Le développement croissant des échanges internationaux et la multiplication des firmes globales confrontent les systèmes fiscaux à des risques importants de réduction de la base imposable. L'internationalisation croissante des chaînes de valeurs pose des difficultés de localisation précise des profits et les grands groupes internationaux utilisent cette dispersion géographique de leurs activités pour réduire leur taux d'imposition en pratiquant l'optimisation fiscale, parfois agressive. Ce problème n'est certes pas nouveau, mais la globalisation accélérée des économies fait qu'il se pose avec une acuité croissante. Parallèlement la numérisation de l'activité économique ajoute une complexité nouvelle et engendre de nouveaux défis, d'une part, du fait de la nature différente des modèles économiques des acteurs de l'économie numérique et, d'autre part, en facilitant l'internationalisation des activités pour les entreprises de petite taille.
Quelles sont la nature et l'ampleur exactes de ces phénomènes ? Comment les États réagissent-ils face à ces défis ? Les méthodes actuelles de calcul de l'impôt sont-elles encore pertinentes ? Faut-il adapter ou modifier de manière substantielle les modalités d'imposition des sociétés ?
Pour éclairer ces questions, Pascal Saint-Amans et Michel Taly ont accepté de répondre aux questions de la Revue d'économie financière et de confronter leurs points de vue.
Présentation du problème
Les échanges internationaux créent un problème de répartition du droit d'imposer entre les différents États souverains. L'enjeu est la préservation de leurs recettes pour les États et l'absence de double-imposition pour les contribuables.
Depuis très longtemps, les organisations internationales gouvernementales (d'abord, la société des nations avant la Seconde Guerre mondiale, puis, après 1945, l'ONU et l'OCDE) ont bâti un système de prix de transfert reposant sur la notion de prix de pleine concurrence.
Ce système du siècle dernier est-il adapté au siècle de la mondialisation et de l'économie numérique ?
Michel Taly – Le système actuel de partage d'imposition entre États souverains repose sur le principe de pleine concurrence, qui revient à traiter les différentes entités d'un groupe ayant une activité internationale (filiales, mais aussi succursales sans personnalité juridique propre), comme des entreprises indépendantes qui auraient défini librement les conditions de leurs échanges. Les entreprises sont attachées à ce principe de pleine concurrence qui permet, en principe, à chaque pays de traiter la transaction sans connaître la position des autres pays, puisqu'il n'y a, en théorie, qu'un seul prix de pleine concurrence que les deux pays concernés peuvent déterminer chacun de son côté sans se concerter. Ainsi on évite (toujours en théorie !), la double-imposition sans négociation simultanée entre le contribuable et les différents pays concernés.
Toutefois, dans « la vraie vie », la méthode du prix de pleine concurrence (permettant de fixer ce que l'on appelle le « prix de transfert ») ne permet pas de déterminer une valeur unique, mais un intervalle de prix normal. Les entreprises peuvent donc en profiter pour optimiser leur situation en se positionnant de façon favorable au sein de l'intervalle. En principe, l'entreprise ne doit pas être inquiétée dès lors que le prix est à l'intérieur de l'intervalle. Mais, toujours dans « la vraie vie », les administrations fiscales prétendent déplacer le prix à l'intérieur de l'intervalle. Pour les entreprises, cela crée de l'insécurité et, dans la pratique, un pays ne peut pas traiter une transaction sans se préoccuper de ce que font les autres, puisqu'un positionnement différent au sein de l'intervalle peut créer des doubles-impositions.
Ce problème n'est pas nouveau, mais la mondialisation le fait changer d'échelle. En outre, avec la numérisation, le problème change non seulement de taille, mais aussi de nature. En premier lieu, la numérisation accentue la facilité de délocalisation et baisse le « ticket d'entrée » de l'activité internationale, qui devient accessible aux PME, ce qui multiplie le nombre d'acteurs sur le terrain des échanges internationaux. Les activités internationales deviennent plus difficiles à identifier. En outre, la détermination de leur localisation devient plus délicate, notamment à cause de l'augmentation de la part de l'immatériel dans la création de valeur.
Mais aussi, et peut-être surtout, la numérisation crée des modèles économiques nouveaux dans lesquels le bénéficiaire final (l'internaute devant son écran) ne paie rien et les flux monétaires se font avec d'autres acteurs, souvent sans lien avec le pays où réside l'internaute. Ces transactions rentrent mal dans le cadre de la fiscalité internationale.
Pascal Saint-Amans – L'économie a changé et tous les secteurs sont impactés, à des degrés divers, par la numérisation. Les modèles économiques ont également évolué, ainsi que la manière dont la valeur se crée. Aujourd'hui, il n'est en effet plus rare de voir une PME, voire une TPE, développer des activités internationales : c'est ce que traduit le concept anglais de « scale without mass ».
La mondialisation s'est accompagnée d'une mobilité croissante des opérations comme des actifs. Certains pays se questionnent donc légitimement sur le point de savoir si le recours à une présence physique, comme lien pour rattacher le droit d'imposer à un territoire, est toujours pertinent. Comment définir aujourd'hui ce qu'est une présence économique significative d'une entreprise ? C'est notamment sur cette question qu'ont porté les débats autour de l'Action 1 du projet BEPS, dont les rapports finals ont été publiés en octobre 2015. L'une des avancées permises par le rapport sur l'Action 1 était l'accord des pays sur le fait qu'il n'y avait pas une « économie numérique » qui serait un secteur économique séparé des autres et qui nécessiterait des règles particulières, mais plutôt que l'économie s'était digitalisée et qu'il convenait de l'appréhender comme telle.
Ce fut également l'un des enjeux importants du rapport intérimaire publié en mars 2018 par le Cadre inclusif sur le BEPS, qui est désormais en charge de la mise en œuvre du projet de lutte contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (connu sous l'acronyme BEPS, de l'anglais Base Erosion and Profit Shifting)1. Faisant état des divergences de vues entre pays – entre ceux qui pensent qu'il ne faut rien changer, ceux qui considèrent qu'il faut donner plus d'importance au rôle des données dans la création de valeur, et ceux qui estiment qu'il est nécessaire de revisiter les règles fondamentales qui sous-tendent la répar tition du droit d'imposer entre États –, ce rapport préserve la possibilité de parvenir à une solution de long terme qui soit à la fois durable et fondée sur un consensus acceptable par l'ensemble des pays.
Certains gouvernements ont clairement exprimé leur souhait d'agir rapidement et d'appliquer des mesures unilatérales et temporaires. Le rapport intérimaire de l'OCDE, tout en analysant certaines de ces mesures, propose aussi des moyens pour en limiter les éventuels effets négatifs. Conscient de leurs divergences, les États se sont toutefois accordés sur la nécessité de continuer le travail, notamment sur des concepts fondamentaux de la fiscalité internationale – l'attribution des bénéfices aux établissements stables et la règle du lien (« nexus »). L'objectif de l'OCDE est de pouvoir proposer aux États des solutions viables en vue de la rédaction d'un prochain rapport d'étape qui sera présenté au G20 en juin 2019, avant le rapport final en 2020.
La situation actuelle
Décidés à lutter contre l'optimisation fiscale agressive, les États souverains et les organisations gouvernementales ont avancé, ces dernières années, sur plusieurs fronts : poursuite du travail sur les principes de détermination des prix de transfert, négociations avec les paradis fiscaux, lutte contre l'« érosion des bases ». Quel jugement peut-on porter sur l'efficacité de cet ensemble de mesures ?
Michel Taly – Pendant des décennies (notamment à partir des années 1970), les États membres et les organisations internationales ont tenté de réduire les conflits par une sophistication continue des méthodes. Les documents de l'OCDE, issus des travaux des groupes de travail cherchant à clarifier les concepts et à éviter les interprétations divergentes, sont devenus, après plusieurs décennies, des « pavés » de plusieurs centaines de pages. Et force est de reconnaître que le fait d'entrer de plus en plus dans les détails ne permet pas d'éviter les pratiques divergentes.
C'est ainsi qu'au début des années 2000, les États semblent avoir atteint la conclusion que cette quête de perfection technique était inefficace et sans fin et ne permettait pas de contrer une évolution de certaines entreprises vers une optimisation de plus en plus agressive, qui ne posait plus seulement un problème d'équité mais un problème macroéconomique de perte de recettes. Ils ont alors semblé plutôt miser sur les mesures anti-abus, souvent unilatérales et appliquées de façon parfois brutale. Cette évolution est facilitée par une évolution de l'opinion qui, depuis la crise économique, supporte de plus en plus mal la fraude fiscale, à laquelle est souvent assimilée l'optimisation.
Au plan multilatéral, les organisations gouvernementales (essentiellement l'OCDE) ont tenté de canaliser les initiatives unilatérales de lutte contre l'optimisation agressive en édictant des règles multilatérales anti-abus. Pour fonder cette action, elles ont fait évoluer la finalité même des traités fiscaux bilatéraux : alors qu'au départ, il y a près d'un siècle, la seule finalité des traités bilatéraux était la lutte contre les doubles-impositions, les États et les organisations gouvernementales considèrent maintenant que leur finalité est aussi de lutter contre les doubles-exonérations. C'est compréhensible et difficilement contestable, mais cela change considérablement le climat.
Or les textes des organisations gouvernementales ne sont pas du droit contraignant. C'est de la soft law. On peut craindre que cette soft law ne soit pas capable d'éviter les doubles-impositions engendrées par des mesures anti-abus mal coordonnées de plusieurs États.
Dans le contexte d'il y a vingt ans, les entreprises avaient intérêt à garder les principes traditionnels de prix de transfert, et à s'opposer aux velléités de certains États de faire évoluer ces principes. Si l'évolution actuelle se poursuit, on ne peut pas exclure que les entreprises en arrivent à considérer qu'elles ne sont plus protégées par les règles actuelles et se résignent à demander (ou laisser faire) une évolution qu'elles refusaient jusqu'ici.
Pascal Saint-Amans – L'une de ses missions premières étant de faciliter les échanges commerciaux et les investissements, l'OCDE s'est intéressée aux questions de fiscalité internationale dès sa création en 1961. Les situations de double imposition représentaient un obstacle majeur au développement des échanges, et il convenait donc de les réduire au maximum. Se servant des travaux qui avaient été initiés par la Société des nations entre les deux guerres, l'OCDE a publié un Modèle de convention fiscale bilatérale concernant le revenu et la fortune. Si les textes publiés et les recommandations émises par les organisations internationales sont bien du droit mou, ils acquièrent parfois une légitimité importante et ont une influence quasiment aussi forte que du droit dur. C'est le cas du Modèle de convention fiscale de l'OCDE, dont on estime aujourd'hui qu'il sert de base à la quasi-intégralité des traités fiscaux bilatéraux en vigueur dans le monde, qui le reprennent en tout ou partie et qui y font même parfois référence dans leurs droits internes.
La situation a depuis évolué et les États bien que déterminés à éliminer la double-imposition ont pris conscience que les situations de double non-imposition devenaient un problème de plus en plus important. Cette prise de conscience politique, accompagnée par un intérêt médiatique croissant, est intervenue à un moment où la crise économique et financière pesait sur le budget des États. Les pratiques d'optimisation fiscale agressive, bien que légales, sont devenues de moins en moins tolérables pour les gouvernements qui annonçaient la baisse des dépenses publiques. C'est dans ce contexte qu'est né en 2012 le désormais fameux projet BEPS. Porté par l'OCDE et le G20, ce projet est à présent dans sa phase de mise en œuvre. Après la publication des rapports finals en 2015, le Cadre inclusif sur le BEPS a été créé afin de permettre à l'ensemble des pays intéressés, bien au-delà des membres de l'OCDE, de travailler ensemble sur un pied d'égalité. À ce jour, 119 pays et territoires en sont membres.
S'inspirant du fonctionnement du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales, le Cadre inclusif conduit des examens par les pairs sur les standards minimums BEPS, qui permettent là encore de faire en sorte que des recommandations qui relèvent a priori du droit mou s'insèrent dans les droits nationaux et aient un impact réel. Les États évaluent leurs pairs et exercent ainsi une certaine forme de pression, qui a prouvé son efficacité depuis 2010 au titre de la mise en œuvre de l'échange de renseignements sur demande.
Un autre instrument permet également de garantir l'application des mesures issues du projet BEPS, depuis son entrée en vigueur le 1er juillet 2018 pour les premiers pays à l'avoir ratifié. Il s'agit de la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir le BEPS, plus connue sous le nom d'« instrument multilatéral BEPS ». À ce jour, 84 pays ont signé cet instrument, ce qui aura pour conséquence la modification de plus de 1 400 conventions fiscales bilatérales lorsque tous les pays l'auront ratifié. Au-delà du gain de temps qu'offre cet instrument – en lieu et place d'une renégociation bilatérale pour chaque traité, qui aurait pris des années –, cet instrument permettra de mettre en œuvre de manière cohérente plusieurs des mesures phares du projet BEPS.
Les perspectives
Un nombre croissant d'observateurs de la fiscalité internationale expriment l'opinion que les principes actuels de répartition de la base d'imposition ne permettent pas aux États sur le territoire desquels a lieu une activité économique de toucher leur « juste part » de l'impôt. Un peu partout dans le monde, on voit fleurir les propositions émanant des gouvernements, des ONG ou des milieux académiques, consistant à changer de mode de taxation pour adopter des assiettes plus liées à l'activité réellement exercée sur chaque territoire. Que pensez-vous de ces propositions ?
Michel Taly – Contrairement à ce que semblent penser les ONG et les médias, il n'y a pas un État de droit dans lequel la frontière entre la conformité à la loi et la fraude sont séparées par une frontière claire. La formule « les multinationales doivent payer leurs impôts là où elles réalisent leurs profits » suppose le problème résolu. Toute la question est en effet de déterminer où est réalisé le profit !
Aujourd'hui, le critère de répartition du profit est la référence à ce que feraient deux entreprises indépendantes. Le problème, c'est que, dans de nombreux cas, il n'y a pas de transactions entre entreprises indépendantes comparables à celles que pratiquent les filiales d'une multinationale.
La question est donc de savoir s'il faut abandonner cette référence au prix de pleine concurrence pour passer à une autre méthode, consistant à calculer la base d'imposition au niveau mondial et de la répartir ensuite en fonction de critères objectifs (salariés, actifs corporels, le chiffre d'affaires n'étant pas vraiment un critère objectif, car le lieu de réalisation d'une transaction n'est pas toujours facile à déterminer de façon objective).
Cette méthode, connue sous le nom de taxation unitaire, n'est pas une idée nouvelle. La Californie a tenté de la mettre en pratique dans les années 1980, mais elle a dû y renoncer après dix ans d'une bataille juridique qui s'est terminée devant la Cour Suprême.
Une approche plus limitée de partage de profits consiste à abandonner le calcul mondial pour se concentrer sur le partage de profits entre deux ou quelques pays. Le projet européen de base consolidée commune est une taxation unitaire intra-européenne couplée avec le maintien des prix de pleine concurrence aux frontières extérieures de l'Europe.
Les États-Unis souhaitaient dès 1994 que l'OCDE reconnaisse la validité des méthodes de partage des profits. Mais les autres États (et notamment les Européens) s'y sont opposés, craignant qu'un partage de profits sans critères suffisamment objectifs ne dégénère en pur rapport de force. Dans cette perspective, ils craignaient d'être les perdants.
Un compromis fut adopté consistant à accepter les méthodes de profit qui restaient compatibles avec le principe de pleine concurrence, c'est-à-dire des méthodes de profit au niveau des transactions et non au niveau des sociétés, et uniquement lorsque la méthode de prix de pleine concurrence se révélait inapplicable.
Les méthodes de partage de profit sont ainsi restées dérogatoires et donc marginales. Les États-Unis n'ont pas réussi à augmenter significativement leur part, mais les autres membres de l'OCDE n'ont pas réussi à préserver la leur, certains profits se perdant en route.
Le moment est-il venu de donner plus de place aux méthodes de profit ? Est-il possible de trouver des clés de répartition objectives permettant notamment de répartir la valeur créée par les actifs incorporels en fonction de critères physiques (salariés, actifs corporels) ?
On peut l'envisager, mais il ne faut pas s'imaginer que cela mettrait fin à l'optimisation et aux litiges entre les administrations fiscales et les contribuables ou entre les administrations fiscales de plusieurs pays. Si elles sont appliquées sans aucune dérogation, les clés de répartition risquent d'aboutir à des cas aberrants et d'ouvrir un champ à l'optimisation. Et si elles ne s'appliquent pas automatiquement, on risque de retomber dans la négociation, le rapport de force et l'insécurité pour les contribuables.
Et surtout, il faudra arriver à se mettre d'accord sur des critères de répartition. Les effets macroéconomiques de la répartition de la part de valeur créée par les incorporels en fonction des facteurs physiques de production seraient considérables et il sera difficile de mettre d'accord les pays du nord, du sud, de l'est et de l'ouest !
Le problème posé par la mondialisation et la numérisation est facile à exposer, trouver la solution est plus difficile ! Le plus vraisemblable est que les méthodes de profit ne remplaceront pas celle du prix de pleine concurrence, mais s'y superposeront pour calculer des taxes alternatives minimales. Comme souvent, le compromis se fera au prix de la complexité.
Pascal Saint-Amans – En matière de prix de transfert, le principe de pleine concurrence demeure la norme, mais les pays semblent désormais prêts à la faire évoluer. Le maintien du consensus international autour de ce principe est dû au fait qu'il est théoriquement valable, dans la mesure où il conduit à la meilleure approximation possible des conditions de concurrence sur un marché libre au regard des transactions entre entreprises associées. S'il peut parfois se révéler difficile à mettre en application, comme l'illustrent les travaux menés concernant les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l'économie, il induit généralement pour les différentes entités d'un même groupe multinational des revenus qui sont acceptables par les administrations fiscales.
L'abandon du principe de pleine concurrence, principe pour des approches reposant sur une répartition globale selon une formule préétablie, compromettrait le consensus international et la compréhension commune élaborée de longue date et sur laquelle les entreprises et les administrations fiscales s'accordent aujourd'hui. Il est possible qu'une répartition globale selon une formule préétablie comme le prévoit le projet de la Commission européenne pour une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) ou d'autres propositions fondées sur une taxation unitaire puisse offrir une plus grande facilité d'administration et une plus grande sécurité au contribuable. Dans certaines circonstances, une telle approche pourrait venir palier les faiblesses du principe de pleine concurrence et mieux refléter la réalité économique des groupes multinationaux, en établissant une base consolidée reflétant la réalité des relations commerciales entre entreprises associées et reconnaissant plus exactement la contribution de chacune au bénéfice global du groupe. Encore faudrait-il parvenir à un consensus international sur la manière dont cette répartition globale devrait avoir lieu et selon quelle formule. Ces considérations soulèvent des difficultés sur le plan technique et politique quant à sa mise en œuvre (qui reposerait sur une étroite coordination entre pays), ainsi que des risques de double imposition et de non-imposition (découlant, par exemple, de la manipulation des éléments de la formule).
L'OCDE a publié en juin 2018 des instructions révisées sur la mise en œuvre de la méthode transactionnelle du partage des bénéfices (au titre de l'Action 10 du projet BEPS) qui seront incorporées dans les Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales. À cet égard, l'objectif des Actions 8 à 10 et en particulier de l'Action 10 consacrée aux transactions à haut risque consistait à clarifier l'application des méthodes d'établissement des prix de transfert, notamment celle fondée sur le partage des bénéfices dans le contexte des chaînes de valeur mondiales afin de révéler de quelle manière les entités appartenant à un groupe multinational partagent les actifs, les fonctions et les risques inhérents à leurs activités – notamment en s'appuyant sur les considérations dites DEMPE (Development, Exploitation, Management, Protection, Enhancement) –, afin de tenir compte de l'implication et de la participation de chaque acteur de la chaîne de valeurs.
Outre l'avantage d'offrir une solution dans les cas où les deux parties à la transaction apportent des contributions uniques et de valeur, la méthode du partage des bénéfices présente l'atout majeur de pouvoir offrir une réponse adaptée lorsque les activités sont structurées selon des schémas complexes reposant sur des fonctions hautement intégrées, en permettant d'aligner ainsi le résultat de l'allocation du profit sur la substance économique. Cette méthode est particulièrement efficace lorsqu'il est question de réaliser un partage de la valeur créée par des actifs incorporels et lorsque d'autres méthodes telles que la méthode transactionnelle de la marge nette sont moins adaptées.
Au-delà de la question des prix de transfert, la sécurité juridique des entreprises et des contribuables doit être mieux prise en compte et nous y travaillons. L'amélioration des mécanismes de règlement des différends, notamment les procédures amiables et l'arbitrage, est traitée par l'Action 14 du projet BEPS. En outre, nous avons lancé en 2018 un projet pilote au titre du Programme d'assurance de conformité internationale (ICAP), qui permettra aux entreprises multinationales de discuter simultanément avec plusieurs administrations fiscales sur la base de leurs déclarations pays par pays, offrant ainsi une meilleure visibilité et une sécurité supplémentaire.
Entretien réalisé par la REF