Cet article traite de l’impact des innovations financières récentes sur la stabilité des institutions financières, ainsi que sur les conséquences à en tirer quant à la structure souhaitée de réglementation et de surveillance du secteur bancaire.
Le point de départ est que les innovations financières ont compliqué la gouvernance des institutions financières en générant un dynamisme difficile à contrôler. L’une des caractéristiques essentielles de ces innovations financières est qu’elles ont souvent pour objectif d’augmenter la négociabilité1. Si une telle négociabilité peut accroître les possibilités de diversification, elle peut également, comme nous le verrons, être source d’instabilité. Le simple fait que quelque chose devienne échangeable (ou négociable – nous utiliserons indifféremment l’un ou l’autre de ces termes) peut compromettre l’engagement de certains agents. Par exemple, comme tout le monde le sait, les prêts hypothécaires, en devenant échangeables, peuvent saper les motivations de l’originateur à contrôler la qualité des emprunteurs. Plus fondamentalement, lorsque des marchés existent pour chacune des variétés d’actifs réels ou financiers d’une société, celle-ci peut changer plus facilement son orientation stratégique. Cette possibilité peut être bénéfique, mais elle peut également mener à un manque d’engagement (et de persévérance), à des décisions plus impulsives ou des comportements moutonniers liés à la tendance à suivre les modes. Dans le secteur bancaire, ces comportements sont particulièrement préoccupants parce qu’ils peuvent générer du risque systémique. Autrement dit, lorsque toutes les institutions parient sur les mêmes chevaux, l’exposition au risque est davantage corrélée et il y a plus de chance de voir survenir une faillite simultanée des institutions2.
Certains ont vu dans les récents développements une guerre des banques « se disputant le territoire » face à la libéralisation du marché et/ou à des évolutions technologiques majeures (Hellwig, 2008). Autrement dit, les changements structurels majeurs (à l’instar de la vague d’innovations financières qui a reflété les développements en matière de technologie de l’information ?) relancent le secteur et peuvent inciter les acteurs à s’emparer de parts de marché afin d’asseoir à l’avenir leurs positions dominantes. Cela attire l’attention sur un problème plus transitoire. Ainsi, l’exemple de la crise bancaire qui a suivi la déréglementation du secteur bancaire suédois dans les années 1980 est éloquent : le secteur a besoin d’un certain temps pour trouver un nouvel équilibre (à la suite d’une libéralisation et/ou d’autres changements majeurs) et pendant ce temps-là, des accidents peuvent arriver. Nous pensons que les enjeux sont encore plus vastes. La négociabilité accrue est une évolution durable dans la dynamique sous-jacente des institutions financières et a augmenté la sensibilité des banques aux développements des marchés financiers.
Nous montrerons que cette nature plus interconnectée des banques et des marchés financiers a exposé les banques au caractère cyclique (alternance de fortes expansions et de récessions) des marchés financiers et a pu accentuer l’instabilité3. La nature de plus en plus changeante et complexe du secteur bancaire – à travers le rythme du changement, l’interconnexion et la présence de grandes institutions complexes – a conduit certains à donner de l’importance à la discipline de marché dans le secteur bancaire comme complément aux contrôles réglementaires et à la surveillance (Flannery, 2009). Nous soutiendrons que la discipline de marché n’a peut-être pas un rôle majeur à jouer dans la stabilisation du système financier dans son ensemble. Le caractère dynamique des marchés financiers peut vouloir dire que le risque inhérent à toute activité « chaude » est en réalité sous-estimé par le marché dans son ensemble et cela peut « empoisonner » la discipline de marché. Autrement dit, les marchés financiers, emportés par leur dynamisme, encouragent certaines stratégies et ensuite ne sont pas dans une position favorable pour imposer une discipline de marché. Au contraire, ils ont en fait encouragé ces stratégies en sous-évaluant peut-être les risques véritables.
La question importante est de savoir comment gérer la complexité du secteur bancaire. Nous mentionnerons les évolutions institutionnelles et réglementaires qui pourraient être nécessaires afin d’améliorer la stabilité du secteur financier. On pourrait dire que la structure institutionnelle (y compris la réglementation) n’a pas suivi le rythme de la négociabilité renforcée, de l’« évolutivité » et donc de la complexité du secteur. Nous nous concentrerons sur une surveillance efficace des institutions financières individuelles, mais en prenant en compte le contexte des préoccupations macroprudentielles (l’ensemble du système et de ses interconnexions), qui sont primordiales. La gestion de la complexité des institutions individuelles au travers d’une intervention opportune et d’une résolution ordonnée est fondamentale dans ce contexte. Qu’est-ce que cela signifie ? Des mesures structurelles (par exemple, le morcellement de grandes institutions complexes) sont-elles nécessaires pour gérer cette complexité ? Nous soutiendrons qu’imposer des mesures structurelles est loin d'être simple, mais pourrait s’avérer nécessaire afin d’aider à contenir des mécanismes du marché potentiellement déstabilisants et d’améliorer l’efficacité de la surveillance. Dans l’ensemble, nous préconiserons une approche globale de la réglementation et de la surveillance.
L’article s’organise comme suit. Les innovations financières et leur impact sur la négociabilité sont analysés dans la première partie. La deuxième partie aborde le coût du capital pour les banques. Cette question est importante à la fois du point de vue interne, à travers les activités (comment répartir le capital entre les activités ?), et d’un point de vue global (quelle est la quantité de capital nécessaire ? les fonds propres des banques sont-ils « coûteux » ?). La façon dont sont perçus le capital et ses déterminants est importante pour comprendre la prise de décisions et les choix des banques. Dans la troisième partie, nous examinons la discipline de marché. Peut-elle être efficace pour limiter les choix des banques en matière de risques ? Et peut-elle contribuer à augmenter la stabilité ? Comme nous l’avons déjà dit, nous sommes plutôt sceptiques. La quatrième partie porte sur ce qui peut être fait eu égard à la complexité et traite de l’opportunité des mesures structurelles.
Les innovations financières et la négociabilité
La notion selon laquelle l’innovation financière est bénéfique pour la croissance économique repose sur l’idée que de telles innovations amélioreront l’allocation du capital. Selon les propos du président de la Federal Reserve (Fed), Ben Bernanke, « la sophistication croissante et la profondeur des marchés financiers encouragent la croissance économique en allouant le capital là où il peut être le plus productif » (Bernanke, 2007). Cette déclaration semble politiquement correcte et son caractère très général est difficile à réfuter. Néanmoins, il est nécessaire d'être plus précis.
Quel est précisément l’intérêt des innovations financières ? Dans un monde idéal où l’information serait disponible pour tous et où tout le monde serait en mesure de parfaitement discerner tous les attributs pertinents, les innovations financières pourraient contribuer à compléter le marché, c’est-à-dire qu’elles aideraient à mettre en place un système complet de titres au sens d’Arrow-Debreu. C’est l’argument d’élargissement (spanning) typique : les innovations financières sont bénéfiques car elles contribuent à compléter le marché4. En tant qu’ancien président de la BCE (Banque centrale européenne), Jean-Claude Trichet a soutenu en 2003 que « le développement rapide du processus d’innovation financière entraîne la création de nouveaux instruments et même de marchés complètement nouveaux, nous conduisant ainsi vers des marchés plus complets et nous fournissant de nouvelles solutions pour pallier les défauts des instruments et des marchés traditionnels » (Trichet, 2003). En effet, les décideurs semblent bien conscients des possibilités d’élargissement fournies par les innovations financières. Comme l’a soutenu Bernanke (2009), « l’innovation, lorsqu’elle est optimale, a été et continuera d'être un moyen de rendre notre système plus efficace et plus global ».
En conséquence, les innovations financières peuvent contribuer à améliorer l’allocation du capital. Plus simplement, un marché complet fournit aux individus une couverture optimale et, le cas échéant, un revenu dans la durée. Étant donné le plus haut degré de prédictibilité qui en résulte, ils peuvent se séparer de leur argent pour de plus longues périodes, facilitant ainsi les investissements à plus long terme. De la même façon, la négociabilité (possibilité de commercialisation) de la dette et des capitaux sur les marchés financiers permet aux investisseurs de rendre liquides leurs avoirs à tout moment (par exemple, en vendant leurs participations à d’autres investisseurs) et contribue à diversifier les risques. Ce faisant, les sociétés peuvent avoir un accès plus facile à des financements à (plus) long terme.
Le désir de liquéfier des créances contribue également à expliquer la mise en place d’une responsabilité limitée dans les contrats sur actions ou produits similaires, ce qui constitue une innovation en soi. Cela facilite les échanges et permet aux investisseurs de rendre liquides des créances liées à des investissements qui sont par ailleurs à long terme (Michalopoulos, Laeven et Levine, 2009). La liquidité est par conséquent précieuse. Pourtant, comme nous le verrons plus loin, elle peut également avoir quelques répercussions négatives5. Plus spécifiquement, dans un monde imparfait, les problèmes d’agence et d’information conduisent à des distorsions qui peuvent être à l’origine d’un côté plus sombre de la liquidité.
Les problèmes d’information
Lorsque les asymétries d’information sont importantes et que certains impondérables ne peuvent absolument pas être intégrés par contrat, il est impossible d’obtenir des marchés complets6. Cela se produit lorsque ces impondérables ne sont pas vérifiables et/ou trop coûteux à vérifier. Introduire des innovations financières peut alors avoir une motivation bien plus sombre. Ces innovations peuvent être destinées à tromper les acteurs du marché. Le cas des marchés néerlandais et britannique des produits d’assurance-vie en est une bonne illustration. À plusieurs occasions, des ventes récurrentes et peu scrupuleuses ont eu lieu, avec pour dénominateur commun la présence d’une variété excessive de produits innovants qui partageaient une caractéristique commune : une complexité associée à une opacité des coûts7.
Les innovations auraient alors tendance à détériorer l’allocation du capital. Les avancées les plus récentes en matière de titrisation peuvent également être interprétées de cette façon. Au départ, la titrisation a pu permettre un accès plus large aux investisseurs, réduire les coûts de financement et, de ce fait, améliorer les possibilités de prêt pour les banques (Loutskina, 2011). Ces effets ont pu être créateurs de valeur, comme cela a été dit auparavant. Il y a une logique à satisfaire la demande en titres de qualité en regroupant des prêts hypothécaires et à en vendre la partie la moins risquée à des investisseurs (éloignés). Tant que les originateurs des prêts conservent la portion la plus risquée, ils ont encore une forte motivation à passer au crible les prétendants au prêt et à les contrôler.
Ce qui s’est passé par la suite est moins anodin. Il est évident que les critères d’octroi de prêts se sont assouplis (Keys et al., 2010)8. Une partie de cet assouplissement n’a pas grand-chose à voir avec la titrisation. Le boom du logement aux États-Unis a incité les prêteurs à accorder plus de prêts hypothécaires. Tant que les prix (de l’immobilier) continuaient d’augmenter, les prêts pouvaient toujours être refinancés et/ou la vente des maisons prises en garantie couvrait les encours des prêts hypothécaires. Là où la titrisation entre effectivement en ligne de compte, c’est que l’appétit insatiable du marché pour des titres AAA a poussé les institutions financières à reconditionner les titres à un rythme effréné, finissant par abaisser les normes de qualité. De même, dans une volonté d’émettre le plus possible de titres AAA, les tranches les plus risquées des structures de titrisation ont une nouvelle fois été reconditionnées et encore plus de titres AAA ont été soumis à un retrait obligatoire. Ce regroupement et ce reconditionnement ont conduit à des titres très complexes. Lorsque le marché a finalement commencé à s’interroger sur la durabilité du boom du logement, les titres ésotériques sont tout à coup tombés en défaveur9.
L’observation la plus essentielle, particulièrement importante dans cet article, est que la titrisation lie les banques aux marchés financiers. Elle n’a pas uniquement servi à enlever le risque : les banques ont aussi pris des positions dans ces instruments (au travers de garanties de liquidité, de stockage...). De ce fait, leur sort est devenu inextricablement lié à celui des marchés financiers.
Négociabilité et « évolutivité » excessive : deux éléments clés
La titrisation a ouvert le bilan des banques. Bon nombre d’actifs bancaires sont devenus potentiellement négociables. Cette négociabilité est généralement perçue comme quelque chose de positif, mais les liens avec les marchés financiers qu’elle a entraînés ont rendu les banques plus vulnérables à la volatilité et au dynamisme des marchés financiers. De plus, elle implique que les activités et les risques existants peuvent évoluer quasi instantanément. Puisque les marchés financiers fonctionnent de façon cyclique et qu’ils sont potentiellement soumis à des tendances et à la confiance des investisseurs, les décisions des banques pourraient être de plus en plus basées sur le dynamisme ou, comme l’a dit Turner (2010), les banques deviennent « encore plus sensibles à des reprises exubérantes et autoalimentées, ainsi qu’aux récessions qui les suivent »10. Cela ajoute un peu plus d’instabilité11. En d’autres termes, en raison de la prolifération des marchés financiers et de la négociabilité accrue des actifs bancaires, les banques deviennent plus opportunistes et risquent de perdre un peu de leur stabilité12.
Avec la technologie de l’information comme moteur, la prolifération des marchés financiers ainsi que les innovations financières améliorant la négociabilité ont changé la dynamique du secteur bancaire. Nous pensons qu’il ne s’agit pas seulement d’une question de dynamique concurrentielle traditionnelle où les changements structurels (telle que la libéralisation) ont ouvert le marché et où les intervenants se disputent des parts de marché afin d’asseoir une position dominante pour l’avenir. Alors que de tels bouleversements peuvent provoquer un comportement à risque et causer une instabilité temporaire13, nous nous attendons à un effet plus permanent de la prolifération des innovations financières récentes améliorant la négociabilité. Comme nous le verrons, l’instabilité du secteur pourrait être complexe à réduire et des mesures structurelles supplémentaires pourraient s’avérer nécessaires.
Le sophisme du coût du capital
La mauvaise allocation potentielle des ressources et l’instabilité sont encore un peu plus affectées par la façon dont les banques perçoivent leur coût du capital. Les banquiers considèrent que le capital est très onéreux et ils semblent dire qu’il a un prix unique. Par exemple, le coût du capital d’une banque peut être fixé, dans l’esprit des banquiers, à 15 %. Quelle que soit l’hypothèse, le capital n’a pas un prix unique. La théorie classique de sa structure indique que son coût unitaire dépend des risques auxquels il est exposé. Un risque plus important signifie généralement un coût plus élevé. Ce principe est au cœur de la célèbre théorie de la structure du capital de Modigliani et Miller et, d’une façon plus générale, au cœur de la théorie de la finance d’entreprise14.
Deux implications importantes découlent de ces observations. Premièrement, le coût unitaire du capital ne sera pas le même pour toutes les activités de la banque. Le niveau de risque et les caractéristiques du risque détermineront ce coût unitaire pour chacune des activités. Appliquer un coût du capital moyen au département d’opérations pour compte propre d’une banque serait par conséquent inexact. Étant donné les risques généralement bien diversifiés, et donc faibles, que l’on trouve dans une banque, les risques (non diversifiables) pris par ce même département imposent un coût d’usage du capital bien plus élevé. C’est ce à quoi les banques essaient de faire face lorsqu’elles répartissent le capital de façon interne.
Les allocations de capital sont typiquement basées sur des méthodologies de type capital économique, VaR (value at risk) et RAROC (risk-adjusted return on capital) (Stoughton et Zehner, 2007). Allouer des montants différenciés de capital (à un coût unitaire fixe) pourrait revenir à différencier le coût du capital en fonction des activités. En pratique, néanmoins, les écarts de risque peuvent ne pas être suffisamment pris en compte. De plus, les marchés des capitaux, emportés par leur propre dynamique, peuvent sous-estimer le risque et, de ce fait, provoquer des distorsions dans l’allocation du capital.
La deuxième implication est peut-être encore plus importante : les banques ne devraient pas choisir de s’engager dans des activités uniquement parce qu’elles ont le capital disponible. Cela concerne directement les distorsions qu’implique la simple conviction selon laquelle le capital a, d’une façon ou d’une autre, un prix fixe élevé (de façon exogène). L’observation essentielle est la suivante : « utiliser le capital » augmente son coût unitaire. Par conséquent, s’engager dans les opérations pour compte propre afin d’exploiter le capital d’une banque élèvera son coût et, de ce fait, augmentera le coût des financements pour la banque dans son ensemble.
Les banques qui se considèrent comme « surcapitalisées » et qui décident d’utiliser ce capital pourraient donc ne pas créer de valeur du tout. Cet argument peut également expliquer pourquoi elles considèrent que le capital est (excessivement ?) onéreux. Si les investisseurs potentiels prévoient qu’elles vont utiliser leur capital à tout prix, ils augmentent en conséquence leurs exigences de rendement15. Les banques ne peuvent ensuite émettre des actions qu’à des prix décotés. Ces convictions et ces attentes créent un équilibre pervers. Étant donné l’état d’esprit des banquiers – capital onéreux à prix fixe qui nécessite d'être utilisé aussi vite que possible –, le marché répond de façon rationnelle en appliquant un prix plus élevé au capital16. En considérant ces attentes du marché, les convictions des banquiers sont justifiées et confirmées en situation d’équilibre.
Comme nous le verrons dans la troisième partie, tenir compte du fait que les marchés financiers peuvent traverser des périodes d’euphorie (booms) avec un risque sous-évalué amplifie les distorsions mises en avant dans cette partie. Si le risque est sous-évalué, la prise de risque (à travers les instruments de levier, le risque d’actif ou les asymétries) semble être créatrice de valeur et ainsi « résout » l’énigme qui veut que les banques semblent maximiser le rendement des capitaux, alors que la théorie de la finance d’entreprise nous dit que le risque devrait être pris en compte et donc qu’un rendement des capitaux ajusté des risques devrait être l’objectif. À l’extrême, si le risque pouvait être ignoré, le rendement des capitaux deviendrait une mesure sensée. Cela peut également expliquer pourquoi l’augmentation de l’effet de levier est populaire : elle élève le rendement des capitaux17.
La prolifération des marchés financiers a aggravé ce problème. Il est devenu plus facile de rapidement profiter des possibilités offertes par ces marchés (Adrian et Shin, 2010).
La discipline de marché est-elle efficace ?
La discipline de marché est une caractéristique du secteur bancaire souvent débattue. D’un point de vue constructif, elle signifie que les banques peuvent être incitées à bien se comporter parce que les marchés financiers peuvent les récompenser et/ou les pénaliser. Bliss et Flannery (2002) évoquent deux composantes de la discipline de marché : d’une part, les investisseurs qui identifient à temps l’état d’une banque, ce qui nécessite un contrôle par les investisseurs, et, d’autre part, et en conséquence, les actions en retour des investisseurs au comportement des banques. Il est possible d’identifier un troisième canal sous la forme de l’utilisation des données du marché pour une intervention officielle des autorités de contrôle (Flannery, 2009 ; Llewellyn, 2010).
Les autorités de contrôle ont également adhéré à la notion de discipline de marché. Par exemple, le troisième pilier des accords de Bâle II vise à améliorer la discipline de marché en faisant pression pour obtenir une meilleure divulgation de l’information. L’idée semble raisonnable. Pourquoi ne pas utiliser les données des marchés et faire en sorte qu’ils contribuent à discipliner les banques ? Cela semble particulièrement important si l’on tient compte de la tâche difficile qui incombe aux autorités de contrôle : surveiller un secteur financier en expansion où foisonnent des institutions financières toujours plus complexes et interconnectées (Kaufman, 2003). Les accords de Bâle II visent donc à faciliter cette tâche aux autorités de contrôle et de réglementation en améliorant la transparence et la discipline de marché. Les autorités de contrôle pourront peut-être utiliser les informations révélées par le marché dans leurs pratiques de contrôle.
De prime abord, ces idées suscitent un avis favorable. La discipline de marché serait un complément bienvenu à la mise en application de pratiques bancaires prudentes. Mais comment la discipline de marché peut-elle en pratique être efficace ? Au minimum, on peut dire que la valorisation de l’information et des signaux du marché fournira toujours des informations et devrait ainsi être potentiellement précieuse. Dans la littérature en particulier, la dette subordonnée a été considérée comme une source souhaitable de financement pour les institutions financières, parce qu’elle pouvait fournir des informations précieuses au moyen des prix de marché (Bliss, 2001). De tels signaux-prix peuvent augmenter les informations que détiennent les autorités de contrôle sur le risque d’une institution ou bien peuvent directement décourager la prise de risque par une institution financière. Autrement dit, lorsque les marchés prévoient une prise de risque trop importante, les financements subordonnés pourraient ne plus être disponibles ou bien les banques pourraient être dissuadées de prendre des risques, anticipant l’ajustement à la hausse du rendement de la dette subordonnée18.
Alors que la discipline de marché joue peut-être un rôle, la question de savoir dans quelle mesure elle contribue à imposer une discipline dans le secteur financier dans son ensemble est sujette à débat. Même si le marché peut observer les risques potentiels, les problèmes d’action collective parmi les investisseurs (free riders) et les plans de sauvetage gouvernementaux anticipés peuvent conduire à des signaux-prix complètement faussés. Une partie de la discipline passe par les notations de crédit des banques et celles-ci peuvent à leur tour dépendre des signaux du marché. Comme nous l’avons observé au cours de ces dernières années, les agences de notation de crédit peuvent être sujettes à des conflits d’intérêts, ne pas ajuster leurs notes en temps voulu et/ou n’avoir que peu de véritable valeur ajoutée pour l’évaluation des risques sous-jacents19.
S’il y a des points positifs à la discipline de marché, une polémique existe néanmoins : est-ce qu’elle entrave ou est-ce qu’elle facilite la régulation visant le maintien de la stabilité du secteur bancaire ? En fait, elle semble arriver par vagues et en particulier au milieu d’une crise financière, elle peut submerger les acteurs individuels et le secteur dans son ensemble. Elle peut être sujette à des comportements moutonniers, puisque tout le monde « se dirige simultanément vers la sortie » dans les périodes les plus stressantes. Ce faisant, elle peut être source d’instabilité20.
Nous voyons un paradoxe dans la notion de discipline de marché. Le comportement opportuniste que nous avons montré du doigt s’explique par le fait que les banques se lancent dans des activités spécifiques liées au marché financier. Et la négociabilité accrue que nous avons précédemment évoquée peut l’avoir facilité. Ces activités sont lourdement régies par le dynamisme des marchés financiers, par exemple lorsque le marché a une vision trop optimiste de la rentabilité de certaines stratégies. Ces opportunités semblent se multiplier en périodes d’euphorie sur les marchés financiers et vont généralement de pair avec une sous-évaluation du risque, autrement dit, avec des primes de risque faibles. C’est le marché qui définit ces opportunités et sous-estime le risque ; les banques cherchent à les exploiter (de façon opportuniste).
Voyons à présent le paradoxe. Tel que nous l’avons formulé, les marchés financiers qui sont censés se lancer dans la discipline de marché sous-estiment les risques et sont emportés par leur élan et, ce faisant, ils encouragent les banques à s’engager dans des activités spécifiques. Comment alors pouvons-nous attendre de ces mêmes marchés qu’ils imposent une discipline de marché ? Il nous apparaît que cette dernière est absente lorsque les banques suivent des stratégies inspirées des marchés financiers. Les choses sont même pires que cela. La corrélation des stratégies entre les institutions financières est alors importante, car elles voient toutes les mêmes opportunités et, de ce fait, nous observons un comportement moutonnier. Le risque systémique serait énorme et échapperait au contrôle de la discipline de marché.
Nous en déduisons que d’un point de vue macroprudentiel (autrement dit, à l’échelle du système), la discipline de marché n’est pas efficace. Cela conforte l’analyse de Flannery (2009) selon laquelle au cours de l’été 2007, ni le cours des actions, ni les écarts de rendement des CDS (credit default swaps) n’ont fourni d’informations sur les problèmes existants. Nous avons tendance à conclure que la discipline de marché pourrait mieux fonctionner pour les choix idiosyncrasiques en matière de risques d’une institution financière individuelle (autrement dit, entre institutions) que pour les choix du secteur dans son ensemble. Dans le secteur financier, avec les stratégies corrélées induites par le dynamisme des marchés financiers, elle semble inefficace.
Gérer la complexité : morcellement des banques et dispositions testamentaires
Nous soutenons que des mesures structurelles peuvent être nécessaires afin de contribuer à limiter les mécanismes déstabilisateurs du marché et à gérer la complexité et que les mesures comportementales (comme des exigences plus fortes en matière de fonds propres) sont insuffisantes. Dans l’ensemble, nous préconisons une approche globale de la réglementation et du contrôle.
La question de la complexité des institutions financières fait l’objet d’un large débat. Pour d’autres secteurs, on est tenté de dire que les mécanismes du marché détermineront quelle pourrait être la configuration optimale d’une société (sous réserve de préoccupations antitrust). Néanmoins, dans le secteur bancaire, la complexité peut aggraver des externalités que l’on pourrait vouloir limiter, ce que l’on peut expliciter ainsi :
- les institutions complexes peuvent être difficiles à administrer et à contrôler et l’on peut s’attendre à ce que la discipline de marché ne soit pas efficace (problème d’opacité) ;
- une institution financière complexe peut avoir beaucoup de liens, difficiles à discerner, avec le système financier dans son ensemble qui peuvent accroître les préoccupations relatives aux institutions too big too fail, ou plutôt trop interconnectées pour faire faillite ;
- par conséquent, les préoccupations d’ordre systémique peuvent devenir plus importantes ;
- la complexité peut paralyser les autorités de contrôle et les placer en situation de dépendance ; par exemple, comment une intervention opportune est-elle possible si les autorités de contrôle ne saisissent pas la complexité d’une institution ?
Sur ce dernier point, un élément des propositions de réformes actuelles demande aux institutions financières de prévoir des dispositions testamentaires, autrement dit un plan de redressement et de résolution qui permettrait de pallier efficacement et de façon disciplinée les difficultés financières, si d’aventure elles survenaient. De telles dispositions testamentaires visent à surmonter la complexité d’uneinstitution et la paralysie que celle-ci peut provoquer chez les autorités de contrôle lorsque des problèmes apparaissent21. Prendre ce concept au sérieux devrait sans doute vouloir dire que toutes les institutions financières concernées prennent des dispositions pour être facilement dissoutes en cas de problème. Ainsi, il peut être nécessaire de gérer en amont la complexité qui aurait alors des implications directes sur la structure organisationnelle de l’entreprise, autrement dit, sur le modèle d’entreprise de la banque (Feldman, 2010).
Il est tentant de conclure qu’une façon de gérer la complexité serait de dissocier les activités et de les répartir dans des structures juridiques distinctes (filiales). Celles-ci pourraient interagir les unes avec les autres dans des conditions de concurrence normale, chacune étant correctement capitalisée sans avoir recours aux autres. Cela ressemblerait à la structure de holding passive qui fait l’objet d’un débat dans certaines études de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) (Blundell-Wignall, Wehinger et Slovik, 2009). Avec une telle structure, les autorités de contrôle pourraient peut-être cibler, et donc sauver, plus facilement (et de façon plus opportune) les parties importantes du point de vue systémique d’une institution financière en cas de crise ; les autres parties pourraient être vendues ou démantelées.
Dans cette optique, on peut se pencher sur les dispositions prises par la Nouvelle-Zélande. Dans ce pays, une grande partie du secteur bancaire est aux mains d’acteurs étrangers. Les autorités néo-zélandaises se sont montrées sceptiques vis-à-vis de ce manque de contrôle et ont imposé à ces acteurs des exigences structurelles. Celles-ci comportaient notamment une organisation renforcée des activités au sein des filiales, mais par-dessus tout, elles rendaient les filiales basées en Nouvelle-Zélande indépendantes sur le plan opérationnel de leurs sociétés-mères, basées à l’étranger (Herring et Carmassi, 2010)22.
Des structures juridiques distinctes opérant dans le même groupe peuvent-elles être efficaces ?
Il n’est pas certain que de telles structures distinctes soient réellement efficaces. Sur le marché, des retombées liées à la réputation peuvent toujours avoir une incidence sur les différentes parties du groupe. De la même façon, le marché peut malgré tout s’attendre à un subventionnement croisé et un partage des risques au sein d’un groupe, toute activité individuelle étant perçue comme adossée à la solidité financière du groupe (Lumpkin, 2010).
En pratique, les institutions financières ont généralement une structure de société qui inclut une myriade d’entités juridiques (Avgouleas, Goodhart et Schoenmaker, 2010). Les banques sont ainsi devenues affreusement complexes. HSBC, par exemple, possède plus de 2 000 entités (Llewellyn, 2010). Ces entités ne sont généralement pas conçues pour accroître la transparence et/ou réduire la complexité, mais plutôt pour s’engager dans des activités d’arbitrage réglementaire et fiscal (comme la gestion de capital). Les structures juridiques elles-mêmes ne sont généralement pas distinctes de façon significative, mais liées les unes aux autres au travers de transactions intragroupes, de back offices communs et d’autres services et activités partagés. Alors que ces liens peuvent produire des synergies, la complexité qui va de pair semble en contradiction avec la mise en place de dispositions testamentaires efficaces, ou avec une structure d’entreprise qui soit réceptive au contrôle ou à la discipline de marché.
Les complexités sont amplifiées une fois que l’on prend en compte les activités transfrontalières et les différences de régimes de faillite qui existent dans les différents pays (Cumming et Eisenbeis, 2010). Les dispositions testamentaires et l’intervention opportune qu’elles peuvent faciliter peuvent être précieuses, en particulier dans ces situations transfrontalières, et notamment lorsque l’intervention survient avant que les pertes deviennent écrasantes. Ce dernier élément peut être crucial pour concilier les intérêts des décideurs politiques et des autorités de contrôle. Les possibilités de conflits sont vastes si l’on considère les problèmes associés au partage de la charge.
On peut s’attendre à ce que le secteur s’oppose vigoureusement à des structures aussi transparentes et indépendantes qui – de son point de vue – limiteraient les synergies. Il est difficile de dire si ces préoccupations sont vraiment valables. Comme nous l’avons soutenu dans la deuxième partie, les banques peuvent confondre le subventionnement croisé avec les synergies réelles. Les institutions financières peuvent également être motivées par la recherche de la complexité et ainsi prendre en « otage » les autorités de contrôle. Le soutien implicite porté aux institutions too big too fail peut amplifier encore un peu plus les désaccords qui existent entre les choix optimaux personnels des banquiers et ceux de la société. La réalité est que l’on est bien loin de la structure de holding passive telle qu’imaginée dans les études de l’OCDE – avec la transparence apportée par des contrats conclus dans les conditions normales du marché et des capitalisations irrémédiablement séparées.
Morceler les banques ?
Une question intéressante serait de savoir si face à cette opposition, il ne faudrait pas être plus actif et chercher une solution plus radicale. Cette question fait référence aux mesures structurelles visant à imposer une structure et des activités autorisées aux banques et autres institutions financières (Llewellyn, 2010)23. Plusieurs dirigeants ont préconisé de telles mesures. Les Britanniques ont sans doute été les plus inflexibles. Mervin King (gouverneur de la Bank of England), tout comme Adair Turner (président de la Financial Services Authority – FSA) ont fait allusion à la nécessité de diviser les banques. En fait, le gouvernement britannique a mis en place une commission bancaire indépendante (Commission Vickers) afin qu’elle se penche sur les solutions structurelles potentielles. Même si elle ne préconise pas directement de telles mesures, Sheila Bair, de la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), a déclaré que « les grandes banques internationales des États-Unis pourraient devoir se restructurer et réduire l’éventail de leurs activités dès à présent, à moins qu’elles soient en mesure de prouver qu’elles pourront être facilement démantelées en cas de nouvelle crise financière » (propos rapportés par Reuters, 1er mars 2011). Lorsqu’il s’agit de réellement mettre en place de nouvelles politiques, les États-Unis semblent avoir pris l’initiative avec la loi Volcker (qui fait partie du Dodd-Frank Act), visant à interdire l’implication des banques dans la négociation pour compte propre et à limiter leurs investissements et leur sponsorisation des hedge funds et private equity funds24.
Les banques européennes ont toujours fonctionné selon le modèle de banque universelle complètement intégrée, alors qu’aux États-Unis, le Glass-Steagall Act a créé une division nette entre les activités de banque commerciale et celles de banque d’investissement. La fin de cette loi reflète au moins en partie la difficulté (et l’intérêt ?) de mettre en application une telle séparation. En effet, préalablement à l’adoption du Gramm-Leach-Bliley Financial Services Modernization Act de 1999, qui a officiellement abrogé le Glass-Steagall Act, les banques commerciales se sont engagées, sous couvert de la Section 20, dans des activités de banque d’investissement filialisées. Cela a pu refléter la complémentarité qui existe entre les activités de prêt et de prise ferme de titres d’emprunt. De ce fait, le Financial Services Modernization Act a été dans une certaine mesure une réponse tardive aux mécanismes sous-jacents du marché. Mais il a fait plus que cela. Il a permis aux banques commerciales américaines de connaître une expansion rapide dans les activités d’investissement et de devenir de véritables conglomérats financiers25.
Si la complexité rend impossible une intervention opportune et crédible des autorités de contrôle, nous pouvons commencer à réfléchir à l’intérêt que présente un morcellement des banques. Est-il seulement vraiment possible ? Et comment cadre-t-il avec les objectifs plus larges de la surveillance, et notamment avec les enseignements de la crise financière ? Au moins deux leçons peuvent être tirées de cette crise :
- il faut s’atteler au problème de la contagion ;
- les activités centrales des banques commerciales devront peut-être être protégées.
Ce dernier point fait généralement référence au système de paiement et aux opérations locales de dépôt et de prêt. Si un morcellement accroît effectivement la transparence et réduit la complexité, une intervention opportune pourrait être plus facile et adaptée aux deux leçons26. Mais cela correspond à un point de vue ex post, autrement dit, après la survenue des problèmes. Mais comment un système bancaire plus fragmenté fonctionnerait-il d’un point de vue davantage ex ante ? Réduirait-il la contagion ? Serait-il plus efficace pour protéger les activités centrales des banques commerciales ?
Il n’est pas évident qu’un système plus fragmenté soit moins sensible à la contagion, mais l’exemple des systèmes consolidés n’est pas non plus convaincant. Le risque systémique ne semble pas être maîtrisé dans les grandes banques diversifiées. En fait, Richardson, Smith et Walter (2010) concluent que « l’expansion d’activités multiples – selon le modèle des grandes institutions financières complexes – génère un risque systémique plus important ». Ils fondent cette conclusion sur le travail exhaustif de (entre autres) De Jonghe (2010), Stiroh (2006) et le travail théorique de Wagner (2010). Ainsi, du point de vue politique économique, il est difficile de défendre la nécessité de telles institutions à la fois grandes et complexes. De même, les institutions bancaires commerciales plus limitées, peu exposées aux marchés financiers et principalement financées par les dépôts (par opposition aux financements de gros, moins stables), pourraient être plus efficaces dans la protection des activités centrales de banque commerciale.
Que faire ?
Nous penchons pour des actions qui simplifieraient la structure des institutions bancaires. Avec l’énorme complexité des institutions existantes et la difficulté qu’ont les autorités de contrôle à saisir les liens d’intra (à l’intérieur) et d’inter (entre) dépendance qui régissent les institutions financières, il y a beaucoup à gagner. Néanmoins, cette même complexité, associée à l’attitude hostile et peu coopérative (mais compréhensible) du secteur lui-même lorsqu’il s’agit de mesures structurelles, rend cette tâche extrêmement redoutable et nécessiterait beaucoup de persévérance et d’obstination. De la même façon, des problèmes bien connus comme la gestion des transactions transfrontalières des banques (coordination internationale) et le système bancaire parallèle dans son ensemble nécessiteraient que l’on s’y attelle. Et le fait qu’il n’y ait pas de propositions bien définies sur la façon de procéder à l’aménagement de l’architecture financière n’arrange rien non plus.
La règle Volcker qui met l’accent sur la négociation pour compte propre, les investissements et la sponsorisation des hedge funds et des private equity funds ainsi que sur des restrictions sur les produits dérivés pourrait contribuer à réduire l’exposition aux marchés financiers et semble effectivement cohérente avec les deux leçons de la crise telles qu’énoncées ci-dessus (limiter la contagion et protéger les activités centrales des banques). Mais cette règle manque clairement de précision et n’est pas infaillible, aussi son efficacité est-elle sans doute limitée. L’impact sur la complexité est lui aussi limité et, de ce fait, une intervention opportune efficace demeure incertaine. Mais dans l’ensemble, nous considérons qu’il s’agit d’une évolution dans le bon sens.
Nous pensons qu’une intervention musclée au niveau de la structure du secteur bancaire – en se basant sur la loi Volcker – pourrait finalement être un élément inéluctable de la restructuration du secteur. Elle pourrait s’attaquer à la complexité, mais aussi contribuer à maîtriser les mécanismes du marché qui pourraient aller à l’encontre des préoccupations prudentielles (comme le suggère l’aperçu sur la discipline de marché). Pour le moment, les interventions structurelles dans le secteur bancaire sont plutôt hésitantes. D’autres mesures, comme des exigences plus fortes en matière de fonds propres ou de liquidité, sont manifestement nécessaires. Mais celles-ci se concentrent principalement sur les institutions individuelles, alors qu’une approche plus axée sur le système est primordiale afin d’identifier les facteurs externes et les liens d’interdépendance (Calomiris, 2009 ; Goodhart, 2009). Des surtaxes contracycliques sur le capital ainsi que d’autres mesures et surtaxes liées au degré d’interconnexion sont également nécessaires pour augmenter un peu plus la confiance en la stabilité du secteur. Nous avons tendance à souscrire à la notion de redondance de Kay (2010) : avoir confiance en la stabilité du secteur financier impose d’intégrer la redondance aux structures de réglementation et de surveillance du secteur bancaire.
Cet article a souligné les défis majeurs que les innovations financières apportent aux banques. Nous avons démontré qu’elles pouvaient être bénéfiques (par exemple, lorsqu’elles complètent les marchés), mais qu’elles pouvaient également être source d’instabilité. Le drapeau rouge est lié à l’observation que les innovations financières visent souvent à accroître la négociabilité et lient inextricablement les banques aux marchés financiers, d’où une exposition des banques à la nature cyclique (boom and bust) des marchés financiers.
Nous avons tendance à conclure que la négociabilité générée dans l’activité bancaire par les innovations financières a créé un paysage plus opportuniste, favorable au comportement moutonnier, aux modes et à une prise de risque excessive. L’instabilité plus forte semble inhérente à cette nouvelle réalité. Nous avons également soutenu que la discipline de marché peut être assez inefficace. Nous décrivons cela comme un paradoxe. Lorsque des stratégies particulières ont une dynamique dans les marchés financiers, le marché dans son ensemble peut sous-estimer les risques qu’elles entraînent. Comment dans ce cas peut-on s’attendre à ce que la discipline de marché fonctionne ? Il nous apparaît que cette dernière peut être absente lorsque les banques suivent des stratégies inspirées des marchés financiers. Les choses sont encore plus graves car elles voient les mêmes opportunités en même temps et, de ce fait, des comportements moutonniers surviennent. Le risque systémique est alors considérable et non enrayé par la discipline de marché.
Nous attirons l’attention sur le fait que les mécanismes du marché nuisent à un comportement prudentiel du secteur bancaire. La réglementation et la surveillance font alors face à un gigantesque défi. En partie pour cette raison, nous pensons qu’une intervention musclée dans la structure du système financier – en se basant sur la règle Volcker – devrait finalement constituer un élément inéluctable de la restructuration du secteur. Des mesures structurelles peuvent contribuer à maîtriser les mécanismes déstabilisants du marché. L’autre défi est la complexité des institutions financières qui telle qu’elle existe aujourd’hui rend la tâche très difficile aux autorités de contrôle. Une intervention opportune semble presque impossible. Les dispositions testamentaires peuvent conduire à quelques améliorations, mais des structures d’entreprise et de secteur plus transparentes semblent indispensables.
Nous ne pensons pas qu’il suffise d’introduire des mesures comportementales, telles que des exigences plus fortes en matière de fonds propres et de liquidité. À cet égard, les incitations contre-productives que peuvent induire des exigences plus fortes en matière de fonds propres sont instructives. Par exemple, les banques peuvent choisir d’augmenter leur exposition au risque, à la suite des exigences plus fortes en matière de fonds propres, afin de maintenir un rendement des capitaux important (qui ne mesure, ni ne contrôle le risque)27. Nous ne sommes pas convaincus par la déclaration de Greenspan (2011), selon laquelle nous devrions accepter que le système financier soit similaire à la main invisible d’Adam Smith – une sorte d’écosystème complexe qui dépasse l’imagination ou le contrôle de tout un chacun et qui est irrémédiablement opaque. Un tel statu quo semblerait inacceptable.
Néanmoins, Greenspan a sans nul doute raison lorsqu’il observe que toute mesure (ainsi que les nombreuses mesures proposées dans le Dodd-Frank Act) aura des conséquences inattendues. Cela attire l’attention sur les coûts potentiels de l’ingérence réglementaire. En effet, nous savons bien peu de choses sur le coût de la réglementation (y compris celui des mesures structurelles) ; il n’est d’ailleurs pas non plus aisé de déterminer le coût des crises financières. Un effort important de recherche est nécessaire pour tenter de comprendre quelle structure pourrait offrir le plus de bénéfices28.