Depuis plus d'un an, à la suite de l'introduction de diverses mesures, dont certaines peuvent d'ailleurs sembler contradictoires, la fiscalité immobilière pesant sur les Français paraît, à plusieurs égards, en situation instable. Comme elle constitue une partie importante du financement de nos collectivités locales, c'est ce financement lui-même qui est aussi mis en cause. Il est souhaitable que ce que l'on peut interpréter comme une période de transition ne se prolonge donc pas trop et que l'on s'achemine assez vite dans ce domaine vers une situation pérenne : le risque existe en effet de comportements difficilement prévisibles de la part des particuliers comme des institutions.
On commencera par préciser le poids de la fiscalité pesant en France sur le capital des ménages et, au sein de celle-ci, celui de cette fiscalité spécifique qui concerne leurs actifs immobiliers. On évoquera ensuite les mesures récentes qui ont pour résultat de l'alourdir, au moins en termes relatifs, ou, au contraire de l'alléger et les arguments qui ont alors été développés. Seront ensuite passées en revue les différentes composantes de cette fiscalité dont on cherchera à montrer les difficultés qu'elles soulèvent et les évolutions qu'elles pourraient encore connaître. On conclura en faisant référence à quelques grands principes qui pourraient nous aider à mettre en place un système durable d'imposition du patrimoine immobilier des Français.
La taxation de l'immobilier des ménages occupe
aujourd'hui une place importante
dans l'imposition du capital
L'acception retenue pour la fiscalité du capital sera la suivante : il s'agit de tous les prélèvements obligatoires (fiscaux ou sociaux) qui portent sur le revenu de ce capital1 ou qui ont pour assiette l'un ou l'autre de ses éléments. En matière immobilière, on retiendra donc les prélèvements portant sur les revenus fonciers, ainsi que tous ceux qui sont assis sur des actifs immobiliers, y compris la taxe d'habitation.
En respectant cette définition, mais en ne prenant en compte qu'une partie de la taxe d'habitation, Eurostat publie régulièrement des statistiques couvrant les recettes fiscales des pays de l'Union européenne par grands types d'imposition (travail, consommation, capital). Ce sont donc ces statistiques qu'utilise le tableau 1, mais en les corrigeant de façon à prendre en compte pour notre pays la totalité de la taxe d'habitation.
La fiscalité assise sur le capital est lourde dans notre pays : elle y correspond en effet en 2016 à 11 % du PIB, contre seulement 8,5 % dans l'Union européenne, et elle nous place ainsi en tête de tous les pays membres. Ce poids provient en partie du fait que l'ensemble des prélèvements obligatoires y sont élevés (45 % du PIB, contre moins de 40 %), mais aussi du fait que la fiscalité du capital occupe une place importante dans l'ensemble des prélèvements (près du quart, contre seulement un peu plus du cinquième). Entre 2002 et 2016, le poids total des prélèvements obligatoires s'est accru dans notre pays (de 43 % à 45 % du PIB), alors qu'il augmentait plus modérément dans l'Union européenne (de 39 % à 40 %). Parallèlement, la part des impôts sur le capital s'est accrue dans ces prélèvements (de 23 % à 24 %), alors qu'elle restait stable dans l'ensemble de l'Union européenne (autour de 21 %).
Outre le fait que les impôts sur le capital concernent aussi bien le patrimoine mobilier que le patrimoine immobilier, ils sont acquittés à la fois par les particuliers et par les entreprises. Il n'est pas aisé de passer de l'ensemble des prélèvements sur le capital aux seuls impôts sur le patrimoine immobilier pesant sur les ménages : ce passage exige en effet des traitements statistiques ad hoc qui ne sont pas toujours disponibles. Dans ce qui suit, grâce aux travaux récents du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), nous avons d'abord cherché à calculer le montant global des prélèvements assis sur les actifs immobiliers des Français en 2016, avant de tenter une estimation de leur place dans l'ensemble de la fiscalité du capital.
La taxe d'habitation – issue de l'ancienne contribution mobilière de 1789 – est assise sur la valeur locative des immeubles et va, on le sait, aux communes, aux syndicats de communes et aux intercommunalités. Les taxes foncières assises sur la moitié de la valeur locative sont, quant à elles, partagées entre les départements et les autres collectivités locales. Sachant enfin que l'essentiel des taxes sur les transactions qui concernent les logements anciens (5,81 %) va au département (4,5 % du prix de la transaction) et à la commune (1,20 %), on mesure à quel point l'imposition du patrimoine des ménages importe aux collectivités locales qui perçoivent donc quasi intégralement les trois prélèvements les plus lourds du tableau 2, soit près de 53 Md€ (sur les 135 Md€ de leurs ressources fiscales) (Commission européenne, 2017, tableau FR.1, p. 77).
Sur la période 2005-2015, les prélèvements récurrents sur la propriété immobilière ont fortement crû en France passant, selon la Commission européenne, de 1,9 % à 3,2 % du PIB (contre 1,6 % de moyenne générale en 2015), ce qui, là encore, nous place en tête des pays de l'Union européenne, sans malheureusement qu'Eurostat fasse la distinction entre la part qui est supportée par les ménages et celle des entreprises (Commission européenne, 2017, tableau 75, p. 228).
Nous nous sommes efforcés infra, en rapprochant les données tirées d'Eurostat de celles que fournit le CPO dans son rapport de 2018, de replacer la fiscalité immobilière supportée par les ménages dans l'ensemble des prélèvements opérés sur le capital dans notre pays.
Selon notre estimation, l'imposition immobilière des ménages représentait ainsi en 2016 un peu moins de 30 % de l'ensemble des prélèvements sur le capital dans notre pays et près des deux tiers de ceux qui concernaient les ménages (65 %).
La hausse de l'imposition de l'immobilier
prend appui sur plusieurs arguments
Dans l'histoire de la pensée économique, un double basculement s'est produit au cours des dernières décennies, globalement à l'égard de l'imposition du capital, d'une part, plus spécifiquement, d'autre part, en ce qui concerne l'attitude vis-à-vis de la propriété du logement.
Les économistes sont, quant à eux et sauf exception, longtemps restés opposés à la taxation du capital. Ils le sont beaucoup moins aujourd'hui et certains comme Thomas Piketty en sont même de chauds partisans (Piketty, 2013). Par ailleurs, la propriété du logement principal qui a été souvent parée de toutes les vertus (« Tous propriétaires ») fait maintenant l'objet de critiques.
S'agissant du changement d'attitude des économistes à l'égard de l'imposition du capital, il est intéressant d'observer que c'est la même observation, mais interprétée différemment, sur laquelle s'appuient partisans et adversaires. Selon ces derniers en effet, les revenus du capital sont concentrés dans les tranches de revenus les plus élevés, c'est-à-dire celles qui possèdent les taux d'épargne les plus importants : une lourde imposition de ces revenus risque donc de réduire l'épargne et donc de brider l'investissement et la croissance2.
Pour les partisans de l'imposition, il s'agit avant tout de contenir les inégalités en taxant suffisamment les tranches de revenus les plus élevées et en particulier celles dans lesquelles les revenus du capital occupent une place importante. Même si, dans notre pays, les inégalités sont moindres que dans beaucoup d'autres, le souci de les contenir doit évidemment être permanent. On est donc là dans un débat assez classique « efficacité contre équité » avec toutes les difficultés et les subtilités qu'il comporte3.
Il faut aussi faire intervenir dans la discussion le fait que l'imposition du capital peut, selon ses partisans, encourager une meilleure gestion. Enfin, ne pas imposer les revenus du capital comme ceux du travail est souvent présenté comme ayant un effet dissuasif sur l'accumulation du patrimoine humain (CPO, 2018, p. 16).
Le retournement des attitudes à l'égard de la propriété du logement principal est, en ce qui le concerne, très récent. Certes, en France, bien avant l'impôt sur les portes et les fenêtres de 1798, il existait dans les pays d'États une « taille réelle », impôt foncier assis sur le bâti et le non-bâti. En Gascogne, par exemple, dès le xve siècle, la taxation du bâti était proportionnelle à la longueur des façades4. On considérait en effet que l'immobilier était une bonne assiette fiscale, puisqu'il ne pouvait y avoir d'évasion.
Plus près de nous et surtout depuis la Seconde Guerre mondiale, divers encouragements à la propriété avaient cependant été introduits dans les pays avancés et souvent suivis d'effets. Au cours de la décennie passée, le changement rapide d'attitude à l'égard de cette propriété doit beaucoup, quant à lui, à la crise des « subprimes » aux États-Unis où, en effet, avec l'appui des plus hauts responsables financiers et politiques, beaucoup d'imprudences avaient été commises dans l'accession à la propriété de foyers très modestes. Depuis 2008, de nombreux pays ont ainsi réduit les encouragements à l'acquisition du logement, notamment en supprimant la déductibilité des intérêts d'emprunts5. Mais les critiques à l'égard de la propriété du logement principal ont été, au cours des années récentes, spécialement développées dans notre pays.
Ces nouvelles attitudes sont à l'origine de plusieurs mesures fiscales importantes qui ont été prises récemment ou d'orientations qui pourraient à l'avenir en inspirer d'autres. Il est donc important de les passer en revue. On les trouvera principalement détaillées dans les deux rapports de France Stratégie (2017a) consacrés à la décennie 2017-2027 et reprises en partie dans le Rapport général de CPO (2018).
Le reproche le plus courant que l'on fait aux propriétaires est de jouir d'une « rente » en raison de l'augmentation des prix des logements anciens (France Stratégie, 2016, p. 286). C'est déjà le reproche que leur faisait Maurice Allais en 1976, mais pour introduire la confiscation de cette rente, il préconisait la suppression de tous les autres impôts, sauf une flat tax sur la consommation du genre TVA. Observons que le calcul rigoureux de cette rente hors inflation est rarement effectué. Elle a été certainement importante en France entre 1997 et 2007, mais souvent négative entre 2007 et 2016. Elle est d'ailleurs rarement mise en relation avec les gros travaux effectués par les ménages qui pourtant contribuent bien à soutenir les prix à la revente (Babeau, 2018, p. 24).
France Stratégie consacre par ailleurs en 2016 de longs développements à l'inégalité de traitement fiscal entre propriétaires et locataires du fait que les loyers payés par ces derniers ne sont pas déductibles de l'assiette de l'impôt sur le revenu, alors que le loyer « imputé » aux propriétaires dans les comptes nationaux n'est pas imposable. Cette situation est, selon les auteurs, défavorable aux jeunes générations. Ils proposent alors quatre options (dont l'imposition des loyers « imputés ») pour réformer la fiscalité du logement en profondeur (France Stratégie, 2017a, chap. 8)6. Aucune de ces options n'a été jusqu'ici retenue7.
On observe aussi que la propriété du logement est susceptible de réduire la fluidité du marché du travail : en face d'offres d'emploi plus ou moins éloignées, il est en effet plus coûteux de revendre son logement, notamment en raison des taxes sur les transactions à titre onéreux, que de passer d'un logement locatif à un autre. Ou bien une forte densité de propriétaires gêne l'installation de nouveaux travailleurs. Certains travaux empiriques semblent confirmer cette assertion (Chevalier et Lardeux, 2018).
Enfin, au total, l'accession à la propriété mobiliserait une trop grande fraction de l'épargne des ménages au détriment d'autres emplois plus productifs. C'est à la fois l'assertion qui est au cœur de plusieurs mesures fiscales prises récemment (dont la substitution de l'IFI à l'ISF) et celle qui est sans doute le plus difficile à prouver. Le rapport de leur investissement (formation brute de capital fixe – FBCF) au revenu des ménages est en effet, en France, comparable à celui qui est observé dans bien d'autres pays et donc le poids important du patrimoine immobilier dans le patrimoine total des Français est davantage dû à l'augmentation des prix des logements anciens qu'à un investissement excessif.
On ne peut s'empêcher de penser que ces différentes critiques à l'égard de la propriété du logement ont été instruites de façon quelque peu hâtive et, en particulier, sans toujours utiliser toutes les ressources qu'offre la comptabilité patrimoniale en matière d'analyse des composantes de la croissance nominale et réelle du patrimoine immobilier des Français. C'est peut-être aussi, au moins selon certains8, le cas des réflexions qui vont conduire à la quasi-suppression de la taxe d'habitation dont les raisons seront évoquées plus loin.
Il est temps de préciser dans quelle mesure les arguments qui viennent d'être passés en revue ont été à l'origine de modifications récentes dans la fiscalité de l'immobilier ou s'ils sont susceptibles d'inspirer des réformes ultérieures.
Les composantes actuelles de la fiscalité
pesant sur l'immobilier et leurs évolutions
Pour éviter l'éparpillement, on regroupera de la façon suivante les principaux prélèvements sur les actifs immobiliers des Français. On évoquera d'abord les problèmes spécifiques posés par une éventuelle évolution, d'une part, des droits sur les mutations à titre onéreux (DMTO), d'autre part, des droits sur les mutations à titre gratuit (DMTG). On envisagera ensuite la taxation des revenus de l'immobilier lato sensu (revenus fonciers et plus-values immobilières). Enfin, en ouvrant un débat aussi large que possible, il sera fait référence à l'avenir possible de l'IFI, des taxes foncières et de la taxe d'habitation.
Les droits sur les mutations à titre onéreux pesant sur les logements anciens ont un rendement total de quelque 13 Md€ dont près de 11 Md€ concernant les ménages. Le taux de 5,8 % sur le montant des transactions se situe dans la moyenne européenne. Mais si l'on ajoute les autres frais de transaction, notamment les frais d'agence, on parviendrait au total à 14 %, ce qui, cette fois-ci, est très supérieur à la moyenne européenne (CPO, 2018, p. 111). Selon des travaux un peu anciens, une réduction de 1 point de pourcentage des coûts de transaction augmenterait de 8 % le taux de rotation des logements (Van Ommeren et Van Leuvenstrijn, 2005). L'effet sur la fluidité du marché ne serait donc pas négligeable et le CPO préconise un abaissement de ces droits en prenant toutefois en compte l'exigence de maintien des ressources des collectivités locales (CPO, 2018, p. 113). Le gouvernement a, au contraire, envisagé un moment une augmentation de ces DMTO (sans doute pour compenser la quasi-suppression de la taxe d'habitation qui a été décidée). Il a ensuite renoncé. Mais ces hésitations montrent bien à quel point l'équilibre du financement des collectivités locales est difficile à trouver.
Les droits de mutation à titre gratuit (successions, donations) ne relèvent évidemment pas de la fiscalité locale et ne concernent pas, bien sûr, que les actifs immobiliers : leur rendement concernant ces seuls actifs représente tout de même près de 9 % de la charge de la fiscalité immobilière pesant sur les ménages (cf. tableau 2 supra). Il s'agit là d'une matière qui donne lieu à de nombreux débats et ces droits de transmission sont, on le sait, mal vus par les Français (selon un sondage Opinion Way de 2018, 80 % y sont opposés). D'assez nombreux économistes voient cependant dans ces transmissions une cause importante de la concentration des fortunes et de son accroissement possible. Certains suggèrent donc d'appliquer le barème progressif des droits en tenant compte, chez l'héritier, de l'ensemble des transmissions reçues, comme cela se fait, par exemple, dans certains États des États-Unis (CPO, 2018, p. 125 ; France Stratégie, 2017a, p. 122). Quitte d'ailleurs à autoriser le redevable à étaler les paiements sur plusieurs années. De façon plus générale, la question d'une éventuelle réforme DMTG semble avoir fait l'objet d'un débat au sein du gouvernement, mais le président de la République a décidé le statu quo.
Le CPO est, d'autre part, particulièrement sensible à l'accroissement des disparités de patrimoine entre classes d'âge et à l'inversion qui s'est produite au cours des trente dernières années : en 1986, le patrimoine médian, net d'endettement, des trentenaires était égal à 145 % du patrimoine des plus de 70 ans. En 2015, il n'en représente plus que le tiers (CPO, 2018, p. 121). En présence du vieillissement de la population, le rapport recommande donc de renforcer l'attractivité des donations comme cela a d'ailleurs déjà été fait à certaines époques. La même préconisation se retrouve sous la plume de Michel Didier avec un impôt sur les donations plus faible que celui sur les successions, afin de renforcer les transmissions en direction des classes d'âge de 30 ans à 50 ans (CPO, 2018, p. 151). On pourrait sans doute ajouter qu'il convient d'encourager tout spécialement vers ces classes d'âge les donations en pleine propriété ; les donations en nue-propriété ne transfèrent en effet que des pouvoirs réduits.
Un autre domaine important de la fiscalité de l'immobilier est constitué par l'imposition des revenus qui en découlent, soit, au sens large, les revenus courants et les revenus exceptionnels (plus-values réalisées). Le prélèvement fiscal unique (PFU ou flat tax) introduit par la loi de finances pour 2018 s'élève à 30 % et se décompose, on le sait, en 12,8 % relevant de l'impôt sur le revenu et 17,2 % correspondant aux prélèvements sociaux cumulés. Il ne concerne ni les revenus fon ciers, ni les plus-values foncières. S'agissant des premiers, ils supportent donc maintenant les prélèvements sociaux à hauteur de 17,2 %, puis le barème progressif de l'impôt sur le revenu. On notera qu'en Europe, une majorité de pays les soumettent aussi au barème progressif (CPO, 2017e, p. 93), mais le prélèvement forfaitaire n'est cependant pas rare. Compte tenu du poids des prélèvements sociaux dans notre pays, le passage à un barème spécifique ou, plus simplement, au PFU à 30 % supprimerait la disparité de traitement entre revenus mobiliers et revenus immobiliers.
Quant aux plus-values immobilières, après exonérations et abattements, elles sont en revanche le plus souvent soumises à un prélèvement forfaitaire. C'est le cas en France où ce PFL s'élève maintenant 36,2 % (19 % + 17,2 %)9. C'est un taux élevé10, puisque, dans les autres pays européens, ce prélèvement dépasse assez rarement 25 % (CPO, 2017e, tableau 11, p. 95). Ramener en France, ce PFL de 36,2 % au PFU de 30 % serait donc assez logique11. On constate en effet que, dans la plupart des pays, plus-values mobilières et plus-values immobilières sont imposées de la même façon (CPO, 2017e, p. 104).
Pour en revenir au PFU de 30 % introduit par la loi de finances pour 2018, Michel Didier et Jean-François Ouvrard en avaient proposé en 2016 une version plus ambitieuse. Le taux était le même et couvrait bien les prélèvements fiscaux et sociaux sur les revenus du capital (revenus courants et plus-values), au prix de la suppression de beaucoup d'exonérations et d'abattements ; ce PFU remplaçait également l'imposition à l'ISF. Cette réforme à recettes constantes pouvait, selon les calculs des auteurs, avoir un impact positif et durable sur la croissance économique de quelque deux dixièmes de points de PIB par an, soit une augmentation de l'emploi de 50 000 postes de travail la première année et de 250 000 postes supplémentaires après cinq ans (Didier et Ouvrard, 2016, p. 147).
Troisième groupe de prélèvements dont doivent être examinés le statut actuel et les évolutions possibles : les prélèvements sur la détention ou l'usage du patrimoine immobilier (taxes foncières, taxe d'habitation et IFI). Les deux premiers ont comme assiette la valeur locative, le dernier la valeur vénale. Ces deux assiettes sont en principe équivalentes et le passage de l'une à l'autre est immédiat12 : ainsi, si le taux de rendement de l'actif immobilier considéré est de 4 %, un prélèvement de 15 % sur la valeur locative est égal à une taxation de 0,6 % sur la valeur vénale. Ce dernier ensemble de prélèvements a fait l'objet récemment de modifications importantes avec la quasi-disparition programmée de la taxe d'habitation et la substitution de l'IFI à l'ISF.
La taxe d'habitation calculée sur des valeurs locatives peu réalistes a été considérée comme injuste, cependant que les taxes foncières qui ont pourtant la même assiette n'ont pas fait l'objet d'un tel jugement. Il est vrai que les taxes foncières ne concernent que les propriétaires, alors que la taxe d'habitation payée par 31 millions de foyers est supportée par tous.
La suppression de la taxe d'habitation a d'abord été annoncée pour les 80 % de contribuables les plus modestes au cours des trois années 2018, 2019 et 2020, puis étendue ensuite à l'ensemble des contribuables d'ici à 2021-2022. Philippe Aghion, Philippe Martin et Jean-Pisani-Ferry conseillaient encore au président Macron le 4 juin 2018 de différer cette extension. Mais le président semble l'avoir maintenue. Le rapport d'Alain Richard et Dominique Bur (mai 2018) sur l'avenir de la fiscalité locale évalue à 24,5 Md€ en 2020 le coût d'ensemble de cette suppression de la taxe d'habitation. On a donc affaire à une réduction très significative de ce que nous avons appelé fiscalité immobilière pesant sur les ménages, de plus du quart selon le tableau 2 supra. Les aspects distributifs de cette mesure sont intéressants à considérer. Seuls les locataires en profiteront pleinement. D'une part, en effet, cette taxe devrait être maintenue pour les propriétaires de résidences secondaires (3,5 Md€). D'autre part, tous les propriétaires resteront bien évidemment exposés au risque d'une augmentation des taxes foncières pour compenser la perte subie par les communes.
Diverses autres mesures ont d'ailleurs été envisagées pour compenser cette perte : reversement de ressources par les départements, affectation aux communes d'une partie de la TVA ou de la CSG, enfin création d'une surtaxe sur les résidences secondaires. Au moment où nous écrivons (15 septembre 2018), le choix ne semble pas encore avoir été fait.
Si la taxe d'habitation est pratiquement abandonnée, la France conservera cependant trois impôts assis sur les valeurs foncières : la taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties et l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). On peut se demander si ce dernier ne fait pas double emploi avec les deux précédents, assis sur la valeur vénale certes alors que les impôts fonciers le sont sur la valeur locative. Mais on a vu qu'il s'agissait bien de saisir la même chose.
N'est-il pas alors concevable de remplacer l'IFI par un système de taxes foncières modérément progressif ? C'est au moins ce que suggère Clément d'Herbecourt dans CPO (2017c, p. 91). Certes, dans les différents pays développés, les impôts fonciers, comme d'ailleurs les différentes sortes de property taxes, sont plus souvent proportionnels que progressifs. Mais on trouve cependant déjà des taux progressifs dans des pays comme le Danemark, l'Irlande, la Bulgarie et la Lituanie et la tendance, compte tenu de l'abandon très général d'un impôt sur le patrimoine global, pourrait bien être à la diffusion d'une certaine progressivité des impôts fonciers. Resterait alors à choisir son assiette, sa valeur locative ou sa valeur vénale13, question sur laquelle nous reviendrons dans notre conclusion. Resterait aussi à préciser l'assiette sur laquelle porte le barème progressif : immeubles isolés, immeubles possédés dans un même département, immeubles possédés en France comme pour l'IFI ? Et, dans ce dernier cas, il faudra définir la règle de répartition du produit entre les départements.
Il existe actuellement, outre les risques qu'elles impliquent, une évidente disproportion entre les mesures fiscales prises à ce jour et les objectifs qui leur sont fixés.
Un dispositif trop éloigné des objectifs annoncés
et non exempt de risques
Il en faudra évidemment plus que la substitution de l'IFI à l'ISF et l'introduction du PFU à 30 % sur tous les revenus du patrimoine financier pour parvenir à canaliser davantage l'épargne des ménages vers le financement des fonds propres des entreprises, comme cela est effectivement souhaitable. Un niveau d'éducation financière médiocre, une épargne financière encouragée à la liquidité, une aversion au risque avérée, enfin des droits à la retraite gérés en répartition dont la valeur actualisée était jadis proche du montant total du patrimoine financier des Français, il y a loin de la coupe aux lèvres. Il n'est cependant pas trop tard pour envisager, dans ces différents domaines, les initiatives propres à infléchir des habitudes anciennes et à assurer une plus grande place aux investissements en actions dans le patrimoine des Français, notamment par l'augmentation de l'importance des retraites capitalisées (collectives ou individuelles).
Il est également temps d'introduire les ajustements nécessaires à une imposition mieux adaptée de la taxation des actifs immobiliers des Français. Le dispositif actuel n'est en effet pas sans risque. Par son poids, il peut décourager la propriété et freiner une croissance déjà insuffisante du parc de logements (seulement 1 % par an en unités physiques et 0,6 % en volume dans les comptes nationaux), soit en ralentissant la construction, soit en décourageant des dépenses d'entretien des Français qui ne s'élèvent déjà qu'à peine à la moitié de l'usure annuelle de leur patrimoine immobilier. La quasi-suppression de la taxe d'habitation allège certes le poids global de la charge, mais elle concerne plus les locataires que les propriétaires pour lesquels, on l'a vu, elle introduit beaucoup d'incertitude.
Pour réformer le dispositif français de prélèvements sur l'immobilier des ménages, il faudra prendre en considération trois sortes de préoccupations bien différentes : l'amélioration de la connaissance des assiettes, le nécessaire rapprochement de notre système d'imposition des pratiques européennes, enfin la recherche d'un équilibre durable entre l'État et les collectivités locales dans le financement des dépenses de ces dernières.
1 – Toute réforme de la fiscalité immobilière, en France, mais aussi ailleurs, ne peut plus éluder – à l'heure des big data – la question de la modélisation de l'assiette de l'impôt. Un choix devra être fait entre valeur locative et valeur vénale. Il est possible en effet qu'il soit plus facile de modéliser l'une des deux. Les méthodes de contrôle de l'ISF immobilier par la DGFIP demeurent rustiques et utilisent un nombre insuffisant d'informations. Elles ignorent, par exemple, la distinction entre surface cadastrale et surface utile et traitent un appartement en rez-de-jardin, comme un rez-de-chaussée, pour ne rien dire de la totale ignorance en ce qui concerne l'état du logement. Les modèles hédoniques existant actuellement et qui donnent des résultats convaincants de prix au m2 utilisent près d'une douzaine d'informations concernant le bien considéré. Cela signifie qu'un questionnaire complémentaire devra être systématiquement adressé au contribuable avant toute opération de redressement. De tels modèles pourront d'ailleurs être aussi utilisés dans le contrôle des mutations à titre gratuit ou même à titre onéreux (calcul des droits d'enregistrement).
2 – S'agissant du nécessaire rapprochement de la moyenne européenne du poids des prélèvements obligatoires dans notre pays, l'annonce d'un recul à terme de deux points de ce poids dans le PIB va bien sûr dans le bon sens, même s'il apparaît un peu timide14. Dans le cadre des différentes sortes de convergences auxquelles le président Macron est attaché, celle qui concerne les types de prélèvements a aussi son importance, notamment en ce qui a trait à la configuration de la fiscalité immobilière.
Dans ce domaine, la France se singularisait par une pluralité d'impôts ayant une assiette foncière. La quasi-disparition de la taxe d'habitation est à cet égard bien venue à un double titre : d'une part, elle entraîne un certain reflux de la fiscalité immobilière dont on a vu qu'elle était dans notre pays plus importante qu'ailleurs ; d'autre part, en Europe, les impôts fonciers sont effectivement presque toujours supportés par les propriétaires et non par les locataires15. Le remplacement de l'IFI par des taxes foncières raisonnablement progressives – avec les choix que cela comporte – pourrait également nous rapprocher à l'avenir d'un comportement européen moyen. Dans la mesure où la progressivité semble gagner du terrain. Pour les plus-values foncières, le passage du PFL à 36,2 % au PFU à 30 % serait logique, puisqu'on a vu que, dans la plupart des pays développés, les plus-values mobilières et foncières sont imposées de façon identique. Enfin, pour les revenus fonciers, le passage au PFU aurait évidemment l'avantage de la simplicité.
3 – Le troisième dossier à traiter n'est pas le plus simple. Dans tous les pays européens, les prélèvements fonciers jouent un rôle important dans le financement des collectivités locales. En France, les impôts à assiette foncière s'élèvent aux deux cinquièmes de leurs ressources fiscales. La disparition de plus de 20 Md€ de taxe d'habitation, que ne compensera évidemment pas une progressivité modérée des taxes foncières, constitue évidemment pour elles un choc important, à un moment où les concours de l'État sont, de leur côté, orientés à la baisse. La « contractualisation » de la progression des dépenses de fonctionnement de 322 collectivités locales a été votée dans la loi de programmation des finances publiques du 22 janvier 2018. Elle prévoit de limiter à 1,2 % par an cette progression au cours du présent quinquennat. Il faudra donc rapidement mettre en place un système pérenne de financement de ces dépenses en tenant compte, comme le mentionne le rapport du Comité d'action publique 2022, des décentralisations encore à venir et des nouveaux transferts de compétences16. C'est d'ailleurs ce à quoi a commencé de contribuer, en mai dernier, le Rapport sur la refonte de la fiscalité locale d'Alain Richard et Dominique Bur. C'est en mars 2019 que devrait être présenté le projet de loi sur la fiscalité locale.