Avant la Grande Dépression, l’histoire financière des États-Unis est marquée par une succession de crises et de paniques bancaires : 1819, 1837, 1857, 1873, 1884, 1893, 1907. Les banques n’ont guère d’autres solutions que la suspension des paiements, c’est-à-dire de la conversion légale en espèces des billets et des dépôts qu’elles émettent. En l’absence de banque centrale agissant en tant que prêteur en dernier ressort, il n’existe pas de régulateur monétaire capable de prêter des liquidités suffisantes aux banques solvables pour faire cesser les ruées. Il n’existe pas non plus de régulateur bancaire capable de réglementer le cadre prudentiel des institutions de dépôt afin d’exercer leur surveillance préventive, de sauvegarder la continuité du système des paiements et le maintien de la stabilité financière.
Jusqu’en 1920, la régulation prudentielle se limite à la délivrance de chartes aux établissements par des autorités diverses. Mais une fois la charte délivrée, l’autorité n’est amenée à intervenir à nouveau que si l’institution fait défaut et doit être fermée. Les chambres de compensation (clearing house associations) trouvent parfois des moyens provisoires de pallier le manque de liquidité bancaire, avec, par exemple, les émissions de loan certificates, à partir de la panique de 1884. Mais l’État (Treasury Department) n’imagine pas qu’il pourrait sauver les banques en les recapitalisant ou en garantissant des actifs dépréciés. Les paniques les plus importantes suscitent après coup des réformes institutionnelles qui se bornent en général à la création d’un nouveau type de charte bancaire et d’un nouvel organe de délivrance : après la panique de 1857, l’Office of the Comptroller of the Currency (OCC) et les banques nationales, en 1863 ; après la grande panique de 1907, le Système de réserve fédérale et les banques membres, en 1913. La nouvelle instance, relativement indépendante du gouvernement, n’est pas pour autant investie d’une autorité de régulation complète comprenant des pouvoirs de réglementation, de surveillance et de contrôle. Les réformes restent incomplètes.
Ces réformes institutionnelles sont en fait souvent opportunistes – les crises offrent l’occasion de promouvoir les idées et les plans de grands réformateurs (Nelson Aldrich, Carter Glass pour la création de la Federal Reserve – Fed) – plus qu’elles ne s’adressent aux causes des crises financières proprement dites. Si les nouvelles institutions ont leur utilité, leur existence et leur rôle, elles ne réussissent pas toujours à promouvoir la stabilité financière espérée. Leur empilement donne aussi naissance à un inextricable enchevêtrement d’organes et un chevauchement d’attributions qui ne cessent de compliquer le système financier.
Lorsqu’une grande panique bancaire se produit, le public en a une perception qui ne correspond pas nécessairement à celle des réformateurs. Du reste, les uns et les autres peuvent également se méprendre sur les causes économiques de ces désordres. En 1930, le public attend essentiellement des mesures contre les excès du crédit à la spéculation boursière et réclame une assurance capable d’indemniser les pertes des déposants. Il a peu conscience en revanche que l’interdiction des réseaux géographiques de succursales bancaires (bank branching) ou l’obstination des banques à ne financer que des transactions commerciales portent davantage la responsabilité des ruées et des paniques bancaires si spécifiques au seul système financier américain.
En janvier 1932, lors de l’effondrement du système bancaire et du marché du crédit, plusieurs dispositions du programme en dix-huit points du président Hoover, pour la première fois dans l’histoire américaine, s’efforcent de concevoir un sauvetage des banques grâce à une combinaison originale d’instruments innovants et de moyens éprouvés : garantie nationale des dépôts, couplage assurance-dépôt, normes prudentielles, recapitalisation des banques, résolution ordonnée des défaillances, séparation des banques de crédit et des opérateurs sur titres, plafonnement des taux d’intérêt créditeurs, organisation des institutions financières non bancaires parallèles. Un petit nombre seulement de ces innovations sont mises en œuvre par un président hésitant. À partir de mars 1933, l’équipe du New Deal s’empare du plan d’intervention d’urgence de la présidence précédente, comme la vacance des banques (bank holiday) et leur réouverture après certification. Les paniques s’arrêtent. L’administration Roosevelt a le mérite de traduire sans délai les innovations Hoover en réformes institutionnelles de grande ampleur pour bâtir une nouvelle architecture du système financier. La définition d’une nouvelle régulation, plus difficile à concevoir et à mettre en œuvre, s’esquisse néanmoins.
La présente étude s’efforce de trouver, dans le contexte institutionnel et l’esprit des années 1930, les raisons des réformes. Elle se limite aux principaux changements intervenus dans le système bancaire au sens large, sans aborder ici ni les réformes de l’émission monétaire et du régime de change (abandon de l’étalon-or, fonds de stabilisation des changes), ni celles de la politique monétaire (comité d’open market, redistribution des pouvoirs entre le Trésor et la banque centrale). L’analyse de l’efficacité réelle des réformes n’est qu’esquissée. Les grandes réformes du système bancaire retenues ici comprennent le dispositif de sauvetage d’urgence des banques, l’assurance-dépôt, la séparation du négoce des titres et de la banque, le plafonnement des intérêts créditeurs, l’information sur les investissements financiers et l’organisation des institutions d’épargne et du crédit hypothécaire. Ce faisant, nous mettons en évidence les ambiguïtés dont les réformes sont porteuses et tentons de dégager les difficultés qu’elles n’ont pas su identifier et circonscrire.
Le sauvetage d’urgence des banques
Au cours des ruées bancaires précédant la Grande Dépression, les pertes des déposants ne dépassent jamais 0,1 % du PIB pour aucune des années de crise. De 1921 à 1929, l’instabilité financière augmente et devient endémique avec 5 712 fermetures de banques, essentiellement rurales, entraînant la perte de 3,1 % du total des dépôts de la période, soit 0,6 % du PIB moyen annuel (Calomiris et Masson, 2003).
La récession internationale, commencée en 1928, atteint les États-Unis l’été suivant. Les prêts non remboursés s’accumulent avec les faillites d’entreprises et provoquent notamment des pertes et la chute des fonds propres des banques. La Fed, désireuse de freiner l’emballement du crédit qui, selon elle, est responsable de la spéculation excessive à Wall Street, relève les taux d’intérêt. Cette hausse déclenche le krach du Stock Exchange, du 24 au 29 octobre 1929, et une baisse des cours qui atteint 40 % en 1930. Cette chute contribue aussi à la baisse de l’actif net des banques. La crise financière prend une ampleur exceptionnelle avec la déflation induite par l’effondrement des prix agricoles. Les défaillances bancaires se succèdent alors rapidement et le marché du crédit s’effondre.
De 1929 à 1933, au moins quatre vagues de paniques bancaires1 déferlent et, au total, 39 % des banques suspendent leur activité. D’après les chiffres publiés par le Conseil de la Fed en 19432, le nombre de banques chute de 24 633 en décembre 1929 à 15 015 en décembre 1933. La plupart des 9 096 banques qui ferment leurs portes sont des petites banques locales. Leurs dépôts ne représentent que 14 % du total moyen des dépôts bancaires entre 1930 et 1933. Les pertes supportées par les déposants s’élèvent à 2,7 % de la moyenne des dépôts et 2 % du PIB annuel moyen sur la même période.
Plusieurs tentatives de sauvetage très originales voient le jour pour venir en aide aux banques en détresse et enrayer les paniques bancaires.
La National Credit Corporation (NCC)
Le président Hoover est convaincu que face aux ruées bancaires, la solution devrait venir du secteur privé lui-même. Ainsi, en 1907, à l’instigation de JP Morgan, les banquiers ont su organiser la solidarité de place et consentir des prêts aux banques solvables illiquides. En octobre 1931, le président Hoover et le secrétaire au Trésor Andrew Mellon3 encouragent les plus grandes banques de New York à créer la NCC, afin de prêter aux banques solvables rencontrant des difficultés à se refinancer. Les prêts de la NCC doivent aider les banques qui ne disposent pas de titres éligibles par la Fed aux opérations d’escompte. Pour compenser cette brèche dans ses compétences, la Fed obtient une définition moins étroite des actifs éligibles au guichet de l’escompte et un abaissement des critères de qualité des sûretés exigées comme collatéral. La NCC commence à fonctionner en novembre 1931, mais si elle est bien accueillie au début, il devient clair qu’elle privilégie trop les grandes banques et se montre incapable d’exercer un rôle de prêteur en dernier ressort pour les autres. Après un bref répit, le nombre de faillites bancaires se remet à augmenter.
La Reconstruction Finance Corporation (RFC)
Une innovation majeure consiste en la définition d’instruments qui permettent la recapitalisation et la garantie d’actifs dépréciés des banques. C’est la première expérience de ce genre à laquelle on assiste. Elle est pour le Trésor le pendant du prêt en dernier ressort de la banque centrale. C’est bel et bien l’invention de l’investisseur en dernier ressort qui est décisive pour la politique de stabilité financière.
Cette idée nouvelle est l'œuvre d’une équipe de banquiers et d’experts proches du président Hoover qui, lui-même, se montre ouvert aux innovations bien plus que l’on ne l’a répété par la suite. Eugene Meyer, le président de la Fed, est le principal inspirateur et responsable4 de l’intervention du Trésor dans les sauvetages financiers. Il convainc le secrétaire au Trésor Ogden Mills et le président Hoover de la nécessité d’une intervention directe de l’État fédéral, alors que la banque centrale ne dispose que d’une autorité et de moyens limités. Le Trésor fait approuver par le Congrès la création de la RFC le 22 janvier 1932. La RFC a pour rôle de prêter aux banques (comme la NCC) ainsi qu’aux compagnies de chemin de fer et aux collectivités territoriales (États fédérés, comtés, municipalités). En outre, la loi atténue les conditions d’éligibilité des sûretés habituellement exigées par la Fed pour ses prêts à l’escompte5.
Ces dispositions entament pour la première fois la sacro-sainte doctrine des effets réels (real bills doctrine) sur laquelle la politique du crédit est fondée depuis les débuts de la Fed en 1914. D’après le dogme, la banque centrale ne doit escompter que les effets de commerce à court terme de première qualité, représentant des transactions commerciales réelles entre négociants professionnels, sécurisées par des sûretés rendant les paiements certains. Au contraire, elle doit s’interdire d’avancer des fonds sur tout investissement ou projet à rendement risqué, qui ne sont qu’en partie couverts par des titres collatéraux de valeur incertaine. Pas plus la banque centrale que les banques commerciales ne doivent prendre de risques. Les risques sont l’affaire des entreprises elles-mêmes, avec l’aide des banques d’investissement, sur le marché des titres, mais pas des banques commerciales qui ne doivent compter sur aucun secours éventuel de la banque centrale ou de l’État en cas de défaillances.
Après la prise de fonction du président Roosevelt6, les pouvoirs de la RFC sont augmentés (Todd, 1992). Elle est autorisée par l’Emergency Relief Banking Act de mars 1933 à prendre des participations au capital des banques commerciales en leur achetant des actions, de préférence sans droit de vote, mais à dividende garanti. Entre 1933 et 1935, elle achète pour 1 Md$ de titres aux banques7, ce qui revient à les recapitaliser plutôt qu’à leur prêter temporairement des liquidités. Elle achète aussi des obligations émises par les banques. Après 1935, les banques commencent à racheter au Trésor les actions de préférence et, à la longue, elles remboursent intégralement ces apports et leurs dettes. Finalement, ses opérations terminées, la RFC sera dissoute en 1957.
Le rôle de la RFC évolue. Placée au cœur de la réforme bancaire du New Deal, elle se voit confier une mission d’apporteur de fonds propres, tandis que sa capacité à prêter est encore élargie grâce au relâchement des sûretés exigées. De plus en plus, elle est transformée en agence fédérale chargée de soutenir le marché du crédit à la place de la Fed qui reste paralysée par ses contraintes légales et son indécision.
En outre, la RFC est investie d’un pouvoir de résolution des banques défaillantes. Elle invente une méthode de règlement d’une très grande modernité8, reposant sur quatre principes : réévaluer les actifs douteux ou irrécouvrables en leur affectant une décote compatible avec les prix du marché ; évaluer la compétence et les résultats des dirigeants, en procédant si nécessaire à leur éviction et leur remplacement ; injecter du capital sous forme d’achats d’actions de préférence, mais seulement après avoir procédé à la dépréciation des actifs ; collecter les dividendes et éventuellement revendre les actions au pair lorsque les banques réalisent à nouveau des profits, pour qu’elles reviennent intégralement à leurs actionnaires.
La RFC se défend de vouloir intervenir dans la direction et la gestion des banques. Au contraire, son président, Jesse Jones, exprime sans cesse sa préférence pour laisser aux cadres compétents l’entière responsabilité du redressement tout en leur offrant une assistance temporaire en capital et en liquidité.
Le premier Glass-Steagall Banking Act de 1932
Ce texte, voté par le Congrès le 27 février 1932, permet notamment à la Fed de prêter à des institutions financières non bancaires. Parmi de nombreuses dispositions, la loi ajoute au Federal Reserve Act de 1913 une section 13(3) qui prévoit un élargissement important de son autorité et de ses moyens d’intervention dans des « circonstances inhabituelles et urgentes » (unusual and exigent circumstances), tout à fait comparable aux attributions exceptionnelles données à la RFC. Les banques de réserve fédérale de district sont autorisées à prêter aux banques membres contre la présentation en garantie d’un plus grand nombre d’actifs, les mêmes que ceux acceptés par la RFC. Une surcharge d’au moins 1 % sur le taux de l’escompte de la Fed doit être imposée aux prêts accordés contre ces nouveaux collatéraux. Des prêts similaires peuvent aussi être distribués en faveur de personnes privées et de sociétés commerciales ou industrielles qui démontrent qu’elles n’ont pu obtenir de crédit auprès des banques commerciales. On trouve dans ces dispositions une application directe de la règle classique de Bagehot relative au prêteur en dernier ressort : « prêter librement à un taux de pénalité contre du collatéral validé ». Ces voies d’accès à une liquidité accrue semblent relativement peu empruntées par les banques et les entreprises en détresse, peut-être par crainte d’une stigmatisation. En fait, la Fed reste relativement passive, comprenant mal la nouvelle autorité dont elle dispose. Son erreur en tant que régulateur bancaire et prêteur en dernier ressort doit être soulignée, car même si elle est dotée des instruments qui lui permettraient de remplir cette fonction pendant les crises de liquidité, elle ne les utilise qu’en partie et avec beaucoup d’hésitation.
Le bank holiday
Les premiers jours de mars 1933, devant les demandes massives de retrait des dépôts bancaires et de conversion des dépôts en or, plusieurs États fédérés ont fermé les banques9 et le marché du crédit. Le président Hoover, depuis l’élection présidentielle de novembre 1932, expédie les affaires courantes et hésite à répondre aux appels du secrétaire au Trésor Mills, du président du Conseil des directeurs de la Fed, Eugene Meyer, et du gouverneur de la Banque de réserve fédérale de New York, George Harrison, à une fermeture générale des banques. La réserve légale d’or détenue par la Fed de New York est tombée au-dessous du minimum légal10.
Dès sa prise de fonction le 4 mars 1933, le président Roosevelt doit faire face à une situation financière critique qui l’amène à multiplier les mesures d’urgence pour arrêter la panique bancaire et l’effondrement du crédit. Le dimanche 5 mars 1933, il proclame par décret la suspension de toutes les transactions bancaires qui met en application la vacance des banques (bank holiday) préparée par l’administration Hoover plusieurs mois auparavant. Le 9 mars 1933, le Congrès vote l’Emergency Banking Relief Act avec deux objectifs : mettre fin à la perte de confiance du public dans les banques et mettre en œuvre un mécanisme de réouverture des banques. Pour ce faire, la loi donne au président des pouvoirs réglementaires de temps de guerre11, qui l’autorisent notamment à fermer, rouvrir ou liquider toute institution financière sur le territoire des États-Unis. La détention d’or est interdite. L’émission de billets par la Fed peut être couverte par des titres de la dette fédérale. Le contrôleur de la circulation est habilité, pour toute banque jugée incapable de poursuivre normalement son activité, à saisir l’établissement, désigner un administrateur provisoire autorisé à bloquer les dépôts, organiser sa restructuration, permettre l’émission d’actions de préférence au bénéfice de la RFC. Les extensions du crédit fédéral accordées par le Glass-Steagall Act de 1932 sont confirmées.
La suspension d’activité de toutes les banques commerciales dans le pays (du 6 au 13 mars 1933) et l’Emergency Relief Banking Act montrent la réactivité et la détermination du cabinet présidentiel12 pour arrêter la panique. Le 12 mars 1933, dans son premier entretien radiophonique au coin du feu (fireside chat), le président Roosevelt explique brièvement, en termes simples et accessibles « à tout le monde et même aux banquiers », le mécanisme de certification des banques sous le sceau du Trésor et la réouverture des seules institutions saines. Le lendemain, les banques de réserve fédérale reprennent leur activité ; la moitié des banques qui contrôlent 90 % des dépôts rouvrent leurs portes : les nouveaux dépôts excèdent largement les retraits. Il se produit une sorte de ruée à rebours : cette fois, le public se précipite sur les banques pour y redéposer ses avoirs et accéder aux moyens de paiement.
Plusieurs dispositions sont efficaces (Silber, 2009). Ordonner la fermeture de toutes les banques du pays valide rétroactivement les décisions semblables prises par les gouverneurs des États fédérés en évitant de créer un conflit entre ces derniers et le gouvernement fédéral. En outre, il est bien spécifié que seuls les établissements dont la solvabilité aura été vérifiée par l’OCC et les inspecteurs du Trésor seront autorisés à rouvrir leurs portes à la fin de la période de fermeture forcée. Même si quelque 5 000 banques seulement sont vérifiées avant le 13 mars 1933, le public reprend confiance parce que leur solvabilité est attestée par les contrôleurs. Beaucoup de banques comprennent que si elles sont inspectées, elles ne passeront pas l’examen et, spontanément, elles préfèrent trouver elles-mêmes un repreneur ou cesser définitivement leur activité. La RFC, en tout état de cause, est présente et aide un grand nombre de banques à se restructurer ou à réaliser une liquidation ordonnée. Ce processus est entièrement piloté par l’exécutif et le secrétaire au Trésor William H. Woodin. La Fed reste à l’écart du processus de décision. La recapitalisation des banques en détresse n’est aucunement de son ressort, mais de celui de la RFC munie de ses nouveaux pouvoirs.
Avec le recul, on peut se demander pourquoi il a encore fallu recourir au moyen archaïque de la suspension des paiements par les banques pour enrayer la panique. La suspension était au xixe siècle la réponse habituelle aux ruées bancaires, en attendant que la panique se calme et que les banques reprennent le cours normal des affaires. La Fed n’a-t-elle pas été créée pour sauvegarder en toutes circonstances le système des paiements, c’est-à-dire précisément éviter leur suspension (Wicker, 1996) ? En décrétant la vacance des banques, le président Roosevelt montre l’insuffisance de la Fed, son incapacité à se saisir de l’une de ses prérogatives essentielles, même lorsqu’elle est dotée d’instruments d’intervention supplémentaires, comme ceux que lui donne la nouvelle section 13(3) de ses statuts.
L’assurance-dépôt
En 1932-1933, les mouvements d’opinion sont habilement orchestrés par des leaders populaires qui focalisent l’attention sur l’une des préoccupations majeures du public, les pertes des déposants dues aux défaillances bancaires consécutives aux paniques. L’opinion publique, excédée par les fermetures de banques, exige, avec le vigoureux soutien d’ardents défenseurs, comme le représentant de l’Alabama, Henry Steagall, et le gouverneur de Louisiane, Huey Long, l’instauration d’un système national de garantie des dépôts.
L’assurance-dépôt est définie dans le Banking Act du 16 juin 1933, plus connu sous le nom de Glass-Steagall Act13. Il contient de nombreuses dispositions comme le suggère son nom complet : « Une loi qui établit une utilisation plus sûre et plus efficace des actifs des banques, organise le contrôle interbancaire, prévient la diversion injustifiée des fonds dans des opérations spéculatives et traite d’autres questions. » Le Banking Act de 1933 résulte de la synthèse entre, d’une part, la proposition S1631 soutenue par le sénateur Carter Glass qui vise essentiellement la séparation de la banque et du commerce et, d’autre part, le projet HR5661 soutenu par le représentant Steagall, dont le dispositif principal est l’assurance fédérale des dépôts bancaires.
Le débat sur l’assurance-dépôt commence en fait un siècle plus tôt, dès l’instauration des premiers systèmes de garantie des dépôts, notamment celui de l’État de New York destiné à compléter le régime de liberté bancaire (free banking).
Les origines de l’assurance-dépôt
La première faillite d’une banque aux États-Unis remonte à 1809 avec la fermeture de la Farmers Bank of Gloucester dans le Rhode Island. L’État de New York est le premier, en 1829, à doter ses banques d’une assurance-dette, ce que l’on appelle à l’époque « bank obligation », c’est-à-dire une garantie des billets en circulation émis par la banque et des dépôts collectés. L’idée vient d’un homme d’affaires de Syracuse, Joshua Forman, qui dit s'être inspiré de la pratique des négociants Hong à Canton14. Le plan de Forman comporte trois éléments : un fonds de garantie auquel toutes les banques paient une cotisation, un conseil de commissaires investis du pouvoir d’inspecter les banques et une liste des instruments financiers constitutifs du capital de la banque. Tous les systèmes d’assurance-dépôt devront définir les modes d’organisation adéquats de ces trois constituants. Entre 1831 et 1858, cinq autres États15 adoptent des systèmes d’assurance-dépôt inspirés par celui de New York, qui durent jusqu’en 1863, date à laquelle les billets émis par les banques nationales sont garantis par l’OCC.
Entre 1907 et 1917, huit États fédérés16 instituent de nouveaux systèmes d’assurance-dépôt. Comme précédemment, il s’agit de systèmes de garantie mutuelle des dépôts organisés par les banques et non par les États. Mais ces expériences de garantie des dépôts mises en œuvre à la demande des petites banques locales tournent au désastre quand ces régimes font faillite les uns après les autres. Dans les années 1920, des prises de risques excessives et de nombreuses fraudes, encouragées par l’apparente sécurité apportée par l’assurance-dépôt, ont miné ces systèmes.
Cependant, tout n’était pas mauvais dans ces régimes. En particulier, ils s’efforçaient d’associer systématiquement la protection des déposants et la supervision des banques, comprise à l’époque comme une obligation pour celles-ci de respecter des valeurs minimales de certains ratios prudentiels. Divers types de contrôles prudentiels ont alors été imaginés. Ainsi, dans certains cas, on choisit de contrôler le ratio capital/dépôts de la banque, son ratio de levier d’endettement en somme. Dans d’autres États, l’administrateur de l’assurance-dépôt contrôle le ratio des prêts aux dépôts, une certaine mesure de la transformation actif/passif. Dans le régime institué au Texas en 1907, le ratio prudentiel pertinent est le rapport des actifs aux capitaux propres de la banque, une préfiguration du leverage qui sera institué et généralisé aux États-Unis dans les années 1980.
À l’époque, les défaillances des régimes d’assurance-dépôt des États font grand bruit et donnent lieu à d’intenses débats (Calomiris, 1992), notamment au sein de l’American Bankers Association. L’idée d’instaurer un régime fédéral d’assurance des dépôts est au plus bas et se perd dans les méandres des intérêts particuliers défendus au Congrès. En outre, à ce moment-là, l’idée de favoriser l’implantation régionale de succursales bancaires et la consolidation des toutes petites banques commence à apparaître comme une voie alternative pour assurer la stabilité financière. Mais le vote en 1927 du McFadden Act marque un coup d’arrêt à l’interstate branching.
Le débat sur l’assurance-dépôt en 1933
Depuis les années 1880, cent cinquante projets de loi visant à créer une assurance-dépôt nationale ont été présentés sans succès au Congrès. À l’élection présidentielle de 1896, c’est même l’un des thèmes favoris du candidat populiste démocrate Williams Jennings Bryan, défenseur de l’étalon-argent, de la banque rurale à guichet unique, et adversaire résolu des grandes banques de Wall Street. Golembe (1960, pp. 181-182) souligne bien que l’assurance-dépôt n’est pas une idée nouvelle en 1933 : au début du xxe siècle, des systèmes de garantie des dépôts existent dans huit États fédérés ; tous font cependant faillite avant la fin des années 1920.
L’assurance-dépôt compte parmi les réalisations les plus marquantes du programme législatif des cent premiers jours du New Deal, sans que la nouvelle administration ne l’ait jamais ni proposée, ni soutenue. En réalité, selon Calomiris et White (1994), sans la Grande Dépression et les paniques bancaires, les États-Unis n’auraient sans doute pas instauré l’assurance-dépôt. Mais de redoutables obstacles s’y opposent et il existe des moyens plus sûrs d’assurer la stabilité du système bancaire.
Au premier plan des opposants à l’assurance-dépôt figurent le président Roosevelt, son administration, notamment le secrétaire au Trésor Woodin, et le président de la Commission bancaire du Sénat. Roosevelt précise que : « L’idée qui sous-tend l’expression “garantie des dépôts bancaires” est que l’on garantit aussi bien les mauvaises banques que les bonnes. À l’instant où le gouvernement s’engage dans cette voie, l’État s’expose à une perte probable. Nous ne souhaitons pas rendre le gouvernement responsable des fautes et des erreurs de banques individuelles, ni lui infliger une charge future supplémentaire sur les banques mal gérées. »17 Raisonnement partiellement juste, certes, mais qui ignore les effets externes : les paniques ruinent autant les déposants des banques bien gérées que ceux des banques insolvables.
Les agences fédérales de contrôle bancaire s’opposent aussi à l’assurance-dépôt. Ainsi, le contrôleur de la circulation John Pole, farouche partisan d’une libéralisation de l’interstate branching, s’affirme vigoureusement opposé à l’assurance-dépôt. L’exemple du Canada (Bordo, Redish et Rockoff, 2011), où il ne s’est jamais produit de ruées bancaires, montre que la stabilité financière peut être maintenue sans assurance-dépôt (ni banque centrale). La National Monetary Commission qui a enquêté sur la crise financière de 1907 a longuement souligné la contribution à la stabilité financière de banques libres d’établir des réseaux de succursales dans des régions diversifiées. La Fed n’exprime aucune opinion et reste neutre dans le débat. Le sénateur Glass, l’un des fondateurs du Système de réserve fédérale et porteur du projet de loi qui contient les dispositions sur l’assurance-dépôt, ne soutient pas le projet, pas plus que l’American Bankers Association et l’Association of Reserve City Bankers.
Les banques elles-mêmes se prononcent en majorité contre l’adhésion au système d’assurance-dépôt parce qu’elle entraînerait un contrôle par la Fed qu’elles redoutent. Les banques les mieux gérées sont attachées à la concurrence et à la discipline de marché. Elles craignent qu’un système général d’assurance-dépôt ne soit exagérément coûteux et que les banques saines ne subventionnent injustement les banques mal gérées et trop risquées. La crainte de renforcer le risque moral est au cœur des préoccupations des banquiers les plus avisés et ils tentent d’en persuader, sans grand succès, les membres du Congrès. Les banquiers sont traditionnellement divisés sur cette question. Les grandes banques sont ouvertement contre, comme Percy H. Johnson, le président de la Chemical Bank and Trust Company of New York, Winthrop W. Aldrich, celui de la Chase National Bank (Burns, 1974, p. 67 et 87), ou Guy Emerson, directeur général de la Bankers Trust Company (Emerson, 1934).
Pendant des décennies, les plus fervents soutiens de l’assurance-dépôt sont les petites banques rurales à un seul guichet (unit banks) implantées dans les États fédérés qui interdisent les succursales bancaires. Mais depuis la crise de 1921, beaucoup d’entre elles ont fermé leurs portes, d’autres sont en déclin et ne disposent plus d’un soutien politique aussi important qu’avant cette période. Après la Première Guerre mondiale, l’effondrement des prix agricoles et l’exode rural qui s’ensuit accélèrent le changement. Les petites banques comprennent que pour survivre, elles doivent s’agrandir et se diversifier afin de renforcer leur assise géographique et le volume de leurs dépôts, plutôt que de s’en remettre à une hypothétique protection extérieure.
Les partis en présence sont arrivés à des points de vue qui ont pour le moins évolué. Les partisans de l’assurance, y compris les petites banques, en viennent à s’opposer à un renforcement de la concentration des grandes banques. Au contraire, les opposants à l’assurance voient dans la concentration le meilleur moyen d’assurer la stabilité financière. Les arguments décisifs des partisans du système fédéral sont directement puisés dans l’opprobre jeté sur les grandes banques de Wall Street.
Le sénateur démocrate Glass est l’auteur de propositions de réformes bancaires présentées au Congrès en 1931 et 1932. Il plaide pour qu’il soit mis fin au système dual des chartes bancaires et aux distorsions de concurrence introduites par des prérogatives et des contraintes réglementaires différentes, selon qu’une banque obtient sa charte des autorités bancaires d’un État fédéré (state-chartered bank) ou qu’elle la détient du contrôleur fédéral de la circulation (national bank). Glass soutient l’idée que l’unification des banques en un seul système national, qui permettrait la création de succursales sans restriction territoriale, serait plus stable car moins dépendante des conditions purement locales de son exploitation. L’activité des banques commerciales doit consister en collecte de dépôts et distribution de prêts commerciaux à court terme. Les manquements doivent être sanctionnés par une augmentation de leurs ressources. Les banques doivent être plus strictement contrôlées par les autorités fédérales.
Le représentant, lui aussi démocrate, Henry Steagall, alors président de la Commission de la chambre sur les banques et la circulation monétaire, préconise un système national de garantie des dépôts. Il est opposé à l’unification des banques à charte d’État fédéré et des banques à charte nationale ainsi qu’aux succursales bancaires, par crainte de concentration excessive et d’abus de domination. Son projet de réformes est introduit au Congrès en 1932 et 1933. Il reçoit aussi l’appui du président de la RFC, Jesse Jones. Au terme d’un compromis passé entre Glass et Steagall, grâce à un amendement du sénateur Arthur H. Vandenberg, les deux projets sont fusionnés dans le Banking Act. La loi est approuvée à la quasi-unanimité, puis promulguée par le président le 16 juin 1933, moins de trois mois après la vacance temporaire des banques et l’Emergency Relief Banking Act du 9 mars 1933.
La Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC)
La FDIC est créée par le Glass-Steagall Banking Act avec le statut de société publique indépendante non subventionnée qui doit donc subvenir à ses besoins. Elle a pour mission de « maintenir la stabilité et la confiance du public dans le système financier national par l’assurance des dépôts, le contrôle et la surveillance des institutions financières et la gestion de leur administration provisoire ». Pour ce faire, elle reçoit trois attributions complémentaires : assureur des dépôts bancaires, superviseur des banques et administrateur des défaillances bancaires.
Son rôle ne se limite donc pas à l’assurance-dépôt. Pour la première fois, le législateur définit un régulateur prudentiel à part entière, indépendant à la fois du Trésor et de la banque centrale. La FDIC est une innovation majeure, inédite, et qui reste originale jusque dans les années 199018.
Son capital est souscrit par le Trésor, les banques de réserve fédérale des districts et les banques adhérentes à l’assurance-dépôt. Rapidement, la FDIC est organisée. Les banques nationales et les banques membres du Système de réserve fédérale sont adhérentes d’office à l’assurance-dépôt. Les 8 000 banques à charte d’État non-membres du Système de réserve fédérale peuvent choisir ou non d’adhérer. Celles qui choisissent l’adhésion font l’objet d’une évaluation en vue de leur admission.
Le Banking Act de 1933 établit un plan temporaire d’assurance-dépôt pour le premier semestre 193419 qui est, en fait, prolongé d’un an. Le plan permanent initial est modifié par le Banking Act de 1935 et un nouveau plan est mis en œuvre à partir du 1er juillet 193520. La loi fixe initialement la cotisation forfaitaire que doivent payer à la FDIC les banques assurées à hauteur de 1/12 de 1 % du total des dépôts21. Un complément de cotisation (assessment) peut éventuellement être demandé par la FDIC si les ressources du fonds de garantie sont insuffisantes. Mais face à la protestation des banques devant cette charge nouvelle, au moment où elles commencent juste à retrouver des résultats positifs, le Congrès cherche à compenser leur fardeau. Le compromis suggéré par le sénateur Vandenberg propose de dispenser les banques de rémunérer les dépôts à vue et de plafonner les intérêts créditeurs versés sur les dépôts et les comptes à terme (Bradley, 2000). La Règle Q amendant les statuts de la Fed entérine ce système qui est aussi supposé mettre fin à la surenchère et à la concurrence destructrice à laquelle les banques se livrent pour attirer les dépôts et augmenter leurs parts de marché.
Bien que la FDIC soit l’autorité d’examen et de contrôle de toutes les banques assurées pour éviter la duplication des contrôles avec la Fed, elle se cantonne en pratique à la supervision principale des banques à charte d’État adhérentes à l’assurance-dépôt non-membres du Système de réserve fédérale. Elle est, à ce titre, compétente pour examiner et établir des normes prudentielles destinées à promouvoir les banques sûres et fortes (safe and sound). Elle a aussi une autorité partagée sur les banques nationales membres du Système de réserve fédérale qui doivent obligatoirement adhérer à l’assurance-dépôt.
Le filet de sécurité
Un filet de sécurité public protégeant les déposants peut prévenir les retraits massifs ainsi que les paniques bancaires, tout en surmontant la réticence des déposants à confier leur argent au système bancaire. La FDIC fournit ce type de filet de sécurité sous la forme d’une assurance des dépôts à vue garantissant un remboursement intégral à hauteur de 10 000 dollars, puis 75 % des 40 000 dollars suivants et 50 % du dépôt au-delà de 50 000 dollars. Avec une couverture quasi intégrale des dépôts, les déposants n’ont pas besoin d’effectuer de retraits massifs pour récupérer leur argent, quand bien même ils s’inquiéteraient de la solidité de leur banque, puisqu’ils sont assurés de récupérer leur dépôt au pair. Entre 1930 et 1933 – années précédant directement la création de la FDIC –, les faillites bancaires aux États-Unis touchait, en moyenne, 2 000 banques par an. Après 1934, ce nombre est tombé à moins de 15 banques par an jusqu’en 1981.
La nature de l’assurance offerte par la FDIC donne lieu à d’intenses discussions à l’époque de sa création. Pour Emerson (1934), il ne s’agit pas d’une assurance à proprement parler puisque le bénéficiaire de l’indemnisation n’est pas celui qui paie la prime d’assurance. Il ne peut s’agir que d’une garantie apportée par la puissance publique en vue de protéger la stabilité financière qui est un bien collectif. Cette discussion est en fait relativement secondaire car, dans les deux cas, assurance ou garantie, au début du fonctionnement de la FDIC, l’indemnisation provient de l’argent des contribuables et est payée sous la forme d’avances du Trésor.
De 1930 à 1933, si plus de 9 000 banques ont été défaillantes, 9 seulement ont fermé en 1934, avant que ce nombre monte à quelques dizaines jusqu’en 1939. Si l’on impute souvent ce succès à l’assurance-dépôt et à la FDIC, il convient de nuancer. La simple chronologie suggère aussi que le bank holiday du 6 au 13 mars 1933 et la vérification de la solvabilité des banques pour autoriser leur réouverture sont plus efficaces pour arrêter les paniques que le vote, trois semaines plus tard, du Banking Act et, a fortiori, que la mise en route de l’assurance-dépôt en 1934. Quoi qu’il en soit, malgré la poursuite de la dépression, les ruées et les paniques bancaires cessent. Elles ne reparaissent que dans les années 1980 aux États-Unis.
L’autorité de résolution de la FDIC
L’autorité de résolution de la FDIC instaure un règlement administratif spécial de la faillite bancaire qui déroge à la loi sur les faillites commerciales, en l’occurrence le Nelson Bankruptcy Act amendé de 1898, puis le Chandler Act de 1938 qui modernise l’ancienne législation. La loi commerciale traditionnelle protège l’entrepreneur, protecteur des droits de propriété et des biens de l’entreprise défaillante, contre les poursuites des créanciers de sorte qu’il puisse œuvrer au redressement et à la continuation de l’entreprise. Quand les défaillances bancaires étaient gérées selon cette procédure commerciale, les déposants devaient attendre la liquidation, souvent plusieurs années après la fermeture de la banque, avant de recouvrer une partie de leurs dépôts. En matière bancaire, ces délais sont excessifs et il convient de restituer plus rapidement leurs fonds aux déposants. Ils doivent donc recevoir une protection juridique spéciale dans la mesure où ils sont à la fois clients non informés de la gestion de la banque et créanciers au sens où ils confient à la banque le règlement de leurs transactions par débit/crédit de leurs comptes.
En outre, les nouveaux règlements des faillites commerciales font désormais intervenir, sous diverses formes, un syndic de faillite qui, mieux que la masse de la faillite, est en mesure d’accélérer le redressement ou la liquidation. Ainsi, il est souvent fait appel à un trustee qui rend des comptes au juge de la faillite. La FDIC est dotée d’un pouvoir de résolution propre qu’elle est tenue de mettre en œuvre quand une banque assurée est en situation de défaut, c’est-à-dire lorsque l’autorité qui lui a délivré sa charte observe qu’elle n’est pas en mesure de faire face à ses paiements et ses obligations immédiats ou à courte échéance. Selon le statut de la banque, l’autorité bancaire de l’État fédéré, l’OCC, ou la Fed, ferme la banque et désigne la FDIC comme administrateur judiciaire (receiver) chargé de la résolution, c’est-à-dire du règlement judiciaire de l’établissement. Pour les banques nationales dépendant de l’OCC, cette procédure est obligatoire. Elle est facultative pour les banques à charte d’État fédéré assurées, mais elle est très souvent utilisée dans ce cas aussi.
La FDIC utilise trois méthodes pour gérer le défaut de paiement d’une banque assurée :
- la méthode du remboursement des dépôts (deposit pay-off method). C’est la seule méthode utilisable par la FDIC à ses débuts. La banque est fermée par son autorité de supervision et la FDIC rembourse les dépôts dans les limites fixées. Après la liquidation de la banque, elle paie les autres créanciers et se dédommage par la vente des actifs restants. Grâce à cette méthode, les déposants dont les dépôts dépassent la limite fixée récupèrent plus de 90 % de leur argent, même si cette procédure s’étale sur plusieurs années ;
- la méthode de la banque relais (bridge bank method). Il arrive que la fermeture de la banque défaillante soit inopinée et précipitée à la suite d’un manque de liquidité et de la possibilité d’en emprunter. La FDIC peut alors établir une banque relais. Cette dernière lui permet de fournir de la liquidité pour continuer les opérations de la banque défaillante, le temps pour le régulateur d’évaluer et de vendre les actifs de celle-ci. Avec la banque relais, les actionnaires de la banque défaillante sont évincés comme dans le cas de la liquidation ;
- la méthode acquisition et adossement (purchase and assumption transaction). Le Banking Act de 1935 donne à la FDIC la possibilité d’organiser des fusions entre les banques assurées. Dès lors, la FDIC peut restructurer la banque défaillante en trouvant parmi les banques plus puissantes un acquéreur prêt à assumer les engagements de cette dernière, de telle sorte que les déposants récupèrent intégralement leurs dépôts. Elle peut venir en aide au repreneur en lui accordant des prêts avantageux ou en rachetant les plus mauvaises créances de l’établissement défaillant. Au final, cette méthode, qui devient la plus utilisée, offre une garantie intégrale de tous les dépôts par la FDIC et pas seulement des dépôts assurés en deçà de la limite supérieure fixée. L’objectif est pleinement atteint quand le coût de la résolution est intégralement supporté par les seuls actionnaires et non les contribuables.
L’intervention de la FDIC présente l’avantage de permettre une réallocation rapide des ressources. C’est un processus douloureux pour les actionnaires, les créanciers autres que les déposants et, souvent, les employés, mais l’histoire prouve que la reconnaissance précoce des pertes, la fermeture et la vente des institutions financières non viables sont le chemin le plus sûr vers la stabilité financière.
Malgré tout, l’assurance-dépôt comporte un défaut majeur. À partir du Banking Act de 1935, les banques doivent payer une prime d’assurance forfaitaire pour alimenter le fonds de garantie des dépôts géré par la FDIC. La banque assurée est incitée à prendre plus de risques puisque en cas de succès de ses investissements, elle réalise une meilleure rentabilité financière, alors qu’en cas d’échec, c’est la FDIC et le contribuable qui paient. Selon la formule devenue banale : « Pile, la banque gagne, face la FDIC perd. » Il en va ainsi parce qu’en fait, tous les dépôts, même non assurés, sont couverts par les modes de résolution de la FDIC. Un tel risque moral ne peut être que (partiellement) atténué par un système dissuasif de primes d’assurance variables selon le risque des actifs de la banque. Il faudra attendre 1952 pour que le principe de la pondération des actifs par les risques fasse une timide apparition et les années 1990 pour que la prime d’assurance perçue par la FDIC varie en fonction des actifs risqués de la banque.
La séparation de la banque commerciale et de la banque d’investissement
Les conflits d’intérêts
L’opinion, bruyamment conduite par le conseiller Ferdinand Pecora, célèbre orateur populiste, président d’une commission d’enquête du Congrès, appuyé par le sénateur Glass, réclame que soit mis fin aux tromperies des banques à Wall Street que le public juge condamnables.
Les études de White (1986) montrent qu’avant le Banking Act de 1933, les banques universelles, c’est-à-dire les banques commerciales et leurs filiales de négoce de titres, sont en concurrence directe avec les banques d’investissement. La concurrence s’exerce, d’une part, dans l’origination des émissions de titres par les entreprises et les introductions en Bourse et, d’autre part, dans la garantie de ces émissions par prise ferme et placement des titres (underwriting) de sociétés privées auprès des investisseurs, soit directement, soit par l’intermédiaire de filiales.
Le Glass-Steagall Banking Act de 1933 met fin à cette concurrence en ordonnant la séparation de la banque commerciale et de la banque d’investissement sur un plan organique plutôt que fonctionnel. La justification invoquée est qu’en raison de conflits d’intérêts, les banques commerciales trompent le public en lui vendant des titres de mauvaise qualité. En réalité, on n’a jamais pu démontrer que les filiales titres des banques commerciales se comportent systématiquement plus mal vis-à-vis de leurs clients que les banques d’investissement indépendantes. Mais le public est persuadé, non sans raison, que des conflits d’intérêts sont possibles et qu’ils font peser des contraintes sur les filiales titres des banques commerciales dans leurs activités de placement par prise ferme des émissions.
Initiateur de cette disposition devant le Congrès, le sénateur Glass est convaincu que l’achat de titres direct des compagnies commerciales et industrielles par les banques commerciales est porteur d’un risque qu’il doit leur être interdit de prendre car il nuit à la stabilité financière. La position du sénateur Glass s’appuie sur la doctrine des effets réels inlassablement défendue par son secrétaire de toujours, l’économiste Parker H. Willis : les banques doivent exclusivement escompter des effets à court terme qui représentent des transactions commerciales réelles. En outre, le mélange des fonctions de banque commerciale et de négoce des titres crée inévitablement des conflits d’intérêts. Ces conceptions sont aussi celles qui sont implicites dans l’enquête de la Commission monétaire et bancaire du Sénat en 1933-1934, lancée sous la pression des actionnaires ruinés, qui examine les agissements et les éventuels abus commis par les banques universelles. Les auditions conduites par Pecora sont suivies avec passion par l’opinion et connaissent un grand retentissement populaire.
De nombreux investisseurs se plaignent devant la Commission d’avoir fait l’objet de pressions pour acheter d’importantes quantités de titres dont la valeur s’est brutalement effondrée peu après. Les investisseurs et les épargnants s’en prennent aux banques universelles pour l’énorme battage publicitaire qu’elles font pour amener les épargnants à leur faire acheter ces titres. Pour l’opinion, les bankers se comportent en gangsters, ce sont des banksters.
L’enquête Pecora révèle en effet plusieurs cas d’abus graves commis par les banques universelles. Un employé de la National City Bank (ancêtre de la Citibank) est accusé d’avoir vendu des « titres exposés et spéculatifs » aux clients de la banque, notamment des obligations de la République du Pérou qui répudie peu après sa dette.
Le cas de la Fox Motion Picture Company, société de production cinématographique, est longuement étudié par la Commission pour illustrer les défauts de la banque universelle (Kroszner et Rajan, 1993 ; Wigmore, 1985). Il est reproché au président de la National City Bank, Charles E. Mitchell, et au directeur de la Chase National Bank, Albert H. Wiggin, d’avoir monté des opérations de concert dans lesquelles les ressources des banques sont utilisées pour faire grimper le cours des actions des banques pour le plus grand profit de leurs dirigeants et de leurs alliés. En 1929, la General Theaters and Equipment Company (GTE) achète la Fox en faillite grâce à un prêt de 15 M$ de la Chase National Bank. Au début de 1930, la Chase Securities Company, filiale de la Chase National Bank, souscrit 23 M$ d’actions ordinaires et 30 M$ d’obligations émis par la GTE ; celle-ci a utilisé une partie du produit de ces émissions pour rembourser le prêt consenti par la Chase National Bank. L’année suivante, la GTE est tombée en déconfiture et se tourne à nouveau vers la Chase National Bank pour obtenir des prêts supplémentaires. La Chase Securities Company qui détient déjà des actions et des obligations de la GTE décide de souscrire pour 30 M$ d’obligations supplémentaires. Deux ans plus tard, la GTE fait faillite. D’après Wigmore (1985, p. 175), les investigations de la Commission Pecora montrent que les conflits d’intérêts au sein du groupe Chase l’ont conduit à souscrire des titres de mauvaise qualité pour rembourser ses propres prêts et que l’information relative aux titres que Chase essayait de vendre au public a été dissimulée ou déformée.
Un duopole bancaire agressif
Selon une autre interprétation (Tabarrok, 1998), le marché bancaire est dominé par un duopole agressif entre les Rockefeller et les Morgan. La séparation de la banque commerciale et de la banque d’investissement issue du Glass-Steagall Act de 1933 aurait été le moyen indirect utilisé par l’un des auteurs de la loi, l’influent Winthrop Aldrich22, pour donner un avantage concurrentiel aux banques du groupe Rockefeller, la Chase National Bank et la National City Bank, aux dépens des banques de la Maison Morgan.
En mars 1933, la National City Bank, présidée par Mitchell, annonce à la surprise générale qu’elle se sépare de sa filiale titres, tandis qu’Aldrich lance une campagne de presse visant à renforcer le contrôle des banques commerciales, à obliger les banques privées à séparer les services commerciaux et d’investissement, et à interdire que les mêmes administrateurs siègent dans des institutions financières des deux types. Pour les contemporains, il est évident que le programme d’Aldrich n’a qu’une cible, la rivale de toujours des Rockefeller, JP Morgan & Company, dont la banque d’investissement est spécialisée dans la prise ferme des émissions de son alliée l’US Steel Corporation et d’autres grandes corporations. La moitié des associés de JP Morgan sont aussi des directeurs de banques commerciales. La Commission Pecora établit que JP Morgan a prêté à soixante administrateurs et directeurs d’autres banques affiliées au groupe une preuve selon laquelle les informations circulent et expliquent les nombreux délits d’initiés, les manipulations de cours et autres malversations dont sont victimes les boursicoteurs à Wall Street.
Si l’action d’Aldrich aboutit, elle peut conduire à la séparation des banques du groupe Rockefeller-Chase au même titre que celles du groupe Morgan. Mais le coût sera plus élevé pour Morgan que pour Rockefeller-Chase et ce dernier y trouvera un avantage concurrentiel qu’il juge décisif. En effet, pendant la dépression, les affaires de la Chase National Bank stagnent et elle va bientôt être à son tour placée sous les critiques de la Commission Pecora. Au contraire, les relations croisées entre les dirigeants de JP Morgan lui permettent de multiplier les fusions-acquisitions lucratives nombreuses en raison des faillites d’entreprises. JP Morgan a plus à perdre que la Chase National Bank. Toute la puissance des lobbyistes de Rockefeller se concentre sur la cible Morgan. La séparation de la banque commerciale et de la banque d’investissement contenue dans le Glass-Steagall Act, qui, selon le sénateur Glass (un proche de JP Morgan), devait concerner les seules banques nationales et non les banques privées, serait le fruit de cette rivalité concurrentielle exacerbée.
La séparation des prêts et des titres
Le Glass-Steagall Act autorise les banques commerciales à placer les nouvelles offres de titres publics, mais leur interdit le placement par prise ferme (underwriting) des titres privés ainsi que le négoce de titres. Il empêche aussi les banques de s’engager dans l’assurance ou l’immobilier. En contrepartie, la loi interdit aux banques d’investissement et aux compagnies d’assurances les activités de banque commerciale, notamment la collecte de dépôts. Pour les prêts, les banques d’investissement bénéficient de possibilités de faire crédit à leurs clients acquéreurs de titres. Elles exercent en tout cas le prêt de titres, leur cœur de métier, beaucoup plus lucratif en moyenne que le prêt d’argent. La séparation protège ainsi les banques de la concurrence. Il s’ensuit, par exemple, qu’à la suite du Glass-Steagall Act, la Maison Morgan est obligée de se scinder en une banque commerciale (JP Morgan) et une banque d’investissement (Morgan Stanley).
Malgré les interdictions du Glass-Steagall Act, la recherche du profit et les innovations financières poussent aussi bien les banques commerciales que les autres institutions financières à transgresser les interdictions légales et à s’étendre sur le territoire traditionnel de l’autre. Les maisons de titres empiètent sur l’activité bancaire traditionnelle de collecte de dépôts en favorisant la naissance de money market mutual funds. Une lacune de la Section 20 du Glass-Steagall Act permet aussi aux filiales des banques commerciales membres du Système de réserve fédérale de pratiquer la prise ferme de certains titres tant que les revenus ne dépassent pas 10 % du revenu total de la filiale. Les banques commerciales cherchent à forcer l’entrée de cette activité, mais il leur faudra attendre 1988 pour obtenir gain de cause par une décision de la Cour suprême. Les agences de régulation permettent aussi au fil du temps aux banques de s’engager au coup par coup dans certaines activités comme l’immobilier et l’assurance. Les frontières du Glass-Steagall Act sont poreuses.
On ne saurait dire avec certitude si la stagnation des banques commerciales jusqu’aux années 1960 est imputable à la Grande Dépression, puis à la Seconde Guerre mondiale, ou aux restrictions de leur activité imposées par le Glass-Steagall Act. Pour nombre d’économistes qui cherchent à mesurer le coût de l’absence de banques universelles aux États-Unis par rapport aux banques européennes, par exemple, il ne fait guère de doute que la loi entrave le développement des banques et, par là, prive la croissance à long terme de moyens de financement. Il est vrai aussi que la banque commerciale doit évoluer et apprendre à financer autre chose que des crédits commerciaux à court terme. Il faudra beaucoup de temps avant que la Fed change son point de vue et accompagne cette évolution bancaire. La doctrine des effets réels aura sans doute exercé une influence négative plus grave que la séparation de la banque et du titre.
L’organisation du marché des titres
L’interdiction pour les banques commerciales de pratiquer l’underwriting des titres privés a en fait des raisons plus profondes que les tromperies ou les conflits d’intérêts qui focalisent tant l’attention de la Commission Pecora. Pour les partisans du Glass-Steagall Act, l’investissement direct dans l’activité titres des banques commerciales augmente en effet la prise de risques par les banques pour le système financier (White, 1986).
L’essor du marché des titres et son emballement datent des années 1920. D’après Peach (1941), pendant la Première Guerre mondiale, les émissions de liberty bonds par le gouvernement suscitent l’engouement du public pour le marché des obligations. Dans les années 1920, les entreprises se tournent alors de plus en plus vers le marché financier pour couvrir leurs besoins de fonds par des émissions d’obligations et de commercial papers à court terme (Carosso, 1970). Profitant de la hausse générale du prix des actifs, les émissions d’actions flambent aussi. Les banques commerciales doivent donc faire face à une certaine désintermédiation et exercent des pressions sur les législateurs pour obtenir un élargissement de la gamme des activités financières qui leur sont autorisées.
Dans de nombreux États, les banques à charte d’État peuvent depuis toujours directement développer leurs services financiers sans obligation de les confier à des filiales. Au contraire, le National Banking Act de 1864 interdit aux banques nationales la détention d’actions ordinaires de compagnies privées (Peach, 1941, pp. 44-51). De nombreuses banques nationales ont néanmoins ouvert des départements de gestion d’actifs, obligations et autres instruments à taux fixes, mais des décisions de justice au début du xxe siècle font planer un doute sur la légalité de ces activités (White, 1984). Pour lever toute ambiguïté, les banques nationales et les sociétés fiduciaires (financial trusts) préfèrent créer des filiales spécialisées. Elles choisissent de les installer dans les États où le droit financier est le plus accommodant. Ainsi, la Union Trust Company of Detroit constitue en société dans l’État du Delaware sa filiale dénommée Union Commerce Investment Company, qui exerce en fait des activités de banque d’investissement interdites à la maison mère (Peach, 1941, p. 51). Les années 1920 voient le nombre des filiales financières des banques nationales exploser, passant de 10 en 1922 à 114 en 1931. Les départements titres des banques commerciales à charte d’État passent de 62 à 123. Nombre d’entre eux et de filiales se spécialisent dans l’underwriting des émissions d’obligations privées qui triplent de volume au début des années 1930.
La réglementation de l’activité titres est des plus succinctes, mis à part les règlements des Bourses de valeurs dont le Stock Exchange de Wall Street à Manhattan. Dans l’industrie du titre, les limitations viennent essentiellement des importantes dispositions du Martin Act23 adopté par l’État de New York (qui inclut Wall Street) en 1921. Ce texte interdit « toute fraude, tromperie (deception), dissimulation (concealment), omission, simulacre (pretense), ou opération fictive dans un achat ou une vente de titres ». La notion de fraude a ici un sens très général24, par exemple l’« oubli » par le vendeur d’informer l’investisseur de tel ou tel fait relatif au titre. Cette définition ouvre au procureur de l’État de New York la possibilité de poursuivre la simple négligence dans le devoir d’informer l’investisseur.
Une législation fédérale voit le jour avec le Securities Act de 1933 et en 1934, le Securities Exchange Act. La portée de cette législation est plus grande que l’on ne la perçoit initialement. Le Securities Act de 1933 ordonne l’enregistrement des émissions de titres des sociétés auprès de la Federal Trade Commission (FTC), l’autorité fédérale de régulation des valeurs mobilières. La loi sur les titres impose des exigences d’information aux offreurs d’actions et d’obligations d’un État fédéré à un autre par transfert entre succursales des maisons de titres ou par courrier fédéral. La loi détaille et réprime les fraudes pour tous les intervenants opérant sur tous les types de titres : présentation abusive, incomplète ou trompeuse de faits relatifs aux titres ou aux sociétés, diffusion de fausses informations aux marchés, actions de manipulation des cours, actions de concert illicites, délits d’initiés... Des dispositions particulières doivent être observées par chaque catégorie d’intervenants, courtiers (brokers) agissant pour compte de tiers, teneurs de marché (dealers, market-makers) agissant pour compte propre, en anticipation de transaction ou de client… La justification des commissions doit être transparente.
Le Securities Exchange Act de 1934 réglemente les Bourses de valeurs mobilières. Le Congrès transfère les attributions