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 Dynamique de l'endettement privé en Chine : risques et enjeux


Camille MACAIRE * Économiste, Banque de France. Contact : Camille.Macaire@banque-france.fr.

Depuis 2008, la Chine a connu une phase sans précédent d'expansion de l'endettement privé. Face aux risques induits, les autorités ont mis en place des réformes visant à assainir le secteur financier. Cette orientation a été maintenue malgré le ralentissement économique et a commencé à porter ses fruits, avec une stabilisation des niveaux de dette depuis 2017. Mais la crise de la Covid-19 constitue un défi sans précédent. Les autorités ont mis en place des mesures de soutien limitées, afin d'éviter de replonger dans une spirale d'endettement. Mais la hausse des niveaux d'endettement et le choc sur la croissance économique font porter de nouveaux risques au secteur financier, en particulier aux banques. Le régulateur devrait rester attentif à éviter toute crise bancaire, mais la question de la gestion des prêts non performants va rester prégnante. La résilience de l'économie chinoise à travers la crise et le rebond de croissance allègent les risques, mais les fragilités structurelles du système financier vont rester un enjeu crucial pour la Chine.

État des lieux : une décennie de hausse
très rapide des niveaux
d'endettement en
Chine

Au début de l'ère des réformes économiques en 1978, le système financier chinois était très limité en taille et structuré autour d'une seule banque (la Banque Populaire de Chine ou People's Bank of China, PBoC). Par la suite, l'ouverture du secteur aux institutions privées a soutenu une rapide expansion de l'activité bancaire, avec l'émergence de banques nationales, et d'un vaste réseau de coopératives locales et d'institutions financières non bancaires proposant des solutions de financement (Liu, 2020). Ce nouvel environnement a entraîné une très forte progression de l'endettement dans le pays. La dette des agents privés est ainsi passée de 65 % du PIB à 116 % du PIB entre 1985 et 2002. La très forte hausse des prêts non performants liée à la crise asiatique de 1997 a par la suite contraint le gouvernement chinois à prendre des mesures visant à encadrer l'expansion de l'endettement. Entre 2002 et 2008, la dette des agents privés s'est ainsi stabilisée en pourcentage du PIB.

Mais la crise financière de 2008 a constitué un changement majeur dans la dynamique de la dette. En effet, afin de soutenir l'activité économique, la Chine a mis en place un stimulus de grande envergure qui s'est traduit par une relance massive du crédit. Depuis lors, la dette du secteur privé a ainsi doublé en pourcentage du PIB, pour atteindre près de 205 % du PIB à la fin de 2019, dont les trois quarts du fait des entreprises non financières (cf. graphique 1), contre 144 % et 165 % du PIB en moyenne pour l'ensemble des pays émergents et des pays développés, respectivement. Si l'endettement public reste limité (54 % du PIB à la fin de 2019, contre 82 % en moyenne dans le monde), cette tendance fait du secteur privé en Chine le plus endetté de tous les pays émergents.

Graphique 1
L'endettement des agents économiques chinois
(hors institutions financières)
est porté par le secteur privé
(en % du PIB)

Source : Banque des règlements internationaux (BRI).

En corollaire, le secteur financier a connu une phase d'expansion sans précédent. La taille de l'ensemble des actifs du secteur est passée de 273 % à 436 % du PIB entre 2007 et 2019. En particulier, le secteur bancaire a marqué une très forte croissance. C'est aujourd'hui le plus important du monde, équivalent à celui de l'ensemble de la zone euro (cf. graphique 2 infra). À la fin de 2019, les quatre premières banques du monde en taille d'actifs étaient chinoises1.

Graphique 2
Un accroissement généralisé du secteur financier en Chine,
en particulier des banques
(actifs, en milliers de Md$)

Note : les banques centrales ne sont pas prises en compte.

Source : Financial Stability Board.

La croissance du secteur financier interroge sur les risques portés au bilan des institutions financières. Cela, à deux niveaux : l'adéquation du cadre réglementaire et la robustesse des acteurs financiers, d'une part, et la soutenabilité de la dynamique de dette, d'autre part.

Concernant le premier point, le modèle de croissance chinois a été constitutif de fragilités structurelles du secteur financier. Celui-ci s'est en effet développé dans un environnement fermé, protégé de la concurrence internationale et éloigné des standards internationaux. Par ailleurs, son activité a été mise au service de la politique économique du pays. Les banques, elles-mêmes majoritairement détenues par l'État, ont ainsi proposé des financements de manière préférentielle aux grandes entreprises publiques (state-owned enterprises, SOE), au détriment d'entreprises privées en moyenne plus profitables (Herd et al., 2010). Ainsi, l'OCDE montre que les SOE représentaient, au milieu de 2018, 82 % de la dette totale des entreprises non financières (soit plus de 120 % du PIB) (OCDE, 2019), contre un dixième de l'emploi urbain et une valeur ajoutée de 26 % du PIB. Certes ces entreprises bénéficient d'une garantie implicite de l'État qui permet d'améliorer leur profil de risque malgré leur faible profitabilité (Son et al., 2011 ; Ferrarini et al., 2017). Mais cette situation a mené à une allocation non efficiente du capital. À la fin de septembre 2019, le taux de rendement moyen sur les actifs des SOE était de 3,6 %, contre 7,3 % dans le secteur privé. Dans le secteur industriel, 32 % des SOE étaient déficitaires (entreprises « zombies »), contre 13 % des entreprises privées.

Par ailleurs, afin de stimuler l'activité et l'innovation financière, les autorités se sont montrées conciliantes vis-à-vis de l'activité des institutions de crédit. Cela a permis l'émergence d'un vaste réseau d'institutions non bancaires peu régulées et de nouveaux financements complexes, constitutifs d'un important secteur de l'ombre, opaque et vecteur de risques, le shadow banking2. La taille de ce secteur a progressé jusqu'à atteindre 87 % du PIB à la fin de 2016, selon les estimations de l'agence Moody's, un montant équivalent à près de deux tiers des crédits bancaires à cette date (Moody's Investors Service, 2020). Ehlers et al. (2018) rappellent que la difficulté d'accès au crédit bancaire traditionnel, orienté principalement vers les entreprises d'État, a poussé les entreprises privées à se tourner vers ces modes de financement alternatif. La recherche de rendement, dans un contexte de strict encadrement des taux de dépôts bancaires, a également contribué à l'essor du secteur (Borst, 2013). Or ce secteur de l'ombre est étroitement lié au secteur bancaire.

Ehlers et al. (2018) mettent en évidence la diversification de ce secteur vers des produits complexes, mais soulignent le rôle toujours central et prédominant des banques commerciales au sein de cet écosystème3. Le renforcement des contraintes réglementaires a en effet poussé les banques à développer ces activités parallèles (Cai et al., 2015). Ainsi, le canal de diffusion des risques de cette finance alternative vers le secteur bancaire est direct. Plus encore, Dang et al. (2014) mettent en évidence un biais de perception de la part des investisseurs, qui comptent en partie sur une garantie implicite de la part des banques en cas de défaut sur ces produits alternatifs. Or Sun (2019) montre que les banques ne présentent pas des niveaux de couverture suffisants face à ces nouveaux risques, et que le cadre réglementaire et l'appareil de supervision sont insuffisants.

En parallèle, si le gouvernement central reste peu endetté, les gouvernements locaux sont impliqués quant à eux dans des mécanismes de financement de l'économie réelle passant par le levier de l'endettement. Au milieu de 2020, la part dans les dépenses publiques des gouvernements locaux était de 85 %, alors que la part des revenus publics qui leur était allouée était de 50 % seulement. Cette situation financière très dégradée masque par ailleurs des situations très disparates d'une région à l'autre. Ferrarini et Hinojales (2018) indiquent que cela a entraîné le recours à des financements alternatifs, en particulier à travers les local government financing vehicles (LGFV), des institutions financières ad hoc. Au milieu de 2020, la dette directe (obligataire) des gouvernements locaux s'élevait à 24 % du PIB, et celle des LGFV à 39 % du PIB. Au-delà de la dynamique croissante des niveaux de dette, le FMI souligne qu'une part importante de la dette des LGFV et des entreprises publiques (SOE) est considérée comme non remboursable4, pour un montant total proche de 36 % du PIB (FMI, 2020a).

Concernant les ménages, la croissance de la dette a été également très rapide. Celle-ci est passée de 19 % du PIB en 2007 à 55 % en 2019. Cette forte progression est liée à plusieurs facteurs concomitants. Tout d'abord, par une politique gouvernementale qui a fortement incité l'endettement des ménages à la suite de la crise de 2008, en particulier l'endettement immobilier. La forte hausse des prix immobiliers a par ailleurs alimenté la tendance. Ensuite, l'émergence des services financiers pour les particuliers, qui auparavant étaient embryonnaires, en particulier via les technologies digitales qui ont soutenu l'inclusion financière, a aussi favorisé cette progression.

Par ailleurs, la dynamique de l'endettement des ménages s'est accélérée depuis 2014, alors que dans le même temps, la dette des entreprises se stabilisait en pourcentage du PIB (cf. graphique 1 supra). Cette tendance a ainsi modifié la structure de l'endettement total en Chine au cours des dernières années, en donnant un rôle plus marqué aux ménages, en particulier en ce qui concerne les niveaux de risque porté aux bilans des institutions de crédit. À ce titre, le niveau de dette des ménages en pourcentage du PIB, bien que toujours inférieur à la moyenne mondiale (60 % du PIB en 2019), doit être mis en perspective avec leurs revenus moyens, qui restent faibles en comparaison aux pays développés. Ainsi, si la dette des ménages chinois est équivalente à deux tiers de celle des ménages américains par rapport au PIB, le ratio « dette/revenus des ménages en Chine », à près de 140 %, est nettement supérieur à celui observé aux États-Unis (proche de 80 %) (Fang et Wright, 2020). Et là encore, la dynamique est très marquée : ce ratio n'était que de 40 % en 2007.

Il est difficile de définir des seuils critiques, qui dépendent de la dynamique de croissance et des perspectives de rééquilibrage de l'activité (FMI, 2017), d'autant que les niveaux d'épargne sont très élevés dans le pays. Mais l'accélération globale de l'endettement en Chine est indéniablement porteuse de risques (Han et al., 2019 ; Sun, 2019) et a entraîné un changement d'attitude de la part des autorités au cours des dernières années.

L'assainissement du secteur financier est devenu
un objectif stratégique pour
Pékin

Face à l'accélération de la hausse des niveaux d'endettement, les dirigeants du pays se sont engagés à renforcer la lutte contre les risques financiers et à mieux encadrer la finance non bancaire. L'importance primordiale de cet objectif a été soulignée par le président Xi Jinping en avril 2017, lorsqu'il a indiqué que la stabilité financière était un élément clé pour la « sécurité nationale ». Cette annonce officielle a enclenché une série de réformes visant à désamorcer le risque financier.

D'une part, une poursuite de l'effort de restructuration des entreprises publiques en difficulté. Initiée en 2013 et renforcée en 2015, la réforme des SOE s'est traduite par un recul relatif du rôle de l'État, l'autorisation d'une structure de capital mixte incluant la sphère privée, et la fusion des plus petites entités, peu efficaces et difficiles à superviser. Depuis 2001, le nombre de SOE industrielles est passé de 35 000 à 1 450. En 2017, l'effort de privatisation d'une partie des activités s'est renforcé. Les réformes ont permis une légère baisse du ratio « dette/ actifs » de 60,6 % à 57,9 %, et une stabilisation du rendement sur leurs actifs depuis 2017 (autour de 3,5 %), tandis que dans le même temps, la rentabilité moyenne des actifs des entreprises privées s'érodait (de 12,7 % à 7,3 %). Toutefois, les niveaux de rentabilité des SOE restent faibles en absolu et la part de SOE non rentables est toujours élevée. Par ailleurs, les autorités ont préservé le rôle prépondérant des SOE, notamment dans les secteurs stratégiques. Ainsi, à la fin de 2019, les SOE concentraient 85 % des revenus dans les « industries clés »5. Le mode de gouvernance des autorités, dont le contrôle sur la politique industrielle reste crucial, n'augure pas de changement d'orientation marqué à court et moyen terme6.

D'autre part, un contrôle renforcé des activités de shadow banking, entraînant une contraction ininterrompue du secteur à partir du milieu de 2018, après des années de forte croissance. Les actifs catégorisés dans ce secteur parallèle se chiffraient en effet à 87 % du PIB à la fin de 2016, et à 60,3 % du PIB en juin 2020, selon l'agence Moody's, soit 59 100 milliards de RMB (renminbi) (Moody's Investors Service, 2020). En particulier, les encours de produits de gestion de fortune et de gestion d'actifs (wealth management products et asset management products), qui proposent des rendements élevés mais risqués, ont reculé de 30 100 à 23 700 milliards de RMB entre 2016 et le milieu de 2020.

En parallèle, le gouvernement a autorisé un nombre croissant de faillites, afin de briser l'idée selon laquelle il viendrait systématiquement au secours des créanciers d'entreprises en difficulté pour éviter tout impact négatif sur l'activité. Cette garantie implicite encourage en effet les investisseurs à financer des projets sans considérer pleinement les risques associés. Le changement le plus visible s'est opéré sur le marché obligataire, qui n'avait présenté quasiment aucune situation de défaut jusqu'en 2014. En 2018, les défauts obligataires ont marqué une nette accélération, avec plus de 170 cas pour un montant de 160 milliards de RMB. Ce mouvement s'est pérennisé, marquant la volonté des auto rités de poursuivre la réforme malgré les impacts économiques. L'érosion de la garantie implicite a en effet entraîné un renchérissement du coût de l'endettement obligataire pour les entreprises par rapport aux conditions de marché (écartement des spreads). De plus, le risque de faillite bancaire est devenu une possibilité réelle : la prise de contrôle par Pékin de la Baoshang Bank en mai 2019 a constitué un cas emblématique qui a confirmé la politique en œuvre.

Les autorités ont également multiplié les réformes visant à encadrer davantage les activités financières des entreprises du digital. Leur expansion très rapide au cours de la dernière décennie est en effet porteuse de nouveaux risques sur la stabilité financière du pays (Zhu et Hua, 2019). À partir de juin 2018, les régulateurs ont notamment exigé que tous les paiements mobiles transitent par une chambre de compensation centrale. En ce qui concerne les activités de prêts, entre 2018 et janvier 2019, la banque centrale a progressivement relevé le ratio de réserves sur les fonds des clients de 20 % à 100 %. Cela afin de juguler les mécanismes de levier et de titrisation porteurs de risques. Initialement, les Fintechs proposant du crédit, comme, par exemple, Ant Group, reconditionnaient les prêts sous forme de titres et les vendaient à d'autres institutions financières. Face à la nouvelle réglementation, elles ont dû repenser le modèle d'activité de leurs plateformes de prêts. Par exemple, Ant identifie désormais les emprunteurs et évalue leur profil de risque grâce à ses outils de notation, mais transmet ensuite les dossiers aux banques qui accordent les prêts contre une commission. À la fin de juin 2019, Ant s'était associé à 400 banques qui géraient environ 98 % de son solde créditeur. En septembre 2020, une nouvelle réglementation annoncée par les autorités stipule que les entreprises non financières détenant une participation majoritaire dans au moins deux lignes d'activités financières devront demander une licence de holding financière et renforcer leur capital. En novembre, les autorités ont par ailleurs annoncé le durcissement du cadre réglementaire pour les activités de microcrédit, porteuses de risques pour le secteur bancaire (Li et al., 2020), ainsi que la mise en place de lois antitrust plus contraignantes. La suspension inattendue de l'entrée en bourse de Ant Group, à deux jours de l'opération, malgré son impact négatif sur l'image de la Chine en tant que centre financier véritablement international, a été interprétée comme un signe de l'importance cruciale accordée par Pékin à la sécurité et la stabilité financière7.

Cette stratégie de lutte contre le risque financier a été maintenue malgré le ralentissement économique graduel observé au cours des dernières années et les risques liés à la guerre commerciale et technologique avec les États-Unis. De 2016 à la fin de 2019, l'objectif de croissance a été abaissé de « 6,5 %-7 % » à « environ 6 % ». Dans le même temps, les décideurs ont commencé à minimiser l'importance de la cible numérique et ont davantage souligné l'importance de la qualité de la croissance. En d'autres termes, un changement d'opinion s'est opéré parmi les dirigeants sur l'arbitrage entre la croissance à court terme et la viabilité à moyen terme, et sur l'équilibre entre la politique cyclique et la réforme structurelle.

En parallèle, Pékin a choisi de mener une politique monétaire conservatrice, avec des baisses de taux limitées, et une stérilisation des liquidités injectées dans le cadre d'opérations de financement à moyen terme, évitant ainsi l'expansion monétaire qui avait caractérisé la sortie de crise après 2008. Cette ligne de conduite a été conservée malgré la crise récente (cf. infra).

Mais le chemin à parcourir reste long. Des progrès sont attendus sur la transparence des institutions financières, sur la crédibilité des mécanismes de certification comptable et de notation de crédit, et sur la gestion des prêts non performants. La crise de la Covid-19, qui a fortement impacté l'économie chinoise, renforce ces défis.

La crise de la Covid-19 : un lourd tribut
pour le système bancaire

Dans un cadre déjà fragilisé par l'accumulation de risques liée à la très forte progression de l'endettement au cours des dernières années, la crise de la Covid-19 constitue un défi sans précédent. Bien que limité en ampleur et en durée par rapport au reste du monde, le choc économique lié aux strictes mesures de confinement et à la chute de la demande mondiale a bouleversé l'activité chinoise. Ainsi, au premier trimestre 2020, l'activité a marqué une chute de 6,8 % en comparaison au même trimestre de l'année précédente. C'est le premier chiffre de contraction de la croissance annuelle depuis la publication des chiffres du PIB chinois en 1993. Sur l'ensemble de l'année 2020, la croissance chinoise s'est affichée à 2,3 %, un chiffre bien supérieur à celui prévu par le FMI pour l'ensemble du monde (une contraction de 3,5 %), mais qui marque une très forte chute par rapport à la dynamique des dernières décennies.

Face à l'urgence de la crise, Pékin a mis en place des mesures de soutien à l'économie. Des aides fiscales ciblées, un plan d'investissement dans les infrastructures, des facilités de prêts bon marché au guichet de la banque centrale ainsi qu'une baisse des taux de réserves obligatoires des banques ont été mis en place afin d'alléger la pression sur les entreprises les plus pénalisées et d'éviter une crise de liquidité dans le secteur bancaire8. Par ailleurs, les autorités ontincité les banques commerciales à renforcer les octrois de crédits, en ciblant les petites entreprises et les microentreprises (officiellement libellés « prêts pour financement inclusif »). Cela a entraîné une accélération de l'encours total de crédits (+12,3 % en comparaison annuelle en septembre 2020, tiré par le financement inclusif), supérieure à celle de la croissance du PIB.

Toutefois, le mot d'ordre a été de limiter le risque de replonger dans une spirale d'endettement comme après le stimulus massif déployé après la crise de 2008, et de garder comme priorité de moyen terme l'assainissement financier de l'économie chinoise. Ainsi, la banque centrale a maintenu une posture relativement conservatrice, en particulier au regard des mécanismes de soutien déployés massivement dans le reste du monde. Depuis le début de 2020, la PBoC a décidé d'une baisse du taux de réserves obligatoires de 100 points de base pour les petites et moyennes banques, et 50 points de base pour les grandes banques. Ce mouvement permet certes de libérer des liquidités, mais ne marque pas d'inflexion forte par rapport à une tendance baissière de ces taux observée depuis 2018. Le loan prime rate, un taux monétaire de référence, a été abaissé de 4,15 % à 3,85 % sur l'ensemble de l'année 2020, une baisse de faible ampleur et qui permet de conserver des rendements élevés pour les actifs financiers dans le pays. Cela a notamment contribué aux pressions haussières sur le RMB, qui bénéficie de réallocations de portefeuille opérées dans un environnement international de taux au contraire très faibles9 et permises par les programmes Stock Connect et Bond Connect, à travers lesquels les investisseurs financiers internationaux peuvent investir sur les marchés domestiques chinois. Ainsi, le montant d'obligations chinoises détenues par des investisseurs étrangers a progressé de plus de 1 000 milliards de RMB en 2020, soit plus du double de la progression observée en 2019. La PBoC a procédé à de nombreuses et importantes opérations de refinancement, afin d'éviter tout risque de crise de liquidité dans le secteur bancaire. Mais ces liquidités ont été retirées de manière systématique, limitant ainsi l'impact haussier sur le bilan de la banque centrale. Enfin, la politique de soutien au crédit, mais prioritairement pour les entreprises les plus vulnérables, témoigne d'une forte volonté de ciblage précis des mécanismes de soutien monétaire. Au total, la banque centrale a conservé une approche ciblée qu'elle a appelée « irrigation au goutte à goutte », afin d'éviter l'« irrigation par inondation » que constituerait un stimulus massif (PBoC, 2019b).

Si les autorités conservent l'objectif d'assainissement du secteur financier, la crise et les réponses qui y sont apportées ne s'y prêtent pas particulièrement, tandis que la perception d'une garantie implicite de l'État central s'est érodée. Du fait d'un accès toujours difficile pour les petites entreprises aux financements de marché, le système financier chinois reste très bancarisé, et les risques associés à l'endettement des agents privés dans le pays se concentrent ainsi au bilan des banques.

Pour les banques, cela se matérialise par des risques accrus sur leurs encours de crédit aux particuliers et aux entreprises. Dans son rapport sur la stabilité financière de la Chine, publié en novembre 2019, la PBoC a détaillé les résultats d'un vaste stress test mené sur les banques chinoises (PBoC, 2019a). Le ratio des prêts non performants (non performing loans, NPL) au bilan des trente plus grandes banques du pays augmenterait à 7,4 % dans le cas où la croissance ralentirait à 4,15 %, une éventualité alors considérée comme le scénario du pire. Au regard du niveau de croissance de 2020, à 2,3 %, le chiffre annoncé apparaît comme un minorant.

Les banques commerciales rurales sont parmi les plus vulnérables, dans la mesure où elles constituent les principaux créanciers des PME (petites et moyennes entreprises) privées, très touchées par la crise économique. Dans le stress test de la PBoC, un tiers des petites institutions rurales étaient notées « à haut risque » (contre 13 % pour toutes les banques). Les inquiétudes qui se cristallisent sur ces institutions sont également liées au fait qu'elles sont peu transparentes (un peu plus de 20 % d'entre elles seulement publient des rapports annuels), et présentaient avant le déclenchement de la crise une situation financière déjà plus dégradée que les banques de plus grande taille. À la fin de 2019, leur ratio agrégé de prêts non performants s'élevait à près de 4 %, soit quasiment le double du ratio observé dans les banques urbaines.

Or, malgré le choc sur la croissance, le ratio de NPL de l'ensemble des banques commerciales n'a progressé que de 0,08 point de pourcentage au premier semestre 2020, pour atteindre 1,94 %. Mais cette situation qui semble favorable tient à plusieurs éléments d'ajustement sur la comptabilisation des prêts non performants.

Tout d'abord, afin de soutenir les entreprises les plus durement touchées par la crise et limiter ainsi le choc sur l'emploi, la PBoC a encouragé les banques à repousser à mars 2021 les paiements des petites et microentreprises dus entre juin et décembre 2020. À cette fin, la banque centrale a créé un fonds doté de 40 milliards de RMB, permettant de compenser auprès des banques les manquements induits en liquidité, en proposant un financement équivalent à 1 % des encours de prêts renégociés. Au total, la PBoC a indiqué que ce mécanisme concernerait 3 700 milliards de RMB d'encours de crédit. Ces encours, qui sont particulièrement porteurs de risques dans la mesure où ils concernent des entreprises vulnérables, sont ainsi exclus de la comptabilisation des prêts non performants. Lorsqu'on compare à l'encours officiel de NPL, de 2 700 milliards de RMB au mois de juin 2020, ce chiffre est très significatif. La fin du programme, fixée pour l'instant à mars 2021, et la comptabilisation des encours non performants au sein de ce portefeuille de crédits pourraient conduire à une hausse brutale des ratios de NPL.

Par ailleurs, une accélération de la cession de NPL par les banques à des investisseurs tiers contribue à cette situation. Ainsi, le régulateur des banques, la CBIRC (China Banking and Insurance Regulatory Commission) prévoit la cession par les banques de l'équivalent de 3 400 milliards de RMB de NPL en 2020, un chiffre en nette augmentation par rapport aux 2 300 milliards de RMB de NPL cédés en 2019. Dans ce contexte, la crédibilité des mécanismes de gestion des créances douteuses est cruciale. La création en mars 2020 d'un nouveau fonds de défaisance national, China Galaxy Asset Management Co Ltd (« Galaxy »), témoigne de l'engagement des autorités à renforcer les capacités d'absorption des créances douteuses dans le secteur financier du pays. Cet asset management company (AMC) s'ajoute à quatre AMC nationales créées en 199910, ainsi qu'à près de 60 AMC régionales approuvées par les autorités depuis 2014. Malgré cet important appareil institutionnel, les capacités apparaissaient insuffisantes pour faire face à une nouvelle crise comme celle survenue depuis le début de 2020. Par ailleurs, les autres canaux de cession des NPL sont pour l'instant trop étroits (Peresa et Vidon, 2019). En particulier, les achats de NPL par des investisseurs tiers, notamment les investisseurs étrangers, sont encore très limités (environ 7 milliards de RMB seulement en 2019).

En parallèle, Pékin a indiqué vouloir transférer une partie du risque et des aspects opérationnels liés à la restructuration des banques en difficulté aux autorités locales. Sur l'enveloppe totale de 3 750 milliards de RMB de special purpose bonds (permettant de lever des fonds pour le financement des projets de long terme), les autorités centrales ont accordé un quota de 200 milliards de RMB pour le financement des banques locales en cas de besoin. Si le plan prévoit que ces liquidités soient mobilisées seulement en dernier recours, il contribue au renforcement de l'exposition des gouvernements locaux aux risques du secteur financier.

Au total, si le choc sur l'activité semble avoir été limité en Chine, du moins en relatif au reste du monde, la crise de la Covid-19 a gonflé les niveaux de risque dans le secteur financier, en particulier au bilan des banques. Si l'État devait rester présent pour éviter toute crise majeure à moyen terme, en particulier grâce à ses importantes réserves de change, la dégradation des niveaux de risque retarderait l'assainissement du secteur financier prévu par Pékin. Par ailleurs, cette tendance pourrait pénaliser l'attractivité des actifs chinois pour les investisseurs étrangers, pour l'intégration de la Chine dans le système financier mondial et pour l'internationalisation du RMB.

Conclusion

Depuis 2008, la Chine a connu une phase sans précédent d'expansion de l'endettement privé. Face aux risques induits, les autorités ont mis en place des réformes visant à assainir le secteur financier. Cette orientation a été maintenue malgré le ralentissement économique et les risques liés à la guerre commerciale avec les États-Unis. Elle a commencé à porter ses fruits, avec une stabilisation des niveaux d'endettement depuis 2017 et un recul des activités de shadow banking. Mais la crise de la Covid-19 constitue un nouveau défi sans précédent. Si les mesures de soutien mises en place par les autorités chinoises restent limitées dans leur ampleur, le choc sur la croissance économique fait porter de nouveaux risques au secteur financier, en particulier aux banques. Les banques rurales, qui sont les principaux créanciers des entreprises et des ménages les plus vulnérables, sont particulièrement touchées. Le régulateur devrait rester présent et intervenir pour éviter une crise bancaire, mais la question de la gestion des prêts non performants va rester prégnante.

Le faible niveau d'ouverture du compte financier chinois limite le risque de contagion directe des chocs financiers en Chine vers le reste du monde. Pour autant, la santé du secteur financier chinois a des implications qui dépassent les frontières du pays. Celle-ci est en effet déterminante pour l'attractivité des marchés obligataires domestiques auprès des investisseurs étrangers, et à terme pour l'internationalisation du RMB (Aglietta et Macaire, 2019). En octobre 2020, la part du RMB dans les paiements internationaux n'était que de 1,97 %, un chiffre très faible au regard du poids économique de la Chine, qui concentrait à la fin de 2019 16,3 % du PIB mondial. Si la Chine souhaite réellement s'inscrire dans le système monétaire international, elle doit prouver sa capacité à émettre un actif de réserve sûr, liquide et accessible pour les investisseurs étrangers.

En freinant les réformes visant à assainir le système financier et en accroissant les niveaux de risque supportés par les institutions bancaires, le choc économique lié à la crise de la Covid-19 agit négativement sur les niveaux de risque et donc l'attractivité des actifs financiers chinois. Toutefois, l'économie chinoise a prouvé sa résilience en retrouvant le chemin de la croissance dès le deuxième trimestre 2020, dans un contexte de forte chute de l'activité mondiale. Cette avance prise dans la sortie de crise pourrait conduire à une accélération de l'influence de la Chine sur l'économie internationale. Avec les « Nouvelles Routes de la Soie », la Chine ambitionne de devenir un nouveau pôle de référence pour les pays en développement. Par la finance, elle crée des liens durables qui pourraient, finalement, porter l'internationalisation de sa devise. Si la Chine parvient à transformer l'épreuve de la Covid-19 en opportunité, elle pourrait ainsi accentuer la remise en question du dollar comme devise clé hégémonique.


Notes

1 Industrial & Commercial Bank of China (ICBC), China Construction Bank (CCB), Agricultural Bank of China (ABC) et Bank of China (BoC), regroupant ensemble près de 15 000 Md$ d'actifs.
2 Le rapport sur la stabilité financière de la PBoC (2013) définit le système bancaire parallèle comme « l'intermédiation de crédit impliquant des entités et des activités en dehors du système bancaire ordinaire, avec des fonctions de liquidité et de transformation du crédit, ce qui pourrait potentiellement entraîner des risques systémiques ou un arbitrage réglementaire ».
3 Les banques émettent des instruments financiers (par exemple des produits de gestion de patrimoine), puis elles acheminent ces produits vers des entités non bancaires telles que des sociétés de fiducie. En distribuant et en assurant l'intermédiaire d'une large gamme de produits pour elles-mêmes, ainsi que pour le compte d'autres entités, les banques sont l'acteur central du système bancaire parallèle chinois. Dans ce rôle, elles sont perçues comme des fournisseurs de garanties implicites à leurs clients en cas de défaut, même si elles n'en n'ont pas l'obligation légale.
4 Selon le FMI, la dette est considérée comme non remboursable lorsque le ratio de la dette nette aux bénéfices est supérieur à 15 ou lorsque le bénéfice est négatif.
5 Les secteurs clés sont les suivants : défense, électricité, pétrole et gaz, télécommunication, charbon, chantiers navals et aviation, ferroviaire.
6 En 2018, lors d'une visite dans les provinces industrielles du nord-est, le président Xi Jinping a déclaré : « Nos entreprises publiques devraient continuer à être plus fortes, meilleures et plus grandes. Les arguments selon lesquels nous devrions nous débarrasser ou réduire les entreprises publiques sont faux et partiaux. »
7 Cette décision inattendue tient en partie à l'introduction d'une nouvelle série de réglementations visant à encadrer le microcrédit des Fintechs, elle fait également suite à des prises de parole de la part de l'actionnaire majoritaire de Ant, Jack Ma, qui a ouvertement critiqué les rigueurs des mécanismes de supervision.
8 Dans son suivi des réponses politiques à la crise de la Covid-19, le FMI estime que la Chine a déployé un stimulus fiscal de 4,7 % du PIB (4 800 milliards de RMB).
9 Au 12 novembre 2020, le taux souverain à 10 ans en Chine était de 3,26 %, tandis que le taux souverain à 10 ans aux États-Unis était de 0,88 %.
10 Les quatre AMC nationaux créés en 1999 sont Cinda, Huarong, Great Wall et Orient.

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