En 2009, lors de la conférence de Copenhague, les pays ont convenu de prendre les moyens de limiter l'augmentation de la température mondiale moyenne à moins de 2 °C, par rapport aux niveaux préindustriels (1880). Depuis, la planète a connu un réchauffement de 0,8 °C et les récents rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC, 2013, 2014a, 2014b et 2014c) présentent les éléments d'appréciation scientifique des évolutions en cours et confirment que les systèmes naturels commencent à connaître les changements prévus, que les émissions de gaz à effet de serre (GES) anthropiques ont été particulièrement élevées entre 2000 et 2010 et que sans effort supplémentaire, la planète va connaître un réchauffement de 3,7 °C à 4,8 °C d'ici à la fin du siècle.
Les implications d'un monde à +4 °C sont dramatiques. Il faut s'attendre à des vagues de chaleur extrême, des rendements globaux de cultures plus faibles et des risques concernant, par exemple, la disponibilité des ressources en eau. En 2013, la Banque mondiale a commandé un travail d'analyse des impacts potentiels d'une augmentation de la température de 4 °C (Banque mondiale, 2012, 2013 et 2014b) qui décrit le « portrait effrayant d'un monde aux prises avec des phénomènes climatiques extrêmes semant la dévastation et la misère. Dans beaucoup de cas, les vagues de chaleur extrême, l'élévation du niveau des mers, les tempêtes de plus grande intensité, les sécheresses et les inondations menaceront les populations les plus pauvres et les plus vulnérables du monde ».
Pourtant, malgré un consensus sur les conséquences néfastes du réchauffement et sur leurs coûts de plus en plus élevés tant que l'on n'interviendra pas, le secteur financier conserve un biais en faveur du carbone et l'allocation des capitaux ne correspond pas à la « finance 2 °C » (c'est-à-dire le financement d'un monde compatible avec le scénario d'un réchauffement limité à +2 °C). La suite de cet article définit la « finance 2 °C » de manière plus approfondie, examine la raison pour laquelle elle n'a pas été suffisamment développée et aborde les évolutions actuelles qui pourraient lui donner une impulsion, en examinant le développement des green bonds (obligations vertes) en tant qu'exemple de ces évolutions.
La « finance 2 °C » : définition
Généralement, on entend par « finance 2 °C » une allocation du capital permettant le développement (la transition vers…) et la généralisation (le déploiement) d'une économie sobre en carbone qui limite les impacts du changement climatique et se montre résiliente. Cette allocation permet la réalisation d'un certain nombre d'investissements nécessaires, mais aussi des désinvestissements. Il s'agit donc in fine d'une (ré)allocation du capital conforme au maintien sur une trajectoire 2 °C. En raison de la complexité de la définition et de l'ampleur des hypothèses requises, l'estimation de l'échelle des financements exigés pour un monde à +2 °C relève de l'art plus que de la science. Tout le monde s'accorde, malgré les incertitudes, sur le fait qu'elle sera importante et que les ressources devront provenir non seulement du secteur public, mais aussi, en grande partie, des acteurs privés.
Les ressources, les acteurs comme les instruments de la « finance 2 °C » ne diffèrent pas en nature de ceux de la « finance traditionnelle » et si l'évaluation de la taille des investissements déjà effectués pour un monde à +2 °C est difficile, une part significative des flux de capitaux est déjà compatible avec la « finance 2 °C ». D'ailleurs, dans la mesure où il est difficile d'estimer ce qui a déjà été investi et financé à cette fin, en raison de la complexité de la définition et des sources de financement cachées (certaines sources de financement 2 °C ne sont pas identifiées comme telles), les flux agrégés, qui sont évalués à environ 400 Md$1, sont susceptibles d'être sous-estimés.
Si les entités, les mécanismes et les instruments de la « finance 2 °C » sont déjà en place, la difficulté est un problème de définition. De facto, de nombreux financiers ne tiennent pas compte des considérations climatiques lorsqu'ils allouent du capital, ils se contentent de financer des projets qui correspondent au profil de rendement/risque qui leur convient. Beaucoup ne s'intéressent pas à la compatibilité de leurs projets avec une trajectoire +2 °C (ni à leurs liens avec le climat) et isoler l'élément 2 °C d'un projet peut à la fois être difficile et fournir une description incomplète2.
La « finance 2 °C » : deux objectifs
Pour que la finance se transforme en « finance 2 °C », il faut analyser la compatibilité de l'allocation du capital avec le développement de sources d'énergie à faible teneur en carbone3 et, plus généralement, d'une économie sobre en carbone (atténuation : contribution à la réduction des émissions) ou résiliente aux conséquences de températures plus élevées (adaptation : assurer la résilience aux impacts potentiels futurs de températures plus élevées). Ces deux objectifs (cf. schéma) peuvent être abordés de manière individuelle ou collective, le plus difficile étant de mesurer la réduction des émissions de CO2 et d'identifier le type de scénarios de résilience à intégrer.
Atténuation et problème de l'évaluation du CO2
Il est utile de libérer moins de GES dans l'absolu, mais le véritable enjeu est de réduire les GES à un niveau qui limite l'augmentation de la température à 2 °C. La distinction entre « moins de CO2 » et « un niveau de CO2 permettant de limiter l'augmentation de la température à 2 °C » revient à évaluer la réduction absolue et relative des émissions. Par exemple, la mise en œuvre d'un processus sidérurgique assez efficace pour minimiser la quantité de CO2 émise par tonne produite est positive sur une base relative, mais le redoublement de la production d'acier ne permet pas de réduire de manière absolue les émissions de CO2.
Un certain nombre de bailleurs multilatéraux et bilatéraux cherchent à déterminer si un projet est « bénéfique pour le climat ». Les méthodologies utilisées, différentes, ont comme point commun la justification de la réduction des émissions liée au projet dans ses différentes formes (en évitant, en générant moins, en contrôlant ou en capturant les émissions) et le processus permettant de déterminer si le projet est « additionnel »4.
Si chaque projet est évalué en fonction de ses mérites propres, la répartition des capitaux de manière compatible avec un monde à +2 °C ne résulte pas nécessairement en une augmentation de la température limitée à 2 °C. Il est tout à fait pertinent de se demander dans quelle mesure la réduction des émissions d'un projet contribue à l'objectif global de limiter le réchauffement climatique à 2 °C. Il est en réalité presque impossible d'attribuer la contribution à la cible de 2 °C à des projets individuels5, car la somme des parties pourrait rester au-delà du seuil des 2 °C.
Adaptation et problème de l'intégration de la résilience
Si l'adaptation est un objectif clairement défini par la « finance 2 °C », le problème de la référence au CO2 démontre l'importance du concept de résilience. Comme expliqué précédemment, la réduction des émissions de CO2 ne suffit pas à obtenir des émissions compatibles avec un monde à +2 °C. Tous les efforts de réduction sont certes les bienvenus, mais s'ils peuvent limiter le risque de températures trop élevées, ils ne suffisent pas toujours à en éviter les conséquences. Si les efforts d'atténuation agrégés ne suffisent pas à limiter le réchauffement à 2 °C, alors il est probable que les conséquences seront bien plus graves6. Compte tenu de ce risque, de nombreux projets doivent être « adaptés », c'est-à-dire rendus résilients afin de résister aux conséquences d'un monde plus chaud.
Pour les responsables politiques et les planificateurs, se préparer à affronter les conséquences d'un monde à +2 °C, +3 °C, voire +4 °C, relève du défi car « l'adaptation est spécifique à chaque lieu et contexte : aucune approche de réduction des risques n'est applicable à toutes les situations » (GIEC, 2014a). Pour prendre cette décision, les dirigeants doivent trouver l'équilibre entre l'intégration de la résilience additionnelle (qui coûte davantage aujourd'hui)7 et les perturbations potentielles au sein de l'ensemble du réseau économique et social associé à un actif ou un projet (qui coûteront davantage plus tard). La décision de financement doit évaluer les coûts selon au moins trois axes différents :
- les coûts de construction : il coûterait plus cher de construire deux ponts (un maintenant et l'autre après la tempête) que de construire un pont plus résistant dès maintenant ;
- les coûts de perturbation : la gravité des perturbations pour l'économie locale serait très probablement plus importante avec un pont moins résistant (en termes de pertes de revenus ou de coûts de réparation, par exemple) ;
- les coûts superflus : bien qu'il soit impossible de prévoir la date et la gravité des événements climatiques, intégrer trop de résilience dès maintenant représente un gaspillage de capital.
Le problème de l'intégration de la résilience renforce la complexité des décisions relatives aux financements. En raison de l'incertitude portant sur le moment et l'étendue des retombées, il est très tentant d'ignorer le financement de la résilience et d'opter pour l'inertie qui reste la solution la plus facile. Même si l'on a déjà implicitement intégré des considérations relatives à la résilience8, les financiers doivent avoir davantage conscience des aspects liés au climat des projets car nombre d'entre eux, notamment les projets d'infrastructures, ont un long cycle de vie. Par ailleurs, il serait utile que les planificateurs et les développeurs de projets diffusent les informations relatives à l'exposition aux risques climatiques et à la résilience des projets de manière plus explicite, comme la capacité à faire face à une augmentation du niveau des mers de quelques mètres ou à supporter une tempête tous les cinquante ans.
« Finance verte » ou « finance 2 °C » ?
De nombreuses raisons expliquent pourquoi la « finance 2 °C » n'est pas plus visible. L'une d'entre elles est la confusion des termes, des définitions et des qualifications utilisés en matière d'environnement et de climat. Ainsi, la « finance verte »9 est un concept différent de la « finance 2 °C ». Certains projets écologiques sont compatibles avec la promotion d'un monde à +2 °C (et vice versa) en limitant les températures et/ou en intégrant la résilience aux impacts, mais ce n'est pas toujours le cas. Au-delà des liens entre les nombreuses thématiques environnementales et climatiques (telles que les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique) et d'une certaine similarité, les facteurs environnementaux et climatiques ne sont pas identiques.
Un projet vert ne contribue pas toujours à respecter l'objectif de 2 °C10 et inversement, un projet 2 °C n'est pas toujours vert11. La différence entre l'environnement et le climat est difficile à identifier, mais le changement climatique dépasse les considérations environnementales et concerne aussi des domaines humanitaires tels que l'accès à l'énergie, la sécurité alimentaire et les migrations liées au climat. En outre, des facteurs politiques comme la sécurité énergétique peuvent aussi influencer les décisions relatives au climat.
La « finance 2 °C » est peu visible
La définition et le manque d'information relative à la contribution des projets à une augmentation faible des températures ou à la préparation aux impacts de températures plus élevées constituent des problèmes supplémentaires. Ils résultent d'une allocation aveugle des capitaux et de flux d'investissements dissimulés.
Dans ce contexte, il est important que les planificateurs et les développeurs de projets soient plus explicites sur la destination des capitaux utilisés et sur la manière dont les facteurs relatifs au changement climatique sont pris en compte. Cette exigence est certes souvent difficile à mettre en œuvre, quoique plus évidente pour les petits projets. Pour autant, il est essentiel pour améliorer l'allocation des capitaux de fournir des informations pertinentes et complètes.
La « finance 2 °C » s'est lentement développée…
Mis à part le problème de la définition, la « finance 2 °C » reste sous-développée et des financements supplémentaires sont nécessaires pour combler l'écart entre les investissements aujourd'hui et ceux qui sont nécessaires pour s'engager sur le chemin d'un monde à +2 °C. Il existe un consensus autour du fait que le maintien sur une trajectoire 2 °C nécessite des investissements complémentaires, c'est-à-dire au-delà du montant déjà prévu pour l'expansion des infrastructures visant à répondre aux besoins en croissance.
Un écart de financement de 300 Md$
S'il est délicat d'estimer les investissements à entreprendre, il est encore plus difficile d'évaluer le coût complémentaire de la prise en compte de la mitigation (rendre l'investissement compatible avec une économie plus sobre en carbone) et de l'adaptation (rendre l'investissement résilient aux conséquences du changement climatique)12. Toutefois, une partie de ces financements seront investis pour répondre au défi d'une population toujours plus nombreuse, fournir de meilleurs réseaux et systèmes et améliorer les perspectives de croissance économique. Le Forum économique mondial (WEF, 2013) estime qu'il est nécessaire d'investir 5 000 Md$ par an dans les infrastructures d'ici à 2020 pour la croissance, mais les investissements supplémentaires requis pour relever le défi climatique ne sont que de 697 Md$ supplémentaires par an (cf. graphique 1).
Selon une estimation de ce qui a déjà été réalisé (en tenant compte des flux dissimulés) de l'ordre de 400 Md$ par an, l'estimation du Forum économique mondial de 700 Md$ supplémentaires pour convertir les financements existants à la « finance 2 °C » implique de combler un écart de financement (important, mais gérable) d'environ 300 Md$ chaque année.
La « finance 2 °C » est freinée par différents facteurs
Dans un monde idéal où tout fonctionnerait selon un prix et un budget carbone, la contrainte budgétaire impliquerait que les mécanismes de marché détermineraient le prix et le volume des émissions, en fonction de l'offre et de la demande. Toutefois, bien qu'il soit généralement accepté que les conséquences du réchauffement seront néfastes et que plus on attend pour intervenir, plus elles coûteront cher, une allocation du capital sous efficiente persiste. Le financement de la croissance économique reste fortement lié au carbone pour trois grandes raisons :
- l'équation économique de la sobriété carbone est défavorable ;
- les signaux politiques sont faibles ;
- les conséquences des émissions de CO2 élevées restent incertaines.
La première raison tient à ce que les prix actuels envoient des signaux inadéquats. En l'absence de mécanisme de fixation des prix du CO2, le charbon à haute teneur en carbone reste une énergie parmi les moins chères (cf. graphique 2). Le prix moins élevé des combustibles fossiles, notamment du charbon, omet les coûts pour l'environnement (la pollution) et la société (la santé). Au contraire, si le soleil et le vent sont gratuits, le coût de leur conversion en électricité est jusqu'ici relativement élevé bien qu'il tend à diminuer avec l'évolution technologique et une plus grande efficacité : le coût normalisé de l'électricité pour les projets éoliens est parfois plus bas dans certaines régions que le charbon, tandis que le coût des combustibles nucléaires et fossiles est susceptible d'augmenter (cf. graphique 3 ci-contre).
En outre, les signaux politiques peuvent être irrationnels. En théorie, la politique devrait fournir une impulsion en faveur de la transition. Mais si cela fonctionne pour certains pays et dans certains domaines (le développement des énergies renouvelables, par exemple), de nombreux pays continuent à subventionner, directement ou indirectement, des combustibles riches en carbone via différentes politiques gouvernementales13. Ces subventions étaient au départ prévues pour la protection des consommateurs, l'accès à l'énergie ou le développement économique. Cependant, elles ont eu pour conséquences d'encourager un développement riche en émission de GES, une consommation d'énergie supérieure, ou encore de décourager le développement des énergies renouvelables.
Malgré l'évidence des effets négatifs, de nombreux pays sont encore réticents à supprimer leurs subventions et à mieux refléter le coût total des combustibles riches en carbone. Le défi pour la « finance 2 °C » est de dépasser la perception que les rendements des investissements dans une énergie sobre en carbone sont plus faibles. En réalité, cette perception tient à ce que l'énergie sobre en carbone ne bénéficie pas du même niveau de subventions que les combustibles riches en carbone14.
Enfin, l'échéance incertaine des impacts d'une concentration élevée en CO2 (notamment en ce qui concerne les incidences régionales des températures plus élevées et la manière dont le système climatique va changer) complexifie davantage la planification à long terme. Par exemple, l'intégration de la résilience aux retombées du changement climatique dans les infrastructures reste de l'ordre de la contingence, sans savoir quelle sera l'hypothèse la plus pessimiste (autrement dit, un réchauffement de 2 °C, 4 °C ou 6 °C).
Si les conséquences locales de températures plus élevées paraissent assez faciles à déterminer, il est presque impossible de prévoir avec précision quand et où un événement climatique extrême va se produire. Les météorologistes peuvent établir la probabilité qu'un événement se produisant tous les cent ans finisse par se produire tous les vingt-cinq ans, mais une échelle de vingt-cinq ans reste large pour la planification des infrastructures.
… mais semble finalement prendre de l'ampleur
Les capitaux n'ont, jusqu'à présent, pas été alloués de manière cohérente avec le développement d'une économie sobre en carbone principalement pour trois raisons (une équation économique défavorable à la sobriété en carbone, des signaux politiques faibles et une prévision incertaine des impacts d'émissions de GES élevées), qui sont (progressivement) en voie de se résoudre.
Des coûts en hausse et des conséquences plus claires
Les coûts des catastrophes ont augmenté. Depuis 1990, plus de 4,3 milliards de personnes ont été touchées par des catastrophes naturelles liées au climat (inondations, tempêtes, incendies de forêt, sécheresses et températures extrêmes), entraînant des dommages estimés à 1 500 Md$. Pour le seul G20, les dommages liés à ces événements sont estimés à plus de 1 300 Md€ (cf. graphique 4 ci-contre).
Il est difficile d'imputer des événements spécifiques au changement climatique, mais ses impacts se font déjà ressentir. Le GIEC évalue qu'« au cours des dernières décennies, l'évolution observée du climat a eu un impact sur les systèmes naturels et humains de tous les continents ».
Parallèlement, les effets potentiels d'une augmentation des températures de 4 °C tels qu'ils sont actuellement compris semblent significatifs et concrets (voir Banque mondiale, 2013). Les expériences actuelles et les preuves de plus en plus nombreuses mettent en évidence un monde à +4 °C à la fois plus tangible et peu souhaitable.
Parvenir à un monde à +2 °C devrait être techniquement réalisable
Pour aboutir à une économie à la fois prospère et sobre en carbone, il conviendrait d'améliorer l'efficacité énergétique et la fourniture d'énergie à faible teneur en carbone, ainsi que d'intégrer la résilience aux conséquences de températures plus élevées. Des progrès ont récemment été obtenus dans ces trois axes.
En termes d'efficacité énergétique, les économies globales ont plus que doublé (115 %) entre 2002 et 2012, mais la fourniture d'énergie n'a augmenté que de 30 %. Ce découplage entre activité économique et consommation énergétique signifie que chaque milliard de PIB a nécessité presque 40 % d'énergie en moins en 2012 par rapport à 2002. Il s'agit là en grande partie du résultat d'une plus grande efficacité énergétique dans les trois secteurs clés (bâtiment, industrie et transport), mais aussi de changements dans la structure économique, par exemple la transition de la production aux services (Knight et Chan, 2014). L'accélération des efforts d'efficacité énergétique réduirait également les coûts énergétiques nationaux15.
Afin de rester dans la cible de 2 °C, l'utilisation de l'énergie à l'échelle mondiale doit être plus efficace et la combinaison énergétique doit elle-même être moins intensive en carbone. En ce qui concerne le développement des énergies sobres en carbone, la technologie est disponible et de plus en plus efficace du point de vue des coûts (cf. supra).
Enfin, nous l'avons déjà évoqué, la résilience est de plus en plus prise en compte dans la planification et la conception des projets.
Les bénéfices connexes sont plus clairs
En outre, le concept de cobénéfices16 a pris de l'ampleur ces dernières années. Thompson et al. (2014) révèlent que les « cobénéfices (...) pourraient à court terme contrebalancer certains, voire tous les, coûts de l'atténuation des GES ». Par exemple, l'étude indique qu'un système de plafonnement et d'échanges peut coûter 14 Md$, mais que les avantages sanitaires (pollution de l'air) qui sont associés à la mise en œuvre de ce système pourraient être de l'ordre de 139 Md$17.
La Banque mondiale (2014a) étudiait d'autres avantages (y compris les vies épargnées et l'énergie économisée, ainsi que les effets positifs sur la croissance du PIB) issus d'une économie à faible teneur en carbone, à l'aide d'une mesure politique spécifique visant l'efficacité en matière de modes de transport et d'énergie, et estimait que les avantages annuels de l'application de politiques climatiques intelligentes dans six régions (États-Unis, Chine, Union européenne, Inde, Mexique et Brésil) se traduiraient par une croissance du PIB en 2030 équivalente comprise entre 1 800 Md$ et 2 600 Md$ (en dollar de 2010).
La politique change et un accord mondial est possible
La communauté qui s'intéresse au climat travaille dur depuis 1992 (point de départ de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques – CCNUCC) pour trouver comment réduire les émissions de GES. La CCNUCC compte actuellement 196 parties (195 États, 1 organisation d'intégration économique régionale). L'objectif de la convention, défini à sa création et toujours en vigueur, est de « stabiliser les concentrations de GES dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropogénique dangereuse du système climatique ». Pour réaliser cet objectif, la limitation de l'augmentation des températures a été fixée à 2 °C au-dessus des niveaux préindustriels et a été officiellement adoptée par la CCNUCC en 2010.
Il sera difficile de négocier un accord global. Mais face à des preuves de plus en plus tangibles des conséquences (globales, mais aussi locales) d'une augmentation excessive des températures, la plupart des pays prennent aujourd'hui des mesures au niveau national (y compris les États-Unis et la Chine récemment) et la perspective d'un accord universel sur le climat, qui sera conclu à Paris en décembre 2015, devient possible.
D'une manière générale, la transition vers une économie sobre en carbone prend de l'ampleur, pour différentes raisons complémentaires les unes des autres :
- le coût des énergies renouvelables a significativement diminué (avant même que les coûts totaux pour l'économie riche en carbone n'augmentent) ;
- les signaux politiques (mondiaux et locaux) s'orientent progressivement vers un monde à +2 °C ;
- l'incertitude autour des retombées et des coûts associés des émissions de CO2 et d'une augmentation excessive des températures diminue, et la compréhension des avantages que comporte la résolution de ces problèmes augmente. Il devient possible de mettre un prix sur les risques climatiques, ce qui rend les options sobres en carbone effectivement rentables.
Renforcer la « finance 2 °C »
Une équation économique défavorable aux faibles émissions de carbone, des signaux politiques faibles et la prévision incertaine des impacts d'un CO2 élevé faisaient pencher la balance de l'autre côté de la « finance 2 °C », mais les éléments commencent à prendre forme (lentement, certes) pour orienter l'allocation des capitaux dans la bonne direction, tandis que les industries et les sociétés prennent conscience de la nécessité de faire des affaires dans le respect de principes plus durables. Le monde à +2 °C ne naîtra pas du jour au lendemain et il ne sera pas gratuit, mais cet objectif reste atteignable et le défi consiste maintenant à renforcer la « finance 2 °C ».
Si l'adoption de la sobriété en carbone n'est pas encore généralisée, la balance commence à pencher en faveur de la « finance 2 °C ». Il ne fait aucun doute que celle-ci requiert bien plus que le simple financement supplémentaire de la croissance : le rapport « risque/rendement des investissements nécessaires » doit être rendu plus favorable, ce qui peut être obtenu en augmentant le rendement et/ou en diminuant le risque.
Augmenter le rendement implique de minimiser les surcoûts associés à la diminution du CO2 ou de supprimer les subventions actuelles octroyées aux émissions de carbone. Sur le long terme, un prix du carbone devrait émerger, ce qui favorisera naturellement les projets à faible teneur en carbone. En outre, le prix du carbone devrait augmenter avec le renforcement des politiques climatiques (suppression des subventions, urgence de réagir aux incidences sur le climat, etc.) et la meilleure prise en compte des coûts externes des projets intensifs en carbone (pollution, coûts sanitaires).
Toutefois, la fixation du prix du carbone est un processus lent. Au cours de ce processus, il est possible d'améliorer le rendement en donnant un « coup de pouce » aux faibles émissions en carbone grâce à des mécanismes comme les tarifs de rachat. Un engagement politique cohérent et durable est essentiel dans ce cadre car les responsables politiques peuvent générer les signaux (par exemple, la poursuite d'un objectif en matière de parts des énergies renouvelables dans le mix énergétique) susceptibles de faire croître les marchés et d'améliorer le rendement des projets.
À court terme, il serait possible de diminuer le risque (différentiel) en atténuant le risque de l'investissement 2 °C à l'aide de mécanismes standards de réduction des risques tels que les garanties ou une structuration efficace des financements. Mais plus fondamentalement, si les risques climatiques étaient mieux compris et le coût de leurs impacts correctement estimé, alors les projets respectueux du climat coûteraient moins cher et ceux qui participent au réchauffement de la planète seraient considérés comme plus risqués. Cette compréhension contribuerait à l'ajustement de leurs prix relatifs et modifierait les décisions d'investissement. L'atténuation du risque peut alors n'être nécessaire qu'à court terme, car le différentiel de risque entre les deux types de projets pourrait se resserrer à moyen terme (à mesure que les risques significatifs – et croissants – que comporte le carbone sont reconnus) et à plus long terme (avec l'émergence d'un track record des projets et des technologies sobres en carbone). Davantage de certitudes quant aux politiques climatiques contribueraient également à réduire le différentiel.
L'exemple des green bonds
La transition n'exige pas nécessairement de nouveaux instruments financiers car de nombreux instruments existent déjà. Par exemple, sur les marchés obligataires, les green bonds constituent un exemple emblématique de la manière dont les financiers ont développé, à l'aide des instruments existants, un instrument susceptible de contribuer au développement de la « finance 2 °C ».
Un instrument obligataire 2 °C
Ces dernières années, les marchés obligataires mondiaux ont permis de mobiliser des sommes très significatives pour financer l'économie verte sobre en carbone. Si le financement des modes de transport durable (comme le rail) et des énergies propres (comme les énergies renouvelables) est prédominant, une classe d'obligations spécifiques, les green bonds, s'est rapidement développée depuis 2011 (cf. graphique 5 ci-contre).
Ces greens bonds sont des obligations classiques dont les financements sont explicitement alloués à une série d'objectifs d'investissements environnementaux et climatiques. La première d'entre elles fut l'émission d'une obligation en faveur du climat de 600 M€ réalisée par la Banque européenne d'investissement (BEI) en 2007, rapidement suivi d'une émission de la Société financière internationale (SFI, appartenant au groupe Banque mondiale). Initialement, les green bonds étaient des instruments sur mesure et essentiellement utilisés par les organisations supranationales (BEI, SFI). En 2013, cette classe d'actifs s'est transformée en termes de taille, mais aussi de techniques (appel public à l'épargne, émissions d'obligations de référence, benchmark), de palettes d'émetteurs (entités sous-souveraines, y compris les autorités locales françaises, et entreprises telles que EDF, Toyota ou Unilever), de devises disponibles et d'échéances.
Moteurs de la croissance du marché
La croissance des émissions est encouragée par des facteurs relevant de l'offre comme de la demande. En ce qui concerne l'offre, le marché a été aidé par les grandes institutions financières internationales qui se sont engagées à promouvoir le financement de l'économie verte et qui aspirent à favoriser la mobilisation des capitaux privés. Dans ce but, elles ont recouru à l'émission de green bonds et ont ainsi contribué à créer un nouveau segment de marché au sein de la principale catégorie d'actifs au monde.
Ce groupe d'émetteurs initialement constitué d'organisations supranationales s'est élargi à d'autres émetteurs publics et parapublics (en particulier, agences et entités sous-souveraines) tandis que, parallèlement à ces émetteurs publics, les entreprises commencent à faire appel à ce segment de marché pour lever des fonds et à diversifier leur base d'investisseurs pour y inclure les institutions sensibles à la question environnementale.
En ce qui concerne la demande, au-delà des fonds d'investissement responsable, les institutions traditionnelles, initialement prudentes, s'intéressent désormais à ce segment de marché. Cette évolution a été rendue possible par l'augmentation du volume unitaire et du nombre des émissions et des caractéristiques financières très proches de celles des obligations classiques émises par les mêmes institutions. En outre, une proportion croissante d'investisseurs institutionnels s'engage à investir de manière responsable pour le climat18.
Garantir l'intégrité du marché des green bonds
La clarté et l'habitude sont des éléments essentiels à la confiance et à la taille des marchés ; ils sont sans aucun doute réunis dans la sphère des green bonds et des obligations climatiques. Pour promouvoir l'intégrité de ce marché, une série de principes (Green Bond Principles – GBP) ont été lancés en janvier 201419. Ces principes mettent l'accent sur la définition d'un processus selon lequel ces obligations doivent être émises, exposant les grandes lignes des différents types d'obligations, le processus d'émission et les moyens de garantir l'intégrité environnementale.
Les GBP définissent quatre types de green bonds selon le degré de recours contre l'émetteur ou la fiabilité des projets financés20 ainsi qu'une série de principes liés au processus, concernant :
- l'utilisation des fonds levés, la caractéristique principale des green bonds étant l'emploi de ces fonds : les GBP recommandent que tous les émetteurs annoncent les emplois envisagés et que ces emplois permettent de dégager des « bénéfices environnementaux clairs et quantifiables » ;
- le processus d'évaluation et de sélection des projets : les GBP mettent en avant un certain nombre de facteurs à prendre en compte par les émetteurs quand ils choisissent leurs projets, y compris le profil environnemental de l'investissement, la présence de cet investissement dans les catégories vertes de l'émetteur ou encore le profil ESG (environnemental, social et de gouvernance) global de l'émetteur ;
- la gestion des fonds levés : les GBP recommandent également différentes manières de protéger l'intégrité du déploiement des fonds. En font partie le cantonnement (pratique de l'allocation des sommes à un compte séparé) et la désignation d'un auditeur pour suivre le processus de déploiement ;
- l'établissement de rapports : les GBP recommandent que les émetteurs établissent des rapports sur l'utilisation des fonds correspondants au moins une fois par an et y incluent des mesures qualitatives et/ou quantitatives des impacts environnementaux des investissements spécifiques.
Enfin, les GBP ont formulé des recommandations sur l'implication des tierces parties pour améliorer la confiance des marchés grâce à la surveillance des critères relatifs aux green bonds, à des consultations et des audits publics, ainsi qu'à une vérification complète et indépendante par un tiers.
Un effet de cliquet dans l'allocation des capitaux aux investissements 2 °C
Si le caractère vert des green bonds, l'évaluation des retombées des projets financés ou l'incidence globale du rôle de signal du capital réalisé grâce à ces instruments (en termes de coûts d'investissement pour les projets verts et de réaffectation globale du capital) font encore débat, les green bonds remplissent déjà l'un des objectifs de la « finance 2 °C » : ils peuvent contribuer à ce que le capital soit attribué de manière irrévocable (locked in) au financement de l'adaptation et/ou de l'atténuation.