L’économie française doit pouvoir compter sur l’un des moteurs essentiels à sa croissance et à son indépendance : des banques françaises disposant d’un cadre clair et compétitif, propice à restaurer la confiance.
Depuis 2008, l’impératif de l’ensemble des acteurs – Pouvoirs publics, partenaires sociaux et secteur privé, les banques au premier chef – a été de restaurer et renforcer la stabilité financière tout en assurant une reprise robuste et durable, créatrice d’emplois. Le bilan récent de l’action des banques françaises montre qu’elles n’ont pas failli à cette mission.
Ces trois dernières années, encouragée par les frémissements d’un retour à la croissance, la priorité a largement été donnée, à juste titre, au renforcement de la stabilité financière. Il est impératif de tirer complètement les leçons de la crise financière et d’éviter que les pratiques qui l’ont provoquée ne se reproduisent. C’est pourquoi de nombreuses réformes, touchant tous les domaines et agréées au plus haut niveau international, sont en cours de mise en œuvre, en Europe tout au moins. On entend parfois que « rien n’a changé dans le monde bancaire ». Je pense au contraire que les transformations auxquelles notre industrie fait face bouleversent radicalement les conditions de son activité. Le secteur bancaire s’adapte aujourd’hui en profondeur pour relever des défis majeurs, conséquences de ce cadre réglementaire significativement transformé et d’un contexte de marché international considérablement modifié, dans un environnement de compétition internationale intense. En ce qui concerne BNP Paribas, nous nous sommes engagés avec volontarisme dans un plan d’adaptation de grande ampleur qui nous permettra de satisfaire rapidement l’ensemble des futures exigences réglementaires.
En ce début d’année 2012, face au faible potentiel de croissance économique, la priorité doit désormais être la reprise. Alors que les marges de manœuvre sont réduites, tant en termes de politique budgétaire que monétaire, le secteur bancaire peut et doit en être l’un des leviers d’action. Directement, car la France est le siège de groupes bancaires véritablement internationaux, contribuant significativement à l’emploi et à la valeur ajoutée. Indirectement, car les banques occupent un rôle clé dans le financement des projets des particuliers et des entreprises, c’est-à-dire du potentiel de croissance.
Le bilan des banques françaises au service de l’économie
Les banques françaises ont toujours financé l’économie française, c’est-à-dire les projets des particuliers et des entreprises, mieux que dans d’autres pays, comme le montre le graphique 1 ci-après.
Ainsi, à la fin de septembre 2011, l’encours des crédits a augmenté de 6,2 % sur un an, pour s’établir à 1 904 Md€1. On notera que la croissance du crédit a été supérieure chaque année à l’évolution du PIB français puisque en 2009, les crédits se sont accrus de + 1,7 % alors que le PIB était en baisse de – 2,5 % et en 2010, ils ont augmenté de + 4 %, contre une croissance du PIB s’établissant à + 1,4 %.
Cette évolution est bien supérieure à celle constatée en moyenne au sein de la zone euro et en particulier en Allemagne. Par ailleurs, certains pays comme le Royaume-Uni ont connu un véritable credit crunch.
S’agissant des entreprises, le taux de croissance annuel à la fin de septembre 2011 est de 5,1 % à 811,9 Md€, avec un effort particulier fourni pour les crédits à l’investissement (5,9 % sur un an) et les crédits de trésorerie (+ 6,8 % sur un an), et une mobilisation spécifique sur les PME et les TPE (microentreprises).
De plus, l’économie française est financée par les banques françaises à des conditions plus attractives qu’ailleurs. En termes de coûts de financement, la différence est particulièrement marquée avec les États-Unis où les marges sont supérieures et où, rappelons-le, plus des deux tiers des financements à l’économie sont assurés par les marchés (cf. graphique 2 plus loin).
Aussi, le modèle bancaire français, fondé sur la relation durable et solide avec ses clients et la gestion intégrée et rigoureuse des risques, associé à une supervision efficace, a-t-il globalement bien résisté à la crise. Pour preuve, en 2008-2009, l’intervention temporaire de l’État au titre du plan de soutien à l’économie a rapporté à la France 2,4 Md€ (cf. graphique 3 plus loin).
Enfin, tirant les leçons de la crise, le secteur bancaire français a considérablement renforcé le niveau de ses fonds propres, essentiels au maintien de sa capacité à distribuer le crédit nécessaire à la croissance. Le niveau des fonds propres tier 1 ne cesse de se renforcer, il a notamment augmenté de 57 Md€ depuis 2008. En ce qui concerne BNP Paribas, le niveau de ses fonds propres durs a plus que doublé depuis la fin de 2006 (cf. graphique 4).
La nécessité d’un cadre clair et compétitif, propice à restaurer la confiance
Le groupe que je préside réaffirme son soutien aux réformes réglementaires engagées pour renforcer la stabilité financière et tirer les leçons de la crise et au premier chef, la réforme des risques de marché et de la titrisation (appelée Bâle 2.5), transcrite en droit européen (CRD 3), votée dès juillet 2010 et entrant en vigueur en Europe le 31 décembre 2011.
Formées au plus haut niveau international, par le Comité de Bâle et le Conseil de stabilité financière (CSF) notamment, ces réformes concernent tous les sujets (effet de levier, liquidité, solvabilité, supervision, rémunérations, infrastructures de marché, protection du consommateur, régimes de résolution…) et représentent un changement de paradigme majeur et absolument inédit. En termes de solvabilité par exemple (et hors nouvelles règles sur les institutions systémiques), elles équivalent à une multiplication par cinq – au minimum – des exigences d’avant la crise.
Face à ce nouveau contexte, qu’il soit de marché, réglementaire ou macroéconomique, nous avons d’ailleurs engagé de profondes adaptations pour nous y conformer rapidement.
Je recommande cependant d’aborder avec prudence et méthode la finalisation des nouvelles règles concernant la liquidité. En effet, au-delà des perspectives de croissance économique significativement revues à la baisse depuis l’été, la conjonction de deux phénomènes fait peser des menaces sur le financement de l’économie, tant en termes de volume que de prix, comme le montre le graphique 5.
D’abord, le phénomène de cantonnement de la liquidité par devise, contraignant l’accès au dollar des banques ne disposant pas de dépôts significatifs dans cette devise, et, par conséquent, le financement des besoins en dollars de leurs clients.
Ensuite, l’aggravation de la crise des dettes souveraines de certains pays de la zone euro et sa propagation, après l’annonce du référendum grec le 31 octobre 2011, à l’ensemble des pays de la zone. La perception par le marché du niveau de risque des banques européennes est en effet largement corrélée à la situation de leur sous-jacent (cf. graphique 6 ci-après).
L’activité de banque internationale est un secteur dans lequel la France dispose d’un avantage comparatif au plan mondial, fondé sur une expérience de plusieurs décennies au service des clients, ancré sur une base nationale solide et développé autour des services essentiels à l’essor des entreprises : le financement de leur production et de leurs infrastructures, la gestion de leurs risques grâce à des activités de marché (couvertures contre le risque de change pour les entreprises exportatrices ou de matières premières pour les entreprises industrielles, par exemple), la gestion de leur trésorerie (cash management)…
Dans ce domaine, la compétition internationale est intense et les conditions de concurrence parfois inégales. Par exemple, s’il persistait, le non-alignement des États-Unis avec les règles de Bâle constituerait un handicap majeur pour les banques européennes, et ce, dès la fin de 2011.
En effet, Bâle 2.5 qui entre en vigueur en Europe le 31 décembre 2011 ne sera appliqué aux États-Unis2 qu’au milieu de 2012 au plus tôt et plus vraisemblablement en 2013, voire au-delà. Et ce, malgré l’engagement pris au Comité de Bâle et confirmé dans un communiqué conjoint de Timothy Geithner et Michel Barnier en octobre 2010. Bâle III est désormais réputé anti-américain aux États-Unis.
Dans le même temps, il est paradoxal de voir ces mêmes règles de Bâle accélérées par l’Autorité bancaire européenne (EBA – European Banking Authority) lors de son exercice d’octobre 2011, par exemple, lequel anticipe dès juin 2012 les règles de Bâle III sur la comptabilisation à la valeur de marché des dettes souveraines et exige un niveau de fonds propres de 9 %, bien supérieur aux 3,5 % requis au 1er janvier 2013, voire aux 7 % requis au 1er janvier 2019, quand bien même le calendrier progressif et flexible était prévu pour être le garant de la reprise économique.
Il est également frappant de constater que sur les vingt-neuf institutions systémiques mondiales (G-SIFI), dix-sept sont européennes,une seule chinoise et aucune brésilienne, australienne ou canadienne (cf. annexe 1). Une hiérarchie qui ne reflète pas la modification du paysage concurrentiel bancaire. À la fin de 2009, huit banques européennes figuraient parmi les vingt-cinq plus grands établissements bancaires mondiaux. À ce jour, elles ne sont plus que quatre : deux établissements anglais à forte connotation asiatique (HSBC en 3ème position et Standard Chartered en 24ème position), un espagnol (Santander en 11ème position) et un français (BNP Paribas en 23ème position) (cf. annexe 2).
La France est l’un des champions mondiaux d’un secteur qui est à la fois clé au financement de la croissance et dont le leadership très disputé nécessite des conditions de concurrence équitable.
Il serait donc paradoxal de renoncer à ces activités créatrices sur le territoire de leur siège d’emplois et de valeur ajoutée :
- directement car les banques emploient près de 400 000 collaborateurs en France, le secteur financier contribuant à près de 5 % de la valeur ajoutée française ;
- et indirectement car elles financent plus des deux tiers des projets des entreprises, avec un rôle particulier auprès de celles qui ont le moins de sources de financement à leur disposition, les PME, par exemple, lesquelles représentent les deux tiers de l’emploi en France.
De plus, alors même que les marchés de capitaux sont devenus incontournables dans le financement de l’économie réelle et la couverture de ses risques et que les régulateurs ont fait le choix pour l’Europe de développer considérablement leur rôle, il serait dangereux de voir la France se priver d’une industrie bancaire performante et citoyenne, capable d’aider à les maîtriser.
À ce titre, je pense que toute réforme de type structurel, séparant ou contingentant la banque de détail et la banque de financement et d’investissement, serait de nature à détourner les banques de leur mission prioritaire de financement de l’économie et de gestion de leurs risques, consacrant l’hégémonie historique des Américains sur les marchés financiers puisque au-delà d’en maîtriser la monnaie, la presse et les agences de notation, ils en seraient les pourvoyeurs de services quasi exclusifs. Protéger les dépôts du public, tout en s’assurant qu’ils remplissent leur rôle dans le fonctionnement de l’économie, est la responsabilité au premier chef des équipes dirigeantes des banques et de leur adéquate supervision ; au-delà, cela suppose bien évidemment la mise en œuvre des nombreuses réformes réglementaires décidées au niveau international, y compris les mécanismes de résolution des problèmes affectant les établissements en faillite, et, le cas échéant, une action du superviseur pour éradiquer des banques les risques ne relevant pas de la mission essentielle du banquier.
Des banques efficientes, citoyennes et adéquatement supervisées, mais aussi compétitives et disposant d’une capacité d’action mondiale, encouragées à financer les particuliers et les PME, à accompagner sur les marchés les plus grandes entreprises et à gérer les risques de l’ensemble de leurs clients : ma conviction est que c’est un levier dont la France ne peut se priver pour retrouver le chemin d’une croissance durable et créatrice d’emplois.