Plus d’un an et demi après sa promulgation et alors que sa mise en place est encore loin d'être achevée, le « Dodd-Frank Act pour la réforme de Wall Street et la protection des consommateurs » de 2010 (plus connu sous le nom de Dodd-Frank Act) suscite toujours des débats à la fois sur ses objectifs et sa mise en pratique. Le Bureau de protection des consommateurs de produits financiers (ou Consumer Financial Protection Bureau – CFPB) se trouve au cœur de ces débats. Au vu des objectifs ambitieux poursuivis par le Dodd-Frank Act, ces débats autour des objectifs pourtant légitimes du CFPB se révèlent surprenants1. Le CFPB a été conçu pour protéger les consommateurs des produits financiers agressifs, comme ceux qui ont entraîné la crise financière2 ; il est chargé de promouvoir la transparence, l’équité et le caractère approprié des produits financiers pour les consommateurs, grâce à la mise en application des règles et la surveillance d’un grand nombre de fournisseurs de services financiers3.
Cependant, le CFPB demeure la cible d’une intense opposition de milieux politiques et industriels lui reprochant d’étouffer le crédit et les nouveaux produits4, voire de mener les banques à la faillite. Ses opposants politiques ont indéfectiblement refusé de laisser le président Obama installer un directeur à sa tête sans changements structurels importants ; les sénateurs républicains ont ainsi exposé dans une lettre au président que le CFPB possède « une portée et un contrôle sans précédent sur les décisions des consommateurs individuels – assortis d’un manque de surveillance et de comptes à rendre sans précédent lui aussi »5. Sans directeur, le CFPB ne pouvait pas exercer ses pleins pouvoirs6. Le 4 janvier 2012, alors que le Sénat n’était pas en cession, le président Obama a nommé l’ancien Attorney General de l’État de l’Ohio, Richard Cordray, directeur du CFPB7. Cette nomination controversée n’a pas mis fin à la bataille politique entourant cette agence. La légalité de cette nomination est contestée, tout comme la capacité du nouveau directeur à exercer tous les pouvoirs du CFPB, au motif que le Sénat ne l’avait pas ratifiée8. En dépit de cette polémique, Cordray n’a pas perdu de temps pour décider et mettre en œuvre des actions prioritaires. Mais en raison de cette controverse persistante autour du CFPB et de la nomination du directeur, il est difficile de savoir dans quelle mesure le CFPB modifiera le paysage réglementaire.
Nous rappellerons ci-dessous le cadre légal applicable aux produits financiers destinés aux consommateurs avant la crise de 2008. Nous présenterons le rôle déclencheur de la crise financière joué par les prêts hypothécaires et les nouvelles règles applicables à ces prêts à la suite de l’entrée en vigueur du Dodd-Frank Act en réponse à cette crise. Nous décrirons ensuite le CFPB et le rôle qu’il est appelé à tenir dans la régulation des produits financiers destinés aux consommateurs. Enfin, nous signalerons plusieurs domaines de l’activité bancaire destinés aux consommateurs sur lesquels nous pensons que le CFPB concentrera ses efforts dans le court-moyen terme.
La protection financière du consommateur avant le Dodd-Frank Act
Avant la refonte du système de régulation financière par le Dodd-Frank Act, un réseau complexe d’organismes fédéraux et nationaux, possédant des juridictions et des missions diverses, se partageait la responsabilité de protéger les consommateurs en matière de produits financiers. Cinq agences bancaires fédérales contrôlaient les pratiques des banques, surveillant les conditions des crédits, leur divulgation, la confidentialité des informations, le recouvrement, les transferts de fonds électroniques, les conditions des comptes de dépôt et le suivi des crédits9. Au niveau fédéral, la Federal Trade Commission (FTC) était en charge de promulguer et de faire respecter les règles concernant les fournisseurs de services financiers qui ne sont pas des établissements de dépôt, incluant les sociétés financières, les sociétés de financements immobiliers, les concessionnaires automobiles et les agences de renseignements commerciaux10, tandis que les régulateurs étatiques étaient également en charge de la surveillance des sociétés officiant dans leurs États ou y ayant leur siège social.
Dans les années précédant la crise, les régulateurs bancaires ont concentré leurs moyens de surveillance sur des problématiques prudentielles (capital, gestion du risque et gouvernance d’entreprise) plutôt que sur la protection des consommateurs11. Ce choix affirmé en faveur des questions prudentielles était dicté par le modèle de supervision, basé sur le risque, dans lequel les agences déployaient leurs ressources sur les domaines réputés créateurs des risques les plus importants pour la solidité financière du secteur bancaire – typiquement les domaines menaçant la sûreté et la sécurité12. Les conflits opposant sûreté, sécurité et équité envers les consommateurs se résolvaient la plupart du temps en faveur des deux premières13. Le profit l’emportait sur la protection du consommateur, au moment où le modèle originate-to-distribute de prêts explosait en une frénésie de titrisation au milieu des années 2000. Même face à l’évidence, de plus en plus de produits toujours plus innovants laissaient les emprunteurs face à des mensualités qu’ils ne pouvaient pas régler et les régulateurs bancaires n’ont en général pas cherché à décourager ces pratiques réputées rentables et porteuses de peu de risques pour le capital des banques14.
La fragmentation de la protection des consommateurs entre de multiples agences se traduisant trop souvent par une efficacité insuffisante, coordonner les politiques de l’essaim d’agences nationales et fédérales était politiquement et logistiquement difficile. Au niveau fédéral, la plupart des responsabilités incombaient au Federal Reserve Board (FRB), possédant l’autorité sur les pratiques risquées de crédits immobiliers sous le Home Ownership and Equity Protection Act15. Mais la Federal Reserve (Fed) n’a jamais rempli ce mandat. Culturellement encline à favoriser la discipline par les marchés plutôt que par la réglementation, elle plaçait la protection des consommateurs en troisième position, loin derrière la politique monétaire et la supervision des banques. Quand elle concentrait ses politiques de réglementation sur les pratiques bancaires liées aux consommateurs, c’était principalement pour assurer que les pratiques de diffusion d’informations adoptées par les institutions financières étaient adéquates.
Comme dans le cas de la FTC, les moyens de surveillance de la Fed se sont trouvés dépassés par les quelque 100 000 compagnies financières non bancaires relevant de sa juridiction légale. En règle générale, la FTC protège les consommateurs des « pratiques et actes injustes ou trompeurs »16 réalisés par des entreprises aussi diverses que les épiceries ou les prospecteurs téléphoniques. Son outil principal pour dissuader les conduites illégales de la part de telles sociétés est le recours à la contrainte, dans la mesure où elle ne possède pas l’autorité pour conduire des inspections sur sites et se trouve entravée par de nombreux obstacles procéduraux quand elle édicte des règles17. Avec un effectif réduit en comparaison de la population surveillée et des outils limités, elle ne s’est pas montrée efficace dans la protection des consommateurs de produits financiers18. Ces dix dernières années, elle a poursuivi seulement vingt-deux compagnies de crédit immobilier, alors qu’elle était la seule agence fédérale clairement en possession du mandat et de l’autorité pour le faire.
Les régulateurs du niveau étatique n’ont pas compensé cette inefficacité. Limités en droit dans leur capacité à faire valoir les lois étatiques auprès des établissements de dépôt sous charte fédérale, ils ne montrèrent que peu d’enthousiasme à poursuivre les entreprises sous charte d’État qui émettaient ou négociaient des crédits subprimes ou exotiques durant tout le pic de la bulle de 2003-200719.
Que ce soit à cause d’un manque de moyens, d’outils inadéquats ou d’une philosophie tendancieuse, le système fragmenté de protection des consommateurs ne parvint pas à faire face à la crise naissante des crédits hypothécaires – une crise qui démontra que les produits nuisibles aux consommateurs pouvaient se montrer également toxiques pour les institutions financières. En réalité, la crise bancaire de 2008 établit l’existence d’une faille non seulement dans la régulation des produits financiers destinés aux consommateurs, mais aussi dans la supervision prudentielle basée sur le risque, dans la mesure où les régulateurs ne parvinrent pas à faire face à la menace que la bulle de titrisation faisait peser sur la sûreté et la sécurité du secteur entier.
Le rôle des crédits hypothécaires dans la crise
Même si les causes de la crise financière sont très diverses, la prolifération des crédits hypothécaires risqués s’en trouve à l’épicentre. Pendant un temps, les taux d’intérêt bas rendirent l’accès à la propriété très abordable et le prix des biens immobiliers s’éleva rapidement. La titrisation permettait aux fournisseurs de crédits de vendre rapidement leurs emprunts et, théoriquement, de se décharger des risques associés. L’octroi de crédits hypothécaires étant ainsi tellement rentable, les fournisseurs stimulèrent la demande en créant des produits avec des taux ajustables ou réduits au départ (teaser rates) et des apports bas ou inexistants – et en élargissant l’accès au crédit en incluant des emprunteurs répondant moins aux critères d’éligibilité20.
Les taux d’entrée donnaient l’impression aux emprunteurs d’avoir les moyens d’accéder à la propriété, puisque les remboursements mensuels initiaux paraissaient être dans leurs moyens21. Le processus de souscription qualifiait les emprunteurs en fonction de ces taux initiaux plutôt qu’en fonction des taux standards qui s’appliqueraient ensuite. Les emprunteurs ne pouvant rembourser au taux standard étaient supposés refinancer ou vendre leur crédit ultérieurement, ce qui, dans les deux cas, stimulerait la demande de prêts.
Une variante particulièrement populaire des prêts hypothécaires à taux ajustables (adjustable-rate mortgage – ARM) était l’« option ARM », permettant à l’emprunteur de choisir le montant de son remboursement mensuel : un montant minimum ne couvrant même pas les intérêts augmentés, un montant couvrant juste les intérêts, ou un montant permettant le règlement de la dette sur une période de quinze à trente ans. Le paiement minimum menait à un amortissement négatif qui en réalité augmentait le montant principal dû par l’emprunteur. Ces paiements minimums se montrèrent exceptionnellement populaires auprès des emprunteurs22. Au lieu d’établir les conditions d’octroi des prêts sur la solvabilité de l’emprunteur, les créanciers se basaient sur une valeur biaisée de leur garantie. Tant que le prix de l’immobilier poursuivait son ascension, les erreurs d’octroi de crédits à des emprunteurs qui ne pouvaient rembourser n’avaient que peu d’effets sur les comptes de résultat des créanciers23.
Du point de vue des régulateurs bancaires, les emprunts hypothécaires offraient aux banques de substantiels bénéfices et peu de risques. Les pires pratiques se rencontraient auprès de compagnies totalement en dehors du secteur bancaire, n’ayant pas besoin d’agrément et exclues de toute supervision fédérale24. Même si le FRB possédait l’autorité d’agir au-delà même des banques sous sa juridiction contre les pratiques de crédit agressives, il n’intervint jamais25. Au moment où les agences bancaires publièrent des directives déconseillant aux institutions ces emprunts risqués, elles se montrèrent largement inappropriées26. La bulle immobilière éclata alors, mettant à jour le caractère erroné de l’hypothèse que les garanties collatérales compenseraient les défauts ; les failles du système propagèrent l’épidémie tout au long de la chaîne des crédits – de l’émission à la titrisation et aux produits dérivés basés sur les titres – et à travers le système tout entier. La croyance selon laquelle les produits dérivés préviendraient la contagion en plaçant le risque entre les mains des entités les plus capables de le supporter se révéla fausse. Les produits dérivés, au final, concentrèrent ce risque sur un nombre limité d’entités qui l’avaient mal évalué. Dans la plupart des cas, le risque ne quitta jamais le système bancaire, se contentant de circuler entre différents acteurs, bancaires ou non, largement interconnectés.
Le Dodd-Frank Act s’adressa à chacun de ces domaines, établissant de nouveaux standards d’émission, exigeant que les émetteurs de titres retiennent le risque, bouleversant la régulation et le rôle de la notation des crédits et fournissant une réglementation complète des produits dérivés, visant principalement à réduire le risque lié aux contreparties grâce à la compensation obligatoire et augmentant la transparence du marché d’échange et de reporting.
Nouveaux standards pour les emprunts
Le point crucial des nouveaux standards pour les emprunts hypothécaires du Dodd-Frank Act est l’extension du crédit basé sur l’accessibilité pour les emprunteurs plutôt que sur les garanties collatérales pour les prêteurs. Spécifiquement, les nouveaux standards cherchent à « assurer que les consommateurs se voient offrir et reçoivent des prêts hypothécaires dont les termes reflètent raisonnablement leur capacité de remboursement et sont compréhensibles et non inéquitables, trompeurs ou abusifs »27. Un prêteur ne peut offrir un prêt hypothécaire résidentiel sans avoir fait un effort raisonnable et de bonne foi pour déterminer, en se basant sur les informations disponibles au moment de l’émission, si le consommateur peut le rembourser à un taux garantissant l’amortissement complet. La capacité de remboursement d’un emprunteur est mesurée par l’historique de crédit, le revenu courant et futur, les autres dettes, le ratio dettes/revenus et les autres ressources financières. Les prêteurs doivent vérifier les informations sur les revenus et les ressources des emprunteurs en exigeant leurs déclarations d’impôts et leurs fiches de paye, entre autres.
Le Dodd-Frank Act introduit le concept de « prêt hypothécaire qualifié » qui d’une manière générale (1) inclut dans le calcul de la capacité à payer des paiements réguliers, couvrant l’amortissement et tenant compte des taxes, des assurances ainsi que d’une évaluation de la capacité de remboursement de l’emprunteur, (2) n’inclut pas de balloon payments, définis comme des paiements planifiés s’élevant à plus de deux fois la mensualité moyenne, (3) contrôle et documente les revenus et les ressources financières de l’emprunteur, (4) ne présente pas de frais, ni de charges excédant 3 % de la valeur du prêt, (5) se conforme aux directives pour déterminer la capacité à payer les autres dépenses en sus du service de prêt, et (6) n’excède pas trente ans28.
Au-delà des exigences concernant la capacité à rembourser, les prêteurs ne sont pas autorisés à recevoir des compensations de tiers basées sur les termes de l’emprunt. Ainsi, un intermédiaire immobilier ne peut recevoir une commission plus importante d’un prêteur s’il fait souscrire à un emprunteur un crédit au taux d’intérêt le plus élevé. Les établissements de crédit ne peuvent diriger les consommateurs vers des emprunts qui (1) sont trop coûteux en comparaison de leur capacité de remboursement, (2) possèdent les caractéristiques de produits prédateurs, incluant frais élevés ou termes abusifs, (3) ne sont pas des « prêts hypothécaires qualifiés » si le consommateur est éligible pour de tels produits et (4) impliquent des pratiques abusives ou agressives, incluant la discrimination sur la race, l’ethnicité, le genre ou l’âge29. En plus d’établir ces critères substantiels, le Dodd-Frank Act conduit le CFPB à simplifier la prise de connaissance des informations liées aux crédits hypothécaires en combinant deux formulaires obligatoires au niveau fédéral en un seul formulaire plus simple, facilement compréhensible et utilisable par les consommateurs30. Le CFPB a concentré beaucoup de ses efforts initiaux sur le développement de cette communication simplifiée concernant les termes des crédits.
Simplifier la divulgation de l’information rejoint la philosophie générale du CFPB qui établit que les produits et les services financiers facilement compréhensibles pour les consommateurs conduiront à une plus grande concurrence entre fournisseurs, puisque les consommateurs seront en meilleure position pour effectuer des choix éclairés31. Le CFPB mettra probablement l’accent sur les modalités de divulgation des informations dans sa supervision plutôt que d’opter pour un processus d’approbation des services et des produits financiers semblable à celui de la Food & Drug Administration32.
Mise en place du CFPB
Un nouveau régime
Bien que la création de nouveaux standards soit une étape importante pour la protection des consommateurs contre les abus liés aux prêts hypothécaires, l’administration Obama et le Congrès ont créé un nouveau régime complet pour protéger les consommateurs de tous types de produits financiers. Le CFPB a été créé pour « mettre en place et, le cas échéant, faire respecter la loi fédérale relative aux consommateurs de façon cohérente, afin d’assurer que tous les consommateurs aient accès aux marchés des produits et des services financiers et que ces marchés soient justes, transparents et compétitifs »33. Reconnaissant que les marchés évoluent plus vite que la législation, le Dodd-Frank Act donne le pouvoir au CFPB de s’élever contre les pratiques « abusives » largement définies plutôt que de se reposer sur le Congrès pour aborder et définir chaque nouveau préjudice potentiel. En choisissant intentionnellement un terme encore peu précisément défini dans la législation et la jurisprudence associée, la législation donne au CFPB de la marge pour interpréter le qualificatif « abusif » dans le contexte de la fourniture de produits financiers aux consommateurs34. Le CFPB s’est vu confier des outils puissants et une large autorité pour chercher à éliminer les préjudices : il possède l’autorité de contrôle des régulateurs bancaires, des pouvoirs de mise en place et d’application de règles plus importants que ceux des régulateurs, la liberté d’enquêter et la large juridiction de la FTC, et une source de financement indépendante. Le secteur des services financiers a généralement été inquiété par l’étendue de cette autorité et a usé de la force de son lobby pour l’affaiblir.
Même avec l’arrivée d’un directeur, du temps sera nécessaire pour prendre la mesure du nouveau régime réglementaire et de supervision créé par l’établissement de la première agence fédérale exclusivement dédiée à la protection des consommateurs de produits financiers35. Si le CFPB doit consulter les autorités de surveillance prudentielle, il est libre de privilégier les problématiques liées aux consommateurs – sauf si ses règles sont considérées comme mettant en péril la sûreté et la sécurité du système bancaire36. En tant qu’unique auteur des règles liées à la protection des consommateurs, le CFPB devrait éviter, dans ses processus de réglementation, les obstacles inhérents à un système reposant sur l’action commune de multiples agences37. Et, pour la première fois, une seule agence peut contrôler et superviser les fournisseurs de produits et de services financiers destinés aux consommateurs, quelle que soit leur forme légale ou leur charte. Fort de pouvoirs de surveillance semblables à ceux des régulateurs bancaires sur les institutions bancaires ou non, le CFPB possède aussi celui d’éliminer les disparités historiques dans le traitement de ces entités, garantissant en conséquence une concurrence juste entre eux. Finalement, tandis que les États ont la possibilité d’édicter des règles plus strictes que celles promulguées au niveau fédéral38, l’existence et les actions du CFPB pourraient prévenir le besoin de nouvelles lois étatiques et harmoniser les pratiques entre les juridictions.
En réalité, le CFPB a déjà pris des mesures afin d’impliquer les régulateurs étatiques et les procureurs généraux. Le CFPB et les procureurs espèrent coopérer et coordonner de façon importante leurs efforts sur les problématiques de protection des consommateurs, d’une façon encore jamais vue sur des questions financières entre entités fédérales et étatiques. Dans une déclaration commune, le CFPB et la National Association of Attorneys General (NAAG) se sont mis d’accord pour se consulter régulièrement sur les priorités de mise en application et partager les informations et les plaintes de consommateurs, entre autres39. En juillet 2011, le CFPB a signé des protocoles d’entente avec la Conference of State Bank Supervisors (CSBS) et trente-neuf services de régulation bancaire et financière dans trente-deux États. Ces accords établissent une consultation mutuelle lors des évaluations et des directives concernant le partage des informations, incluant les plaintes de consommateurs et les données d’évaluation, avec les régulateurs à la fois étatiques et fédéraux40. Le CFPB a émis des règles concernant les obligations de notification des États qui devraient permettre une mise en place plus cohérente des règles du Dodd-Frank Act à travers les juridictions41.
Ces développements, accompagnés d’une philosophie organisationnelle moins individualiste que celle des régulateurs bancaires dans sa conception des droits des États à intervenir sur les problématiques liées, devraient marquer un nouveau niveau de coopération entre régulateurs étatiques et régulateurs fédéraux dans la protection des consommateurs contre les abus financiers. En réalité, les États trouveront probablement le CFPB plus actif dans son approche de la protection du consommateur que les agences bancaires.
La structure du CFPB
S’il était initialement envisagé comme une agence indépendante42, le CFPB s’est finalement trouvé structuré comme un bureau indépendant à l’intérieur du système de la Fed. En dépit des compromis politiques réalisés, il maintient l’essentiel des attributs d’une agence indépendante : autonomie budgétaire, liberté totale pour l’embauche et le renvoi de ses employés, autorité de contrôle et de mise en application libre de toute intervention d’autres agences, et règles et ordres non sujets à révision par une agence parente, la Fed dans le cas dont nous parlons43. Le CFPB est destiné à être géré par un directeur nommé pour une période de cinq ans par le président et soumis à l’approbation du Sénat44. Comme c’est le cas pour les autres agences de régulation bancaire, son budget n’est pas alloué par le Congrès, ce qui protège son financement du processus politique. Cependant, ses activités sont assujetties à une surveillance régulière du Congrès grâce à une audition semestrielle obligatoire de son directeur devant des comités appropriés45.
En plus de cette contrainte, le CFPB fait face à une seconde obligation de surveillance de son autorité, unique à son cas : le Financial Stability Oversight Council (FSOC), conseil régulateur établi par le Dodd-Frank Act pour gérer le risque systémique, est en droit de renverser une réglementation du CFPB qui « mettrait en péril la sûreté et la sécurité du système bancaire américain ou la stabilité du système financier des États-Unis »46. Tandis que la barre est placée très haut, aucune autre agence indépendante américaine ne voit ses réglementations sujettes à évaluation et renversement par une autre agence ; de tels pouvoirs ont toujours été la propriété exclusive des tribunaux. De plus, le CFPB doit explicitement évaluer les coûts et les bénéfices des règles qu’il propose et il est l’une des trois seules agences fédérales dont les processus de réglementation sont soumis à l’évaluation d’un panel du fait du Regulatory Flexibility Act47.
En plus de l’inclusion dans la Fed et de la soumission de ses réglementations à l’assentiment du FSOC, on trouve d’autres compromis politiques dans la mise en place du CFPB. Si l’administration Obama souhaitait le voir posséder l’autorité exclusive concernant la réglementation et la surveillance de toutes les banques et de presque tous les établissements non bancaires concernant la protection des consommateurs48, son autorité de surveillance sur les banques s’est trouvée radicalement amoindrie. Il ne peut en effet superviser que les banques possédant plus de 10 Md$ d’actifs, soit une centaine d’établissements dans un pays qui en compte plus de 7 000. Un lobbying efficace de la part des banques de taille modeste a conduit à ce que la surveillance liée à la protection des consommateurs demeure sous la responsabilité des régulateurs bancaires. Tandis que ces derniers peuvent faire face à d’importantes pressions pour imposer aux petites banques des standards de comportements jugés appropriés pour les banques plus importantes, cet élément continuera d'être tempéré par des considérations de sûreté et de sécurité.
Le CFPB supervisera les institutions non bancaires engagées dans l’émission de crédits hypothécaires, leur négociation ou leur gestion, ainsi que les prêts sur salaires ou aux étudiants. Par l’élaboration de règles, il déterminera également quels autres acteurs offrant des produits ou des services financiers aux consommateurs tomberont sous sa juridiction49. Pour priorité, il s’est fixé pour mission de surveiller les institutions officiant dans le recouvrement de dettes, la production de rapports sur les consommateurs, les crédits à la consommation et les activités liées, les opérations de transfert de fonds, les encaissements de chèques et les activités liées, les cartes prépayées et les prestations d’allégement de dette50. Son autorité sur ces opérateurs non bancaires est limitée aux activités constituant la fourniture de produits et de services financiers aux consommateurs. Ces activités incluent l’accord, la vente ou la négociation de prêts ou de crédits-bails, les services de règlement de transactions immobilières, l’évaluation, la réception de dépôts, la transmission ou l’échange de fonds, la fourniture de cartes prépayées, l’encaissement ou la collecte de chèques, le traitement des paiements, les conseils en matière de crédits ou de règlement de dettes, la vérification de solvabilité, le recouvrement, entre autres51.
Le Dodd-Frank Act exclut explicitement certaines institutions et activités de la juridiction du CFPB pour des raisons pragmatiques et politiques : les organismes régulés par la SEC (Securities and Exchange Commission), la CFTC (Commodity Futures Trading Commission), les commissions des valeurs immobilières ou les autorités de contrôle des assurances des États, les commerçants et les détaillants, y compris les concessionnaires automobiles, les courtiers immobiliers, les comptables et les fiscalistes, les avocats et les conseillers juridiques, les vendeurs d’avantages sociaux au personnel et autres plans, et les assurances52.
Le CFPB possède donc six divisions :
- engagement et éducation du consommateur ;
- supervision, prêt équitable, mise en application ;
- recherche, marchés et régulation ;
- direction juridique (general counsel) ;
- affaires externes ;
- bureau du responsable des opérations.
Sa structure mandatée 53 est représentée dans le schéma 1.
Que faut-il espérer du CFPB ?
Le CFPB a ouvert ses portes le 21 juillet 2011, un an après la promulgation du Dodd-Frank Act, sans directeur. Dans les jours qui ont précédé la nomination par le président Obama de Richard Cordray, il était évident que cette nomination ne serait pas prise en compte par le Sénat54. Se faisant les porte-parole de réticences sur la structure de gouvernance de la nouvelle agence, quarante-quatre sénateurs républicains ont adressé le 5 mai 2011 au président Obama une lettre dans laquelle ils annonçaient leur décision de bloquer toute nomination si cette structure n’était pas modifiée55. Plus spécifiquement, ils demandaient : (1) la mise en place d’un conseil d’administration et non d’un seul directeur, (2) une dotation de moyens financiers annuelle soumise à l’approbation du Congrès et (3) le pouvoir pour les agences bancaires – et non du seul FSOC – d’interdire les règlements du CFPB qui pourraient affecter la sécurité et la solidité d’une institution. Ces changements n’étaient en général pas acceptables par le président Obama et les élus démocrates du Congrès.
Le Dodd-Frank Act imposant qu’il ait un directeur pour exercer l’étendue de ses pouvoirs, le CFPB voyait donc son action entravée. Entre autres choses, il était dans l’incapacité de lutter contre les pratiques « abusives » et, peut-être plus inquiétant, il n’était pas à même de superviser les sociétés financières non bancaires, perpétuant ainsi les inégalités de concurrence entre les banques et leurs concurrents non bancaires56.
Le 4 janvier 2012, ce problème n’étant pas réglé, le président Obama a contourné le processus de ratification par le Congrès et a nommé, en dehors de la session parlementaire, Richard Cordray, premier directeur du CFPB57. Immédiatement après sa nomination, Cordray a déclaré que le CFPB pouvait commencer à superviser les sociétés de prêts hypothécaires non bancaires, les sociétés pratiquant des avances sur salaires et les fournisseurs de crédits aux étudiants et qu’il ferait des propositions pour superviser les grandes compagnies financières non bancaires actives dans le recouvrement des créances, l’évaluation des capacités de remboursement des consommateurs, le financement automobile et les services de paiement58. Il a également exprimé son soutien aux initiatives prises par le CFPB pour simplifier les informations financières relatives aux conditions des crédits par cartes bancaires, des crédits hypothécaires et des crédits étudiants59.
Le long épisode d’impasse politique a retardé les efforts entrepris pour mettre en place un nouveau cadre de protection du consommateur de produits financiers. La controverse juridique autour de la nomination de Cordray a prolongé l’incertitude relative à la capacité du CFPB à exercer les pleins pouvoirs qui lui ont été conférés par le Dodd-Frank Act. Du temps sera nécessaire pour que se dessinent les véritables contours du nouveau régime. Le CFPB se conduira-t-il comme un superviseur bancaire, prenant des mesures ponctuelles pour imposer le respect des règles ? Ou bien fonctionnera-t-il comme la SEC, décourageant les pratiques inappropriées par des actions très médiatisées de mise en application ? Les agences bancaires utiliseront-elles leur autorité résiduelle en matière de protection des consommateurs avec plus de vigilance60 ? Ou continueront-elles à se focaliser presque exclusivement sur des questions prudentielles ? Le nouveau régime nuira-t-il au crédit et à l’innovation comme allégué par ses détracteurs ? Ou bien comblera-t-il les espoirs de ses partisans en conduisant à un marché financier plus juste, transparent et compétitif ? Répondre à ces questions prendra du temps et c’est seulement maintenant, avec la nomination de son directeur, qu’il est possible de commencer à le faire.