Même si les articles fondateurs de l'économie du sport sont apparus dans la seconde moitié du xxe siècle (Rottenberg, 1956 ; Neale, 1964), ce n'est que depuis une trentaine d'années qu'elle s'est véritablement développée en tant que champ de la discipline. Parallèlement, la recherche en économie n'hésite plus, aujourd'hui, à utiliser les données sportives pour tester ses hypothèses dans de nombreux domaines (Palacios-Huerta, 2023).
Les textes séminaux de l'économie du sport se sont emparés de trois sujets traités dans le contexte américain : la nature du produit sportif et sa demande, l'incertitude du résultat et l'équilibre compétitif, le marché du travail des joueurs professionnels et la cartellisation des sports d'équipe en ligues (Noll, 2006 ; Sloane, 2006). Le champ couvert s'est considérablement étendu depuis (Andreff, 2022) : analyse d'impact, dopage, performances individuelles et collectives, discriminations, paris sportifs, prise de décision. Les relations entre finance et sport (structures de propriété, statut juridique) et les modalités de financement des activités sportives (billetterie, subventions, revenus commerciaux, droits télévisés) ont été abordées à partir des années 1990 (Andreff et al., 1994 ; Andreff et Staudohar, 2000) et plutôt davantage de ce côté-ci de l'Atlantique.
L'économie du sport et ses finances vont être particulièrement sollicitées dans la France de 2024 accueillant les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) d'été. C'est l'objet de ce numéro spécial de la Revue d'économie financière. Tandis que la première partie du dossier présente certains thèmes particuliers liant finance et sport et pointant sa financiarisation, la deuxième partie met l'accent sur des questions liées aux JO et à l'olympisme. La troisième partie est consacrée au sport financièrement le plus important, le football, et la dernière partie aux financements d'autres disciplines : hockey sur glace, cyclisme, golf et tennis.
Dans la première partie, Wladimir Andreff montre comment les organisations et les instances sportives, en situation de monopole (ou monopsone), mais aussi certains acteurs du marché (des superstars), tirent parti de cette situation pour obtenir le maximum de financement possible, en mettant aux enchères ce qu'elles offrent (ou demandent) sur le marché (organisation des JO, localisation d'une franchise américaine, vente des droits télévisés, achat d'une superstar).
Les « cryptomonnaies » (ou plutôt « cryptoactifs ») concernent de plus en plus le monde du sport en général et celui du football en particulier. Beaucoup ont découvert cette nouvelle donne lors du transfert de Lionel Messi du FC Barcelone au Paris Saint-Germain en 2021, la star argentine ayant négocié avec le club de percevoir une partie de son salaire en « fan tokens ». Matthieu Llorca examine l'essor des cryptoactifs dans le sport professionnel (NBA, Formule 1, football), qui utilise divers supports : plateformes digitales d'échange de cryptos, émission de jetons fongibles et non fongibles, paiement des salaires des sportifs et de leurs primes en cryptos, sponsoring. Si le sport a bénéficié de l'euphorie des années 2020-2021 sur ce marché, il en a aussi subi les nombreuses menaces durant l'année 2022, l'« hiver des cryptos », marquée par le désengagement de nombreuses plateformes.
Lors du mercato de l'été 2020, la Juventus FC et le FC Barcelone s'échangent Miralem Pjanic et Arthur Melo. Les Catalans déboursent environ 70 M€ pour un joueur de 30 ans, tandis que les Italiens lâchent environ 80 M€ pour le Brésilien. Le monde du football est alors surpris par ces montants. En fait, cette transaction a permis aux deux clubs, en situation financière délicate, de récupérer une plus-value d'environ 60 M€, grâce à la possibilité de payer un transfert sur plusieurs années sur le plan comptable, tout en enregistrant immédiatement l'entrée d'argent du joueur vendu. Ainsi, les joueurs, souvent les principaux actifs des clubs, font l'objet de pratiques importées du secteur de la finance et basées sur la valeur économique des joueurs. Jérémie Bastien et Jean-François Brocard analysent ce rapprochement du football avec le secteur de la finance, qui a accompagné la croissance économique du football professionnel de ces trente dernières années, et comparent le footballeur à un « produit » financier.
Les deux premiers articles de la deuxième partie du numéro sont consacrés à l'argent généré par les JO. Mais l'argent ne faisant pas toujours le bonheur, un troisième texte s'intéresse au bien-être des populations que leur procure cet événement.
Holger Preuß apporte, tout d'abord, un éclairage sur les finances des JO et sa redistribution. Le Mouvement olympique, qui se compose de la majorité des organisations sportives dans le monde, est principalement financé par le Comité international olympique (CIO) qui redistribue 90 % des revenus des JO. Il finance donc le sport mondial de manière importante. L'économie des JO concerne également les comités d'organisation qui génèrent d'autres revenus. Au total, le rapport financier quadriennal de la précédente Olympiade (2017-2021) fait état d'un chiffre d'affaires de 11 Md$.
L'article de Robert A. Baade et Victor A. Matheson, qui s'intéresse aux retombées économiques des JO, fait écho à celui de Wladimir Andreff sur la « malédiction du vainqueur ». En effet, la plupart des analyses d'impact réalisées ex post montrent que les JO sont rarement « rentables » financièrement (en termes de croissance économique, d'emploi) pour les pays organisateurs, que ce soit à court ou à long terme (« l'héritage »). Ce rendement, le plus souvent négatif, explique sans doute l'intérêt déclinant des villes à accueillir les JO.
Le dernier article de cette partie montre néanmoins « qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain ». L'économie, qui est plus que l'étude de l'argent, s'intéresse, aujourd'hui et depuis quelque temps, à la mesure du « bonheur ». Plutôt que de chercher des motivations financières à l'organisation des JO, Dimitris Mavridis et Claudia Senik s'intéressent aux impacts sur le bonheur des populations. Ils montrent que pendant les JO de Londres, entre l'ouverture et la fermeture de la compétition (27 juillet au 12 août 2012), le bonheur augmente de manière significative à Londres, plus encore qu'à Paris et à Berlin. Cependant, cet effet est éphémère, car il s'annule au mois de septembre. Les deux auteurs ne s'arrêtent pas là, puisqu'ils proposent une évaluation monétaire de ce surplus de satisfaction qui reste cependant inférieur au coût réel de l'événement.
L'économie du football a été l'une des plus prospères de la sphère sportive ces trente dernières années, notamment en Europe. Elle connaît aujourd'hui de nombreux bouleversements : augmentation des inégalités entre championnats et entre clubs ; arrivée de nouveaux investisseurs, notamment des fonds souverains (des pays du Golfe) et d'investissements (en majorité américains) ; arrivée de nouveaux diffuseurs. La troisième partie du dossier s'intéresse à ce football d'aujourd'hui à travers plusieurs thèmes : l'histoire du financement des Coupes du monde, l'évolution des motivations à posséder un club de football, l'essor de la multipropriété, la modification du fair-play financier (FPF) et, enfin, la professionnalisation des championnats de niveau inférieur.
« Football is a big business. » Cette phrase, devenue une antienne dans les médias pour caractériser le football moderne, a pourtant été écrite pour la première fois en 1905 par le fondateur de la Football League (créée en 1888), William McGregor, drapier écossais et premier président du club d'Aston Villa (fondé en 1874). Les transferts de joueurs, dont les montants font couler beaucoup d'encre aujourd'hui, existent en fait depuis l'invention du jeu : en 1893, l'Écossais Willie Groves fut transféré de West Bromwitch Albion à Aston Villa pour 100 livres (soit environ 10 000 livres en 2022), un record à l'époque. Dans sa contribution, Paul Dietschy déconstruit le mythe qu'il aurait existé un âge d'or du football dégagé de toute contingence financière. Pour cela, il s'appuie sur de nombreux exemples historiques qui semblent démontrer le contraire, à commencer par l'autorisation du professionnalisme par la Football Association et les débuts de la Coupe du monde.
Dans le football professionnel, le statut juridique des clubs a évolué, aboutissant finalement à la société par actions, ce qui a modifié les motivations à devenir propriétaire d'un club. Bastien Drut retrace cette évolution avec l'entrée des industriels au capital des clubs, puis celle des hommes d'affaires, puis des milliardaires, des États et des fonds souverains, des fonds de capital-investissement et, enfin, l'introduction des clubs en Bourse et, finalement, la multipropriété des clubs qui fait l'objet du texte de Luc Arrondel et Richard Duhautois. Dans le football, la multipropriété de clubs (en anglais multi-club ownership, MCO) est un phénomène plutôt récent qui date de la fin des années 1990, mais qui semble prendre de l'ampleur dans le football aujourd'hui. Économiquement, cette évolution s'inscrit dans une logique de fusions-acquisitions d'entreprises qui est une pratique courante dans une économie de marché. D'un point de vue sportif, cette pratique pose des problèmes évidents de conflit d'intérêts, si deux équipes d'une même MCO sont amenées à se rencontrer dans une même compétition.
Le fair-play financier (FPF) instauré par l'UEFA (Union of European Football Associations) est-il juste ? Nicolas Scelles propose une méthodologie pour tester cette hypothèse sur le cas du Real Madrid. La question est la suivante : les revenus antérieurs au FPF du Real Madrid, « injustes » au regard de celui-ci, ont-ils contribué à ses victoires sportives récentes ? Les résultats indiquent que tel n'a pas été le cas. En écho à cet article, Nadine Dermit et Aurélien François comparent la régulation financière du football professionnel en France (par la Direction nationale du contrôle de gestion, DNCG) et par l'UEFA en Europe. Le remplacement du FPF, en 2022, par un système de viabilité financière le rapproche de la régulation française : les deux convergent vers l'instauration d'une contrainte budgétaire lâche pour les clubs, tout en ayant pour objectif de s'assurer de leur viabilité financière et en introduisant un plafonnement explicite de la masse salariale.
Le système pyramidal des compétitions avec promotion et relégation en fonction du classement interroge sur le format optimal des championnats : nombre de ligues professionnelles, nombre d'équipes par division, nombre de relégations. La question est d'autant plus importante du fait de la « contrainte extérieure » des tournois européens. De plus, les difficultés financières des clubs jusqu'à leur éventuelle faillite s'expliquent principalement par une descente dans l'échelon inférieur avec, notamment, la possibilité de perdre leur statut professionnel. En particulier, le championnat de National français est une compétition « mixte », dans laquelle évoluent des clubs conservant temporairement leur statut professionnel et des clubs amateurs. Dans ce contexte, Jean-Pascal Gayant et Fabrice Rolland s'interrogent sur la professionnalisation de ce troisième niveau du football français.
Mais il n'y a pas que le football dans la vie sportive. La dernière partie du dossier présente donc l'économie d'autres sports.
Marc Lavoie retrace l'évolution de la Ligue nationale de hockey en Amérique du Nord, composée d'équipes américaines et canadiennes, au cours des trente dernières années. Elle est rythmée par des relations de travail conflictuelles avec l'association (syndicat) des joueurs professionnels, avec une grève et trois lock-outs. Ces derniers sont décidés par les propriétaires d'équipes, en situation financière difficile, pour imposer de nouvelles règles visant à freiner l'expansion rapide de la masse salariale.
Pour participer aux courses cyclistes, les coureurs professionnels doivent nécessairement appartenir à une équipe. Daam Van Reeth se concentre sur les finances de ces équipes cyclistes. Les budgets des équipes professionnelles de cyclisme sur route ont considérablement augmenté au cours des vingt dernières années. L'article analyse en détail les charges d'une équipe cycliste (par exemple, les salaires des coureurs, la logistique) et les sources de revenus (par exemple, le sponsoring, les prix).
Contrairement au football qui s'interroge depuis longtemps sur l'opportunité et la possibilité de créer une « Super League » européenne, le golf a vu émerger, au niveau international, une ligue commerciale fermée en 2022 (LIV) concurrençant la ligue traditionnelle (PGA Tour). Patrice Bouvet retrace comment cet événement a abouti à la fusion des deux ligues en 2023, comment est organisée cette nouvelle entité, comment elle est financée (en partie par l'Arabie Saoudite), quels joueurs y participent et quelles sont les modalités de leur rémunération. Un modèle à double flux exprime comment la valeur créée est appropriée et répartie selon des schémas différents en PGA et en LIV.
Le modèle économique du tennis, présenté par Philippe Autier et Éric Barget, est relativement original. Les grands tournois occupent une place centrale dans le financement de la Fédération internationale et de certaines fédérations nationales comme la FFT (Fédération française de tennis) en France. Prestigieux et rentables, ces tournois irriguent les finances des ligues régionales et des comités départementaux, dont les clubs sont dans des situations financières plus fragiles. À l'exception des tournois du Grand Chelem, où les droits télévisés et les recettes de billetterie sont importants, le modèle économique est principalement basé sur les relations publiques et les partenariats.
Mai 2024