Les évolutions démographiques internationales récentes et à venir font apparaître un phénomène de convergence qui tranche avec ce que l'on avait observé depuis la guerre. Naturellement, les projections démographiques doivent être prises avec une touche de prudence, notamment au vu des changements de tendance observés dans le passé et du caractère difficilement explicable de certains d'entre eux, et pas des moindres. Celles que nous avons utilisées, les projections de la Division de la population des Nations unies, qui présentent l'intérêt de la cohérence et de la vision globale, comportent bien une estimation de l'intervalle de confiance à 80 %. Nous n'exploitons cependant pas cette information dans cet article dont l'objet n'est pas de discuter la qualité des données et des projections démographiques, mais d'identifier les tendances clés de la démographie au niveau mondial ainsi que leurs conséquences économiques. Dans l'ensemble, les évolutions démographiques actuelles résultent de la combinaison de trois facteurs : la structure démographique héritée du passé, la baisse de la fertilité des femmes et l'allongement de la durée de vie. Les différences existantes et les convergences à l'œuvre ont en effet, à travers les taux de dépendance des inactifs vis-à-vis de la richesse créée par les actifs, des conséquences macroéconomiques importantes. Elles devraient notamment altérer les équilibres macroéconomiques internationaux. Elles devraient en particulier se traduire par une réduction des déséquilibres des paiements courants dans le monde par rapport au point haut qu'ils ont atteint dans les années 1990 et 2000. Faut-il s'en réjouir ? D'un certain point de vue oui, mais il ne faut pas oublier que cela va aussi se traduire par une responsabilité accrue des politiques économiques nationales dans l'évolution des déséquilibres internationaux.
Les trois phases de la démographie mondiale
L'histoire récente de la démographie repose sur la succession de trois phases (Lee, 2003). Dans une première phase, la mortalité infantile diminue. Cette évolution commence à la fin du xviiie siècle en Europe de l'Ouest, puis s'étend peu à peu au reste du monde. Dans les économies les moins développées, la baisse de la mortalité infantile n'a commencé que dans le courant du xxe siècle, voire après la Seconde Guerre mondiale comme en Chine, mais le rattrapage s'est fait alors à un rythme extrêmement rapide comme le montre le graphique 1 construit à partir des estimations et des projections de la Division de la population des Nations unies. Cette évolution contribue à la réduction des disparités de durée de vie. Au cours de cette phase, la population jeune croît plus vite que la population plus âgée, avec les problèmes d'éducation et de financement que cela pose. La plupart des économies sont largement avancées dans cette phase, même si le rattrapage par rapport aux économies avancées n'est pas terminé et si les économies à bas revenus ou à revenus intermédiaires inférieurs ne se situent toujours pas au niveau où se situaient les économies à hauts revenus en 1950.
Dans la deuxième phase de la transition démographique, c'est au tour de la fertilité des femmes de baisser. Cette phase a commencé entre la fin du xixe siècle et le début du xxe siècle en Europe de l'Ouest où elle semble avoir récemment touché à son terme. La plupart des économies, y compris les économies à bas revenus, sont entrées dans cette deuxième phase au plus tard dans le courant des années 1980, comme le montre le graphique 21, et l'on s'attend à ce que ce mouvement de convergence se poursuive au cours des prochaines années. Au cours de cette phase, le poids des jeunes générations dans la population totale diminue tandis que celui des actifs augmente, avec les problèmes de chômage et de rationnement du capital que cela pose. Quant à la part des plus de soixante-cinq ans dans la population totale, elle continue à baisser pendant une bonne partie de cette phase, tant que les taux de fertilité restent encore élevés, puis elle augmente dans la période finale de cette phase, lorsque les générations actives issues de la baisse de la mortalité infantile commencent à vieillir. La baisse spectaculaire de la fertilité des femmes dans les économies à revenus intermédiaires supérieurs mérite une mention particulière. À l'avenir, elle va jouer un rôle fondamental dans la montée très rapide du taux de dépendance au sein de ces économies.
Tout au long de ces deux premières phases, la durée de vie s'allonge. Cet allongement résulte tout d'abord, et principalement, de la baisse de la mortalité infantile et, ultérieurement, de ce que l'on appelle l'« orthogonalisation » de la courbe de survie, c'est-à-dire de la capacité des nouvelles générations à survivre de plus en plus longtemps avec une probabilité élevée. De fait, notre espérance de vie a augmenté de façon continue au cours du temps depuis le début du xviiie siècle, quand le phénomène est apparu en Europe, avant de se propager progressivement à l'ensemble du monde. Cette augmentation de l'espérance de vie est elle-même liée à la prévention des maladies infectieuses, au développement de l'hygiène personnelle, à l'amélioration des comportements alimentaires, à l'adoption de comportements plus responsables (conduite plus prudente, prise de risque limitée, etc.) et, plus récemment, au traitement des maladies chroniques et dégénératives comme les maladies cardio-vasculaires et le cancer. En fonction du rythme auquel ces progrès se diffusent, les périodes de divergence entre pays et classes sociales alternent avec les périodes de convergence. Le graphique 3 (ci-contre) montre que nous sommes actuellement, au niveau mondial, dans une phase de convergence des espérances de vie, après de longues années de divergence jusqu'à la fin des années 1950, et que cette convergence a tendance à s'accélérer. Naturellement, ce mouvement général de convergence n'exclut pas des évolutions ponctuelles divergentes, dans certains pays d'Afrique très affectés par le sida ou dans les pays de l'ex-Union soviétique où l'espérance de vie a chuté significativement. Les experts des Nations unies anticipent une poursuite de l'allongement de la durée de vie au cours des prochaines années, associée à une convergence accrue entre les économies du fait d'une décélération de la tendance dans les économies avancées et d'une accélération de celle-ci dans les autres économies. Cette prévision est toutefois entourée de beaucoup d'incertitudes liées au potentiel de progrès du traitement des maladies cardio-vasculaires, des maladies neurodégénératives et du sida, ainsi qu'aux conséquences de l'obésité. Cette évolution constitue une dimension essentielle du bien-être (Deaton, 1999 et 2013).
Dans la troisième phase de la transition démographique, c'est la durée de vie des personnes âgées qui s'allonge, notamment aux âges les plus élevés. Certes, comme on le voit dans le graphique 4 (infra), l'allongement de la durée de vie des soixante-cinq ans et plus n'est pas un phénomène nouveau. Ce qui est nouveau, dans cette troisième phase, c'est que l'allongement de la durée de vie n'est plus imputable qu'à l'allongement de la durée de vie de cette classe d'âge et que, pour la première fois, on observe un allongement de la durée de vie maximale de l'homme (Vaupel, 2016). On notera que les progrès de la longévité aux âges extrêmes semblent creuser, dans un premier temps tout au moins, les disparités de durée de vie car ils se diffusent à l'ensemble du monde à partir des économies à hauts revenus qui sont les premières à en faire l'expérience. Le phénomène de vieillissement de la population correspond à proprement parler à cette troisième phase de la transition démographique. Durant cette phase, le poids des soixante-cinq ans et plus dans la population totale s'alourdit rapidement sous l'effet conjugué :
- de l'allongement de la durée de vie des personnes âgées, qui accroît le volume de la population de soixante-cinq ans et plus ;
- du vieillissement des générations nombreuses issues de la période de baisse de la mortalité infantile, qui accélère elle aussi la progression de la population âgée ;
- du passage à l'âge adulte des générations issues de la baisse de la fertilité des femmes, qui ralentit la progression de la population de quinze à soixante-quatre ans ;
- de la poursuite de la baisse de la fertilité des femmes, qui ralentit la progression de la population des moins de quinze ans.
Il faut prendre garde au fait que ces trois phases peuvent se chevaucher dans les économies en développement en raison des vitesses différentes auxquelles se propagent les comportements et les progrès en matière d'hygiène et de santé. En combinant ces différentes évolutions, on aboutit à une population mondiale dont la croissance s'est accélérée jusqu'en 1990, date à partir de laquelle elle a décéléré. Les experts des Nations unies prévoient une poursuite de cette décélération dans les années à venir. Pour autant, la croissance de la population devrait se poursuivre et après être passée de 2,5 milliards de personnes en 1950 à 7,3 milliards en 2015, la population mondiale devrait atteindre 9,7 milliards de personnes en 2050 et 11,2 milliards en 2100 dans le scénario central des Nations unies (cf. graphique 5). Cette croissance de la population mondiale a été portée par les économies à hauts revenus et à revenus intermédiaires supérieurs jusqu'en 1980. Depuis lors, elle est principalement tirée par les économies à revenus intermédiaires inférieurs. Mais dans la seconde moitié du xxie siècle, les économies à bas revenus devraient prendre le relais alors que les économies à hauts revenus et à revenus intermédiaires supérieurs enregistreraient un déclin de leur population en niveau absolu.
Le défi du poids de la population potentiellement inactive dans l'économie
Plus une économie abrite de personnes dépendantes, au sens où elles ne sont pas actives et ne créent pas de richesse, plus elle connaît des tensions et des déséquilibres économiques en raison de l'écart entre le PIB par tête et le PIB par actif, par employé ou par heure de travail. Une première façon de mesurer l'importance économique de la dépendance consiste à regarder le poids des personnes dépendantes dans la population générale. Les analyses ont ainsi traditionnellement pointé les conséquences du vieillissement et de la charge croissante des retraités dans les économies à hauts revenus. Le graphique 6 montre que le poids des soixante-cinq ans et plus dans la population totale s'accroît dans ces économies depuis l'après-guerre, que cet accroissement a tendance à s'accélérer et que cette évolution ne devrait se ralentir avant une vingtaine d'années. Pour autant, cet accroissement du poids des soixante-cinq ans et plus n'est pas limité aux seules économies à hauts revenus. On l'observe aussi, depuis le début des années 1970, dans les économies à revenus intermédiaires supérieurs et, depuis le début des années 2000, dans les économies à revenus intermédiaires inférieurs. Les experts des Nations unies s'attendent à ce que les économies à bas revenus connaissent une évolution similaire d'ici à une vingtaine d'années, lorsque les économies à hauts revenus connaîtront, elles aussi, un ralentissement de cette évolution.
Le vieillissement n'est donc plus, depuis de nombreuses années, un phénomène spécifique aux économies avancées. Depuis le début des années 1970, la part des économies à hauts revenus dans la population mondiale des personnes âgées de soixante-cinq ans et plus diminue progressivement et cette évolution devrait se poursuivre dans les années à venir comme le montre le graphique 7. De fait, le vieillissement est non seulement un phénomène mondial, mais aussi et surtout un phénomène maintenant dominé par les évolutions démographiques au sein des économies émergentes et en développement qui représentaient 62,5 % de la population mondiale âgée de soixante-cinq ans et plus en 2015, et qui devraient représenter près de 75 % de celle-ci en 2050. Autant dire que la problématique du vieillissement dans les économies avancées n'a aujourd'hui qu'un intérêt de plus en plus limité pour le traitement du vieillissement à l'échelle mondiale. En outre, à partir de la seconde moitié des années 2000, les économies à bas revenus vont gagner en poids dans la problématique du vieillissement.
Toutefois, aussi important que soit le phénomène du vieillissement au niveau mondial, la focalisation sur la charge liée aux retraités reste, à ce stade, un biais des économies à hauts revenus. Comme le montre le graphique 8 (ci-contre), l'accroissement du poids de la population âgée de soixante-cinq ans et plus se combine en général avec une réduction du poids des personnes âgées de zéro à quinze ans, c'est-à-dire les enfants, dans la population totale. Cette classe d'âge soit ne travaille pas, soit travaille avec une productivité économique réduite par rapport aux adultes. La baisse du poids des jeunes de zéro à quinze ans est imputable à la baisse de la fertilité des femmes. Elle est aujourd'hui largement avancée dans les économies à hauts revenus, où elle semble toucher à sa fin. Elle est largement entamée dans les économies à revenus intermédiaires. Elle débute tout juste dans les économies à bas revenus.
Mais plus que le poids des personnes économiquement dépendantes dans la population totale, c'est leur poids par rapport à la population en âge de travailler, ou taux de dépendance, qui importe car c'est lui qui permet de déterminer la charge que la population dépendante représente pour les actifs potentiels et de mesurer la capacité d'une économie à supporter le poids financier de ces personnes par nature peu ou pas productives. La population en âge de travailler est en général assimilée à la population de quinze à soixante-quatre ans pour les besoins des comparaisons internationales. Comme le montre le graphique 9 (infra), ce taux de dépendance connaît une évolution beaucoup plus complexe que chacune de ses deux composantes, jeunes de 0-15 ans et vieux de soixante-cinq ans et plus. Cette évolution se caractérise par quatre étapes. Dans une première étape, le ratio de la population dépendante (0-15 ans et soixante-cinq ans et plus) à la population en âge de travailler (15-65 ans) augmente sous l'effet du baby boom dans les économies à hauts revenus et de la baisse de la mortalité infantile dans le reste du monde. Puis ce ratio diminue, presque en même temps dans les économies à hauts revenus et dans les économies à revenus intermédiaires, en raison de la baisse de la fertilité des femmes, du ralentissement de la baisse de la mortalité infantile, de l'arrivée à l'âge adulte des enfants nés durant la phase précédente et de la baisse de la mortalité à l'âge adulte. Dans les économies à bas revenus, en revanche, la diminution ne commence que plus tard, dans les années 1990. À partir de 2010, ce ratio s'est à nouveau orienté à la hausse dans les économies à hauts revenus et dans les économies à revenus intermédiaires supérieurs, du fait du vieillissement de la population. Selon les experts des Nations unies, la remontée de ce ratio ne devrait intervenir qu'à partir de 2040 dans les économies à revenus intermédiaires inférieurs et à partir de 2080 dans les économies à bas revenus, date à laquelle la hausse du ratio dans les économies à hauts revenus et à revenus intermédiaires supérieurs devrait s'infléchir.
Les déséquilibres économiques et financiers liés aux évolutions démographiques
Le vieillissement pose un problème financier dans la mesure où il est associé à la baisse, puis à la disparition de la capacité à générer les revenus nécessaires à la subsistance. Certes, l'allongement de la durée de vie est associé, en général, à un allongement de la durée de vie en bonne santé. Pour autant, le phénomène d'« orthogonalisation », c'est-à-dire le fait que l'on meurt de moins en moins jeune et de plus en plus à proximité de l'âge limite de la vie humaine, se traduit mécaniquement par un accroissement de la population âgée incapable de subvenir par elle-même à ses besoins et qui se retrouve donc d'une façon ou d'une autre à la charge de la population active, que ce soit par le biais de charges sociales sur les revenus d'activité ou de charges financières sur l'utilisation du capital dans l'activité économique. Le taux de dépendance constitue, comme on l'a vu, un indicateur du potentiel de la pression financière que la population dépendante fait peser sur les actifs.
Dans la plupart des économies dans le monde, les charges afférentes au vieillissement sont directement supportées par les personnes concernées qui doivent soit épargner, soit être prises en charge par leurs proches, notamment leurs enfants, soit sombrer dans la pauvreté. En pratique, les trois situations se combinent. Il est rare que des systèmes de protection sociale publics ou contractuels, à l'instar de ce que l'on observe dans le cadre des régimes de sécurité sociale en Europe continentale ou des fonds de pension dans les pays anglo-saxons, existent dans les économies émergentes ou en développement où se concentre, comme on l'a vu, la très grande majorité de la population âgée de soixante-cinq ans et plus. Et quand des systèmes de protection existent dans ces économies, ils sont partiels et fragmentés comme l'Inde et la Chine en offrent des exemples (Heller, 2006). En Chine, les personnes âgées perçoivent des transferts de faibles montants dans les communes rurales tandis que les systèmes de protection plus ambitieux, au départ mis en place au niveau des entreprises d'État et progressivement mutualisés au niveau de la province, ne couvrent qu'un tiers de la population urbaine. Ajoutons que plus de la moitié de la population urbaine ne bénéficie d'aucune couverture maladie. En Inde, le système de sécurité sociale vieillesse ne couvre que 10 % de la population active, encore ce système est-il largement déficitaire, tandis que les caisses d'assurance-maladie ne couvrent que les fonctionnaires et les salariés du secteur formel (10 % de la population).
Au niveau mondial, la problématique du vieillissement est donc étroitement liée à celle de l'épargne du cycle de vie (Batini et al., 2006). Dans la première phase de la transition démographique, centrée sur la baisse de la mortalité infantile, l'épargne diminue car les adultes doivent consacrer une part plus importante de leur revenu à leurs enfants dont le nombre croît fortement. Dans la seconde phase de la transition démographique, qui combine la baisse de la fertilité et l'arrivée à l'âge adulte des générations plus nombreuses issues de la baisse de la mortalité infantile, l'épargne augmente fortement même si le solde migratoire des actifs devient négatif. Dans cette phase, le problème du financement du vieillissement apparaît, car les personnes âgées appartiennent aux générations qui n'ont pas accumulé d'épargne quand ils étaient adultes du fait de la baisse de la mortalité infantile. Dans la troisième phase, qui combine l'allongement de l'espérance de vie aux âges élevés, l'arrivée aux âges avancés des générations plus nombreuses issues de la baisse de la mortalité infantile et l'arrivée à l'âge adulte des générations moins nombreuses résultant de la baisse de la fertilité, l'épargne stagne, puis diminue. Dans cette phase, le problème de financement du vieillissement demeure car la plupart des ménages ont mal anticipé l'allongement de l'espérance de vie aux âges élevés et n'ont donc pas constitué une épargne suffisante, alors même que le taux de dépendance accru limite les possibilités de prise en charge par les adultes en âge d'être actifs. Les problèmes de financement du vieillissement se détendent lorsque les générations issues de la baisse de la fertilité commencent à vieillir.
La combinaison des différentes phases de la transition démographique dans le monde explique une bonne part des déséquilibres financiers internationaux (Cooper, 2008) :
- en Europe, le problème du financement du vieillissement est celui de la charge financière de plus en plus lourde de l'assurance-vieillesse pour les actifs, sur les revenus desquels sont assises les ressources de la sécurité sociale ; les transferts importants dont bénéficient les personnes âgées sont partiellement compensés par une épargne qui reste étonnamment élevée car motivée par une intention successorale ; de ce fait, cette zone du monde équilibre peu ou prou ses paiements courants ;
- aux États-Unis, le financement du vieillissement soulève moins de problèmes dans la mesure où il repose sur des fonds de pension fonctionnant en capitalisation ; du fait de la démographie dynamique qui résulte de l'immigration, le taux d'épargne est toutefois très faible et nourrit un déficit des paiements courants très important à l'échelle mondiale ;
- en Chine, on rencontre un problème de financement du vieillissement typique de la deuxième phase de la transition démographique ; il est toutefois aggravé par la chute de la fertilité liée à la politique de l'enfant unique, par le sous-développement du secteur financier notamment pour le crédit au logement, par le retard des évolutions salariales et par la défaillance des services publics en matière d'éducation et de santé ; de ce fait, la Chine se caractérise par un volume exceptionnellement important d'épargne forcée et d'épargne de précaution qui nourrit un excédent courant lui-même exceptionnel.
Pour se faire une idée plus précise des conséquences des évolutions démographiques en cours sur les déséquilibres internationaux, on se propose de présenter un exercice heuristique assez simpliste qui consiste à apprécier dans quelle mesure les évolutions démographiques observées au cours du quart de siècle écoulé permettent d'expliquer l'évolution des soldes courants internationaux, puis, sur cette base, de projeter la tendance des évolutions à venir. Pour cela on calcule un « solde démographique » en attribuant à chaque personne de la population mondiale :
- un équivalent en termes d'unité de consommation qui dépend de sa classe d'âge ainsi que du fait qu'elle est active ou non (on devrait, en fait, avoir plus d'absorption que de consommation, dans la mesure où l'investissement en fait implicitement partie)2 : cet équivalent est calibré au niveau mondial de façon à équilibrer la balance des paiements courants mondiaux de l'année concernée ;
- un taux d'activité et un taux de productivité dont trois variantes sont étudiées : soit les deux taux sont, pour tous les pays, posés égaux à leur moyenne mondiale, soit le taux d'activité retenu est celui spécifique au pays concerné, mais le taux de productivité correspond à la moyenne mondiale, soit les deux taux sont ceux spécifiques au pays concerné ; la première variante correspond à une variante purement démographique.
On serait naturellement tenté de penser que la troisième variante (taux d'activité et de productivité spécifiques au pays concerné) donnerait les meilleurs résultats. Or, curieusement, il n'en est rien. Comme le montre le graphique 10, la prise en compte des taux d'activité et de productivité spécifiques à chacun des quatre groupes d'économies que nous avons suivis dans cet article (économies à hauts revenus, à revenus intermédiaires supérieurs, à revenus intermédiaires inférieurs et à bas revenus) n'apporte aucune information pertinente pour apprécier la contribution de la démographie aux soldes courants internationaux. La seule démographie, qui correspond à la première variante, est pertinente. Les coefficients de la droite de régression entre les soldes courants démographiques (richesse produite moins richesse absorbée) et les soldes courants effectifs ainsi que leur coefficient de détermination ne sont significativement différents de zéro sur la période 1990-2015 que pour cette variante.
Si l'on utilise les coefficients de cette première variante et que l'on se projette dans le futur pour estimer des soldes courants effectifs à partir des projections démographiques des Nations unies, en supposant que les taux d'activité et les taux de productivité de la population mondiale restent constants pour chacun des groupes d'économies sur la période de projection 2015-2100, on obtient des balances courantes pour chacun de ces groupes d'économies. Comme le montre le graphique 11, sur la base des seules évolutions démographiques, les déséquilibres courants les plus graves sont derrière nous. Nous sommes entrés dans la zone où ils devraient avoir tendance à se réduire à l'avenir. Les évolutions sont toutefois très différenciées en fonction des groupes d'économies concernés, avec des changements de régime importants. Les économies à hauts revenus devraient connaître une dégradation progressive de leur solde courant jusqu'au milieu du xxie siècle, date à laquelle leur déficit devrait se stabiliser à un niveau non négligeable. Les économies à revenus intermédiaires supérieurs devraient connaître une évolution similaire vingt ans plus tard ; en attendant, ils continueraient à accumuler des excédents décroissants. Les économies à revenus intermédiaires inférieurs et à bas revenus devraient connaître une évolution opposée : leur déficit devrait se résorber et se transformer en excédent, d'ici à vingt ans pour les premiers et à quarante ans pour les seconds. Dans la seconde moitié du xxie siècle, l'excédent des économies à revenus intermédiaires inférieurs devrait se résorber progressivement.
Cela ne veut pas dire que les déséquilibres internationaux vont se résorber car la démographie n'est qu'un des facteurs influant sur ces déséquilibres. Mais ce que l'on peut affirmer sur la base de l'exercice de prospective simpliste présenté ci-dessus, c'est que la démographie devrait de moins en moins contribuer aux déséquilibres des balances courantes dans le monde, en raison de la convergence des évolutions démographiques… si aucune tendance nouvelle démographique ne se manifeste. Il reste alors aux politiques économiques de ne pas trop diverger.