La crise financière a révélé les imperfections des réglementations actuelles. Ainsi, il est clair que le développement du cadre d’analyse fourni par Bâle II, centré sur le portefeuille bancaire, a trop repoussé dans le temps la réforme du traitement des risques de marché qui avait été définie en 1996. Ce dernier a permis aux banques de mobiliser des niveaux de capital relativement peu élevés au regard d’activités de négociation qui se sont avérées ex post hautement risquées, sous prétexte d’une liquidité qui, elle-même insuffisamment contrôlée, s’est révélée illusoire.
Il convient néanmoins de souligner que l’origine même de cette crise, en l’occurrence de graves défaillances dans l’évaluation des risques, est venue paradoxalement conforter l’économie globale de Bâle II et l’objectif premier de ce dispositif : mettre l’accent sur les risques bancaires et encourager les banques à améliorer constamment leur capacité de mesure, leur gestion et leur couverture de ces risques.
En réalité, la crise a incité à poursuivre la mise en œuvre effective et concomitante des trois piliers de Bâle II et à en renforcer les fondements, c’est-à-dire :
- des exigences minimales de fonds propres (pilier 1) assurant une meilleure couverture des risques (crédit, marché, opérationnel). Il est ainsi apparu nécessaire de réformer notamment la couverture des risques de marché, de contrepartie et les opérations de titrisation. Il s’agit en particulier d’éviter que ces dernières n’autorisent une diffusion incontrôlée des risques dans tous les secteurs de l’économie ;
- un processus de surveillance prudentielle renforcé (pilier 2) qui permet de fixer des exigences au-delà du minimum avec, pour les groupes transfrontières, une coordination dans le cadre de collèges de superviseurs dont le rôle devrait s’accroître d’année en année ;
- une discipline de marché accrue (pilier 3) exigeant des banques une communication financière plus complète.
De ce point de vue, l’Europe, en ayant adopté le dispositif bâlois, bénéficie d’une avance certaine et l’on ne peut que souhaiter que l’application de ce dispositif se diffuse, notamment aux États-Unis, comme l’a demandé le G20 et comme ces derniers s’y sont d’ailleurs engagés.
Au-delà de l’existence de normes prudentielles rigoureuses, la crise a également montré l’importance du risque systémique et les imperfections de l’organisation de certains contrôleurs et de certaines pratiques de supervision. Or si l’on veut réussir cette réforme au-delà des textes, il est indispensable de mettre l’accent sur la mise en œuvre de cet accord par tous les pays membres du G20 et le renforcement de l’organisation et des pratiques de supervision.
Les mesures de réévaluation des risques de solvabilité et de liquidité
La crise que les systèmes financiers et les économies nationales ont traversée et dont les effets ne sont pas encore pleinement estompés a conduit les superviseurs non seulement à durcir les standards existants, mais également à créer de nouvelles exigences dans des domaines particulièrement sensibles.
La réforme de la réglementation prudentielle a été entreprise de façon coordonnée au niveau international : les chantiers ont été initiés par le G20 et mis en œuvre sous l’égide notamment du Conseil de stabilité financière (CSF), du Comité de Bâle, du Comité européen des contrôleurs bancaires (CECB) et, plus généralement d’ailleurs, des trois comités européens dits de « niveau 3 ».
Dans le cadre du dispositif de Bâle, nous avons pris des décisions qui, à terme, permettront au système bancaire d'être plus résistant, doté d’assises renforcées en fonds propres et en liquidités.
Cinq objectifs ont été visés par les mesures actuellement en cours de finalisation : renforcer la qualité des fonds propres, améliorer la couverture des risques, mettre en place des normes internationales en matière de liquidité, limiter l’effet de levier et réduire la procyclicité du système.
Première avancée de la réforme : l’amélioration de la qualité et du niveau des fonds propres
La crise a montré que compte tenu de la diversité et de la complexité des instruments de fonds propres, le marché, faute de pouvoir apprécier la situation réelle de la solvabilité des banques, s’est détourné du ratio réglementaire de solvabilité (rapport entre le total des fonds propres et le total des risques pondérés). Il a alors développé de lui-même des mesures alternatives, non définies dans la réglementation, comme le ratio de « core tier 1 » (rapport entre les fonds propres de base les plus « purs » et le total des risques pondérés). Il n’a pas pour autant défini une mesure alternative universellement reconnue, ni adopté une définition homogène du « core tier 1 » d’une banque. Ainsi, la pression exercée par le marché sur le niveau de ce ratio n’a pas permis de retrouver la confiance, la quantité des fonds propres exigée restant relativement déconnectée de la qualité réelle de ces derniers.
Harmoniser les modalités de calcul des ratios de solvabilité, et en particulier la définition des fonds propres de base, a donc été plus nécessaire que jamais. Il s’agit là de la première avancée du dispositif Bâle III dont l’enjeu principal est l’adoption d’une définition commune du noyau dur des fonds propres ou « common equity tier 1 » (CET1).
Désormais, les fonds propres de base devront être composés, de manière prédominante, d’actions ordinaires, de réserves et du report à nouveau, de façon à constituer le noyau dur. Les instruments du CET1 seront soumis à des règles d’éligibilité. Seules les actions ordinaires ou, pour les établissements ne pouvant en émettre (banques mutualistes et coopératives), les instruments équivalents pourront être admis dans ce noyau dur. De surcroît, les autres éléments du « tier 1 » non admis en CET1 ainsi que les fonds propres complémentaires ou « tier 2 » devront remplir des critères stricts permettant de s’assurer de leur qualité. Enfin, les règles de déduction et les filtres prudentiels seront désormais harmonisés et appliqués au niveau du CET1.
Le Comité de Bâle a également simplifié la structure des fonds propres : les fonds propres complémentaires seront regroupés en une seule catégorie (et non en deux niveaux comme actuellement) et les fonds propres surcomplémentaires ou « tier 3 », destinés à la seule couverture des risques de marché, seront supprimés.
Le montant minimal de fonds propres a été revu à la hausse : désormais, selon un calendrier progressif d’ici au 1er janvier 2019, le CET1 devra représenter au minimum 4,5% des risques pondérés (contre, en quelque sorte, 2% aujourd’hui, même si cette notion n’était pas visée par Bâle II), l’ensemble des fonds propres de base, 6% et le total des fonds propres, 8%.
Certes, tout dispositif doit s’adapter à l’innovation financière et si l’on peut raisonnablement espérer que les stratégies d’évitement et l’arbitrage réglementaire seront désormais plus difficiles, ils ne disparaîtront pas. Dans cette perspective, la vigilance est de rigueur, s’agissant des réflexions en cours visant à introduire du capital « contingent » s’il devait aboutir à créer une nouvelle catégorie de fonds propres de faible qualité.
Deuxième avancée : mise en exergue par la crise de la nécessité d’améliorer la couverture des risques
À la suite de l’impulsion donnée par le G20 lors du sommet de Londres le 2 avril 2009, le Comité de Bâle a adopté dès juillet 2009 les premières mesures afin de remédier à l’inadéquation des charges en capital au titre du risque de marché et des opérations de titrisation.
Sur les risques de marché, la crise financière récente a démontré que le traitement actuel portant sur le portefeuille de négociation, qui accorde un rôle central à une mesure probabiliste du risque de pertes, la value at risk (VaR), conduit à une exigence de fonds propres insuffisante dans le cas de fortes perturbations de marché. Pour remédier au caractère procyclique de l’approche VaR, il a été décidé de mettre en place une VaR dite « stressée » qui permettra de mieux prendre en compte les variations exceptionnelles, notamment celles observées sur la période allant de 2007 à 2008. Cette VaR stressée qui gardera la « mémoire de la crise » viendra s’ajouter à la VaR actuelle. Le Comité de Bâle a également décidé de mieux capter le risque de crédit incorporé dans le risque de marché. Il a ainsi été demandé aux banques de modéliser des risques extrêmes qui ne peuvent pas être pris en compte par la VaR, à savoir les risques de défaut des contreparties et de migration des notations, afin de déterminer une charge en capital additionnelle. La VaR permet en effet de rendre compte des variations du spread des instruments de taux, mais elle est incapable de mesurer l’impact sur le risque spécifique de taux d’un éventuel défaut de la contrepartie ou d’un changement de notation d’un instrument.
Sur la question des titrisations, les positions enregistrées dans le portefeuille de négociation auront un traitement comparable à celui du portefeuille bancaire, ce qui supprimera toute possibilité d’arbitrage. Le Comité de Bâle a également multiplié par trois ou quatre les exigences de fonds propres pour les positions de retitrisation.
Par ailleurs, le risque de contrepartie né des activités sur instruments dérivés, opérations de pension et titres sera mieux appréhendé. Au-delà de l’augmentation de la charge en fonds propres, il s’agit également ici de soutenir le recours par les intervenants à des chambres de compensation afin de limiter le développement des opérations de gré à gré (over-the-counter – OTC).
Troisième avancée majeure : la définition et l’application à l’échelle internationale des mesures de suivi du risque de liquidité
Dès le mois de septembre 2008, le CECB et le Comité de Bâle avaient chacun publié un rapport sur les Saines pratiques de gestion du risque de liquidité dans les banques qui insistait particulièrement sur la nécessité d’aborder ce risque complexe. La seconde étape porte maintenant sur l’adoption de deux ratios de gestion de la liquidité qui doivent permettre non seulement une meilleure résistance des banques en situation de crise de liquidité, mais également une meilleure comparabilité entre banques de différentes juridictions.
Le premier ratio à un mois, le liquidity coverage ratio, vise à la constitution de coussins d’actifs liquides pour que les banques puissent faire face à un choc de liquidité soudain. Ce ratio a été conçu pour répondre aux insuffisances révélées par la crise telles que l’absence de prise en compte des besoins soudains émanant d’entités bénéficiant d’engagements des établissements et la difficulté de mobiliser à temps certaines sources de financement. Le ratio à un an et plus, le net stable funding ratio, revient à encadrer le métier traditionnel d’une banque qui consiste à transformer des ressources de court terme en financements à moyen et long termes. Dans les deux cas, une période d’observation (jusqu’en 2015 et 2018, respectivement) est nécessaire afin d’affiner les hypothèses retenues et refléter au plus près la complexité de la gestion de la liquidité, tout en tenant compte de ce rôle de transformation et du fonctionnement du marché interbancaire.
Bien entendu, ces deux ratios, qui couvrent deux points seulement dans l’horizon de temps, ne peuvent permettre à eux seuls d’éviter toute crise de liquidité. Ils doivent s’accompagner de bien d’autres outils quantitatifs et qualitatifs. Il convient à mon sens d’aller au-delà de ces premières mesures et d’aborder ce risque complexe par une approche proportionnelle et tenant compte des activités et des spécificités des établissements. Les établissements au profil de risque de liquidité le plus complexe doivent pouvoir prouver leur capacité à utiliser des méthodologies permettant de capter les risques émanant de l’ensemble de leur périmètre de gestion de liquidité. Et au-delà, ils devraient pouvoir prendre en compte les besoins de liquidités pouvant émaner de soutiens rendus nécessaires par le risque de réputation, très prégnant en cas de crise de liquidité comme celle que nous avons connue. Ils devront aussi démontrer leur capacité à détecter et à traiter les chocs de liquidité pouvant apparaître isolément ou concomitamment sur des segments de leurs activités.
Cette approche n’est pas nouvelle pour les banques françaises. D’ores et déjà en France, nous avons ouvert cette possibilité par l’arrêté du 5 mai 2009 qui a créé une règle de gestion unique – disposer à tout moment de liquidités suffisantes pour honorer les engagements à mesure de leur exigibilité – qui peut être appliquée soit selon une approche dite « standard » – un coefficient réglementaire à un mois sous hypothèse de stress –, soit selon une approche dite « avancée » qui repose sur les méthodes internes des banques. Ce dispositif est applicable depuis le 30 juin 2010. Il devra bien entendu le moment venu faire l’objet des adaptations nécessaires, en fonction des règles européennes transposant les travaux du Comité de Bâle.
Quatrième avancée : limiter l’effet de levier
L’objectif assigné à cette mesure, notamment par les pays l’utilisant actuellement, est de limiter la croissance de l’effet de levier utilisé par les établissements de crédit en imposant à ces derniers le respect d’un rapport déterminé entre le montant de leurs fonds propres et celui de leur total de bilan. Cet objectif de recherche d’un développement ordonné de l’activité des établissements de crédit est bien entendu estimable en soi. Un ratio de levier non pondéré en risques peut en particulier servir à rassurer ceux qui doutent de la validité dans le temps des mesures pondérées en instituant en quelque sorte une mesure complémentaire plancher. Néanmoins, selon l’expression consacrée, le « diable est dans les détails ».
Il est important de garder à l’esprit que le ratio de levier n’a pas permis d’éviter, ou d’atténuer, la crise dans les pays où il était appliqué. Le risque que cet indicateur soit aisément contournable et favorise la sortie du bilan comptable d’opérations comportant un effet de levier non décelé ne doit donc pas être perdu de vue. De même, la détermination d’un « total de bilan » homogène d’un pays à l’autre pose de véritables difficultés comptables et méthodologiques.
Compte tenu de ces limites intrinsèques, il a été décidé de « tester » cet indicateur afin d’en affiner le calibrage et la définition. Cette période d’observation s’ouvrira le 1er janvier 2013 et au vu des résultats de ce test, le Comité de Bâle décidera s’il convient d’intégrer ce nouveau dispositif dans le pilier 1 au 1er janvier 2018.
Cinquième avancée : la prise en compte de la cyclicité des activités financières
Les réflexions sur les liens possibles entre les fluctuations du cycle économique et les nouvelles normes prudentielles et comptables se sont intensifiées au cours de la période récente. Elles n’ont toutefois pas permis d’apporter une réponse tranchée sur le caractère accélérateur du cycle des normes prudentielles. Pour autant, ce débat n’empêche pas d’identifier, au sein de ces normes, les éléments susceptibles d'être les plus sensibles aux variations du cycle économique de façon, le cas échéant, à mettre en place des mécanismes stabilisateurs. En effet, indépendamment du rôle que peuvent jouer les établissements de crédit dans l’amplification des cycles économiques, il importe qu’ils puissent aborder les phases de récession avec un matelas de fonds propres suffisant.
Le nouveau dispositif bâlois permettra si nécessaire la constitution de « coussins » de capitaux destinés à amortir l’impact de la dégradation de l’environnement économique. Néanmoins, il reste que l’accent doit d’abord être mis sur des changements d’ordre comptable. L’adoption harmonisée d’un régime de provisionnement fondé sur les pertes de crédit attendues est en effet un élément clé de la modification des incitations des banques. Le dispositif doit être simple, vérifiable, et permettre de proportionner les efforts de provisionnement sur les risques de crédit au fil du temps.
Ceci ne peut être envisagé que de manière coordonnée au plan international, ce qui suppose une modification de la norme IAS 39 afin d’intégrer la possibilité de couvrir, au travers d’une provision comptabilisée au compte de résultat, les pertes attendues dès l’octroi des crédits. Cela prendra du temps. À cet égard, la convergence entre IFRS (International Financial Reporting Standards) et US GAAP (Generally Accepted Accounting Principles) réclamée par le G20 vers des normes comptables internationales de haute qualité et tirant pleinement les leçons de la crise prend déjà du retard. Mais cela reste indispensable.
L’ensemble de ces mesures constitue pour l’essentiel une réponse à la fois directe et crédible à la crise financière. Au total, une telle réforme ne peut être mise en place ni immédiatement, ni en une seule fois. Elle démarrera donc en 2013 avec une montée en charge progressive jusqu’au 1er janvier 2019.
Au-delà de cette révision générale de la réglementation, la crise a montré la nécessité de prendre en compte le risque systémique et l’importance d’améliorer l’organisation et les pratiques de supervision.
La prise en compte du risque systémique et l’amélioration de l’organisation et des pratiques de supervision
Too big to fail
Les réflexions sur l’éventuelle réglementation des établissements too big to fail ont également pris beaucoup d’importance.
Le CSF propose ainsi d’établir une liste d’institutions financières systémiques « globales ». Dans cette perspective, il faut rester attentif à ce que cet exercice ne s’avère pas contre-productif en accroissant, voire en institutionnalisant l’aléa moral. Si des critères devaient être retenus, la taille d’un établissement financier n’est ni le seul indicateur d’une propension à créer un risque systémique, ni nécessairement le plus pertinent. Des institutions de taille moyenne peuvent également générer des effets d’entraînement non négligeables sur la dynamique du système. D’autres critères comme l’interconnexion et la « substituabilité » sont à prendre en compte. C’est pourquoi, si le CSF compte identifier lui-même les institutions financières systémiques, il a chargé le Comité de Bâle d’établir une liste d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs pour fonder son appréciation.
En ce qui concerne les mesures à prendre pour contrôler le risque systémique, divers axes sont envisagés. Une possibilité, assez controversée, serait de créer des surcharges en capital. À cet égard, le CSF envisage plusieurs dispositifs : de la simple exigence en capital additionnel à des formes plus complexes de capital contingent ou d’instruments de passif utilisables sous conditions (appelés instruments de bail in). D’autres propositions s’orientent vers la mise en place, par exemple, de limitations spécifiques en matière de grands risques. Enfin, des mesures structurelles plus radicales sont également évoquées, notamment par les pays dont les finances publiques ont le plus souffert de la crise financière, comme le cloisonnement des activités de banque d’investissement et de banque de détail. Une telle séparation conduirait toutefois à laisser certaines activités de marché entièrement aux mains d’entités non régulées et priverait les banques généralistes de synergies positives, ce qui ne paraît pas souhaitable.
En tout état de cause, ces réflexions sur le risque systémique ne doivent pas conduire à un affaiblissement de l’intermédiation bancaire dont le modèle de banque universelle a démontré la robustesse pendant la crise financière.
Les risques sur le système financier ne viennent pas uniquement des banques
Avec l’innovation financière et le développement de la mondialisation, le réseau des contreparties financières s’est étendu, l’intensité de son maillage s’est développée et la nature des expositions et leurs effets d’enchaînement sont devenus de plus en plus complexes. Les risques sur le système financier ne viennent donc pas uniquement des banques.
S’attaquer au développement du shadow banking est une demande très claire formulée par les chefs d’État et de gouvernement du G20 lors du sommet de Londres le 2 avril 2009. Cela constitue l’une des priorités de la présidence française du G20, dans un contexte où des stratégies d’évitement naîtront probablement du fait du renforcement de la réglementation prudentielle bancaire.
De nombreux chantiers ont été ouverts
Tout d’abord, la supervision d’acteurs financiers, tels que les agences de notation et les hedge funds, ainsi que la régulation des marchés et des produits financiers d’importance systémique, comme les dérivés de crédit, sont indispensables. Cette extension du champ de la supervision et de la régulation vise à assurer que tous les acteurs jouant un rôle important dans le système financier sont bien soumis à un niveau approprié de surveillance. Elle doit notamment permettre de mieux évaluer les risques systémiques que ces acteurs peuvent faire courir, à titre individuel ou collectif, quand bien même ils ne sont pas à proprement parler des banques.
S’agissant des agences de notation, qui ont contribué aux problèmes que connaissent actuellement les marchés financiers, l’adoption en Europe, le 23 avril 2009, d’un nouveau règlement qui permettra de relever les normes qui leur sont applicables va incontestablement dans le bon sens. Elles devront désormais se conformer à des normes plus rigoureuses d’intégrité, de qualité et de transparence et seront soumises à la surveillance des Pouvoirs publics. Outre un enregistrement auprès de l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), qui participera à leur surveillance au quotidien, elles devront se soumettre à des règles strictes afin de garantir que leurs notations ne sont pas influencées par des conflits d’intérêts, qu’elles restent vigilantes quant à la qualité de la méthode de notation et des notations elles-mêmes et qu’elles agissent d’une manière transparente.
Outre le renforcement de la supervision indirecte des hedge funds, y compris au travers d’exigences opérationnelles et de fonds propres accrues applicables à leurs contreparties bancaires, les obligations d’enregistrement des gestionnaires de fonds alternatifs et de remise d’informations par ceux-ci aux autorités de contrôle, telles que les prévoit la directive sur les gestionnaires de fonds alternatifs d’investissement, sont également positives.
Le « paquet Bâle III » s’avère ainsi constituer un ensemble très dense de réformes. Mais ces réformes des réglementations prudentielles ne pourront être pleinement effectives sans la mise en place d’une meilleure supervision. On aura beau imaginer les normes prudentielles les plus abouties, optimiser les pratiques de transparence et de gouvernance d’entreprise, cela sera sans effet sur la stabilité financière et la protection de la clientèle, si ces normes et ces pratiques nouvelles ne sont pas portées par des autorités de supervision fortes, crédibles et compétentes.
Le renforcement du contenu de la réglementation doit également s’accompagner d’un renforcement des institutions de supervision
La création d’institutions de régulation fortes dotées de mandats larges afin de pouvoir mettre en œuvre les décisions prises par le G20 est indispensable. La crise a montré qu’il faut compléter, sur le plan institutionnel, le suivi microprudentiel, établissement par établissement, par une surveillance macroprudentielle, compte tenu de l’interconnexion des institutions financières et des marchés.
Les pays du G20 ont donc entrepris de renforcer la surveillance des risques financiers au niveau international avec la création du CSF, en avril 2009, qui succède au Forum de stabilité financière (FSF). Le CSF, qui bénéficie désormais d’une base institutionnelle plus solide, est chargé de la surveillance de la stabilité financière et des risques systémiques, en coopération avec le Fonds monétaire international (FMI). Le Comité de Bâle et ses homologues (IOSCO – International Organization of Securities Commissions – et IAIS – International Association of Insurance Supervisors) sont toujours chargés, pour leur part, d’élaborer des standards et des modalités de contrôle qu’il appartient ensuite aux États d’insérer dans leur dispositif légal et réglementaire pour qu’ils s’appliquent aux entités individuelles relevant du domaine de compétence des autorités de supervision nationales.
Aux États-Unis, la loi Dodd-Frank réforme également l’organisation de la supervision. En Europe, la mise en place de l’architecture de la nouvelle supervision préconisée par le groupe de travail présidé par Jacques de Larosière repose sur les mêmes fondements.
La création du Comité européen du risque systémique (CERS) consacre le pilier macroprudentiel de la réforme avec une instance spécifiquement destinée à identifier et à prévenir les risques systémiques. Ses alertes et ses recommandations couvriront tout type d’entités ou de marchés. Cette institutionnalisation devrait permettre à la fois une meilleure efficacité de la politique de stabilité financière au niveau européen et un renforcement de sa représentation dans les enceintes internationales (FMI, BRI – Banque des règlements internationaux –, CSF).
Le CERS peut s’appuyer sur le Système européen de surveillance financière (SESF) qui regroupe, d’une part, les trois autorités de supervision qui ont pris le relais au début de l’année des précédents comités de niveau 3 (CECB, CEIOPS – Committee of European Insurance and Occupational Pensions Supervisors – et CESR – Committee of European Securities Regulators) avec des pouvoirs renforcés et, d’autre part, les superviseurs nationaux qui restent les mieux à même d’assurer un contrôle rapproché et individuel des établissements de crédit. À cet égard, un niveau élevé de coopération entre le SESF et le CERS est attendu. En particulier, le premier centralisera l’information (microprudentielle) dont le second pourrait avoir besoin pour accomplir ses missions macroprudentielles.
Les trois autorités de supervision européennes – Autorité bancaire européenne (ABE), Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP) et AEMF – ont de nouvelles compétences par rapport aux comités de niveau 3. Ainsi, elles disposent désormais de prérogatives dans le but de régler les désaccords entre autorités nationales. En outre, elles ont pour tâche de développer en Europe un corpus de règles prudentielles harmonisées grâce à la mise en place de standards techniques obligatoires. À cet égard, elles devraient apporter une contribution tout à fait essentielle à l’harmonisation des normes par la réduction des options et des discrétions nationales. Cette action doit bien sûr être conduite en liaison avec les travaux internationaux menés par le Comité de Bâle, l’IOSCO et l’IAIS dans le domaine des standards techniques, pour favoriser la plus grande cohérence internationale possible.
Au niveau national, la création de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) par l’ordonnance du 21 janvier 2010 concrétise la volonté française de renforcer les compétences, les moyens et la crédibilité de l’autorité de supervision. Elle est adossée à la Banque de France, conservant ainsi le modèle de supervision qui a fait ses preuves pendant la crise bancaire et l’étendant au monde de l’assurance.
Le nécessaire renforcement des pratiques de supervision : du « better regulation » au « will to act »
Le contrôle prudentiel est affaire de « culture de la supervision ». En premier lieu, la raison d'être des autorités prudentielles est de penser la gestion du risque, c’est-à-dire de ne pas en oublier les fondamentaux et d'être en même temps à la pointe de la réflexion, des outils de mesure et du suivi de ce risque. En second lieu, les autorités se doivent d’accompagner avec rigueur les institutions financières vers une meilleure gestion des risques, ce qui suppose de savoir aussi dire « non » aux établissements, pour reprendre le titre de la note du FMI « The Making of Good Supervision : Learning to Say No » publiée en mai 20101.
La réévaluation des risques nécessite un contrôle renforcé de la part des superviseurs, ce qui suppose notamment des mandats élargis, des pouvoirs renforcés, des modalités de contrôle associant à la fois contrôle sur pièces et contrôle sur place. La panoplie des outils de supervision doit être enrichie. Un bon exemple de cet élargissement des outils est l’exercice paneuropéen des stress tests, qui sera renouvelé. En outre, le renforcement de la coopération entre régulateurs pour la supervision des groupes transfrontières passe par le développement des collèges de superviseurs qui ont prouvé leur efficacité au niveau européen. Ils ont ainsi permis d’optimiser l’allocation des tâches entre superviseurs pour préparer les autorisations de modèles internes des risques. Ils ont également favorisé l’élaboration d’une décision conjointe entre superviseurs home et host concernant l’approbation ou le refus de l’utilisation de ces méthodes. Ils contribuent aussi à l’identification des sujets communs de préoccupation et à une évaluation conjointe des risques, dans le but de développer une action coordonnée entre superviseurs pour traiter les problèmes rencontrés. À titre d’exemple, au niveau français, la préparation des programmes d’inspection sur place des groupes transfrontières est discutée en collège et certaines missions sur le thème du pilier 2 ont été réalisées sous mandat CECB avec des équipes européennes d’inspecteurs.
En conclusion, avec ce programme tout à la fois ambitieux et nécessaire, on peut légitimement penser que la gestion des risques bancaires va être profondément renforcée. Les mesures adoptées sont en effet exigeantes et de nature à amener les banques à améliorer leur capacité de mesure, de gestion et de couverture de ces risques. La concrétisation de ces efforts dépendra cependant en partie de la volonté de tous les pays de mettre en œuvre la réforme de façon cohérente. Il est donc important que les dispositifs de coopération européenne et internationale assurent la cohérence de la supervision, tant macroprudentielle que microprudentielle, à l’égard des institutions financières comme entre pays, afin de construire le système financier stable et solide auquel nous aspirons tous.