Les firmes familiales représentent la majorité des entreprises non cotées et une large part des entreprises cotées dans le monde. La gouvernance des firmes familiales cotées, qui englobe les mécanismes permettant de concilier les droits et les intérêts des parties prenantes de l'entreprise, fait émerger des différences par rapport à celle des firmes non familiales, liées à des conflits d'agence spécifiques ou à certaines particularités des conflits d'agence classiques. Par exemple, la famille est souvent amenée à organiser son contrôle en créant une société holding familiale, introduisant un conflit d'agence potentiel entre les membres de la famille et ceux qui les représentent. Par ailleurs, la famille actionnaire détient souvent un bloc d'actions contrôlant. Cette situation peut générer des conflits d'agence avec les actionnaires minoritaires. La présence d'un bloc familial à long terme, assurant un contrôle vigilant des décisions des dirigeants, peut être bénéfique pour tous les actionnaires. Mais le risque existe que, d'une part, des bénéfices privés soient prélevés par l'actionnaire familial au détriment des autres actionnaires et que, d'autre part, des choix stratégiques et des décisions financières de la firme familiale soient peu favorables aux actionnaires minoritaires, en raison de la faible diversification des actifs détenus par les actionnaires familiaux. Ces conflits sont potentiellement exacerbés par l'existence de mécanismes de renforcement du contrôle (droits de vote double, par exemple). Le conflit d'agence entre actionnaires et créanciers est potentiellement amoindri en présence d'un contrôle familial, du fait de la vision à long terme des actionnaires. Enfin le conflit d'agence classique entre actionnaires et dirigeants peut également être revisité dans une firme familiale, dans la mesure où le dirigeant est fréquemment un membre de la famille actionnaire. Après un état des lieux du contrôle familial dans le monde, nous présentons les spécificités de la gouvernance des firmes contrôlées par une famille actionnaire. Nous en analysons ensuite les conséquences pour les actionnaires minoritaires, en termes de décisions financières et de performances1.
Le contrôle par les familles
La définition d'une firme familiale varie selon les études. La définition la plus fréquente repose sur un minimum de détention du capital ou des droits de vote par le groupe familial, celui-ci étant le plus gros actionnaire ultime de la société. Le minimum de détention retenu est souvent de 20 %. D'autres critères peuvent intervenir. Par exemple, Masulis et al. (2011) réduisent le seuil à 10 %, lorsqu'un membre du groupe familial est le dirigeant ou le président du conseil de la firme.
Quelle est l'importance des firmes familiales dans le monde ?
Faccio et Lang (2002) établissent que 44 % des firmes ont des actionnariats ultimes familiaux en Europe (plus de 60 % en France et en Allemagne, contre 24 % au Royaume-Uni). Claessens et al. (2000) examinent les structures d'actionnariat en Asie. Au seuil de 20 %, les familles contrôlent plus de 60 % des firmes en Thaïlande, en Malaysie, en Indonésie, à Hong Kong, 48 % en Corée du Sud, mais seulement 9,7 % au Japon. De plus la concentration de l'actionnariat dans les mains de quelques familles est parfois surprenante : ainsi, dix familles en Indonésie et aux Philippines contrôlent plus de la moitié des actifs cotés dans ces pays. Les estimations pour les États-Unis varient selon les études. En utilisant les 500 entreprises de Standard & Poor's de 1992 à 1999, Anderson et Reeb (2003) observent que les entreprises familiales représentent plus de 35 % des entreprises industrielles du S&P500 et, en moyenne, ces familles possèdent près de 18 % du capital de leur entreprise. Villalonga et Amit (2006) trouvent que 25 % des firmes de l'indice Fortune 500 sont familiales. Ces études se focalisent sur les firmes les plus grandes. Sur un échantillon plus large tiré aléatoirement parmi l'ensemble des firmes cotées aux États-Unis, Holderness (2009) montre que le pourcentage de firmes familiales aux États-Unis s'établit à 53 %, plus proche des données européennes, et qui confirme que les firmes de plus petite taille sont plus fréquemment contrôlées par des familles.
Comment évolue le contrôle familial ?
Selon Helwege et al. (2007), aux États-Unis, dix ans après leur introduction en bourse, l'actionnariat interne (fondateurs, familles, dirigeants) des firmes est inférieur à 20 % dans la majorité des cas. La situation est différente dans d'autres régions du monde où l'on constate une grande persistance du contrôle familial. S'intéressant aux vingt-sept pays européens et examinant 27 684 entreprises cotées et non cotées, Franks et al. (2012) montrent que dans les pays où les marchés financiers sont les plus développés, le contrôle familial évolue au fil des années vers une dispersion du capital. Dans les pays où les marchés financiers sont moins développés, le contrôle de la famille est très persistant dans le temps. Ainsi 65 % des firmes contrôlées par une famille en 1996 le sont toujours dix ans plus tard sur l'ensemble de l'échantillon, tandis que ce pourcentage est de 50 % seulement au Royaume-Uni, dont le marché financier est le plus dynamique et où les émissions d'actions sont plus fréquentes. L'article montre de plus que dans les pays plus orientés marchés, le contrôle familial est concentré dans les industries où les opportunités d'investissement sont limitées et le volume de fusions et acquisitions faible, tandis qu'il est présent dans tous les secteurs dans les autres pays. Les auteurs suggèrent que la coexistence de différents arrangements institutionnels entre les institutions financières et l'actionnariat des entreprises amène des équilibres multiples. Dans certains pays, les entreprises familiales ont une telle influence qu'elles sont capables de façonner les institutions et de surmonter les contraintes financières sans renoncer à leur contrôle. Dans d'autres économies, la moindre influence des entreprises familiales permet le développement de marchés liquides qui favorisent la dispersion du contrôle.
La gouvernance des firmes familiales
Les firmes familiales sont sujettes à des conflits d'agence spécifiques, du fait de la nécessité d'organiser le contrôle familial, des conflits potentiels entre l'actionnaire familial contrôlant et les actionnaires minoritaires, et de la présence fréquente de dirigeants appartenant à la famille actionnaire. Leur vision potentiellement plus à long terme que celle d'autres types d'actionnaires modifie également les conflits d'agence entre actionnaires et créanciers.
L'organisation du contrôle familial
Les familles peuvent détenir les actions de la firme directement, ou par l'intermédiaire d'une holding familiale (ou d'un family trust dans les pays anglo-saxons). La différence clé entre les deux formes de détention réside dans la transférabilité des actions, qui est beaucoup moins aisée dans le second cas que dans le premier. L'absence de transférabilité peut générer des conflits familiaux, surtout si certains membres de la famille occupent des postes de direction dans l'entreprise. Fan et Leung (2015) examinent 216 firmes familiales cotées à Hong Kong, dont un tiers recourent à un trust et les autres à un actionnariat direct. Ils montrent que les firmes qui adoptent une structure indirecte tendent à verser plus de dividendes et à moins investir à long terme que les firmes détenues directement par la famille.
Enfin Davis (2007) souligne que les firmes familiales, en particulier lorsque le fondateur n'est plus le dirigeant et principal actionnaire, peuvent également organiser l'actionnariat familial de façon souple. Par exemple, une assemblée familiale, qui rassemble tous les membres de la famille, peut être réunie une à deux fois par an pour informer ses membres de l'activité de l'entreprise et s'assurer d'une vision commune de l'avenir de l'entreprise. Cette assemblée peut élire un conseil familial, dont le rôle est d'organiser les réunions et la formation des membres de la famille. Ce conseil assure la coordination avec le conseil d'administration de la firme afin de veiller à l'alignement des intérêts de la famille, des actionnaires et des dirigeants.
Les conflits d'agence entre la famille actionnaire
et les actionnaires minoritaires
Le conflit d'agence entre le bloc familial et les actionnaires minoritaires résulte de la crainte que des bénéfices privés soient prélevés par la famille actionnaire au détriment des autres actionnaires2. Ces bénéfices privés peuvent prendre des formes multiples, par exemple des salaires exagérés versés aux dirigeants issus de la famille, le recrutement de membres de la famille qui n'auraient pas toutes les compétences requises, divers types de conventions réglementées ou une politique de dividendes inappropriée.
Ce conflit d'agence peut être exacerbé par le fait que les actionnaires familiaux cherchent à préserver leur contrôle, alors même que dans certains cas, ils ne disposent pas des capitaux nécessaires pour financer la croissance de l'entreprise. Ils mettent alors en place des mécanismes permettant d'accroître le pourcentage de contrôle par rapport à leur pourcentage du capital, en recourant parfois à des pyramides, mais surtout à des droits de vote multiples3. Ainsi, 12,6 % des firmes familiales françaises cotées utilisent une structure pyramidale (18,5 % pour l'ensemble des firmes), tandis que 76 % d'entre elles (68,3 % pour l'ensemble des entreprises) recourent aux droits de vote double, qui est leur principal outil pour renforcer leur contrôle (Ginglinger et Hamon, 2012). Le fait pour des actionnaires familiaux de privilégier le renforcement des droits de vote à tout autre mécanisme n'est pas propre à la France. Villalonga et Amit (2009) montrent qu'aux États-Unis, ce sont également les actions à droits de vote multiples (dual class shares) qui sont privilégiées dans les sociétés familiales.
La concentration du pouvoir peut être bénéfique pour les actionnaires de l'entreprise, y compris pour les actionnaires minoritaires, tant du point de vue de la performance que de celle de la liquidité. Bauguess et al. (2007) montrent ainsi que dans les entreprises à capital concentré, les droits de vote multiples permettent aux actionnaires dominants, peu enclins à adopter des stratégies risquées, de réduire leur participation économique sans perdre le contrôle et de restructurer la firme dans l'intérêt de tous les actionnaires. Belot et al. (2017) analysent la réaction des cours à l'annonce de la loi Florange de 2014, qui institue un droit de votre double pour les titres conservés au moins deux ans dans toutes les sociétés cotées sur un marché réglementé, sauf décision contraire de leur assemblée générale. Ils montrent que les firmes ayant décidé de ne pas se soumettre à cette loi ont connu une réaction négative de leur cours à l'annonce de la loi, suggérant que les actionnaires ont une perception positive des droits de vote double. Ginglinger et Hamon (2012) montrent également que les droits de vote double en France ont, toutes choses égales par ailleurs, un effet bénéfique sur la liquidité du marché d'actions. Cet effet peut paraître contre-intuitif. Il résulte du fait que les actionnaires détenant des droits de vote double liés à une durée minimale de détention sont moins incités que les autres à opérer des transactions informées sur le marché de leurs actions lorsqu'ils souhaitent préserver leur contrôle. En effet, toute opération de vente/achat se solderait pour eux par la perte du droit de vote supplémentaire.
Le conflit d'agence entre actionnaires et dirigeants
dans une firme familiale
Dans les firmes familiales de petite taille et pour la première génération, l'actionnaire et le dirigeant sont le plus souvent une et même personne, et le conflit d'agence classique disparaît. Dans les firmes familiales plus grandes ou plus anciennes, des dirigeants professionnels peuvent être nommés, mais leur contrôle sera plus étroit que dans une firme non familiale, en particulier parce que la famille actionnaire sera très présente dans le conseil d'administration. En France, sur un échantillon de 376 entreprises cotées entre 1998 et 2008, Belot et al. (2014) établissent que parmi les 64 % d'entreprises avec un contrôle familial ultime, 40 % sont dirigées par un membre de la famille et 24 % par un dirigeant externe. Parmi les 40 % de direction familiale, on peut relever 27 % de dirigeants de première génération (fondateurs) et 13 % d'héritiers.
Les familles actionnaires accroissent leur pouvoir par rapport à la part du capital qu'elles détiennent en assumant une présence renforcée dans les organes de décisions, le conseil d'administration et le comité exécutif. Par exemple, en France, le code de gouvernance AFEP-MEDEF prévoit que la part des administrateurs indépendants, qui doit être de la moitié des membres dans les sociétés au capital dispersé, peut être réduite à un tiers des membres dans une société contrôlée. Aux États-Unis, selon Anderson et Reeb (2003), les familles actionnaires qui ne sont pas majoritaires au capital de leur entreprise contrôlent un nombre de sièges d'administrateurs 2,75 fois supérieur à leur participation. Belot et al. (2014) montrent par ailleurs que les firmes familiales françaises recourent plus fréquemment à une structure de gouvernance duale (conseil de surveillance et directoire), en particulier lorsque le fondateur transmet la direction de l'entreprise à un dirigeant non familial ou à l'un de ses héritiers. La structure duale permet alors à l'actionnaire familial ou au fondateur de garder la fonction de contrôle tout en déléguant la gestion de l'entreprise.
Mais le contrôle du conseil peut s'exercer de façon plus indirecte, par des réseaux de firmes familiales. Ainsi Anderson et al. (2017) constatent que les entreprises familiales sont plus susceptibles de nommer des administrateurs indépendants ayant siégé dans des conseils d'administration d'autres entreprises familiales (qu'ils nomment « family-friendly directors »). Leurs résultats suggèrent que les apports de ces administrateurs sont plus de l'ordre du conseil que du contrôle : par exemple, les opérations de fusion-acquisition sont plus rentables lorsque leur présence augmente, mais la probabilité d'actes de mauvaise gestion augmente également.
Conflits d'agence entre actionnaires et créanciers
dans une firme familiale
Classiquement le recours à la dette engendre des conflits entre les actionnaires et les créanciers liés notamment au niveau de risque des actifs : les actionnaires peuvent être tentés d'accroître le risque de ces actifs au détriment des créanciers. L'actionnariat familial peut venir tempérer ces conflits. En effet, dans la mesure où les actionnaires familiaux ont le souci de la survie à long terme de leur entreprise, de leur réputation, et sont sensibles au risque total de l'entreprise et non seulement à son risque de marché du fait de la moindre diversification de leur patrimoine, les conflits d'intérêts entre actionnaires et prêteurs sont moins importants au sein des firmes familiales que dans des firmes non familiales. De plus, la plupart des études indiquent que les firmes familiales sont moins endettées que les firmes non familiales (par exemple, Villalonga et Amit, 2006), les actionnaires familiaux étant, du fait de leur patrimoine insuffisamment diversifié, plus exposés au risque de faillite. Par ailleurs, selon Anderson et al. (2003), les firmes familiales supportent un coût de la dette inférieur à celui des firmes non fami liales. Lorsqu'un membre de la famille dirige l'entreprise, le coût du financement par emprunt est plus élevé que si ce n'est pas un membre de la famille, mais reste malgré tout moins élevé que dans les entreprises non familiales. Les auteurs concluent que les obligataires considèrent que l'actionnariat familial est plus protecteur de leurs intérêts que d'autres types d'actionnariat.
Choix stratégiques et performances
des firmes familiales
Étant donné leur actionnariat concentré, les firmes familiales sont souvent amenées à prendre des décisions différentes de celles des firmes à capital dispersé, en particulier en matière d'investissement4. Ces choix et les particularités de leur gouvernance expliquent les écarts de performance constatés entre firmes familiales et non familiales.
Les choix stratégiques des firmes familiales
Les firmes familiales ont potentiellement un horizon d'investissement différent de celui des firmes non familiales, mais également des stratégies de diversification des actifs distinctes.
Horizon de l'investissement
En matière d'investissement des firmes familiales, deux effets contradictoires peuvent être mis en balance. D'un côté, ayant à cœur de transmettre leur firme à leurs descendants, les actionnaires familiaux sont souvent amenés à adopter une vision de long terme, qui peut manquer à d'autres types d'actionnaires. Cette vision à long terme devrait amener les firmes familiales à investir dans des projets qui pourraient avoir des retours sur investissement à un horizon plus long que celui des firmes non familiales. D'un autre côté, leur aversion au risque, liée à leur faible diversification, pourrait les inciter au contraire à réduire les investissements risqués et à très long terme, ou ceux dont les retours sur investissement seraient plus aléatoires.
Sur un échantillon de 2 000 entreprises aux États-Unis entre 2003 et 2007, dont 38 % ont un actionnariat familial détenant plus de 5 % du capital (moyenne du capital détenu par ces actionnaires de 26 %), Anderson et al. (2012) contribuent à ce débat et constatent que les entreprises familiales investissent moins à long terme que les entreprises non familiales. De plus, elles préfèrent investir dans des actifs physiques par rapport à des projets de recherche et de développement plus risqués. Des tests supplémentaires indiquent que les entreprises familiales reçoivent moins de citations pour leurs brevets par dollar d'investissement en R&D (recherche et développement) que les entreprises non familiales. Ces résultats empiriques soulignent les préférences familiales pour un risque d'entreprise plus faible, au détriment de leur vision à long terme. Ces choix résultent notamment de la faible diversification du patrimoine des actionnaires familiaux, qui les amènent à être sensibles au risque spécifique de la firme qu'ils détiennent, au contraire des investisseurs institutionnels dont les actifs sont bien diversifiés. Ces effets sont toutefois moins présents pour les sociétés familiales dirigées par leur fondateur. Block (2012) montre que si l'actionnariat familial réduit le niveau d'intensité de la R&D, un actionnaire fondateur unique a un effet positif non seulement sur l'intensité de la R&D, mais aussi sur le niveau de productivité de la R&D.
Lins et al. (2013) étudient le comportement des entreprises familiales pendant la crise financière de 2008-2009 en utilisant un échantillon de plus de 8 500 entreprises de trente-cinq pays. Ils constatent que les entreprises familiales sous-performent par rapport aux autres entreprises pendant la crise financière, d'autant plus que l'actionnariat familial a plus de latitude managériale. Ces firmes réduisent considérablement leurs investissements par rapport aux autres entreprises du fait des chocs de liquidité. De telles réductions d'investissement sont associées à une plus grande sous-performance. Ces résultats montrent que les familles actionnaires privilégient les décisions visant la survie de l'entreprise et du contrôle familial à long terme, ces décisions pouvant dans certains cas être peu favorables aux actionnaires externes bien diversifiés.
En conclusion, ces résultats mettent en évidence que la vision à long terme des familles actionnaires privilégie la survie de leur entreprise et du contrôle familial, mais moins l'investissement dans des projets prometteurs, mais risqués.
Diversification
Les entreprises familiales procèdent plus rarement à des acquisitions. Aktas et al. (2016) montrent que les firmes familiales représentent 30 % des firmes de leur échantillon de 10 031 entreprises européennes, mais 17 % seulement des acquéreurs sur la même période. De plus, elles tendent à privilégier l'acquisition d'entreprises assurant une diversification de leurs activités actuelles, afin d'en réduire le risque spécifique et de diversifier leur patrimoine par l'intermédiaire de l'entreprise. Feldman et al. (2016) constatent que les entreprises familiales sont également moins susceptibles que les entreprises non familiales d'effectuer des cessions d'actifs, surtout lorsque ces sociétés sont gérées par des dirigeants familiaux. Au final, les contours des activités des firmes familiales apparaissent ainsi plus stables que celles des firmes non familiales.
Les performances des firmes familiales
Deux visions opposées peuvent être mises en balance en matière de performance des firmes familiales5. Avoir une famille actionnaire a potentiellement un impact positif sur les performances de la firme, car l'intérêt de la famille est de gérer au mieux l'entreprise pour faire fructifier son patrimoine dont elle constitue bien souvent l'essentiel ou tout au moins une large part. L'alignement des intérêts des dirigeants et des actionnaires est plus facile lorsque le dirigeant est issu de la famille, et les conflits d'agence entre eux moins prégnants.
À l'opposé, on peut pointer un potentiel conflit d'agence entre actionnaires majoritaires et actionnaires minoritaires, déjà souligné plus haut, en raison de potentiels bénéfices privés pour les familles actionnaires, qui pourraient réduire les performances des firmes familiales.
Une synthèse des résultats
De nombreuses études se sont intéressées aux performances familiales, avec des résultats contrastés. Lopez de Silanes et Waxin (2014) offrent une très belle revue de littérature de 89 articles, 58 issus de la littérature financière et 31 de celle de management, couvrant 48 pays entre 1903 et 20106. Au moins un tiers de ces études s'intéressent aux États-Unis et un peu moins d'un tiers à l'Europe. Pour une grande majorité de ces études, la rentabilité économique comptable (mesurée par un ROA – return on assets) des firmes familiales est supérieure à celle des firmes non familiales, surtout si la firme bénéficie d'un dirigeant familial. Les résultats relatifs à la performance boursière (souvent mesurée par le Q de Tobin) sont plus partagés : il y a sensiblement le même nombre d'études qui trouvent que les firmes familiales surperforment les autres firmes, que l'inverse. En revanche, lorsque le dirigeant est issu de la famille actionnaire, la balance penche du côté positif. Les études financières mettent en évidence un accroissement médian de l'ordre de 2 % de la rentabilité comptable (ROA) et de 5 % de la valorisation de ces entreprises.
Une autre méta-analyse de la littérature sur la performance des firmes familiales est offerte par Wagner et al. (2015). Ces auteurs analysent 380 études et confirment que la surperformance est surtout comptable (ROA), concentrée sur les firmes cotées et, de façon plus générale, sur les firmes les plus grandes.
Pour la France, Sraer et Thesmar (2007) examinent les entreprises familiales cotées à Paris entre 1994 et 2000. Environ un tiers des entreprises est à capital dispersé, un autre tiers est contrôlé par les fondateurs et le tiers restant est composé d'entreprises familiales contrôlées par les héritiers. Ils examinent les performances comptables et constatent que les entreprises familiales surperforment largement les sociétés à capital dispersé. Ce résultat vaut pour les entreprises gérées par leurs fondateurs, par des managers professionnels, mais également pour les entreprises dirigées par des descendants du fondateur.
Brockman et al. (2017) s'intéressent aux 22 % de firmes familiales qui portent le nom de leur fondateur (firmes éponymes). S'ils confirment la surperformance des firmes familiales par rapport aux firmes non familiales sur un échantillon plus grand que les précédents entre 1993 et 2009 aux États-Unis, ils montrent que les firmes familiales éponymes ont une valeur réduite de 8 % par rapport aux autres firmes familiales, toutes choses égales par ailleurs. Cette réduction de valeur est amplifiée à – 21 % pour les firmes dirigées par un dirigeant qui porte également le même nom. Les auteurs suggèrent que les firmes éponymes sont susceptibles d'être gérées de façon trop personnelle par leurs dirigeants, soucieux de préserver leurs contours actuels. Pour Anderson et Reeb (2004), les entreprises les mieux valorisées sont celles dans lesquelles les administrateurs indépendants équilibrent la représentation des familles dans les conseils d'administration.
Tout n'est toutefois pas universellement rose dans l'univers des firmes familiales. Anderson et al. (2017) montrent que les firmes familiales sont plus souvent impliquées dans des fraudes (par exemple, les mesures frauduleuses d'émissions de CO2 par les moteurs diesel) que les firmes non familiales, en particulier celles gérées par le fondateur, qui comptent pour 71 % des mises en cause par la SEC (Securities and Exchange Commission) ou le département de la Justice. Anderson et al. (2009) constatent que les firmes familiales sont plus opaques. En incluant dans leur étude un indice d'opacité (calculé à partir du volume de transactions, de la fourchette, du nombre d'analystes suivant la firme, et des erreurs de prévision des analystes), seules les firmes familiales les plus transparentes surperforment les firmes non familiales.
Performances comptables versus performances boursières ?
Les différentes études des performances semblent converger vers une surperformance comptable (ROA) des entreprises qui ont une famille actionnaire, mais des résultats plus mitigés, voire absents, sur la performance boursière. Comment expliquer ces résultats divergents ? La rentabilité d'exploitation correspond aux fruits des efforts passés réalisés par l'entreprise, tandis que la performance boursière traduit le pari que font les investisseurs sur l'avenir de la firme, la valorisation des options de croissance dont elle dispose. Les résultats obtenus indiquent ainsi la capacité des firmes familiales à bien gérer leurs activités (impact positif sur la performance comptable), mais également le fait qu'il s'agit moins souvent de firmes de croissance, qui sont de ce fait moins risquées, et donc moins bien valorisées par les marchés.
Si l'on s'en tient aux performances comptables, les relations entre actionnaires familiaux et salariés semblent être l'une des clés de la surperformance des firmes familiales. Pour la France, Sraer et Thesmar (2007) montrent que les firmes gérées par des descendants des fondateurs versent des salaires moins élevés (toutes choses égales par ailleurs), lissent les chocs industriels et gèrent la firme de manière à honorer les contrats à long terme avec les salariés. Les dirigeants non familiaux de firmes familiales emploient une main-d'œuvre moins qualifiée, utilisent moins de capital et payent des taux d'intérêt moins élevés.
Belot et Waxin (2017) utilisent les données de l'enquête RÉPONSE conduite par la Dares en France pour montrer que les firmes familiales connaissent moins de conflits sociaux et qui durent moins longtemps que les firmes non familiales. Huang et al. (2015) s'appuient sur une enquête menée par Glassdoor entre 2008 et 2012 auprès de plus de 100 000 employés. Ils trouvent que les salariés qui travaillent dans une entreprise familiale dirigée par le fondateur accordent une note de satisfaction plus élevée. La satisfaction des salariés semble un bon prédicteur des performances de la firme.
Conclusion
Les firmes familiales représentent près de 50 % des sociétés cotées dans le monde, et beaucoup plus dans certains pays, notamment en Asie. La gouvernance des firmes familiales est aménagée pour tenir compte de leurs spécificités, liées à leur fréquente situation d'actionnaires contrôlant, à leur horizon long, à la faible diversification du patrimoine de la famille actionnaire, ainsi qu'à l'existence de dirigeants issus du groupe familial. Les mécanismes de gouvernance mis en place semblent efficaces, puisque leurs performances comptables apparaissent supérieures à celles des firmes non familiales. Les craintes de prélèvements massifs de bénéfices privés semblent infondées. Mais les firmes familiales réalisent des choix financiers différents, qui reflètent leur souci de préserver le contrôle de la famille actionnaire. Elles sont moins diversifiées, moins innovantes, moins endettées et plus sensibles au climat social dans l'entreprise.