Les paradis fiscaux sont devenus une infrastructure clé de la circulation des flux financiers internationaux (Chavagneux et Palan, 2017). Les grandes banques du monde entier, françaises incluses, sont aujourd'hui dépendantes de ces territoires. Elles y organisent de fructueuses stratégies d'optimisation fiscale agressive, pour elles-mêmes et leurs clients. Mais leur présence dans ces centres offshore va au-delà des questions fiscales : elle accroît l'instabilité financière internationale, une dimension sous-estimée. Les deux points avaient été parfaitement identifiés par le G20 de Londres d'avril 2009 qui a posé les bases d'une nouvelle régulation financière mondiale. Mais si les avancées sont réelles sur la remise en cause des pratiques fiscales douteuses, la lutte contre l'instabilité financière nourrie par les paradis fiscaux est restée lettre morte.
U ne longue cohabitation
Les liens entre les banques et les paradis fiscaux faisaient déjà l'objet d'un débat politique en France au début du xx e siècle. L'une des techniques favorites des fraudeurs consiste alors à ouvrir un compte joint dans une banque étrangère pour échapper à l'impôt sur les successions : le cotitulaire du compte peut faire ce qu'il veut, discrètement, du contenu au décès de l'autre détenteur. La loi impose que les fonds ou les titres déposés dans un tel compte soient déclarés, mais c'est loin d'être toujours le cas. Les plus aisés s'appuient pour cela sur les banquiers, en particulier étrangers, et deux pays ressortent, la Belgique et, surtout, la Suisse. Les établissements de Genève, de Bâle, de Lausanne et de Zurich n'hésitent pas à faire de la publicité dans les journaux français pour louer leur opacité et attirer le chaland français. Le comportement de la Suisse et plus généralement les pratiques de fraude et d'évasion fiscale sont alors régulièrement dénoncés dans les débats parlementaires juste avant la Première Guerre mondiale (Chavagneux, 2016).
Après la Seconde Guerre mondiale, la dimension financière s'ajoute à la dimension fiscale. En 1957, la création du marché des eurodollars – des dollars déposés et prêtés par les banques en dehors du territoire des États-Unis – apporte une innovation majeure : la Banque d'Angleterre permet que des transactions financières réalisées à Londres, entre deux non-résidents, dans une devise autre que la livre sterling, soient exemptes de tout contrôle réglementaire de sa part. Comme ce marché se développe en Angleterre, les autorités monétaires américaines ne peuvent y exercer quelque contrôle que ce soit.
La naissance du marché des eurodollars marque ainsi, bien avant la fin officielle du système de Bretton Woods au début des années 1970, le premier pas de la période de mondialisation financière telle que nous la connaissons encore aujourd'hui : celle d'une circulation des capitaux offshore, sans contrôle public. C'est en devenant des acteurs centraux du marché des eurodollars que les paradis fiscaux vont acquérir le rôle prédominant qu'ils jouent aujourd'hui dans la finance et les investissements internationaux.
Le brillant journaliste économique britannique Paul Einzig (1964) comprend dès le début que le marché des eurodollars sert, déjà, des comportements fiscaux douteux. Il établit également clairement que Londres est devenu un paradis réglementaire pour les banques qui l'utilisent pour des activités spéculatives sur les marchés des changes. Les banques britanniques développent alors leurs stratégies à partir de Jersey, Guernesey, l'Île de Man. Les banques américaines et canadiennes installent leurs filiales à Londres, mais s'aperçoivent vite qu'elles peuvent bénéficier des mêmes avantages en s'établissant dans les territoires d'outre-mer britanniques (Bahamas, Bermudes, îles Caïmans) sans décalage horaire avec la côte Est américaine. Toutes ces « petites îles » situées à proximité des grands centres financiers commencent ainsi à prendre leur place dans la mondialisation financière.
L e réveil des années 2000
Trois types d'établissements bancaires sont actuellement présents dans les paradis fiscaux. Il y a les coquilles vides, des banques qui n'ont aucune existence physique officielle sur quelque territoire que ce soit. Elles sont très majoritairement impliquées dans toutes les activités financières délictueuses type blanchiment, etc. (BRI, 2003a). Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire identifie également les structures bancaires parallèles, des filiales appartenant à des plus grandes banques qui, bien que présentant les mêmes propriétaires et les mêmes dirigeants, ne sont pas considérées comme appartenant au groupe bancaire en question. Elles sont utilisées à des fins de fraude fiscale, comme moyen d'échapper aux contraintes réglementaires limitant le poids des investisseurs étrangers, etc. (BRI, 2003b). On trouve enfin les banques offshore qui disposent d'une licence d'exploitation en bonne et due forme dans des paradis financiers où leurs bureaux sont installés.
L'utilisation fiscale et financière des paradis fiscaux par les banques va se poursuivre et se développer sans contrainte jusqu'au début des années 2000.
Quelques scandales financiers commencent à attirer l'attention autour des affaires Enron, Parmalat, etc., impliquant de grands noms comme Citigroup ou Chase Manhattan. La crise des subprimes va ensuite inciter aussi bien la Cour des comptes américaine que les ONG et la presse à regarder de plus près ces activités bancaires particulières. La conclusion qui en ressort est que les banques anglo-saxonnes sont très présentes dans ces territoires, les banques françaises plus présentes que les autres grandes entreprises du CAC 40, BNP Paribas plus présente que les autres banques (en partie le résultat des activités de banque d'affaires de Paribas).
L'affaire des Panama Papers, révélée en 2016 par le Consortium international des journalistes d'investigation (International Consortium of Investigative Journalists – ICIJ), a mis en évidence des réseaux financiers impliquant 21 paradis fiscaux (Bahamas, Hong Kong, Singapour, Jersey, Nevada, etc.) au service de clients situés dans plus de 200 pays ayant utilisé 14 000 intermédiaires, parmi lesquels les banques jouent un rôle clé. Selon l'enquête du ICIJ, cela concerne des grands noms – Deutsche Bank, UBS, Crédit suisse, HSBC, BIL, Société générale, etc. –, soit au total 511 établissements, essentiellement par leurs filiales situées au Luxembourg. Les banques n'ont pas fait l'objet d'enquêtes spécifiques lors des révélations des Paradise Papers à la fin de 2017 (trois établissements sont simplement mentionnés : Barclays, Goldman Sachs et BNP Paribas).
U n poids important des paradis fiscaux
Une directive européenne votée en 2013 impose aux banques de la zone de fournir, de manière publique, dans chaque pays d'implantation une comptabilité agrégée pays par pays : chiffre d'affaires, effectifs, profits réalisés et impôts payés. Les ONG, Oxfam, CCFD Terre Solidaire et le Secours catholique-Caritas ont analysé ces données qui permettent d'avoir une idée précise de la présence des banques françaises dans les paradis fiscaux (Aubry et al., 2016).
En 2014, un tiers des profits internationaux des banques françaises était logé dans les paradis fiscaux pour un total, déclaré, de 5 Md€. Si BNP Paribas arrive en tête en termes de volume (avec 2,4 Md€), le Crédit mutuel-CIC affiche une part de 44 % de ses bénéfices internationaux situés dans les paradis fiscaux.
Lorsqu'on ramène les bénéfices au chiffre d'affaires, on peut calculer une forme de rentabilité des activités bancaires. Ce petit calcul permet de comprendre tout de suite pourquoi les banques françaises sont dans les paradis fiscaux : les activités y sont vingt fois plus rentables qu'en France pour le Crédit agricole, 16 fois plus pour la Société générale, 6 fois plus pour BNP Paribas ! Et encore, soulignent les ONG, ces moyennes générales cachent quelques territoires champions de la profitabilité. De manière intéressante, ce ne sont pas les mêmes pour chaque banque, sauf l'Irlande qui revient deux fois. Les banques ont même trouvé la martingale à six occasions : les bénéfices sont égaux au chiffre d'affaires !
Enfin l'étude montre que les paradis fiscaux concentrent les activités financières complexes et la gestion de portefeuille. Ils abritent par exemple « la moitié des filiales de la BNP Security Services, ainsi que plus de la moitié de ses filiales spécialisées dans la gestion de fortune. Les neuf filiales de BPCE dédiées à la finance structurée sont, quant à elles, toutes situées dans des paradis fiscaux (Irlande, îles Caïmans, Malte, île Maurice, Singapour) », précise le rapport des ONG.
Un autre travail, fondé sur le même type de données, portant sur les vingt plus grandes banques européennes (Aubry et Dauphin, 2017) démontre que les paradis fiscaux concentrent un quart (26 %) des bénéfices de ces établissements, une part élevée. Le Luxembourg emploie 0,5 % des effectifs des banques étudiées, représente moins de 2 % de leur chiffre d'affaires, mais 5,5 % de leurs profits. À titre d'exemple, les 42 employés de la britannique Barclays réussissent à y produire 557 M€ de bénéfices, un niveau 348 fois supérieur à l'employé moyen de la banque ! C'est évidemment moins le signe d'une productivité exceptionnelle des employés locaux que la démonstration d'un transfert artificiel des bénéfices vers ce pays.
À partir de l'étude des trente-six plus grandes banques européennes, trois économistes ont cherché à estimer l'ampleur de leur présence dans les paradis fiscaux (Bouvatier et al., 2017). En s'appuyant sur un modèle de gravité – qui mesure ce que devrait être la place des banques dans ces territoires compte tenu des fondamentaux économiques –, ils montrent que le principal paradis bancaire en Europe est le Luxembourg. La présence des banques européennes y ressort dix fois plus importante que ce que donne le modèle de gravité (8,4 et 7,6 fois pour Guernesey et l'île de Man, mais les auteurs mettent en évidence des sous-déclarations d'activité dans les pays des Caraïbes). Ils en concluent selon diverses hypothèses que les banques économisent ainsi entre 1 Md€ et 3,6 Md€ d'imposition, soit entre 4 % et 21 % de leur contribution fiscale.
A cteurs de l'instabilité financière
Dans son communiqué consacré au renforcement du système financier, le G20 de Londres de 2009 pointait du doigt les paradis fiscaux comme source de contournement des politiques publiques de contrôle des risques dans la finance. Avec raison. Nombre d'études ont confirmé ce diagnostic.
Dans leur étude, Bouvatier et al. (2017) mettent en évidence l'intérêt des banques pour les paradis réglementaires. L'histoire de la dernière décennie en fournit maints exemples.
Un rapport du GAO (Government Accountability Office) (2008), l'équivalent de la Cour des comptes aux États-Unis, montre qu'une partie du système bancaire fantôme établi par les institutions financières américaines pour développer les actifs toxiques l'a été aux îles Caïmans. Les déboires de la banque britannique Northern Rock sont dus à un excès d'endettement à court terme dissimulé dans sa filiale Granite, enregistrée à Jersey (Palan et al., 2010). La banque d'affaires américaine Bear Stearns a été touchée par les déboires de ses fonds spéculatifs installés pour partie à Dublin, pour partie aux îles Caïmans, de même que l'allemande Hypo Real Estate a été emportée par les paris perdus de ses filiales irlandaises.
L'Islande se retrouve endettée sur plusieurs générations pour rembourser les prêts qui lui permettent de dédommager les clients britanniques et hollandais des filiales de ses banques installées à Guernesey (Landsbanki) et l'île de Man (Kaupthing). Le rôle de la Suisse, du Luxembourg, des Îles Vierges britaniques ou des Bermudes dans le scandale Madoff et celui d'Antigua dans le scandale Allen Stanford ont été mis en évidence. Sans en être la cause, les paradis fiscaux ont été des acteurs de tous les épisodes clés de la crise des subprimes.
On retrouve également ces territoires impliqués dans la faillite qui a donné toute son ampleur à la crise, celle de Lehman Brothers. L'expert financier Oonagh McDonald (2016) a livré une enquête remarquable qui plonge au cœur de la part d'ombre des dérapages de la banque. Plusieurs années après la crise, environ 1 000 contrats financiers signés par Lehman Brothers sont toujours en négociation en vue de les solder. Pourquoi ? En partie parce que le liquidateur de l'entreprise n'arrive pas à déterminer avec précision avec laquelle des entités juridiques de Lehman Brothers ces contrats ont été signés ! L'opacité d'une banque immatriculée au Delaware avec ses 8 000 entités enregistrées pour partie au Luxembourg, en Suisse, aux Bermudes et autres paradis fiscaux était au cœur d'une stratégie de dissimulation des risques.
L'établissement disposait pourtant, sur le papier, de l'un des meilleurs contrôles des risques de la place. Mais le jour où les paris de la banque ont dépassé les limites de risque qu'elle s'était fixées, les dirigeants ont changé le mode de calcul des limites pour pouvoir les augmenter. Quand le chef du contrôle des risques s'est plaint de ces pratiques, il a été démissionné. Le régulateur boursier, la SEC (Security of Exchange Commission), s'est contenté de demander à Lehman Brothers de respecter ses propres modèles de risques, sans chercher à s'assurer de leur qualité. Grâce à une immatriculation au Delaware, État aux lois laxistes, rien de tout cela n'est répréhensible. Au-delà de la fiscalité, le Delaware sert de paradis juridique et réglementaire.
Il y a bien pourtant un comportement qui aurait dû conduire les managers devant les tribunaux, c'est celui des pratiques comptables. Les dirigeants de Lehman Brothers ont sciemment utilisé une pratique financière traditionnelle à des fins de dissimulation. Les financiers entre eux se prêtent de l'argent sur le marché des repurchase agreements (accords de rachat) ou repo. Le principe est très simple : une banque qui a besoin d'argent à très court terme, quelques jours, vend un titre qu'elle détient, par exemple un bon du Trésor, à une autre banque et promet de lui racheter quelques jours après à un prix un peu plus élevé qui constitue la rémunération du service. Le temps de réaliser l'opération, la banque a moins d'activité (elle en a vendu une partie) et plus de ressources, elle paraît donc moins risquée qu'elle l'est en vérité. Mais c'est très temporaire.
Les dirigeants de Lehman Brothers ont utilisé cette technique juste avant l'arrêté de leurs comptes trimestriels pour dissimiler aux régulateurs et aux investisseurs leur trop-plein d'activité et leur manque de ressources. Aucun juriste américain n'ayant voulu la valider, ils ont réalisé tout cela à partir de leur filiale de Londres où ils ont trouvé des experts bien plus conciliants.
Lehman Brothers a fait faillite car elle a pris trop de risques, c'est une certitude. Mais cela n'a été possible que par des pratiques comptables douteuses, la destruction du contrôle des risques et une opacité juridique auxquelles les paradis fiscaux et réglementaires ont apporté leur soutien.
Mais il y a peut-être pire. Lorsqu'on regarde les mouvements de capitaux internationaux enregistrés aux îles Caïmans, on note une forte poussée dans les années 2000 jusqu'en 2008, signe que le territoire a participé à la bulle des subprimes. Une fois la crise lancée, ces flux de capitaux n'ont vraiment reculé qu'à partir de l'été 2011. Or le seul événement financier d'importance de cette période correspond à la forte crise de confiance qui a marqué les banques européennes au moment où la crise de la zone euro a atteint l'un de ses paroxysmes qui ont pu faire douter un moment de sa pérennité.
Si l'on recentre l'attention sur les mois cruciaux qui vont de l'été 2011 à la fin de 2012 et qu'on les rapproche des mouvements de capitaux en provenance des investisseurs de court terme américains, les money market funds jusque-là gros acheteurs des titres de dette à court terme des banques européennes, on note une dynamique baissière parallèle assez frappante. En un mot : au cœur du financement des banques européennes et françaises, il y a le shadow banking américain passant par les îles Caïman ! Pas très rassurant pour la stabilité financière.
En dépit de tous ces éléments et des promesses initiales du G20, rien n'a été fait, ni pour étudier de plus près, ni a fortiori pour agir contre l'accroissement des risques d'actif et de passif que suscite la présence des banques dans les paradis fiscaux. Il suffirait pourtant d'appliquer le même principe que celui développé ces dernières années par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire : plus les activités des banques sont risquées, plus elles doivent les financer par du capital. Une surcharge en capital est ainsi prévue pour les banques à risque les plus importantes. Il suffirait d'intégrer le niveau de présence des banques dans les paradis fiscaux pour déterminer le montant de capital réglementaire nécessaire pour face aux risques que fait peser cette présence sur la stabilité financière. Les banques se plaindraient, comme à leur habitude, mais elles pourraient accroître leur niveau de capital, ce qu'elles ont finalement réalisé sans problème ces dernières années. Avec pour conséquence un coût plus élevé pour leur présence dans les paradis fiscaux.
U n soutien aux inégalités
Les banques ne sont pas les seuls intermédiaires qui permettent aux particuliers et aux entreprises d'éviter les impôts. Les Panama Papers et les Paradise Papers ont bien montré que les clients des paradis fiscaux recourent à un ensemble de cabinets de conseils spécialisés agissant comme les maîtres d'œuvre d'un chantier global associant banquiers et professionnels du droit et du chiffre.
Dans ce monde de l'opacité, on ne dispose que d'estimations sur les coûts que font porter aux budgets publics de telles pratiques 1 . Pour l'économiste français Gabriel Zucman (2017), 350 Md€ de recettes fiscales sont perdues dans le monde chaque année (120 Md€ pour l'Union européenne ; 20 Md€ en France, contre une estimation généralement située dans la fourchette 60-80 Md€) du fait des pratiques des particuliers et des entreprises. Au niveau mondial, un peu plus de 40 % des profits de multinationales et 8 % de la richesse financière des ménages seraient ainsi enregistrés dans les paradis fiscaux. L'universitaire, à juste titre soucieux de ne pas en rajouter, indique souvent que ses estimations sont prudentes et correspondent plutôt à une fourchette basse.
L'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a fourni une estimation en octobre 2015 des pertes de recettes d'impôt sur les sociétés dans le monde, soit entre 100 Md$ et 240 Md$ (entre 4 % et 10 % du total). Mais Pascal Saint-Amans, le négociateur en chef sur ces sujets, soulignait « un choix d'hypothèses très conservatrices », une estimation officieuse de l'OCDE indiquant quelques mois auparavant un montant plus proche de 500 Md$ à 600 Md$, un quart de l'impôt sur les sociétés. Une étude des Nations unies (Cobham et Janský, 2017) confirme cet ordre de grandeur de l'ordre de 500 Md$, rien que pour les entreprises.
Les différentes affaires mises sur le devant de la scène ces dernières années par un journalisme d'investigation de plus en plus mondialisé (96 médias dans 67 pays mobilisés pour les Paradise Papers) ont montré une forme de « démocratisation » du recours aux paradis fiscaux : des patrons de PME, des professions libérales, des cadres internationaux et très souvent des représentants de l'Église ayant trouvé un accès plus rapide au paradis, des entreprises moyennes.
Pour autant, les plus gros montants concernent les plus riches et les plus grandes entreprises. Les banques qui facilitent l'utilisation des paradis fiscaux contribuent donc à l'accroissement des inégalités entre les entreprises au détriment des plus petites. Mais également entre les particuliers, en permettant aux plus fortunés d'échapper à l'impôt et en leur offrant des possibilités de placement rémunérateur sur des montants importants.
Selon Alstadsæter et al. (2017), les plus fortunés n'utilisent pas les paradis fiscaux avec la même intensité. Les Coréens du Sud y auraient peu recours, dissimulant l'équivalent de 1,2 % de leur PIB (produit intérieur brut), un montant qui passe à près des trois quarts aux Émirats Arabes Unis. Si l'on se concentre sur les vieux pays industrialisés, les riches Européens continentaux apparaissent comme de gros clients avec, en moyenne, l'équivalent de 15 % du PIB qui serait dissimulé offshore.
L'étude redessine alors le niveau des inégalités dans les pays : quand les plus fortunés recourent aux paradis fiscaux, la part de la richesse nationale qu'ils détiennent est sous-évaluée par les déclarations officielles. Si l'on se concentre sur la France, l'utilisation des paradis fiscaux par les riches Français apparaît bien plus importante aujourd'hui qu'il y a cinquante ans. En 2014, les 0,01 % les plus fortunés concentreraient 4,6 % de la richesse privée, au lieu des 2,8 % estimés en utilisant les déclarations fiscales. Les Américains détiennent également une part importante de leur fortune dans ces territoires (7,3 % du PIB). Mais le niveau des inégalités est déjà tel que réintégrer la part de la fortune détenue offshore accroît peu les écarts. À l'inverse, pour les pays, comme la France, dont les institutions permettent une meilleure maîtrise des inégalités, l'utilisation des paradis fiscaux représente une remise en cause plus profonde de notre modèle social et démocratique.
L'OCDE développe une action mondiale incitant à une réduction de l'utilisation des paradis fiscaux à des fins d'optimisation fiscale agressive. Une action internationale pourrait également inciter les banques à moins utiliser ces territoires, diminuant d'autant leurs prises de risque avec des conséquences positives pour la stabilité financière mondiale et la réduction des inégalités.