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 Allocation de crédit et création de valeur par les banques : l’impact de la banque relationnelle en temps normal et en temps de crise


Hans DEGRYSE KU Leuven, CentER-Tilburg University ; Centre for Economic Policy Research (CEPR).
Steven ONGENA CentER-Tilburg University ; Centre for Economic Policy Research (CEPR).
Cet article passe en revue la littérature sur l’allocation de crédit et la création de valeur par les banques. Il se concentre sur l’activité de banque relationnelle, à savoir le fait qu’une banque et un emprunteur se lancent dans de multiples interactions et que chacun des deux agents s’efforce d’obtenir des informations spécifiques sur l’autre. Il montre comment la banque relationnelle génère des coûts et des bénéfices à la fois pour les entreprises et pour les banques, mais qu’en règle générale, elle est source de valeur pour chacun d’eux. Néanmoins, l’incidence de ce type de relation est en grande partie fonction du contexte économique (période normale ou période de crise). Est aussi abordée la manière dont l’allocation de crédit, mesurée par la spécialisation sectorielle, affecte les entreprises et les banques. Enfin, l’examen de la littérature récente en matière de titrisation et de relation bancaire permet de mettre en évidence la manière dont la titrisation affecte les effets de la banque relationnelle.

Le secteur financier a été durement éprouvé au cours des deux dernières années. La crise financière de 2007-2008 a mis en valeur l’exposition des banques à des risques bien trop éloignés de leurs activités principales. Partout dans le monde, les banques et les institutions financières ont procédé à des milliards de dollars de dépréciation dans leurs bilans. La crise financière a eu d’énormes répercussions sur la sphère réelle de l’économie en provoquant des récessions dans de nombreux pays. La crise actuelle de la dette souveraine a contraint les banques à inscrire davantage de pertes considérables dans leurs bilans et montre que l’octroi de prêts à des États souverains n’est pas sans risque. Les chercheurs, les dirigeants et les autorités de contrôle ont suggéré que les banques devraient s’éloigner du modèle originate-to-distribute et revenir aux fondamentaux, en se concentrant sur leurs fonctions principales, à savoir la collecte de dépôts et l’octroi de prêts à des emprunteurs, activités pour lesquelles elles sont perçues comme étant des institutions spécialisées qui conserveront par la suite ces prêts dans leurs bilans. La récente crise financière est également à l’origine d’une adaptation de la réglementation, qui a abouti aux nouvelles normes des accords de Bâle en matière d’adéquation des fonds propres, ainsi qu’à l’adoption, par exemple, du Dodd-Frank Act aux États-Unis. La supervision, dans de nombreux pays, a été passée au crible et réorganisée.

Dans cet article, nous passerons en revue la littérature sur l’allocation de crédit et la création de valeur par les banques. Nous nous concentrerons sur l’activité de banque relationnelle qui se trouve au cœur de l’argument du « retour aux fondamentaux ». Il est question de banque relationnelle lorsqu’une banque et un emprunteur se lancent dans de multiples interactions et que chacun des deux agents s’efforce d’obtenir des informations spécifiques sur l’autre, liant dans une certaine mesure les deux contreparties dans le temps. Nous montrerons comment la banque relationnelle génère des coûts et des bénéfices à la fois pour les banques et les entreprises, mais nous soutiendrons qu’en règle générale, elle est source de valeur pour chacun d’eux. Néanmoins, l’incidence de ce type de relation est en grande partie fonction du contexte économique (période normale ou période de crise). Nous aborderons la façon dont l’allocation de crédit mesurée par la spécialisation sectorielle affecte les entreprises et les banques. Dans une deuxième partie, nous passerons en revue la littérature récente en matière de titrisation et de relation bancaire, afin d’examiner comment la titrisation affecte les effets de cette relation.

La première partie de cet article aborde les coûts et les bénéfices de la relation de crédit en temps normal et en temps de crise. La deuxième partie est consacrée à la banque relationnelle et à la spécialisation sectorielle. La troisième partie précise les liens entre banque relationnelle et titrisation.

La banque relationnelle : coûts et bénéfices pour les entreprises et les banques en temps normal et en temps de crise

Les banques et les entreprises tissent des relations de long terme. Ces relations peuvent être bénéfiques pour les banques et pour les entreprises, mais l’ampleur des bénéfices dépend du contexte économique (normal ou en crise). Boot (2000) définit la banque relationnelle comme « une offre de services financiers proposée par un intermédiaire financier qui investit de façon à obtenir des informations propres à un client, informations souvent de nature confidentielle, et qui évalue la rentabilité de ces investissements grâce aux multiples échanges avec ce même client, dans le temps et/ou à travers la gamme de produits ». C’est grâce à l’évolution de la relation dans le temps qu’une banque est en mesure d’en apprendre plus que d’autres financiers sur la capacité d’une entreprise à satisfaire ses obligations futures soit à travers le contrôle des clauses restrictives de ses contrats de prêts et de son historique des paiements, soit à travers d’autres services proposés à l’entreprise par la banque. Par exemple, cette dernière a la possibilité de dresser un tableau complet de l’entreprise en observant ses activités passées sur son compte courant, ce qui peut s’avérer utile pour évaluer avec plus de précision les défaillances de l’entreprise et conférer à la banque informée un avantage informationnel sur les autres banques (Mester, Nakamura et Renault, 2007 ; Nakamura, 1993 ; Norden et Weber, 2010). C’est cette asymétrie d’information entre la banque informée et les autres banques qui confère à la première un avantage concurrentiel et qui lie les entreprises aux banques, impliquant une interaction continue presque toujours assurée entre la banque et ses emprunteurs de bonne qualité (Fisher, 1990 ; Ioannidou et Ongena, 2010 ; Rajan, 1992 ; Sharpe, 1990 ; Von Thadden, 2004).

Examinons à présent comment la banque relationnelle affecte l’allocation de crédit, induisant des coûts et des bénéfices pour les banques et les entreprises ; cette analyse nous donnera une représentation de la valeur pour chacune des parties impliquées.

Coûts et bénéfices pour les entreprises

Les entreprises peuvent tirer profit d’une relation bancaire en termes de disponibilité/flexibilité, de contrôle, de réputation et de confidentialité. Il existe une importante littérature empirique qui montre qu’une relation de crédit augmente l’accès aux capitaux, potentiellement à moindre coût et/ou avec des exigences moindres en termes de collatéral. Ces caractéristiques bénéfiques des relations de crédit améliorent l’allocation de crédit et stimulent la croissance de l’entreprise. En plus d’accroître la disponibilité, une relation de crédit peut favoriser une flexibilité ex ante dans la vente de contrats de prêts et permettre à une entreprise que ses besoins plus complexes et plus atypiques en matière de crédits soient satisfaits (Boot et Thakor, 1994 ; Von Thadden, 1995). Pour une entreprise qui rencontre des difficultés à rembourser ses contrats de prêts, une banque peut adapter les taux d’intérêt et rééchelonner les versements de capitaux au travers, par exemple, d’une autorisation de découvert et de la possibilité de renégocier (Chemmanur et Fulghieri, 1994). Mais la banque peut également fournir de nouveaux prêts à l’entreprise ou, au contraire, lui refuser de futurs prêts, en fonction des mesures que cette dernière aura prises pendant et après la période de crise. Ainsi, les banques peuvent être en mesure d’exercer un contrôle sur la gestion des actifs de l’entreprise, contrôle qui peut inciter les gestionnaires à prendre des décisions optimales (Rajan, 1992). Si des prêts répétés, consentis par une institution financière réputée, fournissent une certification crédible et un contrôle des mesures prises par les gestionnaires, une relation de crédit peut également renforcer la réputation de l’entreprise. Une réputation sans tâche peut faciliter les financements présents et futurs de la part des actionnaires tout comme d’autres sources de financement (Diamond, 1991). La confidentialité d’une relation bancaire peut également faciliter la sélection et le contrôle (Campbell, 1979), permettre de prévenir les fuites d’information confidentielle vers des concurrents sur le marché (Degryse et Ongena, 2001 ; Von Rheinbaben et Ruckes, 2004 ; Yosha, 1995) et encourager l’investissement dans la recherche et le développement (Bhattacharya et Chiesa, 1995).

En temps de crise, les entreprises peuvent préférer résoudre leurs problèmes financiers escomptés en privé au travers d’une relation de crédit, plutôt que de nuire à leur réputation sur les marchés financiers. La théorie laisse entendre que ces relations sont précieuses en temps de crise, puisque les banques sont en mesure d’amortir les chocs pour les entreprises. Jiangli, Unal et Yom (2008) en apportent la preuve en démontrant que ces relations sont utiles dans certains pays en temps de crise. Néanmoins, lorsqu’une crise est véritablement systémique, cela semble être moins le cas, comme nous le verrons plus loin.

La capacité d’une banque à observer des informations exclusives de son client et le maintien d’une relation étroite avec celui-ci peuvent également engendrer des coûts pour le client. Par exemple, une banque informée est en mesure de ne proposer que des prêts à des taux supérieurs à ses coûts à ses meilleurs clients et de les priver ainsi de financements concurrentiels en provenance d’autres sources. Elle gagne ce pouvoir de monopole grâce à son avantage informationnel sur ses concurrents. Une entreprise de bonne qualité qui essaie de changer de banque pour rejoindre une banque concurrente non informée est regroupée avec des entreprises de qualité médiocre et se voit proposer un taux de financement encore moins intéressant, bien qu’il ne fasse que couvrir les coûts de cette banque (Rajan, 1992 ; Sharpe, 1990 ; Von Thadden, 2004). Les coûts générés par les problèmes de hold-up peuvent également être tempérés par le fait que la banque tient à avoir la réputation de s’abstenir d’extraire des rentes de monopole (Sharpe, 1990) ou celle de financer des entreprises productives en prenant des décisions de reconduction d’accords plus efficaces (Chemmanur et Fulghieri, 1994). Ioannidou et Ongena (2010) fournissent des preuves directes convaincantes sur l’existence des problèmes de hold-up et des coûts pour les clients. Ces auteurs ont montré que les entreprises qui changeaient pour d’autres banques obtenaient des taux d’intérêt d’environ 80 points de base inférieurs à ceux obtenus par des entreprises similaires qui ne changeaient pas de banque, mais restaient chez leur banque partenaire informée1.

Les entreprises transparentes du point de vue de l’information ayant moins de risque d'être affectées par ce problème de hold-up, Von Thadden (1992) propose une solution pour les entreprises plus opaques : tisser des relations avec plusieurs banques peut générer une concurrence entre les banques et, de ce fait, limiter la capacité de chaque banque à soutirer des rentes. Des articles fondateurs de la littérature se penchent par conséquent sur le nombre optimal de créanciers. Par exemple, Bris et Welch (2005) ainsi que Bolton et Scharfstein (1996) étudient l’incidence de la structure de la dette sur la renégociation qui peut avoir lieu en cas de faillite de l’entreprise. Detragiache, Garella et Guiso (2000) montrent comment les entreprises peuvent chercher à diversifier le risque de liquidité des banques en ayant recours à de multiples financiers. Un autre pan de la littérature explore les motivations des banques à contrôler. Carletti (2004), par exemple, soutient que les entreprises peuvent être gagnantes en empruntant à deux banques différentes afin d’atténuer le contrôle excessif qui survient lorsqu’une seule banque est concernée (Carletti, Cerasi et Daltung, 2007).

De plus, des effets de disponibilité du crédit induits par l’offre peuvent émaner des banques en période de crise financière, effets qui ont un impact économique significatif sur les entreprises. Ivashina et Scharfstein (2010), par exemple, montrent que les entreprises se sont précipitées pour utiliser leurs lignes de crédit pendant la récente crise financière et qu’elles ont rencontré des difficultés à renouveler ces lignes. De solides relations bancaires ne semblent pas aider lorsque la crise bancaire est systémique. Des données empiriques récentes fournies, par exemple, par Carvalho, Ferreira et Matos (2010) montrent que les entreprises qui avaient des relations très étroites avec les banques ayant affronté les chocs les plus importants (annonce de dépréciations des actifs bancaires) pendant la crise financière de 2007-2008 sont aussi celles qui ont enregistré les plus fortes baisses du cours de leurs actions. Ces impacts ne sont pas compensés par l’accès des emprunteurs aux marchés de la dette cotée et l’impact le plus important concerne les entreprises qui ont les plus grands problèmes d’asymétrie d’information. Cela suggère que les banques sont en mesure d’atténuer les chocs idiosyncrasiques, mais qu’elles peuvent également amplifier les chocs systémiques. Néanmoins, ces résultats ne semblent pas nécessairement s’appliquer aux plus petits emprunteurs. Puri, Rocholl et Steffen (2011), par exemple, ont examiné les données en matière de demandes de prêt soumises aux caisses d’épargne allemandes au cours de la période allant de 2006 à 2008 ; ils ont cherché à déterminer si les caisses d’épargne liées à des Landesbanken (qu’elles possèdent) exposées aux chocs aux États-Unis se sont comportées différemment des caisses d’épargne non exposées, autrement dit, qui possédaient des Landesbanken non exposées à la crise financière américaine. Les auteurs apportent la preuve de l’existence d’un effet d’offre : les caisses d’épargne affectées rejettent en effet nettement plus de demandes de prêt que celles non affectées. De plus, les relations bancaires atténuent les effets d’offre puisque les entreprises qui ont des relations plus longues ont moins de risque de voir leurs demandes de prêt rejetées, même lorsque leur caisse d’épargne est exposée à un choc financier.

Enfin, il faut également noter que les crises bancaires ne sont pas des phénomènes exogènes, mais qu’elles suivent régulièrement de près les périodes de forte croissance du crédit (Gourinchas et Obstfeld, 2012 ; Kindleberger, 1978 ; Schularick et Taylor, 2011). Dans ce contexte, Braggion et Ongena (2012) établissent un lien entre l’endettement des entreprises et le financement par la dette et le comportement séculaire de la relation banque-entreprise. Ils soutiennent que la tendance des entreprises à emprunter auprès de banques multiples opérant dans un marché bancaire concurrentiel peut être un moteur important de l’endettement des entreprises. Des banques concurrentes peuvent, par exemple, échouer à internaliser complètement les conséquences de l’endettement futur d’une entreprise en fonction de l’environnement institutionnel (Bizer et DeMarzo, 1992 ; Bennardo, Pagano et Piccolo, 2009 ; Degryse, Ioannidou et Von Schedvin, 2011), notamment lorsqu’elles se disputent des parts de marché. Par conséquent, les banques peuvent avoir tendance à « prêter à l’excès ». Braggion et Ongena (2012) se penchent sur les données relatives à un large échantillon d’entreprises britanniques entre 1896 et 1986 et montrent qu’avec le début de la déréglementation du secteur bancaire en 1970, on a assisté à une évolution notable et subséquente de la banque relationnelle bilatérale vers la banque relationnelle multilatérale. Ils établissent ensuite un lien entre cette évolution et l’utilisation par les entreprises du financement par l’emprunt et de ses effets sur les ratios d’endettement.

Coûts et bénéfices pour les banques

Dans la partie précédente, nous avons évoqué les coûts et les bénéfices pour les entreprises. Bien souvent, ce que les entreprises considèrent comme des coûts sont des bénéfices pour les banques, et vice versa. Les banques investissent dans les relations banque-entreprise. Ce capital relationnel peut affecter la façon dont elles allouent le crédit au sein des groupes d’emprunteurs. Elles peuvent tirer des bénéfices plus élevés d’emprunteurs captifs et prisonniers d’une relation opaque que d’emprunteurs qui ont un accès facile à d’autres sources de financement. Comme nous l’avons clairement expliqué ci-dessus, les banques ont la possibilité de faire payer des taux d’intérêt relativement plus élevés aux emprunteurs opaques, une fois qu’elles ont amorti le coût initial de la relation. Cette pratique peut tout de même être bénéfique pour l’entreprise puisque dans le cas contraire, elle aurait besoin de supporter le coût irrécupérable inhérent à un changement de banque.

Kim, Kliger et Vale (2003) ont étudié la valeur que représente pour la banque un client captif en se basant sur des données norvégiennes. Ils ont ainsi déterminé que la valeur marginale de la captivité (lock-in) pour une banque était de 0,16 ; autrement dit, 16 % de la valeur ajoutée d’un client est attribuable au phénomène de captivité généré par les coûts de changement. Ils ont également démontré que la contribution des clients captifs à la valeur de la banque décroît à mesure que la taille de la banque augmente. Spécifiquement, cette contribution varie de 13 % pour les très grandes banques à 30 % pour l’échantillon qui inclut également les banques les plus petites, lorsque le marché est défini conformément à la taille du réseau de succursales.

Pour résumer, il semble que les deux partenaires d’une relation de prêt trouvent des avantages dans cet engagement. Les entreprises gagnent une accréditation et la valeur économique qui en découle, comme cela a été souligné dans le travail de James (1987) qui a montré que les annonces de prêts par les banques étaient associées à des réactions positives et significatives sur le plan statistique des cours boursiers (qui se révèlent être à peu près égales à 200 points de base en deux jours), alors que les annonces de financements privés par l’emprunt et d’émissions publiques de titres de dettes avaient une incidence nulle ou négative sur les cours boursiers. La réaction positive du cours boursier appuie l’argument de Fama (1985) selon lequel un prêt bancaire accrédite la capacité d’une entreprise à générer un certain niveau de flux de trésorerie dans le futur. Cette contribution favorable aux emprunteurs est accompagnée de gains pour la banque, émanant de la captivité de ces derniers, captivité elle-même générée par les coûts élevés de changement. Les coûts de changement significatifs confèrent donc à la banque une valeur marginale positive liée à la captivité des emprunteurs et peuvent représenter de 13 % à 30 % de la valeur de la banque, en fonction de sa taille.

Banque relationnelle et spécialisation sectorielle

La littérature sur la banque relationnelle suggère qu’il y a des coûts et des bénéfices à la fois pour les banques et les entreprises. Une autre question se pose : jusqu’où les banques doivent-elles se concentrer sur un secteur particulier et se spécialiser afin d’accroître, à la fois pour les banques et les entreprises, la valeur générée par les relations bancaires ? Ou bien doivent-elles se diversifier totalement ? Concentration ou diversification peuvent avoir des conséquences pour les emprunteurs, les banques et la société en raison des incidences sur la stabilité financière. Les banques suivent différentes stratégies en matière sectorielle : certaines d’entre elles se spécialisent dans un nombre limité de secteurs, alors que d’autres se diversifient complètement.

Il existe quelques articles qui apportent des visions théoriques sur la façon dont la spécialisation sectorielle affecte les contrats de prêts. Stomper (2006), par exemple, montre comment l’expertise du secteur bancaire a une incidence sur son pouvoir de marché et son risque de crédit. Les banques possédant une expertise sectorielle reçoivent des signaux sur le niveau de la demande dans le secteur, mais restent exposées au risque de crédit, parce que ces signaux sont parasités. L’auteur indique que les banques sont en mesure de tirer des rentes proportionnellement à leur exposition au risque de crédit spécifique au secteur. Il précise également que les banques peuvent avoir des stratégies différentes en matière de prêts sur le même secteur, suggérant ainsi que la diversification et la concentration ne constituent ni l’une ni l’autre la solution optimale pour toutes les banques. Boot et Thakor (2000) modélisent l’impact de la concurrence interbancaire sur la spécialisation sectorielle. Ils soutiennent qu’une concurrence interbancaire renforcée réduit la spécialisation sectorielle des banques en matière de prêts relationnels, puisque les rendements de cette spécialisation diminuent à la marge.

Les travaux empiriques qui se penchent sur les conséquences de la banque relationnelle et de la spécialisation sectorielle sont limités. Ainsi, Kroszner et Strahan (2001) ont montré que les banques utilisent l’expertise sectorielle acquise grâce à leur participation aux conseils d’administration des entreprises pour accorder une part disproportionnée de leurs prêts dans ces secteurs. Cela laisse entendre qu’une représentation au conseil d’administration permet aux banques d’acquérir des connaissances propres au secteur qu’elles utilisent pour prendre leurs décisions de prêt. Degryse et Ongena (2007) apportent la preuve que les banques ont tendance à moins se spécialiser dans des secteurs particuliers lorsque les marchés deviennent plus concurrentiels, ce qui va dans le sens de l’article de Boot et Thakor (2000). Néanmoins, Hoewer, Schmidt et Sofka (2011) analysent la manière dont les dépenses en matière de recherche et développement sont liées aux parts de marché qu’une banque possède dans le secteur de l’entreprise ainsi qu’au niveau de spécialisation sectorielle de la banque, en se basant sur un ensemble unique de données relatives aux entreprises innovantes allemandes. Ils montrent que la part de marché d’une banque dans le secteur de l’entreprise a un effet positif et très significatif sur les investissements en recherche et développement. De plus, l’impact de la spécialisation des banques, tel que mesuré par l’importance de ce secteur dans le portefeuille de la banque, est négatif ; autrement dit, il réduit les investissements en recherche et développement.

L’allocation par secteur et la spécialisation, ou la priorité, sectorielle qui lui est associée a également des conséquences sur les performances des banques. Acharya, Hasan et Saunders (2006), par exemple, examinent de façon empirique l’effet de la diversification sectorielle et industrielle des prêts sur les performances des banques italiennes. Ils trouvent une relation en U entre la rentabilité et la priorité sectorielle ou industrielle. En revanche, Hayden, Porath et Westernhagen (2007) montrent que la diversification sectorielle opérée par les banques allemandes améliore la profitabilité des banques. Ainsi, les données semblent suggérer qu’il n’y a pas de lien évident entre concentration sur un secteur et performances bancaires.

Titrisation et banque relationnelle en temps normal et en temps de crise

La titrisation est le procédé qui permet de supprimer les prêts des bilans des initiateurs et de les transformer en titres d’emprunt achetés par des investisseurs finals. Ses conséquences peuvent être très différentes selon que l’on se trouve en période normale ou en période de crise et, bien sûr, elle peut agir directement sur le contexte économique.

Elle peut stimuler l’offre de prêt en augmentant la liquidité des bilans des banques (Duffie, 2007 ; Wagner et Marsh, 2006), ou en améliorant la capacité d’une banque à absorber le risque. En période difficile, néanmoins, les banques qui s’appuient sur la titrisation peuvent faire face à des problèmes de liquidité supplémentaires ou à des contraintes en matière de fonds propres qui réduisent leurs velléités à accorder des prêts.

Les travaux empiriques sur les raisons qu’ont les banques de prendre part aux marchés de la titrisation, sur les conséquences de la titrisation sur leurs velléités à accorder des prêts, ainsi que sur leurs incitations à passer au crible et à contrôler se développent rapidement (Dell’Ariccia, Igan et Laeven, 2008 ; Kara, Marqués-Ibáñez et Ongena, 2011 ; Keys et al. 2011 ; Keys, Seru et Vig, 2011 ; Mian et Sufi, 2009 ; Panetta et Pozzolo, 2010). Les travaux empiriques initiaux sur la façon dont les cessions de prêts affectent les relations de prêt montrent que la vente de prêts n’entrave pas la relation banque-entreprise (Drucker et Puri, 2009). Hirtle (2009) se penche sur l’utilisation des dérivés de crédit et démontre qu’ils améliorent l’offre de prêt d’une banque. Goderis et al. (2007) examinent les conséquences de l’activité de titrisation d’une banque sur la croissance de l’ensemble des prêts dans le portefeuille de celle-ci. Ils montrent que les banques qui pratiquent activement la titrisation présentent une croissance cumulée des prêts plus élevée que les autres banques. Jiménez et al. (2011) étudient les données individuelles relatives aux relations entre banques et entreprises issues du registre du crédit espagnol. Ils indiquent que les banques possédant plus d’actifs titrisables fournissent plus de prêts aux entreprises. Cependant, un considérable effet d’éviction a lieu, puisque cette expansion évince les prêts bancaires des autres banques pour une même entreprise. Ils concluent que dans des conditions d’équilibre général, l’impact de la titrisation est proche de zéro en raison de l’éviction du crédit bancaire existant. Ils développent une stratégie d’identification ingénieuse afin de définir précisément l’effet d’offre de la titrisation. Leur stratégie d’identification s’appuie sur le recours à des effets fixes d’entreprise pour absorber les chocs de demande de crédit et permet de comparer au sein d’une même entreprise l’impact des chocs d’offre de crédit des banques. Carbó-Valverde, Degryse et Rodriguez-Fernandez (2011) évaluent un modèle de déséquilibre contenant une demande de prêt, une offre de prêt et une équation de transaction. Cela leur permet d’étudier comment l’activité de titrisation de la banque principale d’une entreprise affecte l’offre de crédit et le rationnement de crédit, à la fois en temps normal et en temps de crise. Ils montrent que les contraintes de crédit en période normale sont assouplies lorsque les entreprises ont une relation avec une banque qui est davantage impliquée dans des activités de titrisation ; néanmoins, cela augmente également le rationnement du crédit en période de crise.

La crise financière de 2007-2008 a grandement éprouvé le secteur financier mondial. Les chercheurs, les décisionnaires et les autorités de contrôle ont soutenu que les banques devraient revenir à leur fonction primordiale d’intermédiation et se détacher du modèle originate-to-distribute.

Dans cet article, nous avons examiné les racines de cette argumentation et résumé comment le modèle de banque relationnelle générait à la fois des coûts et des bénéfices pour les entreprises comme pour les banques, mais que d’une façon générale, elles étaient créatrices de valeur pour les deux parties. La valeur des relations dépend néanmoins du contexte économique (temps normal ou temps de crise). Alors que les banques sont en mesure de fournir des assurances à leurs emprunteurs partenaires frappés par des chocs idiosyncrasiques en période normale, il est bien moins évident de déterminer si elles sont en mesure de remplir ce rôle en temps de crise. Nous nous sommes également penchés sur la façon dont l’allocation de crédit en fonction de la spécialisation sectorielle affectait les entreprises et les banques. Enfin, nous avons passé en revue la littérature récente en matière de titrisation et de banque relationnelle afin d’étudier comment la titrisation affectait les effets de cette relation.


Notes

1 Voir également : Degryse, Kim et Ongena (2009, chapitre 4) pour un passage en revue des preuves indirectes de l’existence des problèmes de hold-up.

Bibliographies

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