Environ 244 millions de personnes dans le monde vivent dans un pays autre que leur pays de naissance, principalement dans les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (Nations unies, 2015). En 2012, 52 millions de personnes sont nées à l'étranger dans l'Union européenne (UE) dont 33,5 millions originaires de pays tiers, la France en accueille 14 %. La participation active de personnes immigrées dans les sociétés d'accueil, sur le marché du travail et au-delà est un sujet de débat important, particulièrement en France.
L'intégration économique et sociale des immigrés et de leurs descendants est l'une des priorités dans les pays de l'OCDE. Plusieurs travaux de recherche se sont intéressés à cette question. La plupart d'entre eux portent sur le marché du travail et sur les problèmes de revenus et d'emploi (par exemple, Algan et al., 2010). Un nombre relativement plus limité d'études économiques considèrent d'autres aspects de l'intégration des immigrés comme leurs accès aux marchés financier et immobilier (Abdul-Razzak et al., 2015 ; Gobillon et Solignac, 2015 pour une revue de littérature). Ces études portent principalement sur des pays d'installation comme l'Australie, le Canada ou les États-Unis. En revanche, peu de travaux considèrent le patrimoine des immigrés en Europe (Bauer et al., 2011 ; Bauer et Sinning, 2011 ; Matha et al., 2011). En France, le sujet est même très rarement traité1, alors que les aspects patrimoniaux jouent un rôle important dans le fonctionnement etl'évolution de la société. Le patrimoine est un indicateur de bien-être qui reflète une accumulation à long terme. Il permet de faire face aux fluctuations de revenus et de financer les besoins de consommation. Il peut aider à financer des investissements dans le capital humain2. Il contribue ainsi à la réussite du parcours d'intégration des immigrés et de leurs descendants dans leur pays d'accueil.
Dans cet article, nous analysons les différences de taux de détention de patrimoine entre les ménages immigrés et les ménages autochtones à partir des données de l'enquête patrimoine 2009-2010 de l'Insee. Une première contribution de cet article est d'évaluer la détention d'actifs financiers (livrets d'épargne, épargne-logement et épargne-retraite) par les ménages immigrés en prenant en considération leurs caractéristiques démographiques et économiques. Détenir au moins un actif financier est une condition nécessaire à l'accumulation du patrimoine. Il faut au préalable avoir accès au marché financier pour pouvoir accéder à la propriété. L'accès au crédit est souvent nécessaire en l'absence de transferts intergénérationnels de patrimoine sous forme de donation ou d'héritage. La possession de livrets d'épargne, d'épargne-logement ou de produits d'épargne-retraite reflète la participation des immigrés au marché financier dans le pays d'accueil et constitue une étape importante dans le processus d'intégration.
Nous considérons ensuite les écarts de détention de patrimoine immobilier entre les ménages immigrés et les ménages autochtones, toutes choses égales par ailleurs. Le logement, qu'il soit occupé au titre de la résidence principale ou non, est une composante importante du patrimoine des ménages en France. Les ménages sont concernés dans leur grande majorité par la détention d'un bien immobilier au cours de leur cycle de vie (Arrondel, 1996). L'accès à la propriété de la résidence principale est un élément important d'intégration. Gobillon et Solignac (2015) considèrent l'évolution des écarts d'accès à la propriété de la résidence principale des ménages natifs et des ménages immigrés, en France, entre 1975 et 1999. Dans cet article, nous considérons l'accès à la propriété immobilière au sens large, qui inclut la résidence principale, mais aussi les autres logements que peut posséder un ménage (résidence secondaire, logement de rapport). Les ménages immigrés peuvent accumuler du patrimoine immobilier tout en restant locataire de leur résidence principale. Ils résident généralement dans les zones urbaines où la population est la plus dense et où l'accès à la propriété d'une résidence principale adaptée à la taille du ménage est beaucoup plus difficile. Détenir un logement autre que sa résidence principale sera plus accessible. Ils peuvent investir dans un logement de rapport dans leur zone de résidence ou détenir une résidence secondaire dans une autre zone, voire dans un autre pays, notamment le pays d'origine.
Nos résultats indiquent que les écarts observés en termes de taux de détention sont principalement dus aux différences sociodémographiques et économiques entre les ménages immigrés et les ménages natifs. Toutes choses égales par ailleurs, les ménages immigrés ont une probabilité plus faible de posséder au moins un actif financier. La décomposition par type d'actifs révèle que leurs probabilités de détenir de l'épargne-logement et de l'épargne-retraite sont comparables à celles des natifs. En revanche, la probabilité d'avoir un livret d'épargne est plus faible pour les ménages immigrés. L'analyse du patrimoine immobilier indique aussi qu'ils ont un taux de détention supérieur à celui des natifs avec les mêmes caractéristiques. Les facteurs spécifiques à la population immigrée tels que le pays d'origine, le statut légal et la durée de résidence ont un effet significatif sur le patrimoine. La durée de résidence a un effet positif sur l'accumulation du patrimoine, ainsi que l'acquisition de la nationalité française. Avoir un conjoint immigré influence négativement le patrimoine. Les ménages européens ont généralement une probabilité plus élevée de détenir du patrimoine, comparés aux autres immigrés. Les taux de détention d'épargne-logement et d'épargne-retraite des ressortissants d'Afrique subsaharienne sont plus élevés, comparés aux natifs et aux autres immigrés lorsqu'on contrôle leurs caractéristiques.
La première partie présente le cadre d'analyse. La deuxième partie présente les données utilisées et quelques statistiques descriptives. Nos résultats sont commentés dans la troisième partie. La dernière partie conclut l'article et propose quelques pistes susceptibles d'orienter les futures recherches.
Le cadre d'analyse
Les ménages, qu'ils soient immigrés ou non, ont besoin de financer leur consommation tout au long de leur cycle de vie, principalement durant les périodes d'inactivité. Ils peuvent aussi se préoccuper de la consommation d'autres ménages, par exemple celle de leurs proches. Dans cette optique, ils accumulent généralement du patrimoine financier et immobilier.
L'objectif premier de l'accumulation patrimoniale est de constituer une épargne de précaution permettant de lisser la consommation dans le temps en reportant une partie de la consommation vers les périodes où les revenus escomptés sont plus faibles. Cette affectation intertemporelle des revenus s'inscrit dans le cadre de la théorie du revenu permanent (Friedman, 1957) et de la théorie de cycle de vie initialement formulée par Modigliani et Brumberg (1954) et Ando et Modigliani (1963). En l'absence d'incertitude et d'imperfection des marchés, les ménages peuvent s'endetter et prêter durant le cycle de vie pour obtenir un profil de consommation stable au cours du temps. Le patrimoine à ce titre résulte d'une épargne accumulée qui nécessite du temps pour être constituée. Selon cette approche, les différences d'accumulation de patrimoine entre les ménages immigrés et les ménages natifs sont principalement liées aux différences de revenus, à la structure par âge et à la taille du ménage.
L'incertitude sur les revenus au cours de la vie active, sur la durée de vie et sur le coût de la dépendance en âge avancé peut conduire le ménage à constituer une épargne de précaution plus importante que celle qui serait nécessaire en environnement certain. Les imperfections sur le marché financier, en particulier la présence des contraintes de liquidité, constituent un motif d'accumulation supplémentaire. Les ménages immigrés sont plus vulnérables. Ils sont plus souvent touchés par les pertes d'emploi et ils éprouvent plus de difficultés à retrouver un emploi que les natifs. Ils sont a priori davantage soumis aux contraintes de liquidité en l'absence de liens intergénérationnels dans le pays d'accueil.
L'accumulation du patrimoine peut aussi résulter d'une volonté de transmettre un héritage. Chaque individu fait partie d'une famille dont les membres sont issus de plusieurs générations (Becker et Tomes, 1979). Dans cette structure de modèles à générations imbriquées, les transferts peuvent être intragénérationnels et/ou intergénérationnels (Barro, 1974). La motivation peut être altruiste : le plaisir de donner ou encore l'intégration du bien-être du bénéficiaire par le donateur dans sa fonction d'utilité. La motivation de la transmission volontaire du patrimoine peut aussi être stratégique pour s'assurer la bienveillance des bénéficiaires3. Quelle qu'en soit la motivation, le rôle de la transmission patrimoniale dans l'accumulation de la richesse fait l'objet d'une controverse, en particulier entre Modigliani (1988) et Kotlikoff et Summers (1981)4. La part du patrimoine hérité est estimée à 20 % par le premier et à 80 % pour le second aux États-Unis, la perception d'un héritage ou d'une donation étant relativement peu fréquente dans les ménages immigrés. Les différences de patrimoine entre les immigrés et les natifs peuvent s'expliquer en partie par les différences de transmissions patrimoniales.
Enfin, l'accumulation du patrimoine peut être motivée par la recherche d'un statut social. Les ménages peuvent avoir une préférence pour un niveau élevé de richesse en soi, au-delà des possibilités de consommation qu'elle procure à leurs familles et à eux-mêmes (Caroll, 2000). L'accumulation du patrimoine à ce titre est une fin en soi, généralement pour les ménages qui sont riches et pour ceux qui souhaitent le devenir. Les immigrés sont surreprésentés dans le décile de revenu le plus faible et sous-représentés dans le dernier décile de revenu (OCDE, 2015). Cependant, l'immigration a pour objectif premier l'amélioration des conditions de vie. Les ménages immigrés peuvent rechercher une certaine reconnaissance de leur réussite, notamment dans le pays d'origine5. Pour un niveau donné de revenus, ils sont susceptibles d'accumuler du patrimoine pour le statut social.
Une partie des facteurs explicatifs de l'accumulation du patrimoine des immigrés sont directement liés au processus de migration. Ils sont originaires d'un autre pays et leur intégration économique et sociale dans le pays d'accueil dépend de leur statut légal, de leur durée de résidence et des raisons pour lesquelles ils ont immigré.
Certains aspects de leur origine étrangère leur sont intrinsèques. Les immigrés ont été élevés et éduqués dans un environnement différent de celui du pays d'accueil, et souvent dans une autre langue. Leurs habitudes de consommation et d'épargne ne sont pas nécessairement les mêmes que celles de la population autochtone. Ainsi, les préférences à l'égard du risque et du temps qui déterminent en partie le niveau de l'accumulation patrimoniale peuvent dépendre du pays d'origine. En outre, les immigrés n'ont pas les mêmes informations que les personnes natives sur le fonctionnement des différents marchés, notamment le marché du travail et le marché financier, du moins à leur arrivée. Ils ont une certaine méconnaissance des services publics. Les ménages immigrés sont ainsi soumis à une plus forte incertitude que les ménages natifs.
Le statut légal et la durée de résidence dans le pays d'accueil peuvent également jouer un rôle important. Une situation précaire en matière de séjour (séjour illégal, détention d'un titre de séjour provisoire ou temporaire) augmente l'incertitude sur les revenus et limite l'accès au crédit, voire à certaines prestations sociales. Toutefois, l'intégration tend en général à s'améliorer avec l'allongement de la durée de séjour dans le pays de résidence. Le profil du revenu des immigrés est lié à l'évolution de leur statut légal et à l'allongement de leur durée de résidence. Ainsi, le comportement d'épargne des immigrés diffère en fonction de leur région d'origine (Carroll et al., 1999) et converge vers celui des natifs au cours du temps (Carroll et al., 1994). La durée de résidence et le statut légal ont une influence plutôt positive sur l'accumulation du patrimoine des immigrés (Abdul-Razzak et al., 2015).
Le motif pour lequel une personne décide de migrer dans un autre pays peut aussi avoir de l'importance en matière d'accumulation de patrimoine. Une migration temporaire de travail est généralement associée à un projet de retour dans le pays d'origine. Les imperfections des marchés financiers dans le pays d'origine peuvent motiver des personnes à travailler temporairement dans un autre pays où le salaire moyen est relativement élevé. L'objectif de l'immigré est d'accumuler un certain niveau d'épargne dans le pays d'accueil pour améliorer son niveau de vie dans le pays d'origine. Cette épargne sert à constituer un patrimoine immobilier et éventuellement professionnel dans le pays d'origine pour financer la consommation future (Djajić et Vinogradova, 2015). Les intentions de retour dans le pays d'origine ne semblent pas influencer le niveau du patrimoine accumulé, mais sa répartition entre le pays d'accueil et le pays d'origine. Les ménages avec des projets de retour dans le pays d'origine détiennent plus de capital dans le pays d'origine que dans le pays d'accueil (Dustmann et Mestres, 2010).
Au final, les ménages immigrés gardent des liens sociaux, mais aussi économiques avec leur pays d'origine. Ils contribuent au financement de la consommation des membres de la famille restés sur place et sont susceptibles d'accumuler un patrimoine dans le pays d'origine. Ils sont soumis à plus d'incertitudes sur leurs revenus futurs dans le pays d'accueil et ont tendance à constituer une épargne de précaution supérieure (voir Amuedo-Dorantes et Pozo, 2002, pour une revue de littérature). Ces prédictions ne semblent pas être confirmées par la plupart des études empiriques menées en Allemagne, au Canada, en Australie ou aux États-Unis. Les résultats suggèrent que les ménages immigrés ont des niveaux d'épargne et de patrimoine inférieurs à ceux des ménages non immigrés ayant des caractéristiques observables similaires (Cobb-Clark et Hildebrand, 2006 ; Bauer et al., 2011). Néanmoins les travaux empiriques s'accordent sur l'importance des caractéristiques démographiques et économiques des ménages immigrés pour expliquer les écarts observés de patrimoine.
Cet article se situe dans ce courant de littérature. Il propose une évaluation empirique de la probabilité pour un ménage immigré en France de détenir du patrimoine comparée au cas d'un ménage autochtone avec des caractéristiques similaires. Notre analyse est proche de celle de Abdul-Razzak et al. (2015) qui considèrent la détention de patrimoine des immigrés aux États-Unis et en Italie. Elle s'inscrit aussi en partie dans la continuité de Gobillon et Solignac (2015) qui examinent l'évolution des taux d'accès à la propriété de la résidence principale des natifs et des immigrés en France.
Le patrimoine des immigrés en France : données et statistiques descriptives
Les données utilisées sont issues de l'enquête Patrimoine 2009-2010 réalisée par l'Insee et diffusée par le service des Archives de données issues de la statistique publique (ADISP) du Centre Maurice Halbwachs (CMH). Cette enquête a pour objectif d'évaluer le patrimoine des ménages en France et contient des informations détaillées sur leurs caractéristiques sociodémographiques et économiques, permettant de distinguer les immigrés. Insee (2012) consacre une fiche thématique au patrimoine des immigrés.
L'enquête patrimoine a été réalisée auprès d'un échantillon de 15 006 ménages dont 1 053 ménages considérés ici comme immigrés. Un ménage immigré est un ménage où la personne de référence est née à l'étranger et de nationalité étrangère à la naissance. Les personnes nées à l'étranger et qui ont acquis la nationalité française par naturalisation, mariage, déclaration ou option à la majorité sont aussi considérées comme immigrés. Près de 40 % des personnes de référence immigrées ont acquis la nationalité française. Nous utilisons les informations des pays de naissance pour imputer la nationalité à la naissance des immigrés français par acquisition. Les données ne permettent de distinguer que quatre régions d'origine : l'UE, le Maghreb, les pays d'Afrique autres que le Maghreb et comprenant principalement des pays d'Afrique subsaharienne, et les autres pays. Compte tenu du fait que les ménages les mieux dotés en patrimoine ont été surreprésentés dans l'échantillon, les pondérations fournies par l'Insee sont appliquées dans l'analyse. Elles sont calculées de manière à représenter l'ensemble des ménages en France.
Les tableaux 1 (infra) présentent quelques statistiques descriptives sur le patrimoine des ménages natifs et immigrés. Le revenu disponible moyen des ménages immigrés est de 16 % plus faible que celui des autochtones. Les écarts de patrimoine sont beaucoup plus importants. Un ménage médian avec une personne de référence immigrée détient presque cinq fois moins de patrimoine net qu'un ménage médian autochtone. Les ménages immigrés sont surreprésentés dans les tranches des patrimoines les moins élevés. La décomposition par groupe de nationalité révèle des différences importantes. Un ménage médian dont la personne de référence est originaire de l'UE détient un patrimoine net de 37 % supérieur à celui d'un ménage autochtone. Les autres ménages immigrés ont des niveaux de patrimoine beaucoup plus faibles. Le patrimoine médian des ménages originaires d'Afrique autre que le Maghreb ne représente que 2 % de celui des ménages autochtones.
Les écarts sont moins importants lorsqu'on prend en compte le taux de détention du patrimoine. Ainsi, parmi les ménages qui détiennent au moins un patrimoine immobilier, financier ou professionnel, le patrimoine net médian d'un ménage immigré est de 60 827 euros, soit moins de la moitié de celui d'un ménage natif. L'écart diminue, mais il reste assez important pour le patrimoine financier. Parmi les ménages qui détiennent au moins un actif financier, les natifs ont un patrimoine financier trois fois supérieur à celui des immigrés. Il est intéressant de constater que le patrimoine immobilier médian des immigrés est supérieur de 5 % à celui des natifs.
En 2010, 86 % des ménages immigrés possèdent du patrimoine financier, principalement sous la forme de livrets d'épargne. Ils sont 17 % à détenir de l'épargne-logement et 34 % à détenir de l'épargne-retraite6. La majorité des ménages de France ne détient pas de patrimoine professionnel, c'est le cas aussi des ménages immigrés. Enfin, 46 % des ménages immigrés ont un patrimoine immobilier. Ce taux de détention est inférieur de 15 points de pourcentage (pp) à celui des ménages autochtones.
Les écarts observés de patrimoine sont liés en partie aux différences de caractéristiques sociodémographiques et économiques des ménages natifs et immigrés (cf. tableaux 2 infra).
Les immigrés sont majoritairement jeunes et d'âge actif. Comparés aux natifs, ils sont plus concentrés dans le groupe d'âge 30-54 ans. Ils vivent principalement en couple et sont mariés ou pacsés. En moyenne, la taille des ménages immigrés est supérieure à celle des autres ménages. Ils ont plus fréquemment des enfants comparés aux autres ménages et le nombre d'enfants est en moyenne 50 % plus important. Concernant le niveau social, plus de 30 % des immigrés sont ouvriers, deux fois plus que les natifs. Ils sont aussi plus souvent sans activité professionnelle. Ils sont surreprésentés parmi les artisans, les commerçants ou les chefs d'entreprise, mais dans une moindre mesure. En outre, en France, ils sont en moyenne 10 % à posséder un diplôme universitaire de deuxième ou troisième cycle. Cette proportion n'est que de 7 % chez les natifs. Mais presque la majorité des immigrés n'ont aucun diplôme (43 %), une proportion trois fois supérieure à celle des natifs.
Les ménages immigrés sont surreprésentés dans les zones urbaines les plus densément peuplées. Environ 68 % d'entre eux vivent dans des communes de plus de 100 000 habitants, contre 42 % des ménages autochtones. Ils sont trois fois plus concentrés en région parisienne comparés aux ménages autochtones.
Il est intéressant de constater qu'il existe des différences importantes en termes de durée de résidence et d'âge de la personne de référence. La durée de séjour des ménages originaires des pays de l'UE est en moyenne de trente-sept ans. Elle est deux fois supérieure à la durée de résidence moyenne des ménages d'origine africaine, hors Maghreb, dont la migration est relativement plus récente. La durée de résidence des ménages immigrés du Maghreb est en moyenne de vingt-sept ans. L'âge moyen (de la personne de référence) des ménages immigrés de l'UE est plus élevé que celui des autres ménages immigrés. Il est même supérieur à l'âge moyen de la personne de référence dans un ménage non immigré.
Analyse empirique
L'objectif de cette partie est d'évaluer les différences de taux de détention du patrimoine financier et immobilier entre les immigrés et les natifs en tenant compte des caractéristiques sociodémographiques et économiques. Pour chaque type de patrimoine, nous estimons la probabilité de détention en fonction d'un ensemble de caractéristiques du ménage7. Les variables de contrôle considérées dans l'estimation sont le sexe de la personne de référence, son statut matrimonial, son âge, son niveau d'éducation et sa catégorie socioprofessionnelle. Le type de ménages et le choix de localisation ainsi que le nombre d'enfants dans les ménages sont aussi pris en considération. À l'instar d'Abdul-Razzak et al. (2015), nous introduisons des variables dummies associées à chaque quartile de patrimoine net et de revenus disponibles pour prendre en compte les différences de revenus et de richesse.
Selon les caractéristiques socioéconomiques données, nos résultats indiquent que les immigrés ont une probabilité plus faible de détenir au moins un actif financier. L'écart est estimé à 4 % pour l'ensemble des ménages immigrés (cf. tableau 3 ci-contre), soit une réduction de près de 70 % par rapport à l'écart observé avant contrôle des caractéristiques (cf. tableaux 2 supra). La décomposition par nationalité de naissance révèle que les ressortissants d'Afrique subsaharienne ont un taux de détention d'actifs financiers proche de celui des Français de naissance. Les différences de caractéristiques expliquent ainsi la quasi-totalité de la différence observée pour les immigrés originaires d'Afrique subsaharienne. Le taux de détention d'actifs financiers des ressortissants européens est comparable à celui des Maghrébins, mais il reste inférieur à celui des Français de naissance. Le statut légal a un effet positif et significatif sur le taux de détention de patrimoine financier des immigrés. Les immigrés qui ont acquis la nationalité française ont une probabilité plus élevée de posséder au moins un actif financier comparés aux autres immigrés. Ces résultats suggèrent que l'acquisition de la nationalité française améliore l'accès au marché financier.
Le taux de détention des livrets d'épargne est plus faible pour les ménages immigrés. Néanmoins, une part non négligeable de l'écart observé est expliquée par les caractéristiques des ménages, en particulier pour les Français par acquisition.
La probabilité d'avoir une épargne-logement des immigrés est comparable à celle des natifs. Les ressortissants d'Afrique ont une probabilité plus importante de posséder de l'épargne-logement notamment par rapport aux autres groupes d'immigrés.
En outre, les ménages immigrés semblent aussi avoir une probabilité de posséder de l'épargne-retraite comparable à celle des natifs. Cette probabilité est relativement plus élevée pour les ressortissants d'Afrique subsaharienne. Les Magrébins ont un taux de détention d'actifs pour la retraite plus faible que celui des natifs, mais l'écart est réduit de 75 % quand on contrôle par les caractéristiques des ménages.
Toutes choses égales par ailleurs, la probabilité de détenir un bien immobilier des ménages immigrés est supérieure de 3 % à celle des ménages natifs. Les ressortissants d'Afrique subsaharienne ont un taux de détention de patrimoine immobilier qui reste inférieur à celui des natifs. Mais les caractéristiques du ménage expliquent 90 % des différences observées avec les Français de naissance. Les immigrés en provenance des pays de l'UE ont un taux de détention de biens immobiliers supérieur à celui des Français de naissance. Les ménages originaires du Maghreb sont moins fréquemment détenteurs de patrimoine immobilier (cf. tableaux 1 supra). Leurs différences de caractéristiques expliquent la totalité de l'écart observé. La détention de patrimoine immobilier est supérieure pour les ménages originaires d'un pays d'Afrique du Nord lorsque le conjoint n'est pas immigré. L'acquisition de la nationalité française et la durée de séjour en France favorisent l'accès à la propriété de biens immobiliers. Avoir un conjoint immigré influence négativement le taux de détention de patrimoine immobilier de l'ensemble des immigrés à l'exception des ressortissants de l'UE.
Ces résultats se recoupent en partie avec ceux obtenus par Abdul-Razzak et al. (2015) qui analysent les écarts de détention d'actifs financiers entre les immigrés et les natifs. Ils trouvent aussi que la probabilité de détenir un compte épargne est relativement plus faible pour les immigrés aux États-Unis et en Italie. Alors que nos résultats indiquent que les immigrés en France ont un taux de détention d'épargne-retraite comparable à celui des natifs, Abdul-Razzak et al. (2015) trouvent un taux de détention d'épargne-retraite plus faible pour les immigrés aux États-Unis. Ils trouvent aussi que le taux d'accès à la propriété est plus faible pour les immigrés aux États-Unis et en Italie. Ces résultats rejoignent ceux de Gobillon et Solignac (2015) pour la France. La divergence avec nos résultats peut s'expliquer par le fait que Gobillon et Solignac (2015) considèrent le taux d'accès à la propriété de la résidence principale alors que nous retenons tous les logements possédés par le ménage (résidence principale, résidence secondaire, pied-à-terre ou logement de rapport). De plus, ces derniers utilisent des données longitudinales particulièrement adaptées à l'analyse de l'évolution du taux d'accès à la propriété au cours du temps, mais ne contiennent pas d'information sur les revenus ou les patrimoines8.
Conclusion
Cet article analyse la détention de patrimoine financier et immobilier des immigrés en France à partir de l'enquête Patrimoine 2009-2010 de l'Insee. Nous considérons le patrimoine immobilier et trois types d'actifs financiers : les livrets d'épargne, l'épargne-logement et l'épargne-retraite. Nous estimons la probabilité relative des immigrés de détenir chaque actif que nous comparons à celle des natifs, en fonction des caractéristiques sociodémographiques et économiques du ménage. Nous prenons aussi en considération des facteurs spécifiques à la population immigrée comme la région d'origine, la durée de séjour et le statut légal. Nos résultats indiquent que les caractéristiques expliquent la majorité des écarts observés entre les immigrés et les natifs en termes de détention d'actifs financiers et de biens immobiliers. Néanmoins, les immigrés ont une probabilité plus faible de détenir des livrets d'épargne. Leurs taux de détention d'épargne-logement et d'épargne-retraite sont comparables à ceux des natifs possédant les mêmes caractéristiques. Enfin, les immigrés en France semblent avoir un taux d'accès à la propriété supérieur à celui des natifs. L'acquisition de la nationalité française et la durée de résidence augmentent la probabilité de détention de patrimoine par les immigrés. Toutefois, avoir un conjoint étranger influence négativement leur taux accumulation.
Nos résultats suggèrent que les immigrés en France ont des taux d'accumulation comparables à ceux des natifs avec des caractéristiques sociodémographiques et économiques similaires. Il serait intéressant d'analyser les différences de taux d'épargne entre les ménages immigrés et les ménages natifs pour vérifier si les ménages immigrés soumis à plus d'incertitude ont un taux d'épargne plus important que celui des natifs. Une autre question de recherche serait d'évaluer l'évolution du patrimoine des immigrés, ainsi que sa localisation en France et/ou à l'étranger.