Les stratégies financières des sociétés d'assurance reflètent leur politique d'investissement et la couverture de leurs passifs. Dans un environnement de forte concentration en termes d'acteurs, de création de groupes couvrant les différentes branches (vie, non vie, santé), les acteurs mutualistes spécialisés ont choisi une autre voie. La diversification et par extension l'internationalisation n'ont jamais été une fin en soi pour les acteurs mutualistes spécialisés. Même si ces éléments apparaissent pour beaucoup d'assureurs comme indispensables au regard de la pression réglementaire, de notion de taille critique, des économies d'échelle possibles permettant de maintenir leur positionnement concurrentiel, certains acteurs de l'assurance n'ont pas choisi d'adresser un marché, mais de continuer à servir leur sociétariat. Dans ce contexte, cet article a pour objectif de donner les éléments saillants des politiques d'investissement des acteurs mutualistes spécialisés. Pour cela, nous définissons dans un premier temps les caractéristiques des acteurs spécialisés. Puis nous exposons les contraintes qui impactent leur stratégie financière. Enfin compte tenu des deux premières parties, nous exposons leurs libertés d'action et quelques éléments de politique de placement.
Acteurs spécialisés
L'assurance favorise naturellement l'organisation d'activités sociales. En apportant une couverture en cas de réalisation d'aléas indépendants du comportement des individus, elle permet à des individus, des groupes d'individus de s'assurer contre des risques ayant parfois un lien étroit avec leur activité. Par ailleurs, le besoin d'une assurance peut correspondre à une volonté individuelle de protection, mais peut être également généré par une obligation réglementaire obligeant les individus. En ce sens, le besoin d'assurance résulte aussi bien d'une volonté individuelle de s'assurer contre un risque que d'une obligation réglementaire visant à prémunir toute une société des conséquences d'un événement et lui proposer ainsi les garanties liées à celui-ci.
Aussi bien d'un point de vue organisationnel (structure, gouvernance de la société d'assurance) que d'un point de vue de forme de contrats, les solutions proposées à travers l'histoire ont été extrêmement protéiformes. Elles sont le reflet plus global de réglementation, d'organisation d'une société, de courants de pensées politiques et de mouvements sociologiques.
Ainsi, lorsqu'un groupe d'individus est socialement lié par une activité (professionnelle, loisirs, etc.), qu'un besoin d'assurance (d'action sociale commune) est porté par ce groupe, qu'il décide de s'auto-organiser pour construire une solution pérenne, qu'il conçoit une organisation ou chacun est l'assuré et l'assureur, qu'il promeut une gouvernance basée sur « un homme, une voix » quel que soit le nombre et la valeur des contrats d'assurance souscrits, il fait alors émerger une assurance mutualiste spécialisée.
Il est important de préciser que l'auto-organisation marque la capacité par laquelle le système s'organise lui-même lors de son émergence spontanée (autonomie) et la capacité à adapter, au cours du temps, la structure aux règles imposées (hétéronomie). En ce sens, la finalité de cette structure spécialisée est de servir son sociétariat tant que le risque existe et ce quels que soient les événements. Elle doit donc être en capacité de s'adapter aux modifications réglementaires, aux crises politiques, économiques, etc. Elle se doit d'être agile opérationnellement au regard des modifications et des évolutions pour accompagner son sociétariat.
Il convient néanmoins, à ce stade, de préciser et distinguer les termes d'« acteur spécialisé » et d'« acteur affinitaire ». Nous avons évoqué les liens étroits entre une activité, un groupe d'individus et sa nécessité de s'assurer pour couvrir ses risques. Le terme généralement utilisé pour matérialiser le degré de proximité entre individus est l'« affinité ».
Le terme affinitaire est généralement défini par un groupe de personnes statistiquement associé, en raison d'affinités, de besoins ou d'activités communes. En ce sens, à travers l'histoire, des groupes d'individus se sont regroupés, associés, pour créer des produits d'assurance spécialisés répondant à leur besoin et à leur attente. Il s'agissait pour eux de couvrir un risque et de mutualiser celui-ci.
Néanmoins il existe aujourd'hui des assurances et des garanties affinitaires qui correspondent à des contrats assurantiels complémentaires en lien avec un bien de consommation. Généralement proposés par un distributeur non assureur, ces contrats sont en lien avec l'univers d'un produit : assurance de téléphones mobiles, de produits multimédias, extension de garantie d'appareils électroménagers, etc.
Par conséquent, les acteurs spécialisés et des acteurs affinitaires sont à distinguer dans le sens où la finalité des acteurs spécialisés est de proposer une couverture d'assurance à une population donnée, alors que les acteurs affinitaires ne proposent qu'un produit complémentaire en lien avec un bien de consommation. Les acteurs sont donc très différents notamment de par leur histoire, leur structure, leur approche de l'assurance et leur modèle économique et nous nous intéressons uniquement aux acteurs spécialisés1.
Par souci de mutualisation des risques, de nombreux produits complémentaires sont venus renforcer l'offre initiale des acteurs mutualistes spécialisés. Il s'agit de fournir des services à son sociétariat et à son entourage. Il s'agit également d'avoir toujours des résultats équilibrés sur une longue période. Cet effet de diversification trouve donc son origine à la fois dans un besoin du sociétariat, mais également dans le besoin d'équilibre technique des risques portés. Certains acteurs spécialisés ont choisi de diversifier leur offre et de devenir généralistes. Sans pour autant modifier leur gouvernance, la gamme de contrat d'assurance a été démultipliée afin d'offrir plus de solutions à des populations plus larges.
Bien que la diversification des contrats et des risques ait des vertus en termes de résultat technique pour l'assureur, il reste néanmoins une caractéristique spécifique des acteurs spécialisés consistant à toujours pouvoir décrire le groupe d'individus socialement lié et son activité correspondant à son cœur de métier assurantiel. Ces acteurs spécialisés répondent à des protections recherchées (responsabilité civile, incendie, dommages, santé, prévoyance, épargne vie, etc.) et propose des produits en accord avec les intérêts de ses sociétaires.
La mutuelle spécialisée se veut proche de son sociétariat, agile dans l'accompagnement, elle y mène des actions et le sociétariat est attaché à sa mutuelle. C'est généralement l'activité qui conduit l'individu à aller vers l'assureur mutualiste spécialisé pour s'assurer alors que l'individu s'orientera vers un assureur généraliste lorsqu'il ne jugera pas spécifique le besoin d'assurance. Une conséquence directe de cet aspect est que la communication grand public est quasi inutile pour les acteurs spécialisés. La notoriété est avérée par la toile des liens forgés par le réseau des personnes sociétaires ou adhérentes.
Ainsi, animés par cette volonté, les acteurs mutualistes spécialisés ne se sont pas inscrits dans un objectif de génération de méta structures (groupe prudentiel, SGAM, UMG, UGM, etc.). Ils s'inscrivent dans une démarche d'entraide, de solidarité entre acteurs, de partage de connaissance et de construction d'outils au service des structures indépendantes respectant ainsi l'identité de chacun. Ils sont restés dans des tailles de structure plus modestes et en relation avec leur sociétariat. Ils ont participé à la création de nouvelles entités, entités communes à plusieurs mutuelles. Ainsi ils ont pu étoffer la gamme, offrir de nouveaux services sans quitter leur cœur de métier. Ils restent reconnus pour leur spécificité et leur capacité à accompagner leur sociétariat.
En 2018, selon les chiffres de la Fédération Française de l'Assurance, les assureurs mutualistes spécialisés assurent plus de 5,7 millions de sociétaires, représentent 10 % des emplois des assureurs mutualistes, soit 4 % du marché de l'assurance, réalisent selon les branches entre 7 % et 16 % du chiffre d'affaires des assureurs mutualistes, soit entre 3 % et 4 % du chiffre d'affaires de l'ensemble du marché de l'assurance.
Cette volonté d'indépendance, cette affirmation dans une spécificité et dans une gamme de produits réduits obligent les mutualistes spécialisés à avoir des fondamentaux économiques solides. Leur sensibilité est plus importante et ils se doivent d'être attentifs à leurs ratios et de bâtir des partenariats comme des effets de diversification.
Les acteurs mutualistes spécialisés sont donc caractérisés par leur présence, leur agilité, leur solidarité, leur entraide et leur mode de gouvernance : une capacité à toujours pouvoir décrire le groupe d'individus socialement lié et son activité correspondant à son cœur de métier assurantiel ; la volonté d'avoir une gouvernance basée sur « un homme, une voix » quels que soient le nombre et l'appréciation des contrats d'assurance souscrits ; la construction d'entité pérenne et résiliente ; une démarche d'entraide dans la construction d'outils et de structures communs. Leur structure étant plus réduite, leur sensibilité semble plus importante tant du point de vue technique que de la gestion des ressources humaines et leur organisation interne se doit d'être en adéquation avec leurs caractéristiques.
Stratégies financières, placements
et réglementation
Après avoir posé les distinctions et les objectifs que se fixent les assureurs mutualistes spécialisés, il convient de présenter le cadre réglementaire auquel toute entreprise d'assurance est tenue. Nous profitons de cette partie pour montrer que les libertés d'action restent limitées. Les différentes réglementations successives et en particulier Solvabilité II2 ayant transformé un cadre de responsabilité pour l'ensemble des acteurs à un cadre uniforme de conformité.
Les placements manifestent, par le choix d'une allocation, les engagements envers les assurés portés par la société d'assurance. La gestion actif/passif est une conséquence de l'activité d'assurance. À l'actif figure la collecte placée dans des produits financiers, au passif se retrouvent l'ensemble des provisions correspondant aux dettes de la société d'assurance envers ses assurés. En fonction de la branche d'activité (santé, non vie, vie), il existe un décalage temporel plus ou moins important entre la collecte des primes et le versement des prestations. Une liquidité des placements se doit d'être satisfaisante en lien avec la duration des actifs et des passifs. Cet élément conditionne pour partie la duration d'une partie des placements qui se doivent d'être en cohérence avec la duration des passifs, de façon à ce que l'assureur puisse faire face à ses engagements vis-à-vis de ses assurés.
Dans le cadre des orientations stratégiques globales, les exigences de bonne fin envers les assurés déterminent les choix d'investissement. Des stratégies de gestion prudente sont généralement mises en place privilégiant la sécurité au rendement. Les rendements élevés manifestant des prises de risque sont incompatibles avec une orientation adverse à la spéculation ou susceptibles d'obérer les restitutions.
Par ailleurs, le risque d'érosion monétaire et de change est susceptible d'obérer une partie des actifs. Généralement la monnaie nationale est préférée et de plus dans les investissements, une manne est dédiée à des classes d'actifs résistants aux aléas monétaires. À défaut, des systèmes de couverture peuvent être souscrits afin de garantir ces risques.
Il est, par conséquent, communément admis par l'ensemble des acteurs qu'une gestion par classe d'actifs est à retenir. D'une part, cette diversification permet d'atténuer les chocs sur l'une des poches et, d'autre part, les cycles sont différents pour chacune des poches. Enfin, en cas de résultats dégradés, d'investissements pour répondre à un nouveau besoin du sociétariat, un arbitrage peut être plus aisément opéré.
Ainsi, d'une manière générale, l'exposition avérée à une consommation des fonds propres conduit à fixer une certaine appétence au risque définie comme le niveau agrégé de péril que la mutuelle accepte de prendre en lien avec le choix d'une dimension, d'une mesure ou d'un degré de confiance.
Néanmoins la réglementation est un élément important dans la politique de placements. En dehors de toute considération politique, éthique, morale ou plus simplement en lien avec la taille de la structure, sur les investissements réalisés et que nous aborderons dans la partie suivante, la réglementation a un impact considérable sur l'allocation d'actifs. En effet, par exemple, conformément à l'article 260 c, d et e du Règlement Délégué 2015-35, la gestion des investissements se doit de répondre aux prescriptions suivantes : gestion du risque d'investissement ; gestion du risque de liquidité ; gestion du risque de concentration3. Même s'il semble apparaître une exigence vis-à-vis des risques de passifs, la réglementation oblige l'ensemble des acteurs à une unification des pratiques et transforme la responsabilité de l'acteur en conformité aux exigences réglementaires. S'il s'agit de s'en convaincre, il convient de regarder le nombre de règles mises en place. D'un cadre de quelques pages, nous sommes passés à un cadre de quelques volumes4 et dans ce registre de l'allocation d'actifs comme dans d'autres, le contrôleur apparaît aux yeux de bons nombres des assureurs comme un normalisateur.
Sans présager du fait qu'il s'agit de quelque chose de choisi ou de subi par l'autorité de tutelle, il n'est pas dans mon propos que de prétendre qu'il s'agit là d'une demande ou d'une finalité pour elle.
Cet ensemble aboutit, pour chaque société d'assurance, à un cantonnement important de ressources, qu'elles soient cognitives ou financières pour répondre aux exigences réglementaires. Enfin et malheureusement, cette production est stérile et n'incite pas à être novateur notamment sur la cible constituée par la matière assurable.
La protection des passifs d'assurance et la capacité à transférer un portefeuille en cas de problème ont, semble-t-il, pris le pas sur la protection du sociétaire. La réglementation engendre un comportement unique, normalisé, attendu, qui se retrouve aisément dans la publication des rapports annuels à destination du public5. L'industrialisation standardise, certes par souci d'efficacité, mais l'assurance se doit d'être en veille des évolutions inhérentes à tout droit positif et innovante à l'ombre des risques systémiques.
La stratégie financière est donc également conditionnée par l'exigence de fonds propres sous le régime de Solvabilité II. Ainsi chaque intervenant calcule son SCR de marché6 correspondant au capital réglementaire permettant de couvrir les chocs sur les investissements en actifs dont les composantes principales sont les spreads, les chocs sur les taux, les actions, les devises, l'immobilier, les obligations.
La formule dite « standard » est à la disposition de tous7. Il est certes tout à fait possible de proposer sa propre formule de calcul, mais l'investissement humain, financier en étude et documentation sont un frein considérable à son aboutissement. Les sociétés d'assurance exploitent donc chaque élément. À titre d'exemple, les obligations sont moins exigeantes en fonds propres puisqu'elles y sont choquées à 11 % de la valeur de marché, alors que l'immobilier est choqué à 25 % de la valeur de marché. Pour cette dernière classe d'actifs par exemple, il est étonnant de considérer que le choc potentiel sur un appartement dans Paris est le même que celui pour un local commercial dans une zone périurbaine d'une petite ville de Basse Saxe en Allemagne. À l'opposé, chacun est intéressé par les effets de diversification et de transparisation qui permettent d'avoir un effet positif sur l'exigence en capital du SCR de marché.
Par ailleurs, il est difficile voire impossible pour un acteur mutualiste spécialisé d'avoir accès au marché. Que ce soit en termes d'organisation, de risque d'homme clé, d'outils à disposition, de compétences métiers, ce rôle est dévolu à un gestionnaire d'actif ou asset manager. Les mutualistes spécialisés consacrent leur énergie et leurs ressources à leur sociétariat et s'appuient sur des asset managers dont l'activité est de fournir une gestion plus ou moins dédiée des placements. Ces derniers, parfois même créés sous l'impulsion de mutualistes, fournissent en plus d'un accès aux marchés des services permettant aux structures d'assurance de piloter finement leur gestion actif/passif. Ils disposent d'équipes étoffées, compétentes et sensibles aux annonces économiques, politiques. Ils sont également capables de construire des produits et d'effectuer des arbitrages pour le compte de leur client. Ces compétences sont par conséquent utiles pour des acteurs mutualistes spécialisés.
En conclusion, la liberté d'action en termes d'investissement est donc très contrainte. La réglementation tend à amener énormément de technicité dans nos gestions. Elle n'invite pas à prendre des décisions et à être innovant. L'agilité est un terme antinomique avec les temps politiques nécessaires à la construction ou l'aménagement d'une réglementation. Les asset managers constituent un élément indispensable pour des acteurs mutualistes spécialisés car ils permettent d'obtenir un service de qualité par le conseil, la veille économique, le reporting, l'accès direct au marché. Ils ont également compris les enjeux de la réglementation et sont à même de proposer de nouveaux outils ou fonctionnalités pour répondre aux besoins des assureurs.
Liberté d'action, politique de placement
Dans cette troisième partie, les conséquences des deux premières et les perspectives de politique de placement correspondant à des acteurs mutualistes spécialisés sont à aborder.
La technicité induite par la réglementation vise à effacer ce qui est considéré comme prise de risque.
Cependant les acteurs mutualistes spécialisés peuvent réaffirmer dans leurs politiques de placement des orientations. Compte tenu de la chaîne de décision induite par la réglementation, différents éléments et instances existent tels que les politiques écrites, les comités de placement internes, les comités de placement en liaison avec chaque asset manager. De nos politiques écrites correspondant à des orientations et des décisions politiques jusqu'aux différents comités matérialisant des décisions opérationnelles, il existe bien souvent, compte tenu de la taille des structures et de l'enjeu, un lien très étroit entre les différents intervenants de cette chaîne dans les structures mutualistes spécialisées.
Les politiques écrites représentent le méta niveau de cette structure. Elles sont le reflet des orientations du conseil d'administration et de l'allocation par classe d'actifs. Elles privilégient donc une approche correspondant au sociétariat et cherchent à éviter les placements auxquels la communauté de sociétaires n'adhère pas. Compte tenu d'une volonté d'indépendance des acteurs mutualistes spécialisés, le profil de risque invite à une gestion prudente en privilégiant la certitude d'obtenir la restitution des fonds placés, c'est-à-dire la primauté de la sécurité au rendement. Dans un environnement de taux d'intérêt à long terme nuls ou négatifs, il s'agit aussi d'associer liquidité, sécurité et rendement.
À titre d'exemple, pour ce qui concerne la Mutuelle Fraternelle d'Assurances, depuis bien longtemps, nous avons acté que la protection des populations invitait à devoir écarter des titres vifs incompatibles avec un développement socialement raisonné ou ne favorisant pas la mobilité des personnes et des biens. Il en découle que les secteurs miniers, du tabac, des alcools ou bien des entreprises ayant des choix fiscaux jugés irresponsables ne sont pas recommandés. Bien avant qu'une quelconque terminologie ne soit adoptée en la matière, nous avons privilégié les émetteurs aujourd'hui marqués avantageusement ISR (investissement socialement responsable) ou répondant aux critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance). Ces politiques matérialisent également une culture et un ancrage local. Nous sommes particulièrement attachés à notre sociétariat et nous n'avons pas de volonté d'expansion au-delà de nos bassins premiers que sont les territoires, les régions et la nation. Nous sommes par conséquent très focalisés sur des investissements susceptibles de porter cette identité. Il est impératif d'associer conformité et culture de la structure.
Au niveau le plus opérationnel se situe le comité de placements avec le ou les asset managers. Compte tenu de ce qui a été énoncé plus haut, il est impératif que la confiance dans l'acteur soit totale. En effet même si les gestions sont généralement réalisées selon des profils, l'asset manager se doit de comprendre et de partager la vision de l'acteur mutualiste spécialisé. Celui-ci n'ayant pas les moyens d'avoir une cellule dédiée, spécialisée comportant des compétences pour étudier et suivre les marchés au jour le jour, confie sa gestion à un asset manager. Il est impératif que l'asset manager partage la culture de la structure d'assurance qui lui confie son mandat. Les relations se doivent d'être particulièrement fluides et transparentes, l'asset manager devant se positionner dans le service proposé comme le prolongement de la société d'assurance. La confiance, la continuité dans les pratiques et les individus, la qualité de service notamment par le reporting et l'accompagnement dans les transformations réglementaires sont des éléments essentiels de cette relation.
Lors de ces échanges en comité interne ou bilatéral, les différentes classes d'actifs doivent être abordées et différents scénarios à court et moyen terme doivent être évalués. La rentabilité du portefeuille, le risque de certaines poches, la cyclicité des opérations d'achat et de vente, le dégagement des plus ou moins-values latentes et le coût en capital dans l'environnement de Solvabilité II doivent être considérés quelles que soient les classes d'actif au regard de la volonté d'indépendance, de la taille de la structure et de l'environnement économique. Cette philosophie doit s'organiser sur le long terme dans nos instances et ne doit pas faire l'objet d'arbitrages ponctuels.
Au-delà des investissements classiques, les acteurs mutualistes spécialisés ne sont pas en capacité de faire de la veille et d'impulser la construction de nouveaux placements. Deux grandes familles de nouveaux investissements s'offrent à eux : ceux proposés par des structures dont la finalité est d'offrir différents services au même groupe d'individus socialement lié à l'assureur ; ceux proposés par des asset managers.
En effet, il n'est pas rare que des besoins en financement existent dans des structures dont la finalité est d'apporter un autre service que l'assurance à la communauté de sociétaires adressée par la mutuelle spécialisée. En conséquence, lorsque l'assureur spécialisé est connu et reconnu, certains nouveaux acteurs, parce que proposant de futurs nouveaux services, se tournent vers la référence en capacité d'investir dans ces nouvelles structures. Plus largement, il est également proposé à des acteurs mutualistes spécialisés d'investir dans des entreprises allant de start-up lors de levée de fonds à des entreprises très matures qui apportent un complémentaire de l'assurance à la population visée.
Par ailleurs, le rôle de construction et de veille de nouveaux investissements est également dévolu à l'asset manger par l'assureur. En ce sens, l'asset manager doit lui aussi s'interroger sur son rôle et son accompagnement au regard des différentes structures qu'il traite. Certes les attentes de ses partenaires assureurs ne sont pas les mêmes, les passifs ayant des durations différentes et les montants alloués n'étant pas les mêmes. En s'adressant à l'ensemble du marché et en essayant d'élargir leur périmètre, il semble normal que les asset managers se tournent vers les acteurs représentant un volume important de leur portefeuille. Il apparaît que les produits proposés tendent à se normaliser. Même s'il est compréhensible de se focaliser sur la masse la plus importante, il reste opportun de démontrer pour l'asset manager qu'il travaille pour l'ensemble de ses partenaires assureurs en ayant compris l'ensemble de leurs problématiques. La question est toujours la même : que mutualise-t-on ? Sommes-nous dans une approche de coconstruction où chacun a son rôle ou dans une phase de concentration des acteurs pour peser dans un marché. Contre quel risque décide-t-on de se prémunir : la dépendance à quelques acteurs jugés importants, le risque de fuite, le risque systémique d'un défaut ou la difficulté à proposer à tous des services et des produits adaptés.
Dans un contexte économique et financier à la performance faible en moyenne, avec des taux d'intérêt historiquement bas, où le maintien à l'équilibre de la rentabilité technique des activités d'assurance est une difficulté constante, la performance des investissements est un élément important du résultat. Il est évident que la construction de produits, de fonds, n'est pas la même d'un asset manager à l'autre. Certains deviennent des fournisseurs de produits pour les assureurs généralistes et font le choix de création de produits uniquement pour eux. Ils deviennent eux aussi des généralistes et rentrent dans un modèle uniforme non différenciant.
D'autres acteurs sollicitent régulièrement les assureurs de plus petite envergure et ont parfaitement compris que des niches se créaient. Ces niches sont la conséquence d'une contrainte du produit, ticket minimal d'investissement par exemple, ou créées à partir des contraintes réglementaires. Ces dernières sont beaucoup plus intéressantes en termes d'opportunité puisqu'elles demandent à des acteurs de s'adapter rapidement pour proposer de nouvelles solutions. Il est ainsi apparu des investissements en infrastructure, de la pierre papier, des obligations sur des phases d'amorçage de constructions immobilières. Reprenant l'exemple mentionné à dessein plus haut sur les exigences de fonds propres des poches immobilières et obligataires, comment transformer de l'investissement immobilier en obligation afin que l'impact sur les fonds propres ne soit plus de 25 %, mais nettement moindre ? En ce sens, ces solutions tentent, dans un cadre réglementaire rigide, de fournir une certaine agilité dans les produits financiers proposés pour des acteurs mutualistes spécialisés nécessairement agiles opérationnellement. Cette agilité financière est motivée par la recherche de rendement, d'une part, et l'objectif de ne pas pénaliser l'investisseur dans l'exigence de fonds propres des produits financiers proposés, d'autre part. Cette capacité d'adaptation et de proposition de service est le reflet du constat d'un besoin des acteurs mutualistes spécialisés non nécessairement rempli par des asset managers voyant comme objectif leur poids et leur rang.
Conclusion : tendances et perspectives
Dans une lame de fond où le regroupement des acteurs et la réglementation conduisent à vouloir uniformiser un ensemble à l'origine très hétérogène, les assureurs mutualistes spécialisés constituent un élément très différenciant. Ils conservent une proximité et un niveau de service avec leur sociétariat qui les caractérisent. Ils sont agiles dans leur adaptation aux besoins de leur sociétariat.
Les contraintes réglementaires étant les mêmes que pour l'ensemble des acteurs, les stratégies financières ne sont globalement pas très éloignées des assureurs généralistes. L'approche financière est finalement en adéquation avec la typologie des risques portés. Cependant, compte tenu de leurs spécificités, il cherche la même agilité financière que l'agilité opérationnelle qu'ils portent.
Dans ce contexte global compétitif, les assureurs spécialisés vont donc devoir continuer à innover, pour toujours mieux protéger leur sociétariat et obliger leur partenaire à innover également en termes de produits financiers dans des contraintes qu'ils détectent.