Quels sont les grands équilibres financiers d'une Région : quelles sont les ressources ? Comment les Régions font-elles face à l'accroissement de leurs compétences ?
Les grands équilibres financiers d'une Région commencent tout d'abord par voter un budget à l'équilibre. C'est la loi. Contrairement à l'État, nous ne pouvons pas voter de budget en déficit. Si nous avons un déséquilibre entre recettes et dépenses, nous devons recourir à l'emprunt pour restaurer cet équilibre. Sous la mandature précédente, le déséquilibre était très fort et la Région était dans une forme de fuite en avant qui a vu le recours à l'emprunt croître de façon disproportionnée et l'endettement augmenter fortement. Avec ma majorité, nous avons donc fait le choix d'écrire une nouvelle page pour les finances de la Région et d'engager le redressement de nos finances.
Cela n'a pas été facile et il a fallu procéder à des arbitrages forts dans un contexte de ressources fiscales limitées et de concours de l'État en forte baisse. Depuis 2014, cette baisse se monte à 400 M€, ce qui représente plus de dix lycées neufs. Les dotations de l'État, qui diminuent encore de près de 20 % en 2019, se montent quant à elles à 92 M€. Et à côté de cela, nous n'avons donc quasiment pas de levier fiscal. Nos ressources, les mêmes pour toutes les Régions, sont essentiellement la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), une fraction de la TVA et la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques). Elles sont peu dynamiques, mais représentent néanmoins près de 1,8 Md€ en 2019.
Face à cela, il faut faire face à l'accroissement de nos compétences. Parce que si la loi NOTRe a confirmé la décentralisation et nous a confié de nouvelles compétences, l'État a depuis engagé l'acte 1 de la recentralisation. Que ce soit pour l'apprentissage ou, plus flagrant encore, pour les finances, le gouvernement a engagé un mouvement qui va à contresens de l'histoire. C'est ce que nous avons dénoncé avec François Baroin, président des Maires de France, Dominique Bussereau, président des Départements de France, et Hervé Morin, président de Régions de France, avec l'Appel de Marseille.
Pour tenir nos engagements, malgré cet abandon de l'État, nous n'avons eu d'autre choix que d'assainir nos finances. Cela étant dit, c'est une orientation que nous avons prise de nous-mêmes pour réorienter l'équilibre de notre budget en faveur de l'investissement. Et les résultats ont été probants puisque nous avons été désignés Région la plus vertueuse en 2017, et année après année, l'agence Fitch salue notre gestion. La Région a ainsi retrouvé un taux d'épargne de 15,4 % à près de 340 M€ et une capacité de désendettement aux alentours de huit années. C'est le résultat des mesures d'économies sur le fonctionnement que nous avons engagées, et je m'en félicite. Si nous voulons mettre en œuvre notre programme ambitieux en matière d'investissement et de transition énergétique, nous devons donc respecter une trajectoire budgétaire pluriannuelle particulièrement maîtrisée.
Parallèlement à cela, nous avons fort heureusement, contrairement à ce que peuvent en dire les populistes de tout bord, l'Europe. Grâce aux fonds structurels et aux divers programmes de l'Union européenne, nous avons un treizième mois. L'Europe sert si on sait s'en servir. Et la Région Sud a appris à s'en servir et à bien s'en servir. Nous avons ainsi fait un travail considérable pour aller décrocher des financements supplémentaires, au-delà des fonds structurels dont nous sommes autorité de gestion. Sur la mandature, ce sont ainsi 2,5 Md€ qui auront été injectés dans l'économie régionale au profit de nos entreprises, de nos agriculteurs, de la formation, des transports ou encore de la protection de l'environnement. Ces fonds européens ne se substituent évidemment pas aux financements de la Région, mais ils sont un complément décisif.
Maîtrise des dépenses de fonctionnement, trajectoire budgétaire maîtrisée, recours massif aux financements européens, voilà comment malgré une situation de départ et un contexte actuel difficiles, nous pouvons mettre pleinement en œuvre notre programme et assumer nos compétences.
Quelles sont les priorités de la Région Sud ? Quels sont quelques exemples emblématiques de projets régionaux ? Comment sont-elles mises en œuvre à partir d'une politique de financement ?
Notre première priorité à notre arrivée a été d'abattre le mur qui s'était érigé au fil du temps entre les entreprises et la Région. Pour gagner la bataille de l'emploi, première de nos priorités, il nous fallait travailler main dans la main avec les entreprises. C'est ce que nous avons fait et aujourd'hui, la Région est le premier partenaire des entreprises. Cette politique est désormais engagée et fonctionne bien.
À la fin de 2017, j'ai souhaité passer à une nouvelle étape de l'action de la Région en adoptant le Plan Climat, une COP d'avance. En 5 axes et 100 mesures, ce plan vise à faire de notre territoire le moteur des accords sur le climat. La lutte contre le réchauffement climatique est, je le crois profondément, un combat qui s'impose à chacun d'entre nous. Quel serait l'intérêt de parvenir au plein-emploi si parallèlement à cela, notre monde n'était plus vivable ? C'est pourquoi j'ai souhaité engager pleinement la Région dans ce combat. Ce plan constitue désormais le fil rouge de notre action. En 2018, nous avons ainsi engagé 86 actions pour un montant de 400 M€. Nous avons lancé des projets tels que l'aide financière pour le passage aux véhicules bioéthanol avec un montant de 2,5 M€ pour 10 000 véhicules, une borne électrique tous les 100 km sur le réseau routier, le déploiement de cars LER électriques, une aide aux particuliers pour la rénovation thermique de leur habitat, et bien sûr notre grand plan « zéro plastique » en Méditerranée et un plan sur la biodiversité régionale, doté de 1 M€. Cette année encore, nous poursuivrons donc nos efforts en faveur de la transition énergétique.
La jeunesse constitue le deuxième axe fort de notre politique. Nous avons décidé d'y consacrer au total près de 770 M€. Je souhaite en effet offrir à nos lycéens, apprentis et étudiants les meilleures conditions de formation possibles. En 2019, nous créerons ainsi un Fonds régional jeunesse qui regroupera sur un seul site dédié tous les dispositifs en faveur des jeunes de la Région Sud. Chaque jeune pourra y trouver les réponses dont il a besoin lorsqu'il voudra demander une aide régionale. Nous continuons également le projet de la Cité scolaire internationale de Marseille pour laquelle nous mobilisons 80 M€ et nous inaugurerons en septembre les lycées d'Allauch et Chateaurenard. Cette année, nous avons dû faire face à la décision du gouvernement de nous retirer la compétence apprentissage à partir de 2020. Malgré cela, nous tiendrons nos engagements en faveur des apprentis et investirons 80 M€ pour assumer nos responsabilités jusqu'à l'entrée en vigueur de la réforme.
Le budget 2019 maintient également le cap de nos engagements en faveur de la culture dans laquelle nous nous sommes grandement investis, notamment, en 2018, avec le sauvetage des Chorégies d'Orange. J'avais à cœur d'aider ce festival, le plus vieux de France, qui est incontournable dans le paysage culturel de la Région Sud et participe de son rayonnement. En 2019, nous consacrons ainsi à nouveau près de 55 M€ à la Culture.
Par ailleurs, l'une de nos compétences phares reste les transports. Vous le savez, notre priorité est d'améliorer le service ferroviaire et de simplifier la vie du voyageur dans notre Région. Nous lançons en ce début d'année la procédure d'ouverture à la concurrence qui nous permettra d'offrir un service amélioré aux usagers au meilleur coût pour la Région et qui, là aussi, nous permettra d'améliorer notre trajectoire financière. Rénovation et achat de matériel roulant, investissement dans les infrastructures, e-boutique, nous y consacrerons plus de 780 M€ cette année.
Enfin nous nous sommes attelés en début de mandat à construire une stratégie économique avec et pour les entreprises parce qu'elles seules peuvent créer les emplois dont nous avons besoin. Nous avons mis en place une boîte à outil contenant des dispositifs d'accompagnement à chaque étape de leur développement avec le Fonds d'investissement pour les entreprises de la Région. Nous nous concentrons par ailleurs sur nos filières d'excellence via huit opérations d'intérêt régional avec pour objectif, à terme, de créer 500 000 emplois et d'attirer 500 nouvelles entreprises. Je veux faire de la Région Sud la première Smart Région d'Europe, c'est pourquoi nous mobilisons à nouveau plus de 134 M€ pour l'économie, l'innovation, la transition numérique et la recherche.
Comment se fait l'arbitrage entre les dépenses au sein de la Région ? Quelles sont les règles d'arbitrage ? Quelles sont les instances de négociation ?
Depuis notre élection à la tête de la Région, nous avons souhaité, avec Christian Estrosi, mettre un terme à plusieurs années de dérives budgétaires. Par le passé, la Région ne faisait pas le poids face à ses interlocuteurs et les autres collectivités ou certaines structures ou associations avaient pris l'habitude de recevoir des financements sans que la Région n'ait réellement son mot à dire, sans qu'une stratégie claire des financements régionaux n'ait été établie. La Région était partout, se mêlait de tout et finançait tout. Il en a résulté un large saupoudrage et une inefficacité chronique des financements régionaux, car qui fait tout ne fait rien. Pour mettre un terme à cette mauvaise gestion de l'argent public, j'ai donc souhaité recentrer la Région sur les compétences que la loi NOTRe lui a confiées et définir certains principes qui guident notre gestion. Nous avons, par exemple, adopté une Charte du respect des valeurs de la République en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Toute association qui ne respecte pas cette Charte ne recevra aucun financement régional. Autre exemple, en matière de culture, nous finançons les événements qui ont une dimension régionale ou au-delà. Nous sommes la Région, nous n'avons pas vocation à financer chaque manifestation à travers le territoire. Cela peut apparaître comme une évidence, mais ce n'était pas le cas auparavant. Nous avons par ailleurs adopté des cadres d'intervention pour chacun de nos domaines d'activité qui définissent très précisément comment la Région peut participer, au-delà de ses propres actions, à des projets tiers. Les collectivités qui nous sollicitent savent donc désormais que les projets qu'elles nous proposent doivent s'inscrire dans nos priorités définies par ces cadres d'intervention, mais également par le Plan Climat.
Au-delà des principes liés aux subventions de la Région que je viens d'énoncer, nous avons adopté une trajectoire budgétaire pluriannuelle qui fixe un plafond de dépenses à respecter en fonction d'objectifs d'épargne et d'endettement. Le but étant de maîtriser les dépenses de fonctionnement afin de pouvoir investir plus sans un recours accru à l'emprunt. Pour le reste, les procédures sont les mêmes pour toutes les Régions. Lors de la préparation du budget primitif, les différentes directions travaillent en lien avec la Direction des finances, dans le respect du cadrage pluriannuel et en concertation avec les élus en charge des secteurs concernés. Les derniers arbitrages se font lors de conférences budgétaires sectorielles réunissant mon Cabinet, la Direction générale des services, la Direction des finances et les directions concernées. Le projet de budget primitif est ensuite soumis au vote des élus régionaux en Assemblée plénière.
Globalement, j'ai souhaité positionner la Région comme un acteur stratège et soucieux d'efficacité. Aussi, mon action est guidée par une règle simple, des résultats à trois ans pour une vision à vingt ans. Nous nous concentrons sur nos compétences, nous finançons les projets d'intérêt régional, pas de saupoudrage, mais le souci d'une dépense qui générera des retombées et s'inscrivent dans le temps long, compatibilité avec le Plan Climat. Quand les règles sont clairement posées, les arbitrages peuvent être douloureux, mais ils ont le mérite de pouvoir être compris par tous.
Quelles sont les relations financières (ou les coopérations financières) avec les autres collectivités territoriales, en particulier avec les intercommunalités et les départements ? Avec les autres niveaux de territoire en général ?
Nous avons donc posé le principe fondateur que la Région ne serait plus le tiroir-caisse des autres collectivités qui, si elles souhaitent notre soutien, doivent désormais nous présenter des projets qui respectent nos priorités. Avec les autres collectivités, nous travaillons essentiellement dans le cadre des contrats régionaux d'équilibre territorial (CRET). Nous avons élaboré ces programmes afin de favoriser un développement durable et équilibré du territoire, parce que je considère que ce n'est pas parce qu'on habite un territoire rural, de montagne ou enclavé que l'on doit être moins aidé ou accompagné par la Région. La totalité du territoire est désormais couverte par les CRET que nous passons avec les groupements de communes allant des communautés de communes aux métropoles. Dans ce cadre, nous soutenons financièrement les projets d'équipements structurants sur les territoires en matière de transports, d'habitat, d'aménagement, de recyclage et de valorisation des déchets, d'économie d'énergie et de développement des énergies renouvelables. Toujours dans le strict respect de nos propres priorités. Mais parce que tout ne relève pas des agglomérations et que les petites villes peuvent avoir besoin de soutien dans leurs projets, nous avons créé le Fonds régional pour l'aménagement du territoire (FRAT). Cet outil au service des communes permet de financer des projets qui visent à améliorer le cadre de vie et le développement local. Nous y consacrons 8 M€ par an. Le FRAT offre aux communes un taux de financement attractif qui a un effet levier important. Il regroupe tous les outils d'intervention de la Région en faveur des projets d'équipement et l'aménagement du territoire. Les communes y ont gagné en clarté, en lisibilité et en simplicité pour financer leurs projets. Mais là aussi, dans le respect de nos priorités.
Quelles sont les relations avec les autres acteurs financiers dans les territoires ?
Nous avons trouvé à notre arrivée en 2015 une situation financière dégradée. Nous avons engagé un redressement en agissant sur la maîtrise de nos dépenses de fonctionnement et en rationalisant nos subventions et nos dépenses d'investissement. Mais une autre source de maîtrise des dépenses se trouve dans nos modes de financement. Ainsi, nous évitons autant que nous le pouvons le recours à l'emprunt classique et nous nous finançons sur les marchés financiers par émissions obligataires directement auprès des investisseurs institutionnels, comme les assurances, les caisses de retraite ou les fonds de pension qui sont bien moins onéreux que l'emprunt.
Nous nous finançons néanmoins toujours, mais très rarement, par emprunt bancaire, qui est un mode de financement plus coûteux que l'obligataire. Nous faisons par ailleurs appel à nos banques partenaires qui sont la Banque européenne d'investissement (BEI) ou la Caisse des Dépôts qui, par la qualité de leur signature, nous permettent de bénéficier de taux très attractifs et d'envisager des dépenses lourdes comme l'achat de matériel ferroviaire ou des plans de rénovation de lycées à un coût attractif. Je tiens à cet effet à saluer tout particulièrement la Caisse des Dépôts qui, par son ancrage territorial, a une connaissance fine et une excellente compréhension des problématiques et des besoins locaux, ce qui en fait pour nous un interlocuteur et un partenaire de qualité.
Comment se fait la coopération financière avec les Régions voisines (en France et en Italie) sur certains sujets comme les infrastructures, par exemple ?
Avec son vaste territoire frontalier, la Région Sud entretient depuis de longues années des relations fortes avec l'Italie. Avec les Régions italiennes frontalières, nous menons des projets à travers plusieurs programmes de coopération pour développer le tourisme, l'économie locale des territoires, pour partager une vision d'avenir et de complémentarité. Ces projets sont des projets concrets, qui touchent au quotidien des habitants, et ils sont pour la plupart financés par l'Union européenne. C'est d'ailleurs tout le sens de mon engagement en tant que député européen car je suis profondément pour une Europe au service des habitants.
Ces programmes de coopération transfrontalières portent essentiellement sur l'accessibilité, pour faciliter les liaisons avec l'Italie. C'est le cas notamment du programme Interreg Italie-France MARITTIMO 2014-2020 qui encadre deux projets dans lesquels nous sommes engagés : Treno, mis en place pour promouvoir et développer l'intérêt touristique des lignes du chemin de fer de Provence et du Train des Merveilles, et Mobimart qui met en relation les centrales de mobilité pour l'intégration des horaires et informations sur les différents modes de transports, trains, autocars, bateaux, etc.
Le programme Alcotra est également très important pour notre coopération financière avec l'Italie. Il finance des projets qui facilitent les échanges, gomment les frontières, encouragent la mobilité des habitants, des touristes et des entreprises. C'est dans ce cadre que nous développons, par exemple, un projet de plateforme commune de bus à la demande pour desservir des zones isolées, moins peuplées. Alcotra permet aussi de répondre à des enjeux communs aux deux versants de la frontière, tels que la structuration des filières agricoles ou artisanales, l'organisation et le développement de l'offre touristique et culturelle, la protection des sites exposés aux risques naturels et des écosystèmes fragiles.
Cette coopération passe aussi par un important travail de lobbying que nous réalisons ensemble, avec l'Italie, auprès de l'Union européenne pour obtenir le financement de nos projets. C'est grâce à notre étroite collaboration avec la Région Ligurie que nous avons réussi à faire inscrire l'axe Marseille-Vintimille-Gênes dans le corridor méditerranéen du réseau transeuropéen de transport (RTE-T). Cela va permettre d'obtenir des financements européens de 30 % à 50 % sur les sections transfrontalières, ce qui est loin d'être négligeable ! J'ai d'ailleurs engagé, à la fin de 2018, des échanges avec mon homologue ligure afin d'élaborer une stratégie commune pour financer des projets le long de cet axe. Nous devrions dès cette année faire nos premières demandes de financement coordonnées, notamment pour la mise en place d'un système de signalisation ferroviaire de standard européen.
Enfin, j'ajoute que la Commission intergouvernementale pour l'amélioration des liaisons franco-italiennes dans les Alpes du Sud participe aussi à la coopération financière entre la Région Sud et les Régions italiennes frontalières. C'est une instance de dialogue au sein de laquelle nous sommes amenés à échanger sur des projets de développement de l'ensemble des liaisons transfrontalières dans les Alpes du Sud. C'est dans ce cadre que les projets concernant la ligne Cuneo-Vintimille ont pu être inscrits au contrat de plan État-Région 2015-2020 et bénéficier de financements provenant également de l'État italien.
Je crois donc que dans les territoires frontaliers, on est bien conscient que l'Europe sert si l'on sait s'en servir. En tout cas à la Région Sud, nous en sommes pleinement conscients et agissons en conséquence.
Propos recueillis par Isabelle Laudier et André Torre.