur les rentes, selon l'option choisie par l'entreprise. La rente viagère du salarié est soumise à l'impôt sur le revenu, à une contribution sociale progressive ainsi qu'à des prélèvements sociaux à hauteur de 8,4 % (CSG et CRDS).
Le reste du monde accorde en général une place plus importante aux fonds de pension
La situation particulière de la France ressort bien du graphique 2 (infra) qui montre que le poids de la retraite par capitalisation dans l'ensemble des pensions versées en 2015 est négligeable en France comme dans la plupart des pays latins et des pays d'Europe de l'Est, qui recourent peu ou pas aux fonds de pension et qui représentent un peu moins de la moitié des économies de l'OCDE, par opposition aux pays anglo-saxons ou nordiques, qui y recourent largement et qui représentent un peu plus de la moitié des économies de l'OCDE. La situation de l'Allemagne est particulière dans la mesure où le poids des retraites par capitalisation y est important, mais celles-ci ne sont pas gérées par des fonds de pension ou des compagnies d'assurance, mais par les entreprises elles-mêmes, dans le cadre de leur bilan.
Résultat, le poids des actifs en couverture des engagements de retraite par capitalisation est extrêmement élevé dans les pays anglo-saxons et nordiques, comme le montre le graphique 3 (infra) pour la Suisse, les Pays-Bas et les États-Unis par exemple, alors qu'il est très faible en France. En montant absolu, les investissements suisses, néerlandais et américains au titre de la retraite par capitalisation des fonds de pension et des compagnies d'assurance représentent respectivement quatre fois plus, six fois plus et cent fois plus que les investissements français à ce titre.
En conséquence de quoi, comme le montre le graphique 4 (infra), les ménages des pays qui laissent une place importante aux fonds de pension et à la retraite par capitalisation, à l'opposé des ménages français, disposent d'un patrimoine financier plus important, abondé par la créance que représentent leurs retraites par capitalisation (cette créance représente de 20 % à 60 % de leur actif financier total alors qu'elle est négligeable en France). Cela a permis aux ménages étrangers d'acquérir une fraction non négligeable des entreprises françaises, que les ménages français n'ont pas eu la capacité de conserver ni individuellement, ni collectivement. Des fonds de pension comme le Government Pension Investment japonais ou le Government Pension Funds norvégien ont la taille du PIB français, tandis que des fonds de pension comme le California Public Employees et le California State Teachers américains, le National Social Security chinois, le Canada Pension Fund canadien, le central Provident Fund singapourien ou l'Employees Provident Fund malais ont quasiment la taille du budget de l'État français ! Il est clair que les actifs accumulés en couverture de leurs retraites par capitalisation sont un élément clé de la puissance économique et financière globale des États-Unis, du Royaume-Uni, de la Suisse, de l'Allemagne, des Pays-Bas et de Singapour.
Les fonds de pension recouvrent des enjeux sociopolitiques importants
Les différences de situation d'un pays à l'autre résultent d'enjeux multiples qui entourent les fonds de pension. L'un de ces grands enjeux est sociopolitique. Dans les pays latins, comme en France, les fonds de pension et la retraite par capitalisation n'ont pas bonne réputation et la possibilité de garantir les retraites futures par des investissements financiers ne convainc pas, notamment par rapport à l'engagement politique de l'État de préserver les retraites. Mais, en fait, derrière cet argument apparemment « économique » s'en cache un autre beaucoup plus politique et qui joue un rôle fondamental, notamment en France : les syndicats sont directement associés, en tant que partenaires sociaux, à la gestion des retraites publiques par répartition et y trouvent tant des sources de financement que des positions intéressantes pour leurs dirigeants, en termes tant de reconnaissance sociale que d'intendance quotidienne. Ils sont donc attachés à la pérennité du système existant qui leur accorde des avantages qu'il serait impossible d'aménager dans le cadre des fonds de pension.
Dans les pays concernés, le système de prélèvement fiscalo-social dissuade, plus ou moins délibérément, la retraite par capitalisation. Alors que les cotisations sociales au système obligatoire de retraite par répartition sont, dans un pays comme la France, déductibles de l'assiette de l'impôt sur les sociétés, des cotisations sociales, de la CSG, de la CRDS et de l'impôt sur le revenu, ce n'est pas le cas des contributions aux régimes de retraite par capitalisation. Celles-ci ne sont pas déductibles de l'assiette des cotisations sociales ; elles sont rarement déductibles de l'assiette de la CSG et de la CRDS ; elles sont déductibles de l'assiette de l'impôt sur le revenu dans des conditions limitatives, pour certains produits et pour certaines catégories sociales seulement, dans la limite d'un plafond en général trop bas pour permettre un lissage intertemporel optimal de la consommation ; en revanche, elles sont le plus souvent déductibles de l'assiette de l'impôt sur la fortune et de l'impôt sur les sociétés. Cet écart de prélèvement fiscalo-social réduit dans des proportions très significatives le rendement des contributions à la retraite par capitalisation par rapport à celui des contributions à la retraite par répartition. Il réduit donc mécaniquement l'attrait économique des schémas de retraite par capitalisation par rapport aux régimes de retraite par répartition, lesquels concentrent finalement l'attention politique.
La régulation prudentielle contribue aussi à dissuader le recours à la retraite par capitalisation et aux fonds de pension par rapport à la retraite par répartition. En effet, les engagements de retraite dans le cadre de la répartition n'étant pas censés lier les pouvoirs publics au-delà de l'année courante, ils ne font l'objet d'aucun encadrement prudentiel. En d'autres termes, l'engagement des hommes politiques est censé se suffire à lui-même. En pratique, les engagements initiaux ont été progressivement rognés, avec notamment le changement de l'indexation des pensions de retraite, qui est passée des salaires aux prix à la consommation, et avec l'allongement de la période référence prise en compte pour le calcul de la pension à sa liquidation. Ces mesures, qui se justifiaient pleinement dès lors que l'on ne souhaitait pas augmenter les prélèvements obligatoires, ne s'analysent pas néanmoins comme une remise en cause unilatérale des engagements pris initialement pour l'État. Rien de semblable n'est possible pour les engagements de retraite par capitalisation qui font l'objet d'un provisionnement obligatoire ab initio et d'une exigence en capital aux termes des directives européennes sur les fonds de pension et les opérations d'assurance, dans le cadre de la régulation dite de « Solvabilité I » tout d'abord, puis dans celui de la régulation dite de « Solvabilité II » depuis 2016. Le passage de Solvabilité I à Solvabilité II a aggravé la distorsion prudentielle à l'encontre des retraites par capitalisation, dans la mesure où Solvabilité II constitue un standard beaucoup plus exigeant que Solvabilité I en matière d'engagements longs comme la retraite. Toutefois, ce standard ne s'impose à ce jour qu'aux seules compagnies d'assurance, à l'exclusion des fonds de pension qui demeurent sous l'empire du standard moins exigeant de Solvabilité I. Dans un pays comme la France, où la retraite par capitalisation est, comme on l'a vu, presque exclusivement proposée par des compagnies d'assurance, cette situation aggrave significativement la distorsion aux dépens de la retraite par capitalisation. La loi Sapin du 9 décembre 2016, ou loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, a corrigé cette asymétrie pour les retraites professionnelles supplémentaires en capitalisation : elle prévoit en son article 33 que les assureurs peuvent transférer leurs engagements de retraite à une nouvelle catégorie d'organismes dédiés qui ont la nature de fonds de pension et auxquels s'applique donc le standard moins exigeant de Solvabilité. C'est ainsi que sont nés les fonds de pension à la française.
L'enjeu économique que constituent les fonds de pension reste-t-il aussi important aujourd'hui ?
L'opposition aux fonds de pension dans les pays latins et en France se nourrit de quatre arguments principaux, qui sont difficilement conciliables entre eux, même si certains experts n'hésitent pas à les utiliser en même temps et de façon additive :
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l'argument traditionnel selon lequel les fonds de pension et la retraite par capitalisation exposeraient les salariés aux risques des marchés financiers et de leurs crises récurrentes comme celles de 1929 ou de 2008 ;
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l'argument, lui aussi traditionnel, selon lequel les systèmes de retraite par répartition et les systèmes de retraite par capitalisation sont économiquement équivalents sur le long terme, quand l'économie est sur son sentier de croissance tendancielle ;
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l'argument social, que les analyses de Thomas Piketty ont remis à l'honneur, selon lequel il n'appartient pas à l'État d'encourager des formules de retraite fondées sur la rémunération du capital car celles-ci accroissent les inégalités sociales ;
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l'argument plus nouveau selon lequel la capitalisation était intéressante pour mieux absorber le retournement démographique, mais qu'elle n'a plus guère d'intérêt dès lors que le celui-ci est largement avancé.
Examinons ces quatre arguments plus en détail afin d'en apprécier l'actualité.
Les risques des marchés financiers
disqualifieraient les fonds de pension
Si la retraite par capitalisation a bien résisté aux crises financières qui ont ponctué l'histoire économique du xixe siècle, grâce notamment à la stabilité monétaire de la période, elle s'est révélée moins résiliente aux chocs qui ont marqué la première moitié du xxe siècle. En fait, ce ne sont pas les crises financières, notamment la crise de 1929, qui ont mis à mal la retraite par capitalisation, mais l'hyperinflation de l'entre-deux-guerres qui a déprécié le pouvoir d'achat des rentes. Les rentes étaient en effet traditionnellement libellées en valeur nominale, pour une économie sans inflation depuis l'épisode des assignats. Avant-guerre, il n'y avait eu qu'un épisode d'inflation, en 1911, alors qu'entre 1914 et 1939, les prix vont augmenter de 600 % au total, divisant par sept le pouvoir d'achat des rentes sur la période… du jamais vu ! Il est sûr que si la retraite par capitalisation n'avait pas été remplacée par la retraite par répartition, par le gouvernement de Vichy, elle aurait été ajustée pour prendre en compte le phénomène nouveau de l'inflation. Cela aurait naturellement imposé d'accroître significativement la part des actions et de l'immobilier dans les actifs en couverture des engagements de retraite, aux dépens des obligations et des titres souverains qui constituaient jusque-là le support traditionnel des rentes. Elle aurait en outre bénéficié du mécanisme de la participation au bénéfice, introduit ultérieurement, et des différents schémas de protection contre les variations des taux d'intérêt (taux d'intérêt variables et options).
La crise financière récente et la période prolongée de bas taux d'intérêt qui a suivi ont induit des tensions fortes sur la profitabilité et la solvabilité des fonds de pension et de l'assurance vie, dès lors qu'ils offraient une garantie minimum, sous forme de rendement minimum ou de plans à prestations définies. Les fonds de pension américains à prestations définies présentent d'ores et déjà une situation préoccupante, puisqu'on peut estimer à 20 % leur niveau de sous-capitalisation (le ratio de la valeur actualisée de leurs actifs à la valeur actualisée de leurs passifs s'élève, en moyenne, à 80 %). Si les taux d'intérêt devaient rester bas, les tensions sur la profitabilité et la solvabilité des fonds de pension se poursuivraient au cours des prochaines années, avec une double conséquence : d'une part, le niveau des pensions servies devrait baisser, notamment dans les plans à prestations définies ; d'autre part, le rééquilibrage du marché, des plans à prestations définies vers les plans à cotisations définies, devrait s'accélérer, comme on l'observe d'ores et déjà (FMI, 2017a). La pression serait d'autant plus forte que la structure démographique du fonds est relativement âgée et que les chargements en capital prudentiel sur les actions sont élevés, dissuadant tout rééquilibrage du portefeuille d'actifs au profit des actions. À l'inverse, les fonds de pension collectifs européens, hybrides ou à prestations définies, présentaient à la fin de 2015, selon EIOPA, le superviseur européen, une surcapitalisation de l'ordre de 24 % qui reste confortable dans l'hypothèse d'une stabilisation, puis d'une remontée des taux d'intérêt en Europe, mais qui pourrait être sérieusement réduite dans l'hypothèse d'un nouveau choc financier sévère. Au total, les fonds de pension ont témoigné d'une bonne résilience au cumul des chocs de la crise et du quantitative easing qui les a durement frappés. Par comparaison, le système français de retraite par répartition est actuellement en déficit à hauteur de 3 % de ses dépenses et le cumul de ses déficits depuis quinze ans atteint un montant équivalent à 17 % de ses dépenses.
Les critiques des fonds de pension citent l'affaire Maxwell en défense de leur position. Mais il s'agit là d'un contresens. En effet, l'affaire Maxwell relève non du risque financier, mais du risque de fraude (Maxwell n'avait pas provisionné correctement les engagements de retraite de ses salariés). En outre, elle ne met pas en cause les fonds de pension (dont le sort n'est pas lié à celui des entreprises qui les financent), mais les régimes d'entreprise qui sont provisionnés dans le bilan des entreprises dont ils partagent le sort. Enfin les fonds de pension et la retraite par capitalisation sont désormais soumis à une régulation prudentielle dans le cadre des directives européennes, qui ont vocation à être renforcées sur ce point, quand l'essentiel du système de retraite par répartition échappe toujours à toute régulation prudentielle.
L'équivalence entre capitalisation et répartition rendrait un changement peu attractif
Les économistes ont démontré qu'à l'équilibre stationnaire, la capitalisation et la répartition sont équivalentes : leur rendement est similaire et le transfert de richesse qu'elles opèrent en faveur des retraités est a priori identique. À l'équilibre stationnaire, le taux d'intérêt est en effet égal au taux de croissance de l'économie augmenté du taux de dépréciation du capital. En d'autres termes, les revenus du capital et les revenus du travail croissent au même rythme. Sans rentrer dans le détail de l'analyse économique, on rappellera que cette équivalence arrive à l'équilibre stationnaire, qui n'est en fait jamais atteint, sachant que les économies modernes changent constamment de régimes de croisière. Elle ne vaut donc que pour le très long terme qui dépasse a priori l'horizon de notre cycle de vie. Entre-temps les économies dans lesquelles nous vivons concrètement sont constamment en situation de transition et non en régime de croisière. Dans ces conditions, l'évolution des revenus du capital et de ceux du travail peut diverger durablement, les taux de rémunération du capital ou les taux d'intérêt peuvent diverger par rapport aux taux de croissance des salaires.
De fait, depuis le début des années 1990, à l'opposé de la thèse de l'économiste Kaldor sur la stabilité de la part des salaires dans le PIB, on observe des déformations importantes, durables et non homogènes du partage de la valeur ajoutée entre les revenus du capital et les revenus du travail, comme le montre le graphique 5 (infra) (FMI, 2017b). Dans ces conditions, à la fois pour limiter les risques de creusement des inégalités (Milanovic, 2017), notamment dans l'hypothèse d'une déformation aux dépens des revenus du travail, mais aussi, et surtout, pour diversifier les risques auxquels les futures retraites sont exposées, il est économiquement souhaitable de diversifier les sources de financement des retraites, en les asseyant à hauteur de 45 %-55 %, sur les revenus du travail, dans le cadre de la répartition, et à hauteur de 55 %-45 %, sur les revenus du capital, dans le cadre de la capitalisation. Si l'on tient compte de la volatilité plus élevée des revenus du capital par rapport aux revenus du travail, notamment au salaire, le partage optimal serait autour de 33 % et 66 % respectivement pour la capitalisation et la répartition en France. Il est clair que nous sommes très éloignés de ce partage optimal des risques et que les futurs retraités français sont, de fait, surexposés au risque de baisse de la part du travail dans le partage de la valeur ajoutée.
Les fonds de pension ne feraient qu'aggraver les inégalités
Les travaux de Stiglitz et Piketty ont sensibilisé l'opinion aux inégalités, plus particulièrement à la concentration des revenus et des patrimoines au sein du dernier décile de la distribution des revenus et des patrimoines, voire du dernier centile. Nous avons été conduits à discuter la portée et les limites de ce constat dans un autre article (Kessler et Trainar, 2016). Certains experts font valoir que l'introduction des fonds de pension et de la retraite par capitalisation dans notre système par répartition amplifierait significativement les inégalités, dans la mesure où la capitalisation intéresserait principalement les plus hauts revenus qui connaissent aujourd'hui la plus forte réduction de niveau de vie lors du passage à la retraite. Cette opportunité non seulement les inciterait, par le biais notamment d'un traitement fiscal et social plus favorable, à accumuler plus de capital qu'ils n'en accumulent aujourd'hui durant leur vie active, mais aussi elle leur permettrait de bénéficier de la dynamique des revenus du capital, supposée plus favorable que celle des revenus du travail.
Il faut bien voir que les trois arguments ci-dessus, qui sont souvent avancés de concert, se contredisent : il n'y a pas lieu de craindre une insuffisance des retraites versées par des fonds de pension ou de soulever l'argument de l'équivalence entre répartition et capitalisation, si l'on pense que la dynamique du partage de la valeur ajoutée est favorable aux revenus du capital par rapport aux revenus du travail, le problème ne se pose tout simplement pas. Mais il faut bien voir que si le problème ne se pose pas, alors la déconcentration de la distribution du capital offre un moyen bien plus prometteur de réduction des inégalités de patrimoine que la taxation du capital ou la pénalisation fiscale des fonds de pension (Kessler et Trainar, 2016 ; Milanovic, 2017). De fait, les systèmes de retraite par répartition dissuadent les ménages moins fortunés d'épargner et de se constituer un patrimoine-retraite. Ils agissent dans le sens d'un accroissement des inégalités patrimoniales, toutes choses égales par ailleurs. À l'inverse, un système de retraite à deux étages, avec un régime de base en répartition complété par des fonds de pension gérant des comptes personnels en capitalisation, constitue, avec la distribution d'actions, le moyen le plus simple et le plus naturel pour diffuser largement le patrimoine et éviter que la propriété du capital et des robots ne se concentre sur une frange trop étroite de la population. En outre, à l'inverse de la taxation du capital, il n'est pas malthusien dans la mesure où l'incitation à l'épargne et à l'investissement qu'il procure sert à accroître les gains de productivité et l'activité.
La capitalisation ne serait plus intéressante
après le retournement démographique
Lorsque, dans les années 1980, il est devenu évident que notre économie allait se trouver confrontée à un choc démographique, le thème de la retraite par capitalisation qui avait assez largement disparu du débat depuis la guerre est réapparu. Certes le premier facteur du choc démographique, l'allongement de la durée de vie, affecte tous les régimes, qu'ils soient par répartition ou par capitalisation. En revanche, le deuxième facteur, la baisse de la fécondité, n'affecte que les régimes par répartition qui reportent sur les générations futures, en l'occurrence des générations qui allaient être moins nombreuses, la charge des retraites des actifs actuels. À l'inverse, les régimes par capitalisation ne sont pas affectés, dans la mesure où ils font reposer sur les actifs concernés la charge de leur propre retraite et financent immédiatement les engagements pris sur l'avenir. En l'occurrence, les retraites des baby-boomers auraient été financées par les générations plus nombreuses du baby-boom et non par les générations ultérieures moins nombreuses. La capitalisation permet en outre une diversification internationale des investissements vers les placements dans les pays à structure démographique jeune. La réforme, surtout si elle avait été associée à une remise en cause des préretraites et du départ à la retraite à 60 ans, aurait naturellement permis d'éviter la hausse des cotisations et la baisse des taux de remplacement que nous avons connues. Certains experts en tirent aujourd'hui des arguments pour faire valoir qu'il fallait faire la réforme hier et que maintenant que le retournement démographique est en cours comme le montre le graphique 6 (infra), il serait trop tard pour que nous puissions tirer bénéfice du passage à la capitalisation.
Cet argument n'a toutefois qu'une portée très limitée. Non seulement l'absorption du choc démographique n'est que l'un des multiples avantages économiques de la capitalisation et des fonds de pension, mais, en outre, il serait imprudent de penser qu'il ne serait plus valide aujourd'hui : sachant que, grosso modo, la moitié des actifs actuels dépend d'ores et déjà, pour le financement de la moitié de leur retraite par répartition, de futurs actifs qui ne sont pas encore nés, qui vont naître dans les vingt ans à venir et pour lesquels il serait hasardeux de prendre pour acquis qu'il n'y aura plus de baisse significative de la fécondité dans les années à venir. La réforme des régimes de retraite s'inscrit dans un temps très long, avec une période de transition s'étalant sur plus de quarante ans avant de rejoindre le régime de croisière. C'est aujourd'hui qu'il faut penser aux retraites qui seront versées dans quarante ans. Et ce temps très long impose une approche intrinsèquement stochastique du futur, notamment de la fécondité. En outre, il faut tenir compte des autres avantages économiques et financiers que présentent les régimes de retraite en capitalisation, à côté de leur capacité à s'adapter aux changements de comportement en matière de fécondité, notamment la diversification des risques liés au partage de la valeur ajoutée et l'incitation à l'investissement productif. Enfin la baisse programmée des taux de remplacement dans les régimes par répartition (cf. graphique 7 infra) impose en tout état de cause de substituer la capitalisation à la répartition sur cette fraction de la retraite, sachant que les prélèvements sociaux au profit des régimes par répartition ont atteint des niveaux excessifs qui pèsent de plus en plus sur l'activité.
Conclusion
La création de fonds de pension dans les économies avancées où ces fonds sont peu ou pas présents reste donc utile, en dépit de notre avancement dans le cycle démographique. Dès lors qu'ils sont soumis à une régulation prudentielle adéquate, à l'instar de l'assurance dans le cadre de Solvabilité II, les risques financiers qu'ils représentent pour les assurés sont minimisés et leurs avantages économiques en termes de diversification par rapport à la répartition et d'incitation à l'investissement productif deviennent particulièrement attrayants du point de vue tant microéconomique de l'assuré que du point de vue macroéconomique de la collectivité.
En France, la loi « Sapin » vient de créer le véhicule, juridique et prudentiel, nécessaire pour ces fonds. Il reste maintenant à lui accorder le régime fiscal et social qui lui permette de prospérer et de compléter effectivement la retraite par répartition. Nous disposerions alors de véritables fonds de pension à la française. Les bénéfices économiques et financiers à attendre de ces fonds sont importants, d'autant plus que l'investissement reste insuffisant pour supporter une croissance réelle de 1,5 % à 2,5 % par an et que l'étroitesse de l'offre nationale de capitaux propres nous a jusqu'ici obligés à recourir massivement à l'offre des non-résidents. Ainsi, au 31 décembre 2015, 45 % du CAC 40 était-il détenu par des non-résidents, dont les comportements sont par nature beaucoup plus volatils et déconnectés des intérêts nationaux (Guette-Khitter, 2016).