L’entreprise qui décide de s’introduire en Bourse s’ouvre un accès privilégié au financement de sa croissance. Elle sera en mesure d’émettre des actions à un prix intégrant sa croissance future plutôt qu’au prix de ses actifs présents, d’attirer de nouveaux investisseurs, d’élargir son actionnariat et d’accéder à de nouvelles sources de financement. Le fait de disposer d’un marché liquide pour ses actions entraîne de plus pour l’entreprise une réduction de son coût du capital. Les fondateurs sont amenés à se poser la question du maintien du contrôle de leur entreprise, parfois par des mécanismes leur permettant d’accroître leurs droits de vote. Le fait de maintenir un bloc de contrôle se fait-il au détriment de la valeur de la firme ou lui est-il favorable ? Par ailleurs, le respect des règles de bonne gouvernance et les dispositions légales s’imposent aux sociétés cotées. Elles doivent faire référence dans leur rapport d’activité à un code de gouvernance et l’appliquer selon le principe comply or explain résultant de la transposition de la directive européenne 2006/46/CE, en explicitant les raisons pour lesquelles elles n’auraient pas mis en œuvre certaines des recommandations. Les entreprises cotées appliquent de façon générale le code AFEP-MEDEF (2008), mais les entreprises de taille moyenne et petite ont la possibilité de se référer au code Middlenext (2009). Le principe comply or explain donne à l’entreprise une certaine flexibilité dans les choix de gouvernance mis en œuvre. Il amène de ce fait à se poser la question des caractéristiques de gouvernance qui contribuent à la création de valeur de l’entreprise. Ces interrogations sont élargies à des dispositions légales, dont certaines sont récentes, par exemple les quotas de femmes dans les conseils. Le champ de la gouvernance est très vaste, le nombre d’études disponibles en témoigne. Nous avons fait le choix de nous concentrer sur deux aspects de la gouvernance : la structure de l’actionnariat et les caractéristiques du conseil d’administration. Ce choix nous permet d’explorer deux types de conflits d’agence entre actionnaires minoritaires et actionnaires majoritaires, d’une part, et entre actionnaires et dirigeants, d’autre part, d’analyser les dispositions permettant de les réduire et d’étudier leurs conséquences sur la valeur de la firme.
Actionnariat et valeur de la firme
Le type d’actionnariat a-t-il une incidence sur la valeur de la firme ? Par exemple, la présence d’un bloc de contrôle d’une famille actionnaire est-elle source de création de valeur pour les minoritaires ? Un bloc de contrôle s’accompagne fréquemment du recours à des mécanismes de renforcement du pouvoir, tels que les pyramides ou les droits de vote double, qui conduisent à une dissociation entre droits de vote et pourcentage du capital détenu. Cette dissociation est-elle favorable aux actionnaires ? Enfin, nous examinerons l’impact de l’actionnariat salarié sur la valeur de la firme.
Présence de blocs et valeur de la firme
La présence d’un bloc de contrôle peut amener un accroissement de la valeur de la firme. En effet, tandis qu’un actionnariat dispersé est confronté aux traditionnels conflits d’agence avec les dirigeants qui résultent de la séparation de la propriété et de la gestion de la firme, un actionnaire important a intérêt à produire de l’information sur les activités de l’entreprise et à contrôler les agissements de ses dirigeants, dans la mesure où ses revenus sont tributaires de la rentabilité de l’entreprise (Bolton et Von Thadden, 1998). Les dirigeants sont ainsi moins enclins à opérer des prélèvements de valeur à leur profit et plus incités à agir dans l’intérêt des actionnaires. Mais des coûts sont également associés à la présence de blocs d’actionnaires. En premier lieu, la liquidité du marché des actions est réduite parce que la présence d’un bloc dissuade les actionnaires minoritaires de produire de l’information sur la firme (Holmström et Tirole, 1993) et aussi parce que la probabilité de transactions informées augmente, entraînant une asymétrie d’information accrue sur le marché (Glosten et Milgrom, 1985). La réduction de la liquidité conduit à une augmentation du coût du capital de la firme. En second lieu, la présence d’un bloc de contrôle peut également potentiellement modifier les décisions d’investissement de la firme : la sensibilité au risque spécifique des investissements rend plus probables, par exemple, des investissements de diversification. Enfin, des prélèvements de bénéfices privés par l’adoption de stratégies favorables au bloc de contrôle, mais au détriment de l’ensemble des actionnaires, voire parfois des autres parties prenantes, peuvent être observés (Johnson et al., 2000).
Les résultats empiriques sur le lien entre blocs de contrôle et valeur de la firme ne sont pas tous convergents. Si certains soulignent un lien positif (Dalton et al., 2003), d’autres mettent en avant une relation non linéaire (Demsetz et Villalonga, 2001 ; Morck, Shleifer et Vishny, 1988) : les blocs de petite taille sont favorables, mais leurs effets négatifs l’emportent dès lors que leur taille s’accroît ; McConnell et Servaes (1990) estiment le point de retournement vers 40 % à 50 %. Les blocs de contrôle sont moins présents aux États-Unis et au Royaume-Uni qu’en Europe continentale et en Asie. Pour Shleifer et Vishny (1997), ils s’inscrivent dans un environnement légal peu protecteur des intérêts des actionnaires. Si cette explication est acceptable pour certains pays peu développés, elle est peu convaincante pour beaucoup d’autres et en particulier pour l’Europe. Plus récemment, l’idée que les blocs de contrôle ont une meilleure capacité à négocier avec les autres parties prenantes de la firme, en particulier les salariés et leurs représentants, a été avancée (par exemple, Aguilera et Jackson, 2003). Cette stratégie de coopération entre un gros actionnaire et des salariés entraînerait une augmentation de valeur au bénéfice de tous.
En France, les blocs sont souvent des groupes familiaux. Anderson et Reeb (2003) montrent que les firmes familiales sont plus performantes. L’une des explications des surperformances des firmes familiales est leur capacité à établir de meilleures relations sociales dans l’entreprise. Par exemple, Waxin (2011) montre, à partir des données de l’enquête Dares de 2004, que les firmes familiales connaissent moins de grèves, que la part des salariés impliqués dans une grève est moindre et que celle-ci dure moins longtemps.
Divergence droits de vote/pourcentage du capital
Si la présence de blocs d’actionnaires, en particulier familiaux, paraît créatrice de valeur, ces blocs sont souvent accompagnés de mécanismes de renforcement du contrôle qui entraînent une déconnexion entre les droits de vote et le pourcentage du capital détenu : actions sans droits de vote ou à droits de vote multiple, pyramides, participations croisées, plafonnement des droits de vote en assemblée générale, pactes d’actionnaires, commandite en actions. Leur utilisation varie selon les pays. 44 % des entreprises européennes1 ont au moins un mécanisme permettant de renforcer le pouvoir. Ce pourcentage s’élève à 72 % pour la France, 66 % pour la Suède, mais 33 % pour le Royaume-Uni et 23 % pour l’Allemagne. Au niveau européen, les mécanismes les plus utilisés sont la structure pyramidale (27 % des entreprises), suivie par les actions à droits de vote multiple (24 %) et les pactes d’actionnaires (12 %). En France, les entreprises utilisent majoritairement les droits de vote double (58 % dans l’échantillon de l’étude) et les pyramides (18 %). Le plafonnement des droits de vote en assemblée générale concerne 7 % des entreprises européennes et 10 % des entreprises françaises de l’échantillon.
Dans la mesure où un actionnaire détenant plus de pouvoir que de capital ne supporte qu’en partie les conséquences des décisions qu’il prend, la divergence droits de vote/droits aux cash flows est susceptible d’avoir un impact négatif sur la valeur de la firme. Adams et Ferreira (2008) proposent une synthèse d’un grand nombre d’études sur le sujet. L’une des premières études a été menée sur un échantillon d’entreprises asiatiques par Claessens et al. (2002), qui mettent en évidence un effet négatif de la déconnexion vote/cash flows sur la valeur de la firme, mesurée par le ratio market-to-book. Par exemple, un écart supérieur à 15 % entraîne une réduction de valeur de 9 %. Sur un échantillon de plus de 4 000 entreprises européennes de 14 pays, Bennedsen et Nielsen (2010) concluent également à un impact négatif sur la valeur et la performance des firmes, l’effet étant particulièrement négatif lorsque des pyramides sont utilisées. Dans d’autres études, aucun impact ne peut être mis en évidence : par exemple, Cronqvist et Nilsson (2003) pour la Suède. Pour la France, Belot (2010) montre que la divergence droit de vote/droits aux cash flows réduit la probabilité d’une acquisition et que lorsque celle-ci intervient, la réaction du marché à son annonce est réduite, montrant une anticipation par les investisseurs de perspectives moins favorables.
Mais les outils de renforcement du contrôle n’ont pas que des effets négatifs. Ginglinger et Hamon (2007) ont analysé l’impact des mécanismes les plus fréquemment mis en œuvre par les sociétés françaises, pyramides et droits de vote double, sur la liquidité du marché de leur action. A priori, une réduction de la liquidité en présence d’un mécanisme de renforcement du contrôle est anticipée : en effet, l’actionnaire de référence renforçant son pouvoir, on peut s’attendre à plus d’opacité, une asymétrie d’information accrue et des conflits d’intérêts potentiels entre majoritaires et minoritaires. Or tandis que l’existence de pyramides, confirmant cette hypothèse, réduit la liquidité du marché de l’action, le recours aux droits de vote double a l’effet inverse et améliore la liquidité, en particulier pour les petites entreprises familiales. Ce résultat peut être interprété de la manière suivante : les droits de vote double à la française sont attachés à l’actionnaire et non à l’action. Lorsque l’action est vendue, elle redevient une action à droit de vote unique. En présence d’actions à droits de vote double, les actionnaires à long terme qui souhaitent le rester seront moins enclins à vendre lorsqu’ils détiennent des informations. L’existence de droits de vote double réduit ainsi les transactions informées, conduisant à une augmentation de la liquidité du marché.
Au final, les études menées peinent à valider de façon incontestable les effets négatifs des mécanismes de renforcement du contrôle et ceux-ci ne sont probablement pas prêts de disparaître en Europe, malgré les appels réitérés de l’AFG (Association française de la gestion financière) au respect du principe « une action = une voix ».
Actionnariat salarié
Les salariés détiennent près de 2 % du capital des sociétés appartenant à l’indice SBF 120 et 85 % des entreprises de cet indice disposent d’un actionnariat salarié2 (Waxin, 2011). Plus de 80 % des entreprises cotées en Europe proposent des plans d’actionnariat salarié. Dans certaines sociétés, les salariés représentent un bloc d’actionnaires important. Ainsi, ils détiennent 23,36 % du capital et 28,10 % des droits de vote de Bouygues (données de novembre 2011).
Quels sont les enjeux de l’actionnariat salarié ? C’est tout à la fois un salarié qui devient actionnaire et un actionnaire qui est également salarié. Le salarié-actionnaire comprend mieux les préoccupations des actionnaires, leurs attentes et les conflits d’intérêts en présence. En tant qu’actionnaire, il bénéficie, durant les périodes favorables, de l’évolution de la valorisation de l’entreprise. Dans la mesure où les actions sont bloquées dans la plupart des cas pendant cinq ans, il est un actionnaire de long terme, dont les rapports successifs déplorent la disparition. C’est un actionnaire qui adopte une approche plus stakeholder de l’entreprise, prenant en compte les parties prenantes de l’entreprise autres que les actionnaires.
L’actionnariat salarié a-t-il un impact favorable sur les performances de l’entreprise ? Une première manière de le vérifier consiste à mesurer la réaction des cours de l’action à l’annonce d’un plan d’actionnariat salarié. Les études réalisées aux États-Unis mettent en évidence une réaction positive des cours de l’ordre de 1 %, mais qui devient négative lorsque la firme est opéable et que l’actionnariat salarié vise à réduire la probabilité d’une prise de contrôle (Beatty, 1995 ; Rauh, 2006). La valorisation de l’entreprise, mesurée par le ratio « capitalisation boursière/valeur comptable des capitaux propres » ou par le Q de Tobin (« valeur de marché des actifs/valeur comptable des actifs »), s’accroît après la mise en place d’un actionnariat salarié et il en est de même de la rentabilité économique. Kim et Ouimet (2009) soulignent toutefois que cet effet favorable existe pour un actionnariat salarié limité et que lorsque celui-ci devient plus important (le seuil se situant entre 5 % et 10 % selon les études), l’effet s’atténue, puis s’inverse.
L’effet de l’actionnariat salarié apparaît particulièrement important dans les firmes technologiques et innovantes, car les salariés bénéficient ainsi de la création de valeur qu’ils génèrent par un investissement humain important. De façon générale, on constate également une meilleure circulation de l’information dans l’entreprise, descendante et ascendante. Les salariés sont informés non seulement en tant que salariés, mais également en tant qu’actionnaires. Les entreprises avec actionnariat salarié adoptent souvent une communication plus transparente : plus d’informations sont volontairement transmises au marché, dans des termes plus compréhensibles, au bénéfice de tous les investisseurs (Bova, Dou et Hope, 2011). Par ailleurs, en présence d’administrateurs représentant les salariés actionnaires, l’information interne peut également être relayée auprès du conseil d’administration. Enfin, Waxin (2011), à partir des données de l’enquête Réponse de la Dares, montre que l’actionnariat salarié diminue la probabilité d’une grève. Par exemple, un actionnariat salarié représentant 5 % du capital diminue cette probabilité de 15 %, toutes choses égales par ailleurs. On peut conclure qu’il est globalement créateur de valeur pour les entreprises qui le mettent en œuvre.
Conseils d’administration et création de valeur
L’un des éléments centraux de la gouvernance des entreprises est leur conseil d’administration. Ce dernier est une instance collégiale qui représente l’ensemble des actionnaires et qui doit prendre en compte en toutes circonstances l’intérêt social de l’entreprise. Les administrateurs sont collectivement responsables des décisions prises. Le rôle d’un conseil d’administration est double : d’une part, il contribue à la vision stratégique de l’entreprise, conseille le dirigeant et élargit son réseau ; d’autre part, il contrôle les dirigeants pour le compte des actionnaires. Le poids respectif de ces deux fonctions, conseil et contrôle, varie selon la taille et les caractéristiques de la firme. La fonction de conseil prévaut dans les firmes de taille moyenne, avec un actionnariat concentré, tandis que la fonction disciplinaire prend plus d’importance dans les grandes entreprises. L’évolution de la réglementation sur la période récente a renforcé la fonction de contrôle du conseil : c’est particulièrement vrai aux États-Unis où, à la suite des scandales Enron et de la période post bulle Internet qui ont souligné les insuffisances des conseils, la législation Sarbanes-Oxley a notamment requis une majorité d’administrateurs indépendants dans le conseil d’administration et un comité d’audit composé exclusivement d’indépendants. Cette exigence de plus de contrôle est-elle dans l’intérêt des actionnaires ? et conduit-elle à créer de la valeur ? Nous déclinons cette question en examinant tout d’abord le choix entre les structures conseil d’administration/conseil de surveillance en France, puis l’impact sur la valeur des caractéristiques qui confèrent au conseil d’administration un caractère plus disciplinaire, telles que la proportion d’indépendants ou la composition des comités en son sein. Enfin, nous nous interrogeons sur l’importance d’autres caractéristiques du conseil d’administration, comme sa taille ou sa plus ou moins grande mixité.
Choix d’une structure : conseil d’administration versus conseil de surveillance/directoire
Est-il préférable de privilégier la fonction de conseil ou celle de contrôle ? Plusieurs modèles tentent d’apporter une réponse à cette question. Adams et Ferreira (2007) et Harris et Raviv (2008) montrent que la maximisation de la valeur pour l’actionnaire passe en règle générale par un conseil d’administration contrôlant peu, voire passif, en particulier dans les firmes complexes et caractérisées par une asymétrie d’information élevée. Leur argument repose sur la nécessité pour les administrateurs de disposer d’informations fiables pour exercer leur fonction. S’ils sont trop disciplinaires, ils n’obtiendront pas cette information de qualité et ne pourront être utiles à l’entreprise. Seules les situations où existe un potentiel important d’extraction de bénéfices privés par les dirigeants pourront amener le conseil optimal à pencher vers une attitude plus disciplinaire.
Le balancier entre les fonctions de conseil et de contrôle est délicat à étudier dans le cadre d’une structure de conseil unitaire, car le même conseil endosse les deux rôles. Alors qu’aux États-Unis et au Royaume-Uni, la structure unitaire prévaut et que la structure duale est la seule disponible en Allemagne, la France offre à ses entreprises le choix entre la structure unitaire et la structure duale3. Cette dernière a le grand avantage de clarifier les fonctions. Le conseil de surveillance est avant tout un organe de contrôle. Le cas français offre ainsi un contexte unique pour étudier les déterminants du choix d’une structure de conseil en fonction du degré d’asymétrie d’information et du potentiel d’extraction de bénéfices privés par les dirigeants. Belot et al. (2012) établissent tout d’abord qu’en présence d’un conseil de surveillance, la probabilité que le dirigeant soit remplacé en raison de mauvaises performances est plus grande que dans une firme avec une structure unitaire, soulignant ainsi le caractère plus disciplinaire de la structure duale. Ils valident de plus les prédictions d’Adams et Ferreira (2007) enmontrant que les firmes des secteurs technologiques, ayant des dépenses de recherche et de développement importantes et une plus forte volatilité, mesures d’asymétrie d’information, optent plus fréquemment pour une structure unitaire. Tandis que lorsque les firmes exercent dans un secteur réputé pour ses bénéfices privés importants (média, sport) ou qu’elles ont un poids important dans leur environnement, elles choisissent davantage une structure duale. Les firmes familiales utilisent de préférence une structure duale quand le dirigeant ne fait pas partie du groupe familial et une structure unitaire lorsque le dirigeant a fondé l’entreprise.
Enfin, alors que la dissociation des fonctions de président du conseil et de directeur général est préconisée par la plupart des codes de bonne gouvernance, aucune étude n’a réussi à mettre en évidence empiriquement son impact positif sur les performances de la firme (Brickley, Coles et Jarrell, 1997). De plus, selon Belot et al. (2012), la structure unitaire avec séparation des fonctions de président et de directeur général n’est pas un substitut à la structure duale : en particulier, le remplacement d’un dirigeant en présence de mauvaises performances n’est pas différent de ce qui est observé dans une structure unitaire classique.
Lorsqu’ils examinent l’impact du choix d’une structure de conseil (duale, unitaire avec PDG, ou unitaire avec président et directeur général) sur la valeur de la firme, Belot et al. (2012) ne constatent aucune différence significative. Ils en concluent que la firme adopte la structure de conseil qui est optimale pour elle et que cette liberté de choix est fondamentale et créatrice de valeur. Vouloir imposer les mêmes normes de gouvernance à toutes les entreprises, quelles que soient leurs caractéristiques, apparaît ainsi économiquement inefficace.
Indépendance, comités et performances
Les administrateurs doivent être avant tout intègres, compétents, expérimentés, présents et impliqués. Le code AFEP-MEDEF préconise que la part des administrateurs indépendants doit être de la moitié des membres du conseil dans les sociétés au capital dispersé et dépourvues d’actionnaires de contrôle. Dans les sociétés contrôlées, la part des administrateurs indépendants doit être d’au moins un tiers. Les règles en vigueur sur le NYSE (New York Stock Exchange) sont comparables. Le code Middlenext recommande, quant à lui, que le conseil accueille au moins deux membres indépendants. Selon l’étude sur la gouvernance des sociétés en Europe menée par Heidrick et Struggles (2011), 43 % des administrateurs sont indépendants pour l’échantillon total, mais ce pourcentage est de 21 % en Allemagne (en raison du poids important des administrateurs salariés), 40 % en France, 61 % au Royaume-Uni et 72 % en Finlande.
L’exigence d’indépendance des administrateurs a du sens pour les deux types de fonctions exercées par le conseil : elle permet d’élargir les réseaux et les horizons en matière de conseil et d’opérer un contrôle plus objectif des dirigeants. C’est fréquemment la fonction de contrôle qui est mise en avant pour justifier l’accroissement du nombre d’indépendants. Mais un administrateur indépendant a souvent moins de temps à consacrer à l’entreprise, a besoin de plus d’informations pour prendre une décision qu’un administrateur interne et a moins investi de capital humain dans la firme. Proposé par le principal dirigeant de la firme, l’administrateur indépendant est souvent proche de lui. Par ailleurs, le conseil rencontre des problèmes d’action collective : chaque administrateur peut être tenté de se reposer sur le travail de surveillance et d’information des autres membres du conseil (Fluck et Khanna, 2008).
Quels sont les résultats des analyses empiriques des liens entre indépendance et performance4 La plupart des études convergent vers l’absence de lien entre la proportion d’administrateurs indépendants et les performances futures. Ces résultats sont robustes quel que soit le mode de calcul des performances : rentabilité comptable, performances boursières à un horizon de quelques années, ratio « valeur de marché/valeur comptable ». En revanche, le nombre d’administrateurs indépendants semble augmenter à la suite de piètres performances de la société, l’augmentation du nombre d’indépendants étant alors un gage de bonne volonté donné aux investisseurs.
Une autre manière d’aborder cette question est de mesurer la réaction des cours de l’action à l’annonce de la nomination d’un administrateur indépendant. L’accueil des investisseurs paraît positif, mais il est également positif pour une nomination d’administrateur interne. Tout nouvel arrivant signale en réalité une volonté de changement, supposé dans l’intérêt des actionnaires. Nguyen et Nielsen (2010) montrent que les cours réagissent négativement à l’annonce du décès brutal d’un administrateur indépendant. Malheureusement, ils ne comparent pas ce résultat à celui observé pour un administrateur interne.
D’autres études s’intéressent à l’efficacité accrue d’un conseil d’administration indépendant dans les prises de décisions relevant de ses attributions, et notamment la révocation des dirigeants, les décisions du conseil en présence d’une offre publique et les mesures anti-OPA. En premier lieu, il ressort que les changements de dirigeants apparaissent plus directement liés aux performances passées dans les sociétés dont le conseil d’administration est plus indépendant (Weisbach, 1988). En second lieu, les primes proposées sont de 20 % supérieures lors d’une offre publique lorsque le conseil de la cible est majoritairement composé d’indépendants (Cotter, Shivdasani et Zenner, 1997). Enfin, les mesures anti-OPA sont adoptées de façon plus parcimonieuse et leur objectif semble moins l’enracinement des dirigeants lorsque le conseil est plus indépendant (Brickley, Coles et Terry, 1994).
Ces différentes observations ne supportent ainsi que partiellement la nécessité de renforcer la présence d’administrateurs indépendants. Était-ce prévisible ? On peut s’interroger sur l’intérêt de l’administrateur indépendant. Il peut bien entendu souhaiter se constituer une réputation d’expert mieux à même de contrôler les dirigeants qu’un administrateur interne. Mais une réputation d’administrateur conciliant peut également être un bon objectif pour lui, ce qui lui permettra sans doute plus aisément d'être sollicité par d’autres sociétés. Enfin, il peut souhaiter paraître être un bon contrôleur, sans pour autant agir dans ce sens.
L’exigence d’indépendance s’est étendue aux comités du conseil : les réglementations SOX et Dodd-Frank exigent 100 % d’indépendants dans les comités des comptes et de rémunération aux États-Unis. Le code AFEP-MEDEF recommande que le comité des comptes comporte deux tiers d’administrateurs indépendants et aucun dirigeant mandataire social. Le comité des rémunérations doit comprendre une majorité d’indépendants et aucun dirigeant mandataire social. Faleye, Hoitash et Hoitash (2011) montrent que le conseil est plus disciplinaire lorsqu’une majorité d’administrateurs indépendants forment au moins deux des trois comités les plus importants. Les changements de dirigeants sont plus liés à la performance de la firme, la rémunération des dirigeants est plus conforme à la moyenne de celle observée pour des firmes comparables et l’on constate moins de gestion du résultat. En revanche, les réactions des cours à l’annonce d’une acquisition sont moindres, signalant des stratégies de croissance externe moins performantes, et l’innovation, mesurée par les dépenses de recherche et de développement et le nombre de citations des brevets déposés, est réduite. De plus, ces effets négatifs semblent dominer le gain lié au surcroît de contrôle car la valeur de la firme décroît en présence de comités plus indépendants. Ces résultats soulignent à nouveau l’importance du rôle de conseil des administrateurs et le fait que l’exigence d’un conseil de plus en plus disciplinaire peut avoir des effets destructeurs de valeur. Selon Bainbridge (2012), le fait de devoir trouver à tout prix des administrateurs indépendants peut avoir un effet négatif sur leur connaissance du secteur et leur compétence. Il va jusqu’à mettre en lien crise financière et exigence d’indépendance, ce qui aurait, selon lui, amené près des deux tiers des administrateurs des plus grandes banques américaines à n’avoir aucune expérience bancaire.
Autres caractéristiques des conseils et performance
Nous nous intéressons plus particulièrement à l’introduction de plus de diversité dans les conseils d’administration par l’augmentation de leur mixité et la présence d’administrateurs salariés. Quelques autres caractéristiques, telles que la taille ou la présence de non-nationaux, sont également examinées.
La mixité des conseilsUne question d’actualité est celle de l’impact de la mixité des conseils sur la création de valeur par les firmes5. En effet, plusieurs pays européens ont introduit – ou envisagent de le faire – des quotas de femmes dans les conseils durant les dernières années. En Norvège, une loi de 2003 a imposé l’égalité hommes/femmes dans les conseils à partir de 2005. Les firmes qui ne s’étaient pas conformées à la loi en 2008 étaient menacées de dissolution et en avril 2008, toutes les firmes norvégiennes appliquaient la loi. En Espagne, un quota de 40 % de femmes devra être appliqué à partir de 2015. En France, la loi Zimmermann-Copé sur la féminisation des conseils d’administration, entrée en vigueur en janvier 2011, prévoit un minimum de 20 % de femmes dans les conseils d’administration des entreprises avant janvier 2014 et 40 % avant janvier 2017. Toutes les sociétés cotées sont concernées ainsi que celles employant au moins 500 salariés ou réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 50 M€. Les conseils d’administration sans femmes devront en nommer au moins une dans les six mois suivant la promulgation du texte. La loi a eu un effet incitatif puissant : alors qu’en 2009, les femmes représentaient moins de 10 % des administrateurs des firmes du CAC 40, en juillet 2011, selon le rapport d’Ethics & Boards, le seuil de 20 % était franchi pour les entreprises du CAC 40, tandis qu’il atteignait près de 15 % pour les autres entreprises du SBF 1206.
La mixité des conseils les rend-elle plus efficaces ? Est-elle créatrice de valeur pour les entreprises ? Adams et Ferreira (2009) montrent que les femmes sont plus présentes aux réunions du conseil, plus enclines à faire partie de comités et que les hommes sont moins absents lorsque la mixité des conseils est plus grande. Par ailleurs, le remplacement du dirigeant est plus directement lié aux performances de la firme dans les conseils plus mixtes. Selon Matsa et Miller (2011a), plus il y a de femmes dans un conseil une année donnée, plus il y a de nominations de femmes cadres dirigeants l’année suivante. L’adoption de quotas dans les conseils, par le fait d’une solidarité féminine, accélère la promotion des femmes et les aide ainsi à briser le plafond de verre.
Matsa et Miller (2011b) examinent l’impact de la mise en œuvre du quota de 40 % de femmes dans les conseils norvégiens sur la stratégie mise en œuvre, en comparant les entreprises norvégiennes à des entreprises d’autres pays scandinaves de caractéristiques similaires et non affectées par les quotas. La rentabilité économique a diminué de 4 % en raison d’un accroissement des coûts de personnel, les firmes norvégiennes ayant moins procédé à des licenciements sur la période étudiée. Le recul est insuffisant pour mesurer l’impact de cette modification de stratégie sur le long terme, plusieurs études montrant que le marché évalue très mal les bénéfices intangibles résultant d’une réduction des licenciements et du maintien de main-d'œuvre qualifiée. Les auteurs concluent que les administratrices sont plus orientées stakeholders que les administrateurs.
Levi, Li et Zhang (2011) analysent le lien entre la proportion de femmes dans les conseils d’administration et les stratégies d’acquisition pour les entreprises du S&P 1500 sur la période allant de 1997 à 2009. Les firmes où les femmes sont très présentes sont moins enclines à procéder à des acquisitions et surtout, les prix offerts sont inférieurs : 10 % de femmes dans le conseil amènent une réduction de 13,3 % du prix d’acquisition. Ce résultat peut s’expliquer par le moindre suroptimisme des femmes, facteur déterminant des acquisitions payées trop cher.
Enfin, deux études se sont intéressées à l’évolution de la valeur de marché des entreprises norvégiennes après l’introduction du quota de 40 % de femmes dans les conseils, avec des résultats contradictoires. Selon Ahern et Dittmar (2011), l’annonce de la loi a entraîné une chute de plus de 3 % des cours des actions de toutes les firmes qui n’avaient aucune femme au conseil. Ils expliquent ces résultats par le fait que les administratrices nommées étaient beaucoup plus jeunes (huit ans de moins que les administrateurs en moyenne) et avaient beaucoup moins fréquemment une expérience de direction générale de société (31 % contre 69 % pour les administrateurs). Ces résultats ont été contestés par Nygaard (2011), en raison d’un échantillon de très petite taille et comportant un biais de sélection. Dans son étude, il trouve une réaction positive des cours en moyenne (de l’ordre de 1 %), qui devient très importante pour les firmes caractérisées par une asymétrie d’information faible et peu d’administratrices (+ 5 % en moyenne). Ces résultats sont confirmés par l’évolution positive de la rentabilité économique postérieurement à l’introduction des quotas.
En conclusion, l’introduction de quotas de femmes dans les conseils n’est pas anodine. Elle a des conséquences sur les stratégies des firmes. Il est probablement nécessaire d’attendre de disposer de plus de recul et de données pour conclure sur son impact sur les performances et la valeur de la firme.
Administrateurs salariésLa présence d’administrateurs salariés dans les conseils a-t-elle un effet favorable sur les performances des entreprises ? Le cas allemand a fait l’objet de plusieurs études qui confortent les aspects créateurs de valeur des administrateurs salariés (Fauver et Fuerst, 2006 ; Gorton et Schmid, 2004). Il peut toutefois difficilement être généralisé car les salariés peuvent représenter jusqu’à 50 % des administrateurs selon la taille de l’entreprise. Si les salariés sont également très présents en Autriche et dans les pays nordiques, ils sont absents dans les pays du sud de l’Europe et au Royaume-Uni (Heidrick et Struggles, 2011).
La législation française autorise la présence de deux types d’administrateurs salariés : des administrateurs élus par les salariés et des administrateurs représentant les actionnaires salariés et élus par l’assemblée des actionnaires. Sur la période allant de 1998 à 2010, 10,2 % des entreprises du SBF 120 ont des administrateurs élus par les salariés, 11,6 % des administrateurs représentent les salariés actionnaires et 3,4 % des sociétés ont les deux types d’administrateurs au sein de leurs conseils (Waxin, 2011). Ginglinger, Megginson et Waxin (2011) montrent que la présence d’administrateurs représentant les salariés actionnaires augmente la performance opérationnelle et boursière des entreprises, mais n’a pas d’influence significative sur la politique de distribution de dividendes ou le nombre de réunions du conseil. Les administrateurs élus par les salariés réduisent, quant à eux, de manière significative les montants versés aux actionnaires sous forme de dividendes et de rachats d’actions. Leur présence tend à accroître le nombre de réunions, mais n’exerce qu’un impact limité sur la valeur des firmes et leur profitabilité7.
Ces aspects positifs confortent ainsi la position de ceux qui considèrent que les salariés apportent de l’information interne et pertinente au conseil, l’aident à prendre des décisions plus éclairées et participent à une gouvernance interne des dirigeants, et infirment les arguments de ceux qui estiment que le fait d’introduire des représentants des stakeholders dans les conseils complique les prises de décisions, brouille les objectifs et contribue à l’enracinement des dirigeants.
Taille et administrateurs non nationauxLes performances des firmes varient avec la taille des conseils d’administration, les conseils de petite taille semblant plus efficaces que ceux de taille plus importante. Selon Jensen (1993), la taille optimale d’un conseil est de sept à huit membres. Mais le degré de concentration de l’actionnariat et la nature des activités de l’entreprise sont également à considérer. Ainsi, Coles, Daniel et Naveen (2008) estiment que les firmes complexes, par exemple diversifiées, ont besoin de plus d’expertises et ont donc des conseils plus nombreux. Selon Heidrick et Struggles (2011), le nombre moyen d’administrateurs des sociétés européennes cotées est de 12,1. Ce nombre est de 7,8 en Finlande, 12,4 au Royaume-Uni, 14,2 en France et 17,1 en Allemagne.
L’internationalisation des conseils est également en cours. Selon le rapport précité, 24 % des administrateurs des sociétés en Europe n’ont pas la nationalité du pays de la firme, proportion qui va de 10 % pour l’Espagne à 53 % pour la Suisse, en passant par la France (27 %) et le Royaume-Uni (40 %). Masulis, Wang et Xie (2012) montrent que les entreprises dont les conseils comportent des administrateurs non nationaux procèdent à des acquisitions de meilleure qualité dans les pays d’origine des administrateurs, mais qu’en revanche, ces administrateurs sont moins présents aux réunions et réduisent le caractère disciplinaire du conseil.
Les coûts d’agence entre actionnaires et dirigeants et entre minoritaires et majoritaires sont très importants dans la vie des entreprises et les règles de bonne gouvernance ont pour objectif d’en réduire les conséquences négatives pour la création de valeur des entreprises. De très nombreuses études empiriques ont été réalisées pour apprécier si ces objectifs étaient atteints. Elles montrent qu’il est vain de penser qu’une même règle sera optimale pour toutes les entreprises quelles que soient leurs caractéristiques. Déroger à la règle une action/une voix peut dans certains cas créer de la valeur pour les actionnaires, un conseil d’administration trop indépendant et trop disciplinaire peut détruire de la valeur. La flexibilité et une certaine liberté de choix sont ainsi des traits importants d’une bonne régulation de la gouvernance des entreprises.