Plus d'une dizaine de labels verts et durables ont émergé sur les marchés financiers des États membres de l'Union européenne en l'espace d'une vingtaine d'années depuis la création d'un premier label (Finansol) en 1997 en France. Attribués à moins de 500 produits financiers, alors que le marché européen compte plus de 60 000 fonds (Novethic, 2019), les labels ISR visent à garantir aux praticiens et aux épargnants la qualité écologique et/ou socialement responsable de leurs investissements. La France est en outre le seul pays dans lequel le gouvernement a créé et soutient deux labels publics (Giamporcaro et al., 2020) : le label ISR, dédié à l'investissement responsable, et le label Greenfin pour des fonds environnementaux plus engagés. La multiplicité des facteurs contribuant à l'élaboration des labels permet-elle d'atteindre la finalité souhaitée ou bien encombre-t-elle le marché de signaux bruyants mais incertains ? Alors que l'épargne des ménages est à son plus haut et qu'une demande existe pour financer la transition écologique, la prolifération des labels ne complexifierait-elle pas la lisibilité du marché (Holroyd, 2020) ? Cet article expose le fonctionnement économique des labels avant d'en analyser les dynamiques de construction en prenant le cas de la finance en France et en Europe et de s'interroger sur les bénéfices réels d'une prolifération de labels dans cette industrie.
Labels socialement responsable :
entre confiance et concurrence
Les labels jouent un rôle fondamental pour réduire l'asymétrie de l'information entre les consommateurs et les certificateurs (qui produisent le label). Cette première partie présente, d'une part, les labels en tant que biens de confiance et, d'autre part, le cas des labels des investissements socialement responsables (ISR) en France.
Les biens de confiance
La caractéristique socialement responsable d'un bien en fait un bien de confiance, terme qui désigne un bien dont le consommateur, ici l'épargnant, ne peut évaluer par lui-même la qualité. Les biens de consommation se classent en trois catégories : les biens de recherche sont des biens ou des services que le consommateur peut évaluer avant de les acheter ou les consommer, au besoin en effectuant des recherches plus ou moins coûteuses. Par exemple, on peut apprécier la qualité d'un vêtement sans nécessairement l'acheter ou le porter (savoir s'il sera chaud ou froid, par exemple). Les biens d'expérience sont des biens ou des services qu'il faut consommer pour en connaître les caractéristiques. Ce sont des biens que l'acheteur apprend à connaître ou apprécier en répétant ses achats (le vin est un exemple souvent cité). Enfin les biens de confiance sont des biens pour lesquels le consommateur n'a pas les moyens de savoir s'ils correspondent vraiment aux qualités recherchées (Karpik, 2007). Un bien produit par une entreprise socialement responsable s'apparente à un bien de confiance, car le consommateur ne peut pas déterminer ou vérifier par lui-même (après l'achat) s'il a été effectivement produit dans des conditions éthiques/responsables, c'est-à-dire plus favorables sur le plan environnemental, social et en termes de gouvernance (Crifo et Forget, 2014).
Plus généralement, par définition, la valeur des biens de confiance n'est jamais pleinement révélée à l'acheteur, même longtemps après l'achat. C'est la raison pour laquelle les labels ont un rôle à jouer sur le plan informationnel. En économie, les exemples classiques de biens de confiance incluent les traitements médicaux, les trajets en taxi ou les réparations automobiles. Au-delà de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) ou l'ISR, un autre exemple de bien de confiance est celui de l'efficacité énergétique des bâtiments où les vendeurs font face à des acheteurs hétérogènes ; la qualité du produit n'est pas facilement vérifiable ; il n'est pas non plus soumis à des règles de responsabilité complètes (Giraudet, 2020). Ces caractéristiques donnent lieu à un ensemble d'asymétries d'information comme l'antisélection, l'aléa moral et la discrimination par les prix (Dulleck et Kerschbamer, 2006).
Labels ISR et asymétries d'information
En matière d'ISR, plusieurs types de labels ont vu le jour. En principe, deux approches de la labellisation sont possibles : l'une se focalise sur les processus d'investissement (dans ce cas la sélection des émetteurs est dite socialement responsable), l'autre sur le contenu des fonds, comme dans un indice ISR (dans ce cas les émetteurs eux-mêmes sont socialement responsables) (Arjaliès et al., 2013). La typologie proposée en 2019 par l'agence de communication spécialisée en ISR Novethic distingue deux familles de labels : les labels ESG (environnement, social et gouvernance) et les labels verts. Les premiers doivent garantir que les produits financiers sont construits avec une stratégie ESG. Les seconds sont attribués à des fonds thématiques environnementaux, dits verts. Ces approches renvoient aux différentes stratégies d'ISR : exclusions normatives ou sectorielles (entreprises engagées dans des activités contradictoires avec des normes1 ou dans des activités jugées néfastes), approches dites « best-in-class » (investissement dans les entreprises les plus performantes d'un secteur donné), « best-in-universe » (investissement dans les entreprises les plus performantes quel que soit le secteur), ou encore « best-effort » (meilleure amélioration des performances ESG), ou thématiques (Arjaliès et al., 2018). L'ISR de conviction est quant à lui défini par Novethic comme les approches best-in-class excluant plus de 50 % de l'univers d'investissement et les approches best-in-universe excluant plus de 25 % des titres.
Les labels axés sur les stratégies de type best-in valorisent des processus (ESG) et cherchent ainsi à prévenir l'émergence de problèmes d'aléa moral, c'est-à-dire à agir sur le comportement, la performance et/ou l'effort ESG de l'entreprise (vis-à-vis du secteur ou de l'univers d'investissement). Les labels axés sur les stratégies thématiques et/ou l'exclusion thématique valorisent quant à eux la finalité de l'investissement (en général vert ou climat) et visent ainsi à répondre au problème de la sélection adverse, c'est-à-dire à sélectionner en amont le type d'entreprises que l'on souhaite évincer/conserver dans le portefeuille.
Cette typologie peut être mobilisée et étendue pour proposer un panorama des labels européens, incluant, au côté des labels proprement dits, les standards européens référencés par la plateforme Luxembourg Green Exchange lancée en 2016 par la Bourse du Luxembourg2. Comme le montre le tableau infra, quatre des six labels européens axés sur l'analyse ESG ont des référentiels qui la combinent avec des approches d'exclusion qui s'appliquent aussi bien aux entreprises qu'aux États (Novethic, 2019).
Le point de vue de l'épargnant final doit être pris en compte pour apprécier l'efficacité de ces labels. Or l'absence d'exclusion sectorielle dans les fonds labélisés ISR axés stratégie est parfois incomprise par l'épargnant final. En 2013 déjà, Arjaliès et al. (2013) soulignaient le rôle limité des labels axés sur les stratégies best-in-class. Cette approche, dominante en France, dans la mesure où elle reflète plus le point de vue des sociétés de gestion (les offreurs) que celui des investisseurs particuliers, suscitait des critiques parmi les particuliers et certaines ONG concernant son bien-fondé et ses attributs informationnels, d'autant que la distribution de produits ISR auprès des particuliers passe majoritairement par les réseaux des banques et des assurances pour lesquels l'ISR ne constitue pas un véritable axe de différenciation concurrentielle (Arjaliès et al., 2013).
Plus généralement, la question se pose de savoir si les fonds ISR sont significativement différents des fonds conventionnels, dans un contexte où un nombre toujours plus grand de fonds classiques, non ISR, intègre des critères ESG. L'utilisation de la terminologie « ISR » pour des fonds non labélisés remet en question la lisibilité du marché « socialement responsable » en présence d'un label certifié (Arjaliès et Durand, 2019 ; Holroyd, 2020). En France, l'AMF (Autorité des marchés financiers) vient ainsi de publier une doctrine qui encadre la divulgation de critères extra-financiers dans la gestion d'actifs, en identifiant des standards minimaux, et se prononce en faveur d'un label « ESG » incluant un système de notation, avec l'objectif d'« établir un nouveau standard connu au niveau international » en vue de limiter la fragmentation actuelle du marché entre les différents labels nationaux (AMF, 2020).
Dès lors, la concurrence entre les labels est-elle un facteur d'efficacité ou de dispersion sur le marché ? Avant de revenir à cette question, nous analyserons le cas emblématique de la France où pas moins de six labels ont été créés, trois axés stratégie, trois axés sélection (cf. tableau supra), dans un contexte où le marché de l'ISR s'est développé de manière très dynamique, appuyé par l'État, des investisseurs institutionnels puissants et des acteurs externes (syndicats, agences de notation) parties prenantes à part entière de la labellisation.
Les étapes de la construction des labels ISR
en France
Le marché français de l'ISR
La France représente un contexte institutionnel particulier dans lequel, au cours des vingt dernières années, le secteur de la gestion d'actifs – le troisième au monde après les États-Unis et le Royaume-Uni – s'est orienté vers l'adoption de pratiques d'investissement responsable et durable, en interaction forte avec des parties prenantes clés : l'État, les partenaires sociaux (syndicats et agences de notation liées) et les investisseurs institutionnels (Giamporcaro et Gond, 2016 ; Crifo et al., 2019). En 2015, le total des actifs sous gestion des fonds, y compris les investissements intégrant au moins une référence minimale aux critères ESG, était passé à 746 Md€, et parmi ces actifs, les actifs sous gestion des fonds ISR plus strictement définis s'élevaient à 322 Md€. Ces chiffres indiquent que l'ISR est passé de la marge au courant dominant, car proportionnellement au total des actifs sous gestion sur le marché français, la part de l'ISR représentait environ 1 % en 2007, 5 % en 2011 et 18 % en 2014 (Crifo et al., 2019).
L'industrie française de l'ISR a souvent été décrite comme l'un des marchés européens les plus dynamiques et performants et on mentionne fréquemment le terme de « mainstreaming » pour rendre compte de la prise en compte des dimensions ISR dans la gestion classique (Crifo et Mottis, 2016). Un nombre croissant d'investisseurs institutionnels traditionnels français (c'est-à-dire uniquement axés sur la performance financière) ont intégré des critères ISR non seulement dans leurs fonds ISR dédiés, mais également dans leurs autres fonds conventionnels. En 2009, 63 % des fonds conventionnels français en termes d'actifs avaient déjà intégré au moins un critère ISR. En 2018, sur 439 fonds ISR représentant 144,4 Md€ d'actifs sous gestion, 150 Md€ (34 %) peuvent être considérés comme « à fort impact », c'est-à-dire centrés sur l'ISR (Novethic, 2019).
Ainsi, en 2018, la France reste parmi les marchés ISR les plus développés d'Europe avec plus de 50 gestionnaires d'actifs et propriétaires d'actifs, avec un taux de croissance d'environ 55 % en actifs sous gestion pour la période 2011-2015. Parmi la diversité des gestionnaires d'actifs (qui détiennent au total 90 % des actifs sur le marché français), les compagnies d'assurance ont été les principaux contributeurs à cette croissance du marché ISR français.
Deux stratégies d'investissement responsable dominent le marché : le best-in-class et ESG integration représentent chacune plus de 300 Md€ sur les 746 Md€ du marché (source : Eurosif, 2016). La période encore plus récente a connu une augmentation significative des « stratégies durables et environnementales », stimulées par les actions du gouvernement français. La COP21 et les obligations de déclaration découlant de l'article 173 de la loi de transition énergétique française ont provoqué ce phénomène, de nombreux investisseurs se sont engagés à intégrer les questions liées au climat dans leurs politiques d'investissement. Les thèmes les plus populaires sont, par ordre d'importance, les énergies renouvelables, la gestion de l'eau et l'efficacité énergétique.
Évolution historique : les quatre grandes phases
de constitution des labels
Pour comprendre le développement des labels ISR/verts en France et en Europe, quatre périodes clés dans leur développement peuvent être mises en évidence (Crifo et al., 2019) : l'émergence (1997-2001), la montée en puissance (2002-2007), l'intensification (2007-2013) et la concurrence (2014-2020). Chaque période correspond à un changement d'un ou plusieurs des trois indicateurs clés présentés dans le schéma infra et explique ainsi la prolifération des pratiques de labellisation, qui répond à des pressions subies par les différents acteurs concernés, depuis l'État, les syndicats et les agences de notation jusqu'aux investisseurs institutionnels utilisateurs de l'information extra-financière.
Phase 1 : émergence des labels (1997-2001)
Cette première phase correspond à une étape d'adoption précoce, avec le premier label en France créé en 1997 par l'association Finansol, pour distinguer les produits d'épargne solidaire des autres produits d'épargne auprès du grand public. Pour le marché ISR, cette période correspond au développement de nouveaux produits financiers où les fonds ISR ont été présentés en France et en Europe sous le prisme de la performance financière, avec une vision très pragmatique de l'ISR mettant l'accent sur l'importance égale de la dimension financière et extra-financière. Contrairement aux pays anglo-saxons, dans lesquels l'ISR s'est développé à l'origine principalement pour des raisons éthiques et religieuses, l'ISR en Europe continentale, et notamment en France, a suivi dès le départ une approche financière basée sur le développement de méthodes d'évaluation positives s'appuyant sur des critères ESG sous l'impulsion des syndicats en relation étroite avec les gouvernements. L'agence de notation ESG Arese, pionnière sur le marché, entreprise financée par la première banque coopérative Caisse d'épargne, puis cofinancée par la CDC, a joué un rôle clé dans ce processus (Déjean et al., 2004).
Si l'ISR à la fin des années 1990 et au début des années 2000 n'était pas encore une pratique courante en France, plusieurs conditions favorables existaient déjà : la catégorie de produits avait été définie ; des organisations intermédiaires comme Arese, soutenues financièrement par des investisseurs financiers proches du gouvernement (CDC, Caisse d'épargne), ont offert des moyens d'évaluer les politiques ESG ; plusieurs investisseurs crédibles ont lancé des fonds ISR ; la mondialisation des marchés a entraîné une augmentation considérable des investissements institutionnels ; et l'action gouvernementale a incité des investisseurs aussi puissants à gérer leurs fonds de manière responsable sur ce marché (Giamporcaro et Gond, 2016).
Phase 2 : montée en puissance des labels (2002-2007)
Cette deuxième étape marque une montée en puissance des labels : elle est caractérisée par l'arrivée rapide de nouveaux adoptants et produits ISR, correspondant à une consolidation efficace du développement du marché de l'ISR. Un nouveau label ISR (axé stratégie) voit le jour en France en janvier 2002 avec la création du Comité intersyndical de l'épargne salariale (CIES). C'est un « label ISR des syndicats » (il regroupe quatre organisations : CFE-CGC, CFDT, CFTC et CGT) destiné à une gamme de fonds d'épargne salariale ISR y compris pour les PME grâce à la loi Fabius (2001) notamment. Pour obtenir le label CIES et ainsi pouvoir collecter de gros montants d'épargne salariale à réinvestir dans leurs fonds, les sociétés de gestion de portefeuille devaient démontrer que leurs fonds ISR étaient gérés de manière professionnelle et respectaient une série de principes clés (Déjean, 2010). Dès lors, les investisseurs institutionnels (c'est-à-dire les banques et les compagnies d'assurance) se sont mis à créer des équipes internes spécialisées d'analystes ESG pour répondre à ces nouvelles demandes, prouver leurs actes et protéger leurs positions sur le marché, contestées par de nouveaux entrants innovants (Giamporcaro et Gond, 2016). Un label également axé plutôt stratégie apparaît en 2004 en Autriche : l'Umweltzeichen (écolabel), porté par l'État autrichien (ministère fédéral de l'Agriculture, des Forêts, de l'Environnement et de la Gestion de l'eau).
Durant cette période, le nombre de fournisseurs de fonds ISR augmente régulièrement de 2001 à 2007 pour atteindre le nombre de 60, tout comme le nombre de fonds ISR (de 89 à 175) et de fonds sous gestion (de 3 à 20). Parallèlement, Nicole Notat, ancienne présidente du syndicat CFDT pour deux mandats successifs, lance en 2002 l'agence Vigeo (qui sera fusionnée avec l'agence de notation ESG Arese), avec pour mission de classer encore plus d'entreprises sur la base d'un plus grand nombre d'indicateurs au niveau européen. En décembre 2007, 58 % de tous les fonds ISR utilisaient les scores de Vigeo.
L'État appuie également la montée en puissance de l'ISR et renforce l'élan. La politique du Fonds de réserve des retraites, votée en 1999 en faveur des investissements ISR, a commencé à montrer ses effets au cours de cette période. Un deuxième ensemble de lois a favorisé la transparence et enrichi l'information des investisseurs sur les rapports RSE. Dans un contexte caractérisé par un intérêt accru pour la régulation de la RSE au niveau européen (UE, 2001) et le développement d'une loi soft sur la divulgation ESG avec la constitution de la Global Reporting Initiative (GRI) en tant que standard de reporting global et la loi NRE française (2001), l'ISR dans les années 2000 devient une pratique courante en France.
Phase 3 : intensification (2007-2013)
Au cours de la troisième phase, deux nouveaux labels apparaissent en France : un label « axé stratégie » en 2009 et un label « axé sélection » en 2013. Parallèlement, le nombre de produits ISR a fortement augmenté, de même que le volume des actifs sous gestion : de 140 fonds en moyenne sur la période 2007-2009 à 250 fonds en 2012 et de moins de 50 Md€ à plus de 150 Md€ d'actifs sous gestion. Un nombre relativement stable de fournisseurs de fonds ISR ont commencé à intensifier leurs offres et ont ouvert de nombreux fonds ISR différents. À partir de 2009, la catégorie de produits ISR s'est répandue au sein des sociétés de gestion d'actifs – un processus parfois appelé « intégration ESG ».
Cette intensification de la création de fonds ISR a généré certaines ambiguïtés sur le marché et il est devenu difficile d'évaluer la qualité ISR entre les producteurs, ainsi que dans les offres de chaque producteur (Arjaliès et Durand, 2019). Parallèlement, la concurrence dans l'industrie de la notation ESG et la complexité du marché augmentent. La quantification de la qualité ESG des actions des entreprises recule par rapport à l'évaluation des fonds eux-mêmes. C'est ce recentrage qui est au cœur du positionnement des labels de Novethic. Novethic, organisation à but non lucratif dédiée à la recherche et aux médias, experte en finance durable et filiale de la principale banque d'investissement liée à l'État, avait pour mission de pousser les acteurs du marché vers une plus grande transparence et une évaluation d'impact ESG (pour une analyse détaillée de Novethic sur le marché de l'ISR, voir Giamporcaro, 2006). Dans cette perspective, Novethic a lancé un premier label ISR en 2009 pour évaluer les fonds ISR sur des critères ESG (label axé stratégie). Au fil des années, plusieurs centaines de fonds ont sollicité la certification Novethic et plus de 300 fonds proposés par plus de 40 gestionnaires d'actifs (sur les 60 opérant en France) ont obtenu ce label. Émanant d'un tiers indépendant, le label Novethic a fait savoir aux investisseurs dans quels fonds ISR investir de préférence.
Au cours de cette phase, plusieurs lois ont également soutenu la croissance du marché et la labellisation des produits. En 2011, la loi Grenelle II a étendu l'obligation de reporting sur les dimensions ESG à deux types d'acteurs : les non-cotées, les grandes entreprises françaises de plus de 500 salariés et les filiales françaises de sociétés étrangères (article 225), et les gérants d'actifs et de sociétés d'investissement (article 224). Cette loi a également élargi la gamme d'informations requises de tous les acteurs économiques et a demandé une vérification externe plus approfondie pour alimenter les activités des agences de notation et des intermédiaires de marché. En outre, le gouvernement a annoncé en 2012 son intention de créer un nouveau label ISR, ce qui a probablement façonné les attentes des acteurs du marché en ce qui concerne la croissance future du marché ISR français.
Parallèlement, aux États-Unis, l'augmentation de l'ISR a également été dynamique, avec un actif ISR total de 3,74 Md$ en 2012, soit une augmentation de 56 % depuis la fin de 2009 (US SIF, 2012). Cependant, un certain nombre de différences subsistaient dans l'industrie américaine, notamment en ce qui concerne les critères examinés. Aux États-Unis, les critères de gouvernance (par exemple, la rémunération des dirigeants et les questions liées aux conseils d'administration) restent les principaux enjeux ESG pour les investisseurs institutionnels, alors que ces critères jouent un rôle moins important (et limité à la corruption) dans les exigences de divulgation de la loi Grenelle II, par exemple. En France, le rôle des organismes tiers d'audit des informations ESG a également été renforcé, les nouvelles obligations de reporting nécessitant une certification externe.
En résumé, l'étape d'intensification dans le contexte du développement du marché ISR ne concernait pas tant la croissance du nombre de fournisseurs ISR que la diffusion des pratiques ESG au sein des sociétés de gestion d'actifs, entraînant la multiplication du nombre de produits ISR. Une fois de plus, une catégorie spécifique d'acteurs au cœur du système économique national français centré sur l'État a joué un rôle de premier plan. Les propriétaires d'actifs liés à l'État, tels que les principaux fonds de pension et les régimes de retraite complémentaires, et les actions des principales banques publiques d'investissement ont soutenu l'industrie ISR et la labellisation : de très grandes économies ont été collectées sur les salaires des fonctionnaires pour l'épargne et les futures pensions qui devaient être investies de manière responsable et les labels, normes et notations se multiplient au niveau des fonds et des gestionnaires d'actifs. Le marché de l'ISR est devenu complexe dans un environnement dans lequel la pression juridique s'est intensifiée, demandant des informations ESG à un nombre croissant de sociétés.
Phase 4 : prolifération et concurrence entre labels (2014-2020)
Cette phase la plus récente marque une prolifération des labels parallèle à une inflexion quasi exponentielle du nombre de produits et d'actifs sous gestion : de 250 fonds à 400 Md€ et de 200 à 322 Md€ en actifs sous gestion. Cette envolée a coïncidé avec le poids des investisseurs institutionnels sur le marché, ces investisseurs détenant environ 90 % des actifs ISR en France en 2016. Les assureurs ont été les fers de lance de la croissance du marché français et ont représenté plus de 60 % des actifs ISR en 2016. Ils ont généré 55 % de l'augmentation du volume ISR par eux-mêmes (Eurosif, 2016). Au total, pendant cette période, sept labels apparaissent en Europe, dont deux en France (cf. tableau supra).
Par ailleurs, pour canaliser la croissance lors de cette dernière étape, l'État est intervenu pour réduire la prolifération des catégories et des labels. En effet, après une série d'enquêtes médiatiques, les portefeuilles ISR semblent contenir des actions similaires à celles des fonds non ISR, ce qui jette un doute sur les pratiques des gestionnaires d'actifs. La multiplicité des produits et des labels obscurcissait les choix des investisseurs institutionnels et était source de confusion pour les (petits) investisseurs de détail, faisant de ces labels un minuscule intérêt commercial (Arjaliès et Durand, 2019). Par conséquent, à travers deux séries de négociations multipartites impliquant des gestionnaires d'actifs, des ONG, des évaluateurs et des représentants gouvernementaux de 2013 à 2015, la définition de la catégorie ISR a été rationalisée, les cadres juridiques ont été affinés et un consensus a été établi. Deux nouveaux labels officiels ont été introduits en France en 2016 – un label axé stratégie (ISR) et un label axé sélection (Greenfin) –, tous deux soutenus par le gouvernement français et prenant le relais des labels de Novethic. La présidence du comité du label ISR a été confiée à Nicole Notat, présidente de Vigeo. Le label ISR est par ailleurs doté d'un conseil scientifique incluant quatre universitaires.
Le label ISR a été annoncé par le ministre des Finances en septembre 2015 lors de la Semaine de la finance responsable. Deux mois plus tard, le label Greenfin du ministère de l'Environnement a été lancé lors de la COP21. Pour obtenir le label ISR, un fonds doit exclure 20 % de son univers d'investissement initial sur la base de critères ESG, ou la notation ESG moyenne d'un portefeuille doit être supérieure à la notation de l'indice de référence utilisé pour mesurer sa performance financière. Les gestionnaires d'actifs qui souhaitent obtenir le label ISR pour un ou plusieurs de leurs produits doivent choisir un organisme de labellisation parmi ceux qui seront agréés par le Comité français d'accréditation (COFRAC). Le label est attribué pour une période de trois ans, au cours de laquelle des audits de certification de suivi sont effectués. Ce cahier des charges est revu périodiquement.
Le label Greenfin est différent. Il a un objectif vert et a été créé « pour mettre en lumière les fonds d'investissement qui financent l'économie verte, pour stimuler la création de nouveaux fonds et pour encourager les entreprises à déclarer les « actions vertes » de leurs activités ». Le système de certification identifie les produits qui financent véritablement les activités avec des avantages environnementaux mesurables et définit les éco-secteurs dans lesquels ces produits doivent être investis. Ces secteurs vont des transports et des énergies renouvelables à la gestion des déchets et à l'efficacité énergétique. Ce label est remarquable en raison des exclusions qu'il requiert, c'est-à-dire des activités liées à « l'exploration, la production et l'utilisation de combustibles fossiles, ainsi qu'à l'ensemble de l'industrie nucléaire ».
Cette phase a également marqué l'extension des obligations d'information des entreprises. L'article 173 de la loi de transition énergétique d'août 2015 impose désormais à tous les propriétaires et gérants d'actifs de divulguer des informations sur leur gestion des risques liés au climat et, plus largement, sur l'intégration des paramètres ESG dans leurs politiques d'investissement. La France est le premier pays à introduire de telles obligations de divulgation.
Aux États-Unis, le marché ISR a poursuivi sa croissance (de 30 % entre 2012 et 2016), mais comme pour la période précédente, une grande différence avec la France réside dans les critères ESG étudiés par les investisseurs institutionnels : la « gouvernance » (rémunération des dirigeants, problèmes de conseil d'administration, risque de conflit) reste le critère dominant, alors que l'« intégration ESG globale » a connu une augmentation modeste sur la période (US SIF, 2016). La décision fédérale de se retirer de l'Accord de Paris sur le changement climatique a également créé un fossé majeur entre les moteurs gouvernementaux de l'ISR de part et d'autre de l'Atlantique.
Conditions de création de labels :
le mieux est l'ennemi du bien ?
Fort de l'analyse historique vue précédemment, le schéma infra synthétise les conditions institutionnelles et de marché qui poussent à la création de nouveaux labels. Les acteurs principaux se coordonnent de manière séparée et produisent de façon croissante de l'information ESG sur les différents actifs, alimentent la demande de label en réponse à des demandes de plus en plus fortes, et développent une offre accrue de fonds et de produits ESG et de l'ISR. Au total, au niveau français autant qu'européen, la résultante est une prolifération des labels.
Comme développé dans la première partie, l'utilité des labels est de simplifier une offre prolifique et d'établir ou restaurer la confiance sur la qualité d'un bien qui ne peut être éprouvé directement ou pour lequel l'information disponible est rare. La question posée par la situation des labels de finance verte, ESG et ISR en France est celle de l'excès d'information fournie, due à la prolifération de ces labels. Comme l'illustre le schéma supra, les conditions prévalant à la création des labels se renforcent, et la question devient dès lors : le mieux n'est-il pas l'ennemi du bien, chaque nouvel ajout de label amenuisant l'utilité de chacun des labels préexistants ?
En effet, au lieu de simplifier le choix des agents, la mutliplication des labels accroît le bruit fourni par chacun des signaux de qualité. La confiance se détricote. Les agents économiques ont chacun moins intérêt à bénéficier d'un label générique, mais recherchent à moindre coût une labellisation moins exigeante. C'est donc l'ensemble du système qui joue de façon contre-productive, chaque acteur minimisant l'effort intrinsèque fourni. L'asymétrie d'information s'accroît à mesure que le nombre de labels grandit. Les investisseurs finals risquent donc de se détourner in fine des produits labellisés.
L'examen de du schéma supra montre que parmi les conditions poussant à la création de nouveaux labels, seul un acteur semble détenir les clés pour apaiser la situation, voire réduire le nombre de labels disponibles afin de revenir à une situation typique et bénéfique. Il s'agit du régulateur puisque aucun autre agent ne semble pouvoir aller contre sa fonction de production d'information (les agences de notation, les ONG spécialisées) ou de produits (les banques et les investisseurs). C'est en ce sens que l'on peut lire les interventions récentes sur ce marché non seulement de l'État Français, mais aussi de l'Europe.
Ainsi, la Commission européenne s'est fixé pour objectif de développer des normes et des labels basés sur la taxonomie verte qu'elle vient de publier. Ce sera le cas pour le European Green Bond Standard, qui devrait être attribué selon les meilleures pratiques du marché. Les fonds d'obligations vertes doivent financer des projets alignés sur la taxonomie (seuil encore débattu), ne pas nuire aux objectifs environnementaux et respecter des garanties sociales minimales. C'est également le cas du label écologique européen pour les produits financiers, qui se concentre sur les produits de détail.
La Commission européenne a également publié en 2019 des lignes directrices sur l'établissement de rapports sur le climat afin d'intégrer les recommandations du TCFD et du rapport du TEG. En outre, en développement depuis le début de 2019 sous l'impulsion de la Commission européenne et en lien avec les parties prenantes, le futur écolabel européen permettra de renforcer l'intégrité des produits financiers proposés aux clients particuliers. Il s'agira d'un label axé sélection a priori, qui concernera les produits de détail : fonds d'investissement (OPCVM) et fonds d'investissement ouverts aux particuliers (FIA), produits d'assurance avec une composante d'investissement (assurance vie en unités de compte), et comptes de dépôt à terme et d'épargne. Les critères de l'Écolabel correspondent à 10 %-20 % des meilleurs produits disponibles sur le marché au moment de leur adoption, du point de vue de la performance environnementale tout au long du cycle de vie. Ce cas d'étude montre ainsi comment une demande croissante d'information pour des biens de confiance peut s'auto-alimenter et finir par aboutir à une situation potentiellement préjudiciable où, au lieu de réduire les asymétries d'information, une profusion de labels tend à l'accroître. Malgré la bonne volonté des différents agents économiques, la voie de sortie pour restaurer la confiance dans la labellisation et les sous-jacents concernés passe par l'harmonisation et la réglementation au niveau de gouvernance supérieur (dans notre cas, le niveau européen). Les initiatives récentes de la Commission européenne permettent ainsi d'envisager un retour à une situation où les principes économiques joueront à nouveau favorablement.