Les informations relatives aux émissions carbone des entreprises revêtent une importance croissante pour les investisseurs institutionnels (Bolton et Kacperczyk, 2020 ; Ilhan et al., 2020 ; Krueger et al., 2020)1. Toutefois, les exigences actuellement fixées aux entreprises en matière de divulgation des émissions carbone ne sont pas normalisées sur les marchés boursiers européens2. Ainsi, là où la divulgation des émissions carbone est obligatoire et prescriptive dans certains pays (par exemple, au Royaume-Uni), elle se fait sur la base de directives volontaires spécifiques dans d'autres (par exemple, en Italie), voire est totalement facultative et se fait donc à la discrétion des entreprises (par exemple, en Autriche)3. Les différents régimes de divulgation mis en œuvre sur les marchés boursiers européens peuvent conduire à des différences dans les taux de divulgation des émissions, et donc à des différences sur les niveaux des émissions carbone4.
Dans cet article, nous étudions les différences qui existent entre les régimes de divulgation, les taux de divulgation et les niveaux des émissions carbone de quinze indices boursiers européens pour la période 2002-2017. Sur la base d'informations publiées par les entreprises concernant leurs émissions carbone, nous examinons d'abord les taux de divulgation des émissions. Nous constatons que les taux européens de divulgation des émissions ont augmenté indépendamment du régime de divulgation, et que cette augmentation est notable : si en 2002, seules 16 % des entreprises dévoilaient leurs émissions carbone, en 2017, elles étaient 86 % à le faire. Nous observons également qu'un taux élevé de divulgation des émissions au sein d'un indice boursier ne résulte pas nécessairement d'un régime de divulgation obligatoire : sur les cinq indices boursiers présentant un taux de divulgation de 100 % en 2017, seuls deux étaient assujettis à un régime de divulgation obligatoire.
La hausse globale observée des taux de divulgation des émissions suggère que des forces autres que les régimes de divulgation incitent les entreprises à divulguer leurs émissions carbone. Bien que ces forces accroissent généralement les taux de divulgation, elles peuvent toutefois avoir une autre incidence sur les niveaux des émissions carbone. Afin de vérifier l'existence potentielle d'un lien entre émissions carbone et régimes de divulgation, nous analysons les niveaux des émissions carbone de chaque indice dans le temps. Nous constatons qu'en 2017, les indices FTSE 100, CAC 40 et DAX 30 représentent plus de 50 % des émissions des indices boursiers européens que nous analysons. Nous montrons également que les indices assujettis à un régime de divulgation obligatoire réduisent davantage leurs émissions carbone que les indices soumis à d'autres régimes. Dans l'ensemble, les données laissent entendre que les entreprises appartenant aux indices analysés ont réduit leurs émissions de près de 28 % au cours de la période étudiée, la majeure partie de cette diminution étant le fait d'entreprises appartenant à des indices soumis à un régime de divulgation obligatoire.
Notre analyse des taux de divulgation et des émissions carbone, principalement descriptive, montre qu'au cours de la période 2002-2017, les taux de divulgation augmentent tandis que les émissions carbone diminuent. La question de savoir s'il existe une relation entre régimes de divulgation des émissions et niveaux d'émissions peut donc se poser. Afin d'y répondre, nous cherchons à savoir si les différences constatées dans les niveaux d'émissions carbone sont liées au niveau d'exigence du régime de divulgation. Bien que nous ne soyons pas en mesure de fournir d'estimations causales, nous observons une relation positive entre le niveau d'exigence du régime de divulgation des émissions et la réduction des émissions : alors que les indices soumis à des régimes de divulgation obligatoires réduisent en moyenne leurs émissions carbone de 6 %, les indices soumis à de simples recommandations et ceux qui ne sont soumis à aucun régime de divulgation voient leurs émissions carbone augmenter respectivement de 2 % et 4 % entre 2002 et 2017.
Seuls quelques articles s'intéressent à la divulgation des émissions carbone au niveau des entreprises dans le cadre de différents régimes de divulgation. Ces études se concentrent sur un indice boursier particulier qu'elles comparent à d'autres (Jouvenot et Krueger, 2020), sur les émissions carbone à l'échelle de la ville (Chen et al., 2018), ou sur certains secteurs spécifiques (Christensen et al., 2017). D'autres études relevant de la littérature consacrée à la divulgation examinent les effets de la divulgation volontaire (Christensen et al., 2019a, 2019b) ou obligatoire (Ioannou et Serafeim, 2017 ; Jayaraman et Wu, 2019) d'informations générales liées aux facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Notre contribution consiste à étudier plusieurs indices boursiers européens et à analyser les relations possibles entre régimes de divulgation des émissions, niveaux des émissions et taux de divulgation des émissions.
La suite de cet article s'articule comme suit : tout d'abord, nous décrivons les sources de données ; ensuite, nous examinons comment les taux de divulgation des émissions et les niveaux d'émissions évoluent ; enfin, nous explorons les relations entre régimes de divulgation des émissions, niveaux des émissions et taux de divulgation des émissions.
Données
Nous concentrons notre analyse sur quinze indices boursiers européens pour la période 2002-20175. Pour chaque indice, nous utilisons la liste historique des composantes fournie chaque année par Worldscope Refinitiv (anciennement Thomson Reuters)6. Nous collectons les données comptables en euros. Nous excluons les entreprises cotées enregistrées dans un pays différent de celui de l'indice.
Les données d'entreprise relatives aux émissions de gaz à effet de serre (GES), en tonnes métriques d'équivalent dioxyde de carbone (MtCO2e), proviennent de Refinitiv ESG et de CDP (CDP, 2019). Nous fusionnons les données relatives aux émissions de GES issues de Refinitiv à celles de CDP afin d'obtenir l'échantillon le plus large possible d'entreprises disposant de données relatives aux émissions de GES. Les données issues du projet Carrots & Sticks (Bartel et al., 2016) nous permettent de déterminer si un pays est soumis à une divulgation obligatoire ou volontaire des émissions carbone.
Divulgation des émissions carbone
Le tableau 1 (infra) présente des statistiques synthétiques relatives à la divulgation des émissions pour les quinze indices boursiers européens analysés en 20177. Les colonnes (4) et (5) indiquent respectivement le nombre d'entreprises composant chaque indice et le nombre d'entreprises dans chaque indice étant couvertes par Refinitiv ou CDP. Nous constatons que la quasi-totalité des entreprises (94 %) sont couvertes par Refinitiv ou CDP en 2017. Dans les colonnes (6) à (8), nous indiquons le nombre d'entreprises divulguant leurs émissions de scope 1, scope 2 ou scope 3. Les scopes d'émissions sont définis conformément au Protocole des gaz à effet de serre8 : les émissions de scope 1 sont les émissions directes de l'entreprise, c'est-à-dire les émissions provenant de sources détenues ou contrôlées par l'entreprise ; les émissions de scope 2 sont les émissions indirectes de l'entreprise provenant de la production d'énergie achetée pour les activités de l'entreprise (électricité, chaleur, froid ou vapeur) ; les émissions de scope 3 correspondent à toutes les émissions indirectes non incluses dans le scope 2 et intervenant dans la chaîne de valeur de l'entreprise déclarante. En 2017, les émissions de scope 1 ou de scope 2 sont déclarées par près de 90 % des entreprises, tandis que les émissions de scope 3 ne sont déclarées que par 79 % des entreprises.
Dans les colonnes (9) et (10) du tableau 1 (infra), nous indiquons pour chaque indice les années d'introduction des régimes de divulgation des émissions9. Nous examinons deux types de régimes de divulgation, à savoir les recommandations ESG et la divulgation obligatoire. Les régimes de divulgation basés sur des recommandations ESG font référence à toute initiative mise en place dans une bourse ou un pays en vue d'orienter les dirigeants sur la manière de déclarer les informations liées aux facteurs ESG. Bien que l'adhésion aux normes en matière de recommandations ESG puisse être volontaire ou obligatoire, la divulgation des émissions carbone est quant à elle volontaire. Les régimes de divulgation obligatoires font eux référence à tout règlement ou politique en vigueur au niveau de la bourse ou du pays qui contraint les entreprises à divulguer leurs émissions de scope 1 et de scope 2. En examinant ces régimes de divulgation en 2017, nous constatons que huit indices boursiers sont actuellement soumis à un régime basé sur des recommandations ESG, sept indices ne sont soumis à aucun régime de divulgation et deux indices sont soumis à un régime obligatoire. D'après les données des colonnes (6) à (8), il semblerait que certains des indices qui ne sont actuellement soumis à aucun régime de divulgation (par exemple, Irlande, Autriche, Lisbonne) aient tendance à avoir des taux inférieurs de divulgation des émissions. Une autre particularité intéressante émerge lorsqu'on prend en compte le ratio du nombre d'entreprises déclarantes sur le nombre d'entreprises couvertes par CDP/Refinitiv (voir colonnes (6) à (8)) : cinq indices ont un taux de divulgation de 100 % pour les émissions de scope 1 et de scope 2 et sur ces cinq indices, seuls deux sont soumis à un régime obligatoire. Ainsi, notre analyse suggère que le régime de divulgation obligatoire n'est pas le seul régime à permettre une divulgation complète des émissions carbone.
Dans le graphique 1a (infra), nous étudions la façon dont les taux de divulgation varient entre 2002 et 2017, par indice et par régime de divulgation. Les barres grises correspondent au nombre d'entreprises couvertes par CDP/Refinitiv par rapport au nombre total d'entreprises cotées dans un indice donné. Les barres blanches représentent la part des entreprises non couvertes par CDP/Refinitiv. Les barres noires indiquent le nombre de divulgations des émissions de GES par rapport au nombre d'entreprises cotées au sein d'un indice donné. Les émissions de GES sont telles que définies par Refinitiv ESG et ne tiennent pas compte des émissions de scope 3.
Le graphique 1a (infra) montre que les taux de divulgation des émissions de GES de tous les indices ont augmenté entre 2002 et 2017. Nous constatons également que les indices qui avaient un taux de divulgation nul en 2002 continuent, en 2017, d'avoir un taux de divulgation inférieur aux indices dont le taux de divulgation n'était pas nul en 2002. En 2017, le taux de divulgation moyen des quatre indices qui avaient un taux de divulgation nul en 2002 (à savoir, ISEQ All Shares : Irlande ; ATX : Autriche ; PSI 20 : Portugal ; BEL 20 : Belgique) n'est que de 48 % en 2017. En revanche, le taux de divulgation moyen des quatre indices qui avaient les taux de divulgation les plus élevés en 2002 (à savoir, Oslo OBX : Norvège ; SMI : Suisse ; FTSE 100 : Royaume-Uni ; DAX 30 : Allemagne) atteint 95 % en 2017. Ce graphique ne laisse toutefois entrevoir aucune tendance pouvant suggérer l'existence d'une relation forte entre croissance du taux de divulgation et régime de divulgation des émissions carbone au niveau indiciel.
Dans le graphique 1b (infra), nous étudions la relation entre le taux de divulgation et les régimes de divulgation de manière plus systématique en stratifiant les taux de divulgation par régime de divulgation en 2017. Nous établissons une distinction entre régimes obligatoires et autres régimes. Ce graphique montre que dans le cadre de régimes obligatoires, 100 % des entreprises couvertes divulguent leurs émissions de GES. En revanche, dans le cadre d'autres régimes, 12 % des entreprises couvertes ne divulguent pas leurs émissions de GES. Ainsi, le bénéfice moyen d'un régime obligatoire par rapport à un autre régime en termes de nombres d'entreprises couvertes divulguant leurs émissions de GES ne représente que 12 points de pourcentage. Dans l'ensemble, les résultats des graphiques 1a et 1b suggèrent que d'autres forces que les régimes de divulgation, telles que les pressions exercées par les parties prenantes, peuvent expliquer la tendance haussière observée dans les taux de divulgation des émissions de GES.
Le graphique 2 illustre la tendance prononcée en termes de divulgation des émissions de GES pour toutes les entreprises de notre échantillon sur la période 2002-2017. De manière générale, le taux de divulgation augmente dans le temps : jusqu'en 2010, le taux de divulgation augmente de manière presque linéaire de 22,47 % par an ; après 2010, sa croissance ralentit et le taux n'augmente plus que de 2,09 % par an. Dans l'ensemble, entre 2002 et 2017, le taux de divulgation européen a plus que quintuplé.
Niveaux des émissions carbone
Dans la partie précédente, nous avons montré que la divulgation des émissions de GES augmentait fortement au cours de la période de référence. Il est alors intéressant de se demander si la hausse observée dans la divulgation des émissions de GES s'accompagne d'une variation des niveaux des émissions de GES. Dans cette partie, nous examinons les niveaux et les variations des émissions de GES pour chaque indice boursier.
Le tableau 2 (infra) présente les statistiques synthétiques relatives aux niveaux et aux intensités des émissions de GES de chaque indice en 2017. Les niveaux sont mesurés en millions de MtCO2e (MMtCO2e) et les intensités sont mesurées en MtCO2e pour 1 000 euros d'actifs corporels. Dans la colonne (3) du tableau 2, nous indiquons les niveaux moyens et médians des émissions de GES. Au niveau indiciel, nous constatons que l'indice DAX 30 (Allemagne) a la moyenne d'émissions de GES la plus élevée, tandis que l'indice OMXS 30 (Suède) a les émissions les plus faibles. Il convient de noter qu'en raison de la présence d'entreprises ayant des niveaux extrêmement élevés d'émissions de GES, la distribution des émissions de GES est biaisée : l'entreprise européenne moyenne émet environ dix-huit fois plus que l'entreprise médiane.
Dans les colonnes (4) à (6), nous indiquons distinctement les niveaux moyens et médians pour les trois scopes d'émissions de GES. Au niveau européen, nous observons que l'entreprise moyenne émet 3,4 MMtCO2 à partir de sources qu'elle détient ou contrôle (scope 1), 0,5 MMtCO2 à partir de ses achats d'énergie (scope 2) et 11,4 MMtCO2 à partir de sa chaîne de valeur (scope 3). En additionnant les scopes d'émissions de l'entreprise moyenne, nous constatons que les émissions de scope 3 représentent la grande majorité des émissions (74,51 %).
Une préoccupation éventuelle a trait au fait que les niveaux d'émissions de GES dépendent de la nature et de la taille des entreprises composant chaque indice. Ainsi, les entreprises ayant plus d'actifs corporels (par exemple, exploitations minières, services) sont susceptibles d'émettre davantage. Dans les colonnes (7) à (10) du tableau 2 (infra), nous tenons compte de l'incidence de la nature et de la taille des actifs des entreprises en examinant les intensités des émissions moyennes et médianes de chaque indice.
Dans la colonne (7), nous indiquons l'intensité moyenne des émissions de GES au niveau de l'indice et pour tous les indices. Pour l'ensemble des indices, nous obtenons une intensité moyenne des émissions de GES de 0,5. Ainsi, l'entreprise européenne moyenne émet 0,5 MtCO2e pour 1 000 euros d'actifs corporels. Ensuite, nous examinons individuellement les trois scopes d'émissions (voir colonnes (8) à (10)). Nous constatons qu'en moyenne, les émissions de scope 3 représentent les intensités des émissions les plus élevées, suivies par les émissions de scope 1 et les émissions de scope 2. En supposant que les scopes d'émissions ne se chevauchent pas, 1 000 euros d'actifs corporels pour l'entreprise européenne moyenne correspondent à 0,4 MtCO2e résultant de ses sources détenues ou contrôlées (scope 1), 0,1 MtCO2e résultant de ses achats d'énergie (scope 2) et 1,4 MtCO2e résultant des émissions liées à l'ensemble de sa chaîne de la valeur (scope 3).
Au niveau indiciel, les indices PSI 20 (Portugal) et DAX 30 (Allemagne) affichent les intensités des émissions les plus élevées. En particulier, le PSI 20 est le seul indice ayant une intensité des émissions de GES supérieure à 1, ce qui signifie que pour 1 000 euros d'actifs corporels, l'entreprise moyenne génère plus de 1 MtCO2e. Les indices présentant des intensités des émissions élevées sont composés d'entreprises produisant des niveaux élevés d'émissions de GES par unité d'actifs corporels. Du point de vue environnemental, les entreprises ayant des intensités d'émissions plus élevées sont moins efficaces.
Dans le graphique 3 (infra), nous examinons comment le total des émissions de GES varie dans le temps. Aux fins de cette analyse, nous utilisons un échantillon constant d'entreprises. Sur l'axe situé à gauche du graphique, nous suivons l'évolution dans le temps de la part des émissions totales de GES d'un indice particulier par rapport aux autres indices analysés ; l'axe de droite montre la somme totale des émissions de GES pour tous les indices. Nous spécifions les cinq indices ayant les parts des émissions les plus élevées, et nous regroupons les indices non spécifiés sous la mention « autres indices ».
Le graphique 3 (infra) montre que les cinq principaux indices en termes d'émissions sont les indices boursiers des principales économies européennes : le CAC 40 (France), le DAX 30 (Allemagne), le FTSE 100 (Royaume-Uni), le FTSE MIB (Italie) et l'IBEX 35 (Espagne). Cumulativement, ils représentent 81,3 % de l'ensemble des émissions de GES générées par les indices boursiers européens analysés en 2010. Parmi les cinq principaux indices, trois indices diminuent leur part des émissions de GES (CAC 40, FTSE 100 et DAX 30), tandis que deux indices l'augmentent (FTSE MIB et IBEX 35). Les diminutions les plus importantes dans les parts des émissions de GES se produisent dans des indices soumis à un régime de divulgation obligatoire : les indices CAC 40 et FTSE 100 réduisent respectivement leur part des émissions de GES de 32 % et de 19 %. Lorsqu'on se penche sur les parts des émissions de GES des indices soumis à d'autres régimes de divulgation, on s'aperçoit que celles-ci diminuent légèrement (DAX 30 : –6 %) ou augmentent (FTSE MIB : +23 % ; IBEX 35 : +27 %). La part des émissions de GES des autres indices augmente de 46 % sur la période.
La diminution observée dans les parts des émissions de GES des deux indices soumis à un régime de divulgation obligatoire, les indices CAC 40 et FTSE 100, peut suggérer une baisse du niveau total de leurs émissions de GES : bien que les deux indices représentent près de la moitié des émissions totales de GES en 2010 (44 %), ils n'en représentent plus qu'un tiers environ en 2017 (32 %). Mais cette baisse de la part des émissions de GES ne reflète pas nécessairement une baisse des émissions de GES en termes absolus. Par exemple, cela pourrait tout simplement signifier que les niveaux des émissions de GES des deux indices ont moins augmenté dans le temps que les niveaux des émissions de GES des autres indices européens. En pareil cas, nous devrions constater que le niveau global des émissions de GES pour tous les indices augmente sur la période.
Toutefois, le graphique 3 (supra) laisse entrevoir une autre tendance : les émissions combinées de GES pour tous les indices diminuent au cours de la période analysée. Ce résultat est illustré dans le graphique par la ligne blanche à pente négative. Nous estimons que les entreprises composant les indices que nous analysons ont diminué leurs émissions d'environ 28 % sur la période. Ainsi, puisque le CAC 40 et le FTSE 100 sont les indices de notre échantillon enregistrant les plus fortes baisses dans la part des émissions de GES, nos résultats indiquent que les deux indices expliquent la plus grosse partie de la réduction des émissions européennes de GES.
Niveaux et divulgation des émissions carbone
Les résultats présentés jusqu'ici montrent que la disponibilité des données relatives aux émissions carbone s'améliore au cours de la période étudiée. En parallèle, la somme de l'ensemble des émissions de GES pour tous les indices diminue. La réduction des émissions de GES s'explique principalement par les diminutions des émissions de GES observées dans le FTSE 100 et le CAC 40 – deux indices soumis à des régimes de divulgation obligatoires et qui affichent un taux de divulgation des émissions carbone de 100 %. Sur la base de ces résultats, on pourrait s'interroger sur la nature de la relation qui existe entre régimes de divulgation des émissions carbone et variations des émissions de GES, une relation que nous examinons dans la dernière partie de cet article.
Dans le graphique 4 (supra), nous étudions la relation entre variations des émissions de GES, variations de l'intensité des émissions et régimes de divulgation entre 2010 et 2017. Pour chaque indice, nous mesurons la variation moyenne de l'intensité des émissions de GES et la variation moyenne du niveau absolu des émissions carbone.
En étudiant d'abord la façon dont les indices boursiers sont alignés par rapport à l'axe des abscisses dans le graphique 4 (supra), ce qui revient à étudier les variations du niveau des émissions de GES, nous observons une tendance notable : les indices qui sont soumis à des régimes de divulgation obligatoires sont situés à gauche de l'axe des ordonnées, tandis que les indices qui ne sont soumis à aucun régime de divulgation sont principalement situés à droite. Nous estimons que les indices soumis à des régimes de divulgation obligatoires diminuent leurs émissions de GES de 6 % en moyenne, tandis que les indices soumis à des recommandations ESG ou non soumis à des régimes de divulgation augmentent respectivement leurs émissions de GES de 2 % et 4 %. Ainsi, d'après cette analyse descriptive, il apparaît que des régimes de divulgation plus prescriptifs sont corrélés à des diminutions plus importantes des émissions de GES.
Toutefois, on peut se demander si les réductions des émissions de GES découlent d'une baisse directe de la production (émissions plus faibles en raison d'une diminution des actifs)10 ou d'une amélioration de l'efficience en termes d'émissions (moins d'émissions par actif). Nous tentons de fournir quelques pistes relatives à cette question en examinant également les variations de l'intensité des émissions dans le graphique 4 (supra). En particulier, pour les indices qui diminuent leurs émissions de GES à gauche de l'axe des ordonnées, nous distinguons trois cas de figure.
Le premier cas est celui d'une amélioration de l'efficience. Il correspond dans le graphique 4 (supra) à une réduction des émissions de GES moins négative que la réduction de l'intensité des émissions (OMX Helsinki 25 : Finlande et FTSE 100 : Royaume-Uni). Le second cas est celui d'une amélioration partielle de l'efficience, qui correspond à une diminution des émissions de GES plus importante que la réduction de l'intensité des émissions (CAC 40 : France et DAX 30 : Allemagne). Enfin, le troisième cas est celui d'un changement de la nature des actifs au sein d'un indice (on passe d'une proportion élevée à une proportion faible d'actifs corporels) ou d'une baisse de la production. Le FTSE MIB (Italie) illustre ce dernier cas de figure, avec une diminution des émissions de GES associée à une hausse de l'intensité des émissions. Ainsi, le graphique 4 montre qu'une diminution des émissions de GES ne résulte pas nécessairement d'une baisse des émissions par actif. Au contraire, une telle diminution peut résulter d'une diminution de la production – une situation indésirable du point de vue économique.
Nous examinons ensuite les deux premiers cas de figure qui font référence à l'efficience en fonction des régimes de divulgation. Nous constatons que l'importante diminution des émissions de GES du CAC 40 est moins efficiente que la diminution des émissions de GES du FTSE 100 : les entreprises du CAC 40 réduisent moins leurs émissions par unité d'actifs corporels que les entreprises du FTSE 100. Nous constatons également que dans chaque cas, les entreprises appartenant à des indices soumis à un régime de divulgation obligatoire diminuent plus leurs émissions de GES que les entreprises appartenant à des indices soumis à des recommandations ESG.
Dans l'ensemble, le graphique 4 (supra) fournit quelques données descriptives attestant que les entreprises soumises à des régimes de divulgation plus prescriptifs, tels que les régimes de divulgation obligatoires, réduisent davantage leurs émissions de GES que les entreprises soumises à des régimes de déclaration plus souples. Ainsi, l'analyse suggère que les régimes prescriptifs de divulgation des émissions carbone et les émissions de GES sont négativement corrélés. Cette corrélation négative a été mise en évidence dans de précédentes recherches. Par exemple, Jouvenot et Krueger (2020) constatent que le régime de divulgation obligatoire en vigueur au sein du London Stock Exchange conduit à une baisse des émissions de GES. Le graphique 4 montre en outre qu'indépendamment du régime de divulgation, une réduction des émissions n'implique pas une amélioration de l'efficience telle que définie par les niveaux des émissions par unité d'actifs corporels.
Conclusion
Dans cet article, nous étudions les taux de divulgation, les niveaux et les régimes de divulgation des émissions carbone des principaux indices boursiers européens pour la période 2002-2017. Dans l'ensemble, nous constatons que les taux de divulgation des émissions augmentent, tandis que les niveaux des émissions diminuent. Toutefois, la réduction globale des émissions carbone s'explique principalement par la baisse des émissions carbone observée au sein du FTSE 100 et du CAC 40 – deux indices soumis à un régime de divulgation obligatoire. Pour les autres indices boursiers, soumis à des régimes de déclaration moins prescriptifs, les émissions carbone soit diminuent légèrement, soit augmentent.
Une question qui émerge est celle de l'existence ou non d'une relation entre régimes de divulgation et niveaux des émissions carbone. Nos résultats suggèrent une relation positive. Les indices soumis à des régimes de divulgation plus prescriptifs semblent réduire davantage leurs émissions. Déterminer si cette relation entre régimes de divulgation et niveaux des émissions carbone est de nature causale est une question intéressante et non résolue, que nous laissons ouverte pour de futures recherches.