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 Introduction


Hippolyte d' ALBIS * Professeur, Paris School of Economics ; directeur de recherche, CNRS ; président, Cercle des économistes. Contact : hdalbis@psemail.eu.
Philippe TRAINAR * Professeur, Cnam (Conservatoire national des arts et métiers) ; directeur, Fondation Scor pour la Science. Contact : ptrainar-external@scor.com.Pour des raisons de volume, ce papier a été raccourci par la REF qui assume seule la responsabilité de ces modifications. Le texte intégral est disponible auprès de l'auteur.

Rien ne semble, a priori, plus opposé que la démographie et la finance. La première est souvent associée à des temporalités longues, alors que la seconde est parfois sujette à des évolutions très rapides. Les sciences actuarielles mises à part, les deux disciplines ont d'ailleurs longtemps eu relativement peu d'interactions. Et pourtant, lorsqu'on appréhende la finance à partir des décisions financières des ménages, il est évident que les différents « événements démographiques » que sont l'allongement de la durée de vie, l'arrivée d'un enfant ou la mobilité géographique vont avoir des effets très importants. Ces événements entraînent aussi des modifications de la structure par âge de la population dont les effets macroéconomiques ont des conséquences financières notables. Les analyses des comportements d'épargne liés au cycle de vie et intergénérationnels ont initié une première vague de travaux importants sur ces sujets. Depuis quelques années, un champ de recherche extrêmement actif s'est ainsi développé autour des interactions entre les variables démographiques et les variables économiques et financières. L'objectif de ce numéro de la Revue d'économie financière (REF) est de rendre compte des développements les plus récents, d'en proposer une vision globale et cohérente et d'identifier des pistes de recherche intéressantes. Il n'était évidemment pas possible de tout traiter et l'accent a été mis sur les sujets les plus porteurs qui n'avaient pas fait l'objet de publications récentes. En particulier, la question du vieillissement et de l'équilibre financier des systèmes publics de retraite, abondamment traitée par ailleurs, n'a pas été abordée. De même, les questions de la demande de soins, des choix effectués au sein de la famille et des évolutions des marchés immobiliers n'ont pas été directement traitées.

Cette REF est composée de trois parties qui permettent d'appréhender la réalité des mutations démographiques actuelles et d'en saisir leurs enjeux macroéconomiques, financiers et patrimoniaux. La première partie propose un panorama des évolutions démographiques qui permet de faire ressortir les évolutions clés pour la compréhension des dynamiques économiques et financières. Philippe Trainar met l'accent sur les évolutions de la population mondiale depuis 1950 et sur les projections à l'horizon 2100. Il insiste sur les défis que représentent le vieillissement de la population et la baisse de la proportion de personnes d'âge actif pour les grands équilibres économiques et financiers nationaux et internationaux. Les trois composants des évolutions démographiques sont ensuite détaillés. James W. Vaupel présente les évolutions possibles de la longévité humaine en les resituant dans les débats historiques entre démographes, tout en soulignant que les prévisions d'allongement de la durée de vie ont été systématiquement dépassées. Il s'agit de dépasser le simple constat de désaccord entre experts pour mieux appréhender le futur. Angela Greulich revient sur les évolutions de la natalité en présentant une hypothèse académique parfois mal connue du grand public. Plusieurs articles ont en effet identifié un possible rebond de la fécondité dans les pays riches, qui pourrait représenter une première inflexion du processus de transition démographique. Enfin, l'évolution des flux migratoires internationaux est analysée par Hillel Rapoport. Cette évolution est mise en relation avec celle des flux financiers associés aux investissements directs étrangers et aux flux de capitaux à l'aide des développements récents de la recherche en économie internationale.

La deuxième partie du numéro est consacrée aux enjeux macroéconomiques et financiers des évolutions démographiques présentées en ouverture. Deux articles traitent spécifiquement du contexte économique. Ronald Lee et Andrew Mason discutent des effets macroéconomiques du vieillissement de la population à l'aide des statistiques par âge obtenues dans le cadre du projet National Transfer Accounts (comptes de transferts nationaux). Ils évoquent notamment la question épineuse de la structure optimale par âge de la population. Claude Diebolt et Faustine Perrin s'attachent ensuite à analyser les relations de causalité entre les évolutions de la fécondité et le développement économique. Ils présentent les différents arguments en présence dont ils renouvellent la lecture à l'aide de la dynamique des inégalités entre les femmes et les hommes. Les trois articles suivants portent sur les enjeux proprement financiers. Bruno Latourrette décrit les effets potentiels du risque de longévité pour les fonds de pension, l'assurance et la réassurance, et les compare aux risques économiques et de crédit. Il détaille les avantages respectifs des couvertures assurantielles et de marché, et souligne l'importance de la spécificité des populations couvertes par ces institutions par rapport aux comportements de la population générale. David Blake et ses coauteurs analysent plus particulièrement les solutions permettant de transférer le risque de longévité vers les marchés de capitaux. Ils soulignent les difficultés que ce transfert implique et évaluent les nouveaux enjeux en termes de liquidité et de réglementation. Hippolyte d'Albis revient, quant à lui, sur les risques que le passage à la retraite des cohortes du baby boom fait peser sur les marchés financiers. Il discute notamment de la plausibilité du scénario catastrophe dit de l'asset meltdown.

La troisième partie de ce numéro aborde l'angle des relations entre la finance et la population au niveau des ménages. Les deux premiers articles s'intéressent aux conséquences de l'allongement de la durée de vie. François Bourguignon analyse la question des inégalités de durée de vie et de leur impact sur la dynamique des inégalités nationales et mondiales. Il montre que la tendance à la baisse des inégalités pourrait être remise en cause par certaines perspectives démographiques et environnementales. André Masson présente les solutions possibles pour financer au niveau individuel les dépenses supplémentaires liées à l'augmentation de la durée de vie. Il milite pour une rénovation des produits viagers. Les deux articles suivants portent, quant à eux, sur les comportements des personnes immigrées. Ekrame Boubtane analyse leur patrimoine à l'aide des enquêtes de l'Insee. Elle compare les taux de détention par classe d'actifs en fonction du pays d'origine et de la durée de résidence en France. El Mouhoub Mouhoud ajoute un panorama des transferts monétaires que les personnes immigrées effectuent en direction de leur pays d'origine. Il analyse notamment l'effet de certaines politiques migratoires sur ces transferts.

L'ensemble de ces travaux donnent une bonne idée de l'influence importante des évolutions démographiques sur les comportements financiers des ménages, ainsi que sur les grands équilibres économiques et financiers, nationaux et internationaux. Le vieillissement, qui recouvre à la fois une baisse de la fécondité des femmes, y compris dans la plupart des pays en développement, et un allongement de la durée de vie aux âges extrêmes, au-delà de ce que projetaient les prévisionnistes, constitue à cet égard, avec la poursuite de la croissance de la population mondiale, l'un des phénomènes les plus importants pour la finance des années à venir. L'épargne, le patrimoine, les transferts liés aux solidarités familiales et les protections d'assurance sont les vecteurs privilégiés de cette influence de la démographie sur la finance. Mais il ne faut pas perdre de vue que les limites et les opportunités liées à l'environnement économique et financier, que ce soit la fiscalité de l'épargne et du patrimoine, la régulation financière ou les politiques sociales, sont en mesure d'influencer, en retour, les comportements démographiques, avec des conséquences souvent difficiles à prévoir et pouvant se faire sentir sur le très long terme, sur un cycle de vie entier voire sur un cycle dynastique.