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 Agences de notation et conflits d’intérêts


Aline DARBELLAY Research Associate, University of San Diego School of Law (2010).
Frank PARTNOY George E. Barrett Professor of Law and Finance, University of San Diego School of Law.
Alors que la création des agences de notation financière remonte au début du xxe siècle, le problème des conflits d’intérêts a tout particulièrement émergé dans les années 1970, et s’est intensifié à l’aube de la crise des subprimes. Dans les années 1970, les principales agences de notation sont passées du modèle de l’investisseur-payeur au modèle de l’émetteur-payeur, c’est-à-dire que les émetteurs voulant être notés ont commencé à avoir recours aux services de ces agences. Ce changement s’explique essentiellement par le rôle de quasi-régulateur donné aux agences aux États-Unis, et plus tard, au niveau international. Par conséquent, les principales agences de notation Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch sont devenues de plus en plus rentables. Cependant, au cours de la crise financière, de nombreux scandales ont dénoncé le fait que les notations de crédit ont peu de qualité informative par rapport aux revenus substantiels qu’elles génèrent. Cette situation paradoxale attire l’attention sur le manque de surveillance des agences de notation et le besoin de contrôler et minimiser les conflits d’intérêts. Aux États-Unis, le Dodd-Frank Act de 2010 répond en partie à ces problèmes dans le cadre de sa réforme des agences de notation.

En dégradant massivement les notations des crédits hypothécaires américains, les principales agences de notation – Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch – ont été l’élément déclencheur de la crise financière qui a éclaté en 2007 (Crouhy, Jarrow et Turnbull, 2008 ; Griffin et Tang, 2009 ; Hill, 2010a ; Mathis, McAndrews et Rochet, 2009 ; White, 2009). Dans un premier temps, les produits structurés du marché de l’immobilier américain ont largement été surnotés par les principales agences de notation. Les banques d’investissement, quant à elles, ont développé des produits de plus en plus compliqués sous l’égide des agences de notation, lesquelles ont privilégié leurs revenus par rapport à la qualité informative des notes de crédit. Dès lors, la question de l’indépendance des agences de notation face aux entreprises qui les paient pour être notées s’est posée de façon accrue.

Récemment, un autre aspect a engendré de nombreuses critiques, à savoir l’attitude des agences de notation vis-à-vis de la dette souveraine de plusieurs États. Au sein de l’Union européenne, les principales agences de notation sont accusées d’avoir exacerbé la crise de la dette européenne. Tout particulièrement en 2010, elles ont dégradé la note de la Grèce, alors que les politiciens européens étaient sur le point de conclure un plan de sauvetage. Dernièrement, Standard & Poor’s a menacé la zone euro à plusieurs reprises en dégradant un nombre considérable d’autres États européens. En août 2011, cette même agence a abaissé la note de la dette souveraine américaine d’un cran et les États-Unis ont perdu leur triple A pour la première fois de leur histoire. Les marchés financiers ont dans un premier temps, été ébranlés, mais ont rapidement discrédité la valeur de la dégradation de Standard & Poor’s et ont continué d’investir en bons du Trésor américain.

La rentabilité des agences de notation devrait être étroitement liée à la qualité de l’information qu’elles procurent. Pourtant, nous sommes actuellement confrontés à une situation paradoxale où ces principales agences de notation sont extrêmement profitables, malgré des critiques virulentes quant à la fiabilité de leurs notes. En effet, leurs notations sont considérées comme peu informatives par l’ensemble des marchés financiers. Ce paradoxe s’est tout particulièrement fait ressentir lors de la crise des subprimes en 2007. Les agences de notation ont été maintes fois accusées d’avoir aggravé la crise financière. Aux États-Unis, le Congrès a répondu à ces préoccupations inquiétantes en adoptant une réforme des agences de notation au sein du Dodd-Frank Act de 20101. Entre autres, ce dernier supprime l’utilisation réglementaire de la notation financière dans le cadre de la régulation des marchés financiers.

L’origine des conflits d’intérêts au sein des agences de notation

Les agences de notation avaient un modèle économique relativement exempt de conflits d’intérêts durant les sept premières décennies de leur existence. La situation a changé dans les années 1970, au moment où les principales agences de notation sont passées du modèle de l’investisseur-payeur à celui de l’émetteur-payeur. L’une des principales raisons du changement a été le rôle croissant qu’elles ont été appelées à jouer dans la régulation des marchés financiers (Partnoy, 1999 ; Weber et Darbellay, 2008). Ce rôle de quasi-régulateur a provoqué une demande artificielle de notation financière dans le sens où les émetteurs ont eu un besoin croissant de notes élevées pour obtenir des avantages du point de vue de la régulation. Ainsi, la régulation des marchés financiers a bouleversé le secteur de la notation financière. Alors que les notations sont censées émettre des opinions indépendantes, les régulateurs en ont fait des instruments de régulation. Ce phénomène s’est surtout accentué à partir des années 1970 aux États-Unis et a même été incorporé au niveau international avec les accords de Bâle II (Gouriéroux, 2008). En somme, les agences de notation sont passées de fournisseurs d’informations financières à quasi-régulateurs (Darbellay et Partnoy, 2012 ; Du Marais et Frouté, 2008 ; Partnoy, 1999).

Sous l’angle des types de notations et des conflits d’intérêts qui s’y rattachent, il s’agit de différencier les notations des dettes de sociétés des dettes structurées et des dettes souveraines. En ce qui concerne la notation des dettes de sociétés, les conflits d’intérêts sont relativement sérieux, étant donné que les agences de notation sont généralement payées par les émetteurs devant être notés. De plus, les conflits d’intérêts frappent plus sévèrement dans le cadre de la notation d’instruments financiers structurés, comme le montre la crise des subprimes. Le modèle de l’émetteur-payeur y est également de rigueur et les émetteurs s’en servent pour exercer une influence accrue sur les agences de notation. En dernier lieu, la notation des dettes souveraines n’engendre pas les mêmes types de conflits d’intérêts que celle des dettes de sociétés ou des dettes structurées. Du point de vue des dettes souveraines, le fait que l’émetteur paie la notation ou que l’agence de notation l’initie de son propre chef ne semble pas avoir de répercussions excessives sur la qualité de la note attribuée. La situation n’est ainsi pas comparable aux crédits hypothécaires structurés, pour lesquels des revenus significatifs ont incité les agences de notation à attribuer des notes élevées pour gagner des parts de marché. Ces domaines doivent alors être traités de manière séparée.

L’indépendance des agences de notation dans le cadre des instruments financiers structurés

Le domaine de la notation d’instruments financiers structurés a pris une importance considérable tout particulièrement durant cette dernière décennie, procurant une part significative de revenus aux principales agences de notation (Coval, Jurek et Stafford, 2008). Lors de la crise des subprimes, les dégradations en masse des principales agences de notation ont eu un effet dévastateur sur les marchés financiers. Leur erreur principale est que, dans un premier temps, elles avaient largement surnoté les crédits hypothécaires américains (Opp, Opp et Harris, 2010). En effet, elles ont rivalisé entre elles pour obtenir plus de revenus et une plus grande part de marché. Elles ont privilégié leurs revenus à la qualité de leurs notations. Un analyste de Standard & Poor’s a exprimé le climat qui régnait en leur sein en disant : « On note chaque coup. (…) Ça pourrait être structuré par des vaches et on le noterait. » (SEC, 2008). Ainsi, les abus interviennent quand elles réduisent leurs standards pour surnoter les émissions en vue d’obtenir plus de clients et de noter plus de transactions.

Deux sources de conflits d’intérêts ont joué un rôle particulier chez les agences de notation à l’aube de la crise financière des subprimes : le modèle de l’émetteur-payeur et l’exercice de services accessoires (Darbellay, 2011). Tout d’abord, le modèle de l’émetteur-payeur signifie que l’émetteur, et non l’investisseur, engage l’agence de notation pour que celle-ci lui attribue une notation financière. Ce modèle économique remet en question l’indépendance de l’agence de notation par rapport à l’acteur qui paie la notation. La question centrale est de savoir si les agences de notation craignent de perdre leurs clients au cas où elles les notent de manière défavorable. À l’aube de la crise des subprimes, les banques d’investissement se permettaient même d’exercer des pressions sur les agences de notation quant à la rapidité avec laquelle elles désiraient une notation satisfaisante. Si elles n’obtenaient pas la note désirée, elles pouvaient effectuer du rating shopping, c’est-à-dire qu’elles pouvaient se tourner vers d’autres agences de notation pouvant leur procurer la note souhaitée. Ainsi, la tentation de satisfaire leurs clients en leur attribuant des notes plus élevées que ce qu’ils méritaient était forte et elles ont cédé afin d’obtenir des revenus considérables (Coffee, 2009).

De plus, les services accessoires sont également à remettre en cause. Ils renvoient aux activités de conseil des agences de notation auprès des émetteurs ayant eu lieu notamment dans le cadre de la titrisation de crédits hypothécaires. Ces services sont à même de créer des conflits d’intérêts car ils permettent aux agences de notation de générer des profits significatifs en expliquant aux émetteurs comment structurer leurs produits pour obtenir des notes plus élevées. Ces types de services sont néfastes quand ils causent de tels conflits d’intérêts et les agences de notation sont conscientes qu’elles ne pourront plus continuer d’en profiter excessivement à l’avenir.

L’indépendance des agences de notation dans le cadre de la dette souveraine américaine

La question se pose de savoir si Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch, ayant leur siège aux États-Unis, sont en mesure de noter la dette américaine de manière indépendante.

Aux États-Unis, il est nécessaire de différencier la dette souveraine américaine de la dette des municipalités américaines. La dette souveraine reçoit historiquement la meilleure note possible, à savoir le fameux triple A. Pourtant, les États-Unis ne paient pas les principales agences de notation pour noter leur dette souveraine, c’est-à-dire que la notation de cette dernière n’est pas sollicitée. Il n’y a de ce fait aucune raison de penser qu’ils incitent les agences de notation à leur attribuer la note la plus élevée. De plus, on observe que les États qui paient pour leur notation ne perçoivent pas, en principe, de notation plus élevée que ceux qui reçoivent une notation non sollicitée. Quant aux municipalités, elles obtiennent, de manière générale, des notes bien plus basses et se plaignent des coûts de financement excessifs engendrés de ce fait. Leur argument contre les agences de notation est que les notes faibles qu’elles obtiennent leur portent préjudice et les contraignent à assumer des coûts supplémentaires en assurance pour leurs obligations. Elles n’ont pas réussi à convaincre les agences de notation d’élever leurs notes, ce qui témoigne du fait que dans ce domaine, les agences de notation ne se laissent certainement pas influencer par des conflits d’intérêts.

Il faut se concentrer sur la dette souveraine américaine. Standard & Poor’s a revu à la baisse la note des États-Unis en août 2011, à la suite des discussions mouvementées entourant le relèvement du plafond de la dette. Pour la première fois, la dette souveraine américaine a perdu le triple A que l’agence Standard & Poor’s lui attribuait historiquement. La note a été dégradée de AAA à AA+. Néanmoins, la portée d’un tel abaissement doit être relativisée. Tout d’abord, un simple abaissement d’un cran n’a pas de conséquences négatives sous l’angle des régulations. Tant que le seuil investment grade n’est pas franchi, aucun investisseur n’est contraint à vendre ses bons du Trésor. Cette annonce n’a donc pas eu d’influence directe sur les investisseurs. Au contraire, comme ils le font habituellement lors d’instabilités sur les marchés financiers, les investisseurs ont continué d’acheter des bons du Trésor. Cela prouve que les marchés financiers ont totalement discrédité le jugement de Standard & Poor’s. Ils n’ont pas cru en l’information qui leur a été présentée.

De plus, une dégradation peut avoir des répercussions négatives sur la capacité des émetteurs à lever des capitaux à des taux raisonnables. En effet, les États sont de plus en plus tributaires de leur accès aux capitaux pour financer leurs déficits croissants. Dans le cas de la dette souveraine américaine, la réaction des marchés financiers a été infime. À court terme, la nouvelle a été publiée au plan international et a ébranlé les marchés financiers. Cependant, nous avons très rapidement pu constater la confiance des marchés financiers en la capacité des États-Unis à rembourser leur dette. Les taux d’intérêt n’ont pas bougé à la suite de la dégradation de la note de Standard & Poor’s. Ainsi, les conséquences n’ont pas été dramatiques.

La situation s’explique par l’absence de crainte des investisseurs de subir des pertes. Mais il faut expliquer la signification d’une dégradation de la notation d’un État souverain. La note de la dette souveraine mérite d'être abaissée seulement si l’agence de notation doute de la capacité et de la volonté d’un État à rembourser sa dette. Une forte augmentation de la probabilité de défaillance justifie une dégradation en dessous du seuil investment grade seulement s’il y a de sérieuses raisons de croire que l’État n’assumera pas ses obligations. Quant à une dégradation de la note d’un cran, elle signifie une faible augmentation de la probabilité de défaillance. Les marchés financiers ont reconnu que tel n’était pas le cas des États-Unis. Ces derniers continuent d’avoir la capacité et la volonté de rembourser leur dette. En somme, le jugement des agences de notation en ce qui concerne le secteur de la dette des États souverains comprend une part subjective importante, étant donné que, dans ce contexte, la volonté de rembourser joue un rôle plus important que la capacité à faire face à des obligations. En d’autres termes, les États souverains ont toujours la possibilité d’imprimer des billets de banque. Cependant, des éléments subjectifs peuvent faire douter de leur volonté d’assumer leur dette. Ainsi, la notation de la dette souveraine est une activité particulièrement délicate, étant donné la part de subjectivité importante d’un tel jugement.

Les modifications du Dodd-Frank Act de 2010

À la suite de la crise financière et du fait que les agences de notation continuent d'être extrêmement rentables, malgré des critiques vigoureuses, une intervention du législateur était nécessaire. La réforme des agences de notation au sein du Dodd-Frank Act de 2010 a apporté une réponse partielle aux problèmes liés à la présence de conflits d’intérêts dans le secteur de la notation financière. Bien que des changements significatifs aient été apportés, le Congrès américain n’a pas réussi à se mettre d’accord sur des mesures servant à éliminer les conflits d’intérêts provenant du modèle de l’émetteur-payeur. Tout de même, le Dodd-Frank Act instaure des mesures qui ont un impact évident sur les causes des conflits d’intérêts, telle que la suppression de la dépendance des régulateurs envers les notations de crédit (Darbellay et Partnoy, 2012).

En ce qui concerne les changements effectivement adoptés par le Dodd-Frank Act, quelques normes ont trait aux conflits d’intérêts. Tout d’abord, il prévoit que les conflits d’intérêts devraient être soigneusement contrôlés et abordés de façon explicite dans la législation2. De plus, les agences de notation doivent (1) conduire une recherche pour déterminer si un quelconque conflit d’intérêts d’un employé a influencé la notation et (2) réviser la notation si nécessaire3. Finalement, la Securities and Exchange Commission (SEC) doit passer en revue les codes d’éthique des agences de notation et leurs règlements sur les conflits d’intérêts4. Ces normes requièrent ainsi des agences de notation qu’elles prêtent attention à leurs règles de déontologie. Leur responsabilité est de se mettre à l’abri des conflits d’intérêts. De plus, elles doivent encore être clarifiées et mises en œuvre par la SEC. Celle-ci a déjà proposé des règles en la matière qui devraient être finalisées tout prochainement.

Toutefois, le Dodd-Frank Act ne prévoit pas de mesures remettant directement en cause le modèle de l’émetteur-payeur. Le sénateur Al Franken avait proposé un système permettant de recourir à un intermédiaire neutre entre les agences de notation et les émetteurs. Sa proposition consistait à créer une plate-forme centrale qui serait chargée de recevoir les demandes de notation provenant des émetteurs et de désigner ensuite les agences de notation en charge d’attribuer la notation financière désirée. L’amendement Franken a été introduit dans le texte du Sénat, mais a été rejeté par la Chambre des députés.

Au final, le Dodd-Frank Act n’a pas retenu de mesures visant directement l’élimination des conflits d’intérêts provenant du modèle de l’émetteur-payeur, mais s’est contenté de prévoir des études visant à analyser l’arsenal des solutions envisageables. Les trois études requises ont pour objectif la diminution des conflits d’intérêts au sein des agences de notation : l’étude de la SEC pour renforcer l’indépendance des agences de notation (SEC Study on Strengthening CRA Independence), l’étude du Government Accountability Office (GAO) au sujet des modèles de revenus de remplacement (GAO Study on Alternative Business Models) et l’étude et la réglementation de la SEC visant à affecter les notations de crédit (SEC Study and Rulemaking on Assigned Credit Ratings)5. Les résultats de ces études sont escomptés dans un futur proche.

Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer le progrès réalisé par le Dodd-Frank Act. La mesure qui va apporter le plus de changement dans l’activité des principales agences de notation est la suppression des références aux notations de crédit dans l’ensemble des régulations financières6. Alors que le Dodd-Frank Act ne précise pas quelles mesures doivent remplacer l’utilisation de la notation financière, les régulateurs américains sont appelés à trouver des alternatives visant à améliorer la régulation des marchés financiers. Le rôle de quasi-régulateur des agences de notation est censé disparaître à la suite de la mise en œuvre du Dodd-Frank Act. Le résultat dépendra des solutions de remplacement que les régulateurs et les acteurs des marchés financiers vont adopter. De ce fait, les effets sont attendus dans le long terme. De manière générale, les régulateurs américains, notamment la SEC, sont favorables à des solutions respectant les règles de l’économie de marché. Des auteurs ont, par exemple, proposé de substituer l’utilisation de la notation en régulation par l’utilisation de credit spreads ou de credit default swaps (CDS) (Flannery, Houston et Partnoy, 2010 ; Partnoy, 1999). La préoccupation centrale est de trouver des mesures qui ne peuvent pas se laisser manipuler par les acteurs des marchés financiers.

Le problème majeur est qu’au cours des dernières décennies, la dépendance comportementale des acteurs des marchés financiers s’est ajoutée à la dépendance réglementaire des régulateurs (Hill, 2010b ; Partnoy, 2009). Cela va prendre du temps avant que les marchés financiers adaptent leur conduite aux modifications apportées par la régulation. Dans tous les cas, la suppression du rôle de quasi-régulateur des agences de notation a un impact certain sur leurs conflits d’intérêts. Sur le long terme, les émetteurs n’obtiendront plus de privilèges sous l’angle des régulations quand ils engageront les agences de notation. Il s’agit de rappeler que les émetteurs ont commencé à payer les agences de notation au moment où la notation financière était utilisée de façon accrue par les régulateurs. Ainsi, si les régulateurs suppriment la dépendance des investisseurs aux notations, l’intérêt des émetteurs à payer des sommes considérables pour être notés devrait diminuer. Il est loin d'être certain que les émetteurs arrêteront de payer les agences de notation, mais il y a des raisons de croire qu’ils exerceront des pressions moins grandes sur celles-ci. En résumé, la demande artificielle de notations devrait diminuer et cela devrait réduire, par la même occasion, la présence de conflits d’intérêts.

Une autre norme du Dodd-Frank Act qui va avoir un impact certain sur la manière dont les agences de notation vont gérer leurs conflits d’intérêts est l’introduction de leur responsabilité civile en cas de dommages à autrui. Aux États-Unis, elles se sont historiquement protégées efficacement contre les poursuites judiciaires en invoquant leur liberté d’expression, conférée par le premier amendement de la Constitution américaine (Partnoy, 2006). Les juges ont longtemps reconnu que leurs notations étaient des opinions protégées par la liberté d’expression en question. Cependant, le Dodd-Frank Act a l’intention de changer cette pratique. En reconnaissant que les notations sont de nature fondamentalement commerciales, il suggère que les agences de notation ne méritent pas une protection absolue quand elles publient des notations financières. Pour ce faire, il introduit deux normes de régulation des marchés financiers qui prévoient la responsabilité civile des agences de notation7. Premièrement, le Securities Exchange Act de 1934 a été modifié par le Dodd-Frank Act, ce dernier ayant introduit une disposition selon laquelle les agences de notation sont responsables quand elles manquent, de manière intentionnelle ou sans égards, à leurs obligations de conduire une investigation raisonnable. Deuxièmement, le Dodd-Frank Act a supprimé l’article du Securities Act de 1933 qui mettait les agences de notation à l’écart d’une responsabilité civile en tant qu’expertes. La règle qui assurait qu’elles ne pouvaient pas être considérées comme expertes sous l’angle de la responsabilité selon la section 11 du Securities Act de 1933 a été abrogée. Il y a dès lors des chances qu’elles se voient qualifiées d’expertes et qu’elles puissent ainsi être jugées responsables des erreurs commises dans des publications, en cas d’offre publique.

À l’avenir, les agences de notation risquent d’avoir moins de succès face aux tribunaux. Si tel est le cas, elles seront incitées à ne pas se laisser influencer par des conflits d’intérêts, car cela pourrait être retenu contre elles lors de poursuites judiciaires. De ce fait, leur responsabilité civile aura des répercussions positives sur la surveillance des conflits d’intérêts par elles-mêmes.

Ainsi, le Dodd-Frank Act apporte des modifications notables dans le domaine des agences de notation. La norme supprimant la dépendance des régulateurs face à la notation financière et celle introduisant la responsabilité civile des agences de notation sont des étapes significatives aux États-Unis et font de la réforme du Dodd-Frank Act le changement le plus important de l’histoire des agences de notation.

Bilan

Pour conclure, des conflits d’intérêts ont entaché le domaine de la notation de crédit et tout particulièrement le secteur de la notation des instruments financiers structurés. Les principales agences de notation ont obtenu des revenus de plus en plus considérables pour attribuer des notes à des produits structurés de plus en plus complexes. Ces pratiques ont fait de la notation financière une activité lucrative de plus en plus rentable. Les principales agences de notation ont pourtant été vivement critiquées lors de la récente crise financière, étant accusées d’avoir amplifié le problème de la bulle de l’immobilier américain. En règle générale, aucun secteur de l’économie continue d'être aussi rentable face à des critiques aussi vigoureuses. En ce qui concerne les agences de notation, elles semblaient résister à des attaques répétées. Paradoxalement, elles restaient intouchables malgré les irrégularités croissantes associées à leurs activités.

Dès lors, l’intervention du législateur a été nécessaire pour remédier à une telle situation. Aux États-Unis, le Congrès a inclus une réforme des agences de notation dans le Dodd-Frank Act de 2010. Malgré le fait que la source principale des conflits d’intérêts, à savoir le modèle de l’émetteur-payeur, n’ait pas été résolue par la réforme, il est quand même parvenu à apporter des modifications notables dans le secteur de la notation financière. Ainsi, le Dodd-Frank Act a modifié l’encadrement juridique des agences de notation en adoptant des normes de surveillance de leurs activités. Des changements incontestables ont été effectués, telles la suppression des références aux notations de crédit dans l’ensemble des régulations financières et l’introduction de la responsabilité civile des agences de notation. Ces changements visent des améliorations sur le long terme. Le résultat dépendra de la mise en œuvre de la réforme par les législateurs et les régulateurs ainsi que de l’interprétation des normes entrées en vigueur par les tribunaux. Au final, en ce qui concerne les conflits d’intérêts, il s’agit de soigner les causes plutôt que les conséquences.


Notes

1 Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act de 2010 (Dodd-Frank Act), HR 4173, 111th Congress, 2nd Session (2010).
2 Section 931(4) du Dodd-Frank Act.
3 Section 932(a)(4) du Dodd-Frank Act.
4 Ibid.
5 Sections 939C, 939D et 939F du Dodd-Frank Act.
6 Sections 939(a-f) et 939A du Dodd-Frank Act.
7 Sections 933(b)(2) et 939G du Dodd-Frank Act.

Bibliographies

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