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 Conséquences macroéconomiques du vieillissement de la population


Ronald LEE Professeur, Graduate School, université de Californie à Berkeley. Contact : rlee@demog.berkeley.edu
Andrew MASON Professeur d'économie, université d'Hawaï à Manoa ; chercheur principal, East-West Center. Contact : amason@hawaii.edu

La baisse de la fécondité et l'allongement de la durée de la vie amènent au vieillissement de la population et au ralentissement ou même à la baisse de la croissance démographique. Tandis que le ralentissement de la croissance démographique réduit la nécessité d'épargner, le vieillissement de la population impose des coûts liés à la dépendance des personnes âgées qui sont particulièrement lourds pour le secteur public. Le taux de fécondité est-il trop faible ? Le projet des Comptes de transferts nationaux (National Transfer Accounts ou NTA) fournit des données permettant de quantifier les coûts liés à la dépendance. Au vu de la répartition par âge actuelle des impôts et prestations dans les pays à revenu élevé et à revenu moyen supérieur, un taux d'environ trois naissances par femme permettrait de maximiser le ratio de soutien public. Les profils d'âge inclusifs de consommation et de revenus du travail sont toutefois plus pertinents en termes de niveau de vie. Les ratios de soutien correspondants sont maximisés par un taux de fécondité légèrement supérieur à deux naissances par femme. En allant un peu plus loin et en prenant en compte la baisse de l'épargne, un taux égal à 1,5 naissance par femme dans les pays à revenu moyen supérieur et à 1,8 naissance par femme dans les pays riches industrialisés permettrait de maximiser le niveau de vie. Au sein d'économies ouvertes, ces résultats seraient légèrement différents. Par ailleurs, la prise en compte du capital humain influerait également quelque peu sur ces résultats.

À mesure que les pays du monde entier traversent une transition démographique, leur croissance démographique et la structure par âge de leur population évoluent, avec de profondes conséquences macroéconomiques. La baisse des taux de natalité a provoqué une diminution du nombre d'enfants et une hausse du nombre d'adultes en âge de travailler au sein des populations des pays en développement en pleine transition démographique. Ce phénomène, appelé « premier dividende démographique », a donné un coup de pouce à la croissance économique. Toutefois, dans les pays à un stade plus avancé de la transition démographique, la baisse de la fécondité, conjuguée à une espérance de vie accrue, conduit au vieillissement de la population et à une baisse de la population en âge de travailler : c'est la fin du premier dividende démographique.

Doit-on s'alarmer du vieillissement de la population et du déclin démographique ? Doit-on s'attendre à l'arrêt de la croissance économique ou même à une dégradation du niveau de vie ? Quels sont les défis budgétaires pour le secteur public ? Les gouvernements doivent-ils encourager activement les femmes à avoir plus d'enfants grâce à des allocations familiales plus généreuses, à des services de garde d'enfants financés par les pouvoirs publics ou à un renforcement des investissements publics dans l'éducation ? Combien les gouvernements doivent-ils être prêts à dépenser pour faire augmenter les taux de natalité ?

Le projet National Transfer Accounts (NTA) (sur les comptes de transferts nationaux) génère des données qui peuvent permettre de répondre à ces questions (Lee, Mason et al., 2014). En se basant sur les profils d'âge des revenus et de la consommation et des impôts versés et des prestations reçues, il est possible de calculer l'impact de la faiblesse des taux de fécondité, du ralentissement de la croissance démographique et du vieillissement de la population sur les finances publiques et le niveau de vie1.

Notre analyse souligne deux aspects importants de l'impact des changements démographiques sur l'économie. Le premier aspect est la mutation des transferts intergénérationnels liée à l'évolution de la structure par âge de la population. À mesure que la population vieillit, le nombre de personnes qui dépendent des transferts (enfants et personnes âgées) pourrait augmenter par rapport au nombre de personnes qui financent les transferts (adultes en âge de travailler). Les individus qui financent les transferts privés vers les personnes âgées sont confrontés à un choix délicat : sacrifier leur propre niveau de vie ou celui des membres de leur famille. Les gouvernements sont confrontés à un dilemme similaire : augmenter les impôts et diminuer par conséquent le niveau de vie des contribuables, ou réduire les prestations au détriment des bénéficiaires. Néanmoins, si l'on regarde au-delà des transferts intergénérationnels, un second aspect indique qu'un taux de fécondité plus bas et une population plus âgée pourraient présenter un aspect favorable. Un taux de fécondité plus bas entraîne une diminution de la croissance démographique, ce qui réduit les coûts nécessaires pour subvenir aux besoins de chaque nouvelle génération (Solow, 1956 ; Samuelson, 1975 et 1976 ; Arthur et McNicoll, 1978). Les ressources peuvent être réaffectées de l'épargne vers la consommation tout en préservant le montant de capital par travailleur, sans perdre en productivité par travailleur. Si les taux d'épargne ne changent pas, alors le capital par travailleur et la productivité augmentent.

Le projet NTA est basé sur un nouveau modèle et s'appuie sur des estimations élaborées par des chercheurs de plus de quarante pays. Les données de ce projet indiquent la valeur des biens et des services produits et consommés à chaque âge, et fournissent une base économique permettant d'identifier quels groupes d'âge dans une économie sont dépendants et quels groupes soutiennent les personnes dépendantes. En outre, ces données apportent des informations sur le degré de dépendance et de soutien apporté par chaque groupe d'âge. Ces informations sont essentielles pour quantifier dans quelle mesure l'évolution de la structure par âge de la population contribue à l'amélioration ou à la dégradation du niveau de vie (Lee et Mason, 2011 ; Division de la population des Nations unies, 2013).

Vieillissement et finances publiques

Dans les derniers stades de la transition démographique, le ralentissement de la croissance de la population entraîne le ralentissement de la croissance de la population active et du produit intérieur brut (PIB), toutes choses égales par ailleurs. Toutefois, cette tendance est compensée dans une certaine mesure par les effets indirects de la baisse du taux de fécondité : participation accrue de la main-d'œuvre féminine, augmentation des investissements dans le capital humain par enfant, hausse des niveaux d'actifs et éventuellement du capital physique par rapport au travail (Mason et Lee, 2007 ; Bloom et al., 2009 ; Lee et Mason, 2010). Face au fléchissement de la croissance du PIB, il est plus difficile pour les gouvernements de rembourser la dette publique existante, tandis que l'affaiblissement de la croissance démographique rend la fourniture de biens publics plus coûteuse.

Parallèlement, la population vieillit, avec des conséquences pour le secteur public. Nous allons à présent mettre en évidence les incidences de ces répartitions par âge. L'un des principaux rôles du secteur public est de réaffecter les ressources tout au long du cycle de vie. Les adultes, et en particulier les adultes en âge de travailler, sont les individus les plus lourdement imposés. Les enfants et les personnes âgées sont les principaux bénéficiaires de prestations, que ce soit par le biais de transferts en espèces, tels que les retraites publiques, ou de transferts en nature, essentiellement sous forme d'éducation (pour les enfants) et de soins de santé.

La répartition par âge des transferts publics entrants (prestations versées par l'État) et sortants (paiements versés à l'État pour financer ses programmes) par personne pour douze pays montre l'importance de l'âge pour fixer les impôts et les prestations ainsi que les fortes variations entre chaque pays. Dans tous les pays, les impôts augmentent avec l'âge, atteignent un pic, puis diminuent. Dans certains pays, les impôts sont fortement concentrés sur les individus en âge de travailler, souvent parce que les impôts sont principalement basés sur les revenus. La Hongrie illustre bien ce phénomène. Dans d'autres pays, les impôts varient moins en fonction de l'âge, notamment si les revenus du capital ou la consommation sont davantage imposés et si les revenus le sont moins.

Le versement des prestations varie également considérablement en fonction de l'âge. Dans les graphiques 1 (ci-contre et infra), on note que certains pays versent des prestations similaires à tous les âges, avec des prestations un peu plus élevées pour les enfants (dépenses pour l'éducation publique). Cela concerne, par exemple, l'Inde, le Nigeria et la Thaïlande. On note qu'au contraire, d'autre pays versent des prestations par personne beaucoup plus importantes aux personnes âgées qu'aux enfants, comme le Brésil, la France, l'Allemagne, la Hongrie, le Japon et les États-Unis. Les prestations versées aux personnes âgées reflètent à la fois les retraites publiques et les dépenses de santé financées par les pouvoirs publics concentrées sur les personnes âgées. Dans quelques pays, la répartition en fonction de l'âge est plus équilibrée comme en Chine, au Mexique et en Afrique du Sud. Les prestations privilégient les enfants et les personnes âgées par rapport aux adultes d'âge moyen, mais ne privilégient pas massivement les enfants par rapport aux personnes âgées, ni les personnes âgées par rapport aux enfants.

Au vu de la répartition par âge des transferts publics entrants et sortants, en Thaïlande par exemple, il est évident qu'une population relativement âgée ne pèserait pas sur les finances publiques, tandis que dans un pays comme les États-Unis, une population relativement jeune serait plus favorable aux finances publiques. Néanmoins, une population très âgée ne serait pas idéale en Thaïlande car les personnes âgées reçoivent plus de prestations qu'elles ne paient d'impôts. De la même façon, une population très jeune ne serait pas idéale pour les finances publiques des États-Unis étant donné que les jeunes reçoivent plus de prestations qu'ils ne paient d'impôts.

Le ratio de soutien public résume l'impact global de l'évolution de la structure par âge de la population sur les finances publiques en fonction d'une répartition par âge spécifique des transferts publics intergénérationnels. Le numérateur de ce ratio correspond aux recettes publiques en fonction d'une structure par âge de la population donnée et de la répartition actuelle par âge des impôts. Le dénominateur correspond aux prestations publiques versées en fonction de la structure par âge de la population donnée et de la répartition actuelle par âge des prestations. Ce ratio nous indique le déséquilibre entre les recettes publiques et les dépenses publiques dû à l'évolution de la structure par âge de la population par rapport aux valeurs de référence.

Si le ratio de soutien public est égal à 1, le budget primaire est équilibré : le montant des impôts est juste suffisant pour payer les transferts publics en espèces et en nature. Une augmentation du ratio de soutien public signifie que les prestations peuvent être augmentées ou les impôts diminués sans nuire à l'équilibre du budget primaire. De la même façon, une baisse du ratio de soutien public signifie que les prestations doivent être réduites ou les impôts augmentés pour maintenir l'équilibre du budget. Si le ratio de soutien public est à son maximum, le niveau de prestations le plus élevé peut être versé, avec un niveau d'impôts minimum.

Graphiques 1 - Répartition par âge des transferts publics entrants et sortants pour l'année indiquée dans douze pays (transferts publics par personne en % des revenus moyens du travail, 30-49 ans)
Graphique 1a - Brésil, 1996
 
Graphique 1b - Chine, 2002
 
Graphique 1c - France, 2005
 
Graphique 1d - Allemagne, 2003
Graphique 1e - Hongrie, 0052
 
Graphique 1f - Inde, 2004
 
Graphique 1g - Japon, 2004
 
Graphique 1h - Mexique, 2004
 
Graphique 1i - Nigéria, 2004
 
Graphique 1j - Afrique du Sud, 2005
 
Graphique 1k - Thaïlande, 2011
 
Graphique 1l - États-Unis, 2003
 
Source des douze graphiques : estimations du projet NTA, voir la base de données sur le site www.ntaccounts.org.

Dans notre discussion, nous avons utilisé « impôts » et « transferts publics sortants », tels que représentés dans les graphiques 1, de façon interchangeable. Ces deux mesures seraient identiques dans un pays qui maintiendrait en permanence l'équilibre de son budget, sans jamais accumuler d'avoirs publics, ni de dette publique. Dans des conditions réelles, ces deux mesures seront différentes. Les transferts publics sortants, utilisés pour calculer le ratio de soutien par le projet NTA, sont les ressources requises de la part des contribuables pour financer les programmes publics (mais pas pour rembourser la dette publique). Le total des transferts publics sortants est, par définition, égal aux transferts publics entrants (prestations reçues) plus les transferts publics nets vers le reste du monde.

Le ratio de soutien public est un outil utile pour évaluer les conséquences de l'évolution de la structure par âge de la population pour un pays en particulier, mais il n'est pas utile pour les comparaisons entre pays. En effet, les transferts publics entrants et sortants de l'année de référence dépendent de la structure par âge de la population au cours de cette même année de référence. Si la politique publique impose un budget équilibré, par exemple, alors le ratio de soutien public sera proche de 1 pour l'année de référence, quelle que soit la structure par âge de la population cette même année. À cet égard, une bonne pratique consiste à fixer le ratio de soutien public à 1 ou à 100 pour l'année de référence en évitant toute tentation de comparer le ratio de soutien public entre pays. Cela permet de faciliter la comparaison des changements proportionnels par rapport aux niveaux de l'année de référence2.

Au vu de la répartition par âge, caractéristique des transferts publics entrants et sortants, le ratio de soutien public serait plus élevé au sein d'une population concentrée sur les individus en âge de travailler. Cette concentration se produit naturellement lors de la transition depuis un taux de fécondité élevé vers un taux plus bas, mais il s'agit alors d'un phénomène transitoire. Sur le long terme, la population peut être relativement jeune, vieille ou équilibrée, mais le pic autour des âges où le paiement des impôts est le plus important (individus en âge de travailler) ne peut perdurer. Ce pic se décale vers des âges plus avancés et est remplacé par de plus petites générations d'enfants (à moins que ce pic ne perdure du fait des travailleurs migrants qui rentrent dans leur pays lorsqu'ils vieillissent).

Il existe deux approches de la modélisation de la structure par âge de la population, toutes deux utiles mais poursuivant des objectifs différents. La première consiste à utiliser les projections (ou les prévisions) démographiques pour évaluer l'impact des changements démographiques sur les finances publiques au cours des vingt, trente ou cinquante prochaines années, reflétant des phénomènes transitoires. La seconde approche consiste à analyser les incidences sur les finances publiques de structures par âge de la population stables (« état de stabilité ») correspondant à des niveaux donnés de fécondité et d'espérance de vie. Nous allons maintenant étudier les résultats liés à cet état de stabilité et identifier le niveau de fécondité qui génère le ratio de soutien public le plus favorable.

Le ratio de soutien public atteint sa valeur maximale lorsque le taux de fécondité conduit à une population équilibrée, c'est-à-dire lorsque l'âge moyen des contribuables n'est ni supérieur ni inférieur à celui des bénéficiaires de prestations. Plus précisément, le maximum est atteint lorsque l'âge moyen des contribuables (âge moyen de la population pondéré par les impôts payés à chaque âge) est égal à l'âge moyen des bénéficiaires de prestations (âge moyen de la population pondéré par les prestations reçues à chaque âge). Une hausse du taux de fécondité et une population plus jeune entraînent une hausse du ratio de soutien public si les « bénéficiaires effectifs » (total pondéré en fonction de la population) sont plus âgés, en moyenne, que les contribuables effectifs. Inversement, une baisse du taux de fécondité et une population plus âgée entraînent une baisse du ratio de soutien public si les bénéficiaires effectifs sont plus jeunes que les contribuables effectifs.

Les résultats de base pour le ratio de soutien public sont présentés dans le tableau 1 (infra) pour trois groupes de revenus calculés comme la moyenne simple des valeurs pour les pays à faibles revenus ou moyens inférieurs, moyens, supérieurs et élevés. Le tableau inclut trois ensembles d'indices synthétiques de fécondité (ISF) : le taux réel pour 2005-2010, le taux de fécondité de remplacement en fonction des taux de mortalité pour 2005-2010 et l'ISF qui maximise le ratio de soutien public. Pour chaque taux de fécondité, le ratio de soutien public correspondant est indiqué entre parenthèses. Par exemple, dans les pays à faibles revenus, sur la base de la structure par âge stable résultant des taux de fécondité et de mortalité actuels, le ratio de soutien public serait de 1,04, un résultat légèrement supérieur à la valeur de référence normalisée de 1,0.

Tableau 1 - Ratios de soutien public correspondant à différents ISF pour des pays à revenus faibles, moyens supérieurs et élevés (sur la base du taux de mortalité actuel)
Source : estimations du projet NTA, autour de l'an 2000.

Intéressons-nous à la dernière colonne. Dans les pays à faibles revenus, un ISF très bas et une population âgée conduisent à un ratio de soutien public très élevé car les transferts publics nets vers les personnes âgées dans les pays à faibles revenus sont très faibles ou négatifs. Par conséquent, dans ces circonstances, le vieillissement de la population ne pèse pas sur les finances publiques. Dans les pays à revenus moyens supérieurs et élevés, en moyenne, un ISF d'environ trois naissances par femme est idéal pour les finances publiques. Cela donnerait un ratio de soutien public environ 10 % supérieur au ratio de soutien public que le taux de fécondité actuel, s'il ne changeait pas, donnerait (sur la base de la comparaison avec la première colonne).

Vieillissement et niveau de vie

Les analyses de l'impact de la structure par âge de la population sur la croissance économique reposent souvent sur une simple mesure démographique : le ratio de dépendance, souvent défini comme le nombre d'individus âgés de plus de soixante-cinq ans et de moins de vingt ans divisé par le nombre d'individus âgés de vingt à soixante-quatre ans3. Le ratio de dépendance reflète de façon sommaire la forte interaction entre la structure par âge de la population et le cycle de vie économique. Au vu du niveau de production par travailleur ou par membre de la population en âge de travailler, une augmentation du ratio de dépendance suppose nécessairement une baisse du niveau de production par personne. Par le biais de cet effet de dépendance, le vieillissement de la population entraîne alors un fléchissement de la croissance économique. Ce ratio est un point de départ utile pour examiner les conséquences de la structure par âge de la population sur le niveau de vie au-delà des finances du secteur public, mais il a ses limites.

La première limite est la caractérisation trop simpliste du cycle de vie économique. Les institutions, les comportements et la politique influencent le cycle de vie sur les plans du travail, de la consommation et de la dépendance intergénérationnelle, mais cette influence n'est pas reflétée par le ratio de dépendance démographique. Les incidences économiques de l'évolution de la structure par âge de la population varient d'un pays à l'autre en fonction de la mesure dans laquelle les individus de chaque âge travaillent ou non, sont de gros consommateurs ou non et dépendent effectivement des autres. En outre, l'impact du vieillissement de la population au cours des prochaines décennies sera très certainement atténué par des politiques destinées à influencer le cycle de vie économique. Il s'agit notamment d'élever l'âge du départ à la retraite, de basculer vers des régimes de retraite par capitalisation et de maîtriser les dépenses de santé.

La seconde limite est liée au fait qu'en se concentrant uniquement sur la dépendance, on laisse de côté un canal fondamental par le biais duquel l'évolution démographique influence le niveau de production par travailleur, à savoir l'accumulation de capital. Le faible taux de fécondité implique non seulement le vieillissement de la population, mais également un affaiblissement de la croissance de la main-d'œuvre. Le ralentissement de la croissance de la main-d'œuvre modifie la relation de base entre le taux d'investissement et l'intensité capitalistique de l'économie (mesurée selon le capital par travailleur ou le ratio « capital/production »). Pour un taux d'investissement donné, le ralentissement de la croissance de la main-d'œuvre entraîne un renforcement de l'intensité capitalistique et une hausse de la productivité de la main-d'œuvre. Mais avec un ratio « capital/production » fixe, le ralentissement de la croissance de la main-d'œuvre s'accompagne d'une baisse du taux d'investissement, d'une hausse de la part du PIB consacrée à la consommation et ainsi d'une amélioration du niveau de vie. En bref, le fléchissement de la croissance de la main-d'œuvre libère des ressources qui peuvent être utilisées pour accroître la productivité et améliorer le niveau de vie. Dans des sociétés vieillissantes où l'effet de dépendance est devenu négatif, l'effet investissement/capital apporte une compensation. Lequel de ces effets l'emportera dépendra de l'ampleur du vieillissement de la population, des caractéristiques du cycle de vie économique et des réactions en termes d'épargne et d'investissement face à l'évolution démographique, entre autres facteurs.

Une analyse plus approfondie des effets de la démographie sur le niveau de vie combine les modèles néoclassiques de la croissance économique (Solow, 1956 ; Tobin, 1967) et les transferts intergénérationnels (Samuelson, 1958 ; Arthur et McNicoll, 1978 ; Willis, 1988 ; Lee, 1994a et 1994b). Les résultats comparatifs se basent sur les estimations du projet NTA pour le cycle de vie d'environ quarante pays (Lee, Mason et al., 2014).

Les cycles de vie de l'Inde, des États-Unis et de l'Allemagne mesurés par le projet NTA sont présentés dans les graphiques 2. Les revenus du travail par habitant sont définis au sens large pour prendre en compte toute rémunération du travail incluant les revenus et les avantages sociaux des employés ainsi que la valeur du travail fourni par les travailleurs indépendants ou travaillant dans des entreprises familiales, incluant une estimation de la valeur du travail fourni par les travailleurs familiaux non rémunérés4. La répartition par âge des revenus du travail reflète les variations de la participation de la main-d'œuvre, du chômage, des heures travaillées et des salaires ou de la productivité à chaque âge. La consommation par habitant est également mesurée au sens large pour inclure toute la consommation, publique et privée, telle que définie par le Système de comptabilité nationale (SCN). Cela comprend à la fois l'éducation, la santé et le logement publics ou privés et les autres biens et services fournis par le secteur public ou privé.

Les cycles de vie empiriques affichent une caractéristique intéressante : les âges auxquels les individus dégagent un excédent sont, en moyenne, similaires dans les trois pays. Au milieu de la vingtaine, le profil des revenus du travail croise le profil de consommation. Autour de la soixantaine (un peu plus tôt en Allemagne), le profil des revenus du travail passe sous le profil de consommation.

Graphiques 2 - Consommation et revenus du travail par personne et par âge
Graphique 2a - Inde, 2004
 
Graphique 2bÉtats-Unis, 2003
 
Graphique 2cAllemagne, 2004
Source des trois graphiques : www.ntaccounts.org consulté le 27 juin 2013.

Les profils de consommation et de revenus du travail sont aujourd'hui disponibles pour de nombreux pays et de nombreuses années. Ces profils peuvent être utilisés pour analyser les incidences du faible taux de fécondité au vu de la pratique actuelle dans le pays concerné. Un autre exercice consiste à prendre en compte les incidences de la diminution des taux de fécondité si le cycle de vie d'un pays basculait vers celui d'un autre pays ou groupe de pays, reproduisant potentiellement l'évolution du cycle de vie suivie par les populations des pays actuellement riches.

L'effet de la dépendance sur la croissance économique intègre le cycle de vie économique empirique en utilisant le ratio de soutien, une mesure similaire, mais plus largement inclusive que le ratio de soutien public. Le ratio de soutien répond à une question simple : « si les profils d'âge de consommation et des revenus du travail du cycle de vie actuel persistent, comment l'évolution de la structure par âge de la population va-t-elle influencer le montant produit par le travail par rapport au montant consommé ? ». Une hausse du ratio de soutien indique que l'évolution de la répartition par âge a entraîné une augmentation du total des revenus du travail supérieure à l'augmentation de la consommation totale (au vu des profils d'âge de référence). Par conséquent, l'excédent dégagé peut être utilisé pour augmenter soit la consommation, soit l'épargne et l'investissement. Une baisse du ratio de soutien a l'effet inverse, nécessitant de réduire la consommation ou l'épargne et l'investissement.

Le numérateur du ratio de soutien est calculé en pondérant la population à chaque âge par les revenus du travail par personne à chaque âge selon le cycle de vie indiqué sur les graphiques 2 (supra). Le dénominateur du ratio de soutien est calculé en pondérant la population à chaque âge par la consommation par personne à chaque âge selon le cycle de vie indiqué sur les graphiques 2.

Au fil de la transition démographique, l'évolution de la structure par âge de la population provoque en premier lieu l'augmentation du ratio de soutien et ainsi l'accélération de la croissance économique. Ce phénomène est appelé « premier dividende démographique »5. Il s'agit toutefois d'un phénomène transitoire. En effet, un faible taux de fécondité finit par entraîner la baisse du taux de croissance de la main-d'œuvre et le vieillissement de la population qui, à son tour, amène une baisse du ratio de soutien, peu favorable à la croissance économique.

Une fois ces importants phénomènes passés, le ratio de soutien va se stabiliser à un niveau qui dépend du cycle de vie économique et des conditions démographiques, à savoir l'espérance de vie, le taux de fécondité et, dans une moindre mesure, l'immigration. Comme pour le ratio de soutien public, le ratio de soutien maximum serait atteint au sein d'une population équilibrée, à savoir avec un âge moyen de consommation identique à l'âge moyen de production6. Si le taux de fécondité est très bas et que la population est très âgée, les consommateurs seront en moyenne plus âgés que les producteurs ou les travailleurs et une hausse de la fécondité aurait un effet favorable sur la dépendance. Si le taux de fécondité est très élevé et que la population est très jeune, les consommateurs seront plus jeunes que les producteurs ou les travailleurs et une baisse du taux de fécondité aurait un effet favorable sur la dépendance. Avant d'aborder les résultats, intéressons-nous à l'effet investissement/capital.

L'une des grandes difficultés rencontrées dans le cadre de cette recherche est qu'il n'existe aucun consensus clair sur les effets du vieillissement de la population sur l'épargne et l'accumulation de capital, en dépit de vastes études (Mason, 1987 et 1988 ; Higgins, 1998 ; Kinugasa et Mason, 2007). Dans ce contexte, la meilleure approche consiste à examiner les résultats en fonction de différents modèles d'épargne.

La première approche consiste à supposer que le taux d'épargne ne sera pas influencé par l'évolution démographique. Il s'agit de l'approche utilisée dans le modèle de croissance néoclassique formulé par Solow (1956). Un ralentissement de la croissance de la main-d'œuvre entraîne une hausse du capital par travailleur et, par conséquent, de la production par travailleur. Dans ce cas, le ralentissement de la croissance de la main-d'œuvre effective, dû à la baisse du taux de fécondité, a un impact positif sur la production par travailleur effectif et, par conséquent, sur le niveau de vie. L'intuition qui sous-tend cette conclusion est claire. Si la croissance de la main-d'œuvre effective s'accélère, une plus grande part de la production doit être consacrée à la création de capital pour les nouveaux travailleurs sous peine de voir le capital et la production par travailleur diminuer. À l'inverse, lorsque le taux de croissance de la main-d'œuvre effective diminue, les ressources précédemment consacrées à l'investissement dans les nouveaux travailleurs peuvent alors être consacrées à l'augmentation du capital moyen de la main-d'œuvre qui connaît une croissance plus faible ou peuvent être utilisées pour réduire le taux d'épargne et, par conséquent, augmenter la consommation.

L'impact de cet « effet Solow » dépend de la valeur du taux d'épargne. Si le taux d'épargne est relativement haut, l'effet est plus marqué et le taux de croissance de la population qui maximise le niveau de vie est plus faible. Si le taux d'épargne est relativement bas, l'« effet Solow » est moindre et le taux de croissance de la population (taux de fécondité) qui maximise la consommation par consommateur effectif est proche des conditions démographiques qui maximisent le ratio de soutien.

Un fort taux d'épargne n'est souhaitable que dans une certaine mesure. Le taux d'épargne qui amène au niveau de vie le plus élevé possible correspond à celui de la « règle d'or ». Lorsque l'épargne dépasse celle de la « règle d'or », le niveau de vie est meilleur si les individus épargnent moins et consomment plus. Dans les résultats présentés dans Lee, Mason et al. (2014), nous prenons en compte le cas particulier de la « règle d'or ». Selon nous, elle instaure une limite supérieure à l'effet capital de la baisse du taux de fécondité. Les taux d'épargne sont rarement aussi élevés que les niveaux de la « règle d'or » pendant une période prolongée. Cette « règle d'or » instaure également une limite inférieure au taux de croissance de la population (et au taux de fécondité) qui optimiserait le niveau de vie.

L'autre approche est motivée par le constat suivant : le ratio « capital/production » est resté très stable durant la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale dans de nombreux pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Il varie selon les pays, mais est resté en moyenne proche de 3 pendant plusieurs décennies. Ce constat ne concorde pas avec l'hypothèse de Solow selon laquelle le taux d'épargne est constant. En effet, si le ratio « capital/production » est constant, alors le taux d'épargne doit baisser à mesure que la croissance de la main-d'œuvre ralentit. Cela entraîne une amélioration du niveau du vie étant donné qu'une part plus importante du PIB peut être consacrée à la consommation plutôt qu'à l'investissement et à l'accumulation du capital. L'effet capital lié à la baisse de la fécondité est moins important que dans le cadre du modèle de Solow et le taux de croissance de la population (et le taux de fécondité) qui maximise le niveau de vie est plus élevé que dans le cadre de la « règle d'or ».

Le tableau 2 présente les ISF et les ratios de soutien permettant de parvenir à un niveau de vie élevé plutôt que de maximiser le ratio de soutien public. Pour tous les groupes de revenus, l'ISF qui maximiserait le ratio de soutien est assez proche du taux de fécondité de remplacement. Dans les pays à revenus faibles ou moyens, une population un peu plus âgée avec un taux de fécondité plus bas amène un ratio de soutien supérieur étant donné que les personnes âgées disposent de revenus du travail relativement élevés et d'une consommation plus faible dans beaucoup de ces pays.

Tableau 2 - ISF et ratios de soutien dans les pays à revenus faibles, moyens, supérieurs et élevés
Source : estimations du projet NTA, voir la base de données sur le site www.ntaccounts.org.

L'IFS qui maximise la consommation est inférieur à l'ISF qui maximise le ratio de soutien étant donné que la baisse de la fécondité et le ralentissement de la croissance de la population permettent de diminuer les niveaux d'épargne pour les raisons susmentionnées. La mesure dans laquelle le taux de fécondité maximisant la consommation sera inférieur dépendra du coût du capital pour les nouveaux travailleurs. Dans le scénario de faible coût du capital, qui est le plus proche de la situation observée aujourd'hui, un ISF de 1,5 ou plus amène au niveau de consommation le plus haut dans les pays à revenus moyens supérieurs. Dans les pays à revenus élevés, un ISF d'environ 1,8 naissance par femme serait préférable.

Discussion et conclusion

Dans cette discussion autour de l'arbitrage entre dépendance et transferts intergénérationnels, d'une part, et intensification capitalistique, d'autre part, nous avons implicitement envisagé une économie fermée dans laquelle les salaires et les rendements des investissements dépendent de la conjoncture économique nationale. Néanmoins, le monde est de plus en plus intégré par l'intermédiaire du commerce international et des marchés de capitaux internationaux, sans oublier les migrations qui soulèvent d'autres enjeux. Dans une économie ouverte, le taux de salaire, l'intensité capitalistique et le rendement du capital sont tous définis sur le marché international. Dans ce contexte, les effets des transferts intergénérationnels et de la dépendance restent inchangés. En outre, il reste vrai qu'il est coûteux de maintenir un ratio « capital/travail » ou un ratio « capital/habitant » élevés lorsque le taux de fécondité est plus élevé. Toutefois, dans ce cas, la baisse du taux de rendement des actifs financiers ne pose pas de problème étant donné que leur quantité augmente.

Par ailleurs, dans cette discussion, nous n'avons pris en compte que le capital physique ou les actifs financiers, mais le taux de fécondité influence également l'investissement dans le capital humain. Les preuves théoriques et empiriques apportées par le projet NTA et d'autres sources montrent qu'à mesure que le taux de fécondité baisse, l'investissement dans le capital humain par enfant augmente, en particulier dans l'éducation. On constate également qu'au sein d'une population vieillissante, la productivité du travail augmente, ce qui permet de compenser les effets accrus de la dépendance.


Notes

Les auteurs remercient le National Institute on Aging pour son soutien dans le cadre du projet AG045055 (R24).
1 Le projet NTA est compatible avec le Système de comptabilité nationale (SCN) des Nations unies. Outre les revenus et la consommation, et les impôts et les prestations, le projet NTA fournit des profils d'âge pour les revenus des actifs, l'épargne et les transferts privés au sein des familles et des ménages. De nouvelles recherches élargissent le projet NTA pour inclure la production domestique et les transferts de temps d'après l'analyse de données sur l'emploi du temps.
2 Les comparaisons entre les pays pourraient se baser sur les profils d'âge communs des transferts publics entrants et sortants. On pourrait également décomposer ainsi la différence entre deux ratios de soutien : la part due à la structure par âge de la population, la part due aux différences de profils et la part due aux interactions. Quand le ratio de soutien public de l'année de référence a été fixé à 1 ou 100 à cette fin, il ne reflète bien entendu plus un budget primaire équilibré pour l'année de référence.
3 Parfois, la limite est fixée à quinze ans ou dix-huit ans plutôt qu'à vingt ans pour la population jeune et à soixante ans plutôt qu'à soixante-cinq ans pour la population âgée.
4 Deux tiers des revenus mixtes sont affectés aux revenus du travail et un tiers aux rendements des actifs des ménages (ferme ou magasin, par exemple).
5 Cette expression renvoie à l'évolution qui s'amorce lorsque la fécondité commence à baisser. Il existe habituellement un premier stade lors duquel la fécondité reste élevée, tandis que la mortalité commence à baisser, entraînant une augmentation du nombre d'enfants et une détérioration du ratio de soutien, avant la phase décrite ci-dessus, lors de laquelle il augmente.
6 Il s'agit des âges moyens de la population pondérés par la consommation et les revenus du travail, respectivement.

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