Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

 Quelques suggestions pour améliorer la pratique de la comptabilité hospitalière des établissements publics de santé


Jean de KERVASDOUÉ ** Membre, Académie des technologies ; chroniqueur, Le Point.fr ; professeur émérite, CNAM. Contact : jean@kervasdoue.com.
Alain SOMMER * Directeur, Medical Organisation Management ; enseignant, Conservatoire des arts et métiers (CNAM). Contact : alain.sommer@mompartners.com.

Les outils de gestion doivent accompagner les modifications de l'environnement des établissements de santé. Les auteurs proposent quelques pistes d'amélioration :

 – éviter les inconvénients des conglomérats en individualisant les comptes de résultat, les comptes de bilan et les comptes de financement ;

 – adapter la séparation ordonnateur et comptable aux nouveaux processus issus de la révolution informatique (intelligence artificielle, robot process automation, plateformes, e-admission, etc.) ;

 – refondre les unités d'œuvre des services médicotechniques, notamment les indices de coût relatifs (ICR) ;

 – rendre les groupes homogènes de malades plus homogènes en termes de traitement ;

 – adapter le mode de financement à l'activité pour prendre en compte le financement des investissements ;

 – mieux comprendre la réalité des centres de coûts médicotechniques ;

 – établir des comptes intermédiaires de gestion réguliers.

Les modifications de l'environnement des établissements de santé sont majeures. Sur le plan technologique, on peut évoquer l'usage de robots dans les taches de gestion, les crypto-monnaies, l'intelligence artificielle (IA) et les nouvelles applications des innovations médicales qui diffusent dans le monde entier. En France, l'organisation hospitalière évolue avec le groupement homogène de territoires (GHT) qui finit par se développer comme s'organisent les relations avec la médecine de ville grâce aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Sur le plan économique, les taux d'intérêt vont très vraisemblablement augmenter. La gestion de la dette reprendra alors une place centrale malgré les mesures récentes du gouvernement et du « Ségur de la santé ». La gestion de la liquidité retrouvera-t-elle la place qu'elle avait dans les années 1980 ? Nul ne le sait, mais l'ère des financements abondants et bon marché touche à sa fin. Enfin, les exigences des patients, les attentes des soignants et de l'ensemble du personnel ont évolué sous l'influence de l'épidémie. Les outils de gestion doivent accompagner ce mouvement. Aussi, il a semblé utile de présenter ici quelques pistes de réflexion dans ce domaine aussi important qu'austère. Il s'agit en effet de plus de 70 Md€ de dépenses annuelles, soit à peu de choses près le montant total de la collecte de l'impôt sur le revenu des personnes physiques !

Éviter les inconvénients des conglomérats en individualisant les comptes de résultat, les comptes de bilan et les comptes de financement

Rappelons que si les EPS (établissements publics de santé) présentent un seul bilan, ils exercent plusieurs activités. Certes les activités en médecine, chirurgie et obstétrique correspondent à la part principale des revenus et des charges, mais il existe également des soins de suite, de la psychiatrie, des activités médicosociales, des écoles, de la recherche, etc. Or ces fonctions sont financées par différentes méthodes, notamment des actes, des « activités », des journées, des budgets, des dotations départementales. Comment faire pour éviter aux EPS les inconvénients des conglomérats, notamment le manque de visibilité dans l'affectation interne des ressources et l'accroissement du niveau de risque financier ? Car dans la sphère économique privée, les conglomérats sont connus pour l'opacité de leur compte et les risques qu'ils font encourir à leurs propriétaires et à leurs prêteurs. L'octroi de la personnalité morale à des entités homogènes serait une solution simple. Il existe actuellement des budgets d'exploitation spécifiques ; en revanche, il n'existe ni bilans ni comptes de financement pour chaque entité. Cet octroi de la personnalité morale à des entités homogènes permettrait d'individualiser les flux financiers ; aujourd'hui, faute d'individualisation de ces flux, certains EPS peuvent ne pas mesurer les risques qu'ils encourent. Par exemple, des activités médicosociales sont parfois sous-financées et de surcroît font parfois l'objet d'importants retards de paiement. Établir des bilans séparés aiderait déjà nombre d'établissements à mieux individualiser leurs flux financiers en prenant notamment exemple des établissements privés à but non lucratif (ESPIC) pour lesquels, par exemple, les SCI permettent d'héberger l'immobilier et d'individualiser les flux patrimoniaux dans une structure spécifique. Non seulement l'absence d'individualisation des bilans et des tableaux de financement de chaque activité peut rendre difficile la gestion des actifs, mais de surcroît, pour des raisons techniques que nous allons voir, il est aussi très mal aisé d'évaluer les performances de chaque responsable des entités internes.

Dans l'idéal, il serait souhaitable de transformer les EPS en holding détenant des entités à vocation unique et claire. Les actifs seraient alors attribués à des filiales dotées de la personnalité morale et détenus à 100 % par leur maison mère pour remplir une mission bien définie. Chaque filiale aurait sa stratégie clairement élaborée ; les décisions d'investissement seraient prises sur la base de comptes avec des actifs et des résultats individualisés. L'affichage des performances ne souffrirait d'aucune manipulation volontaire ou involontaire. Les performances de gestion seraient ainsi lisibles immédiatement, aidant les responsables à identifier et corriger les éventuelles dérives.

Adapter la séparation ordonnateur et comptable aux nouveaux processus issus de la révolution informatique (IA, robot process automation, plateformes, e-admission, etc.)

Chacun sait que dans l'administration, et par extension dans tous les EPS, celui qui décide d'une dépense (l'ordonnateur) n'est pas celui qui paye (le comptable). Ils ne dépendent d'ailleurs pas de la même institution ; en effet, dans notre cas, l'ordonnateur est le directeur de l'EPS et le payeur dépend de l'administration des Finances : la Direction de la Comptabilité Publique. Les relations entre comptable public et EPS ont fait l'objet de plusieurs réformes récentes. L'article de Paul Hernu dans Finances Hospitalières en retrace parfaitement les enjeux (Hernu, 2017). Indépendamment des évolutions réglementaires et législatives, il paraît essentiel de pouvoir insérer les méthodes de gestion des processus, notamment les processus « commande – paiement » et « admission – encaissement » dans ces relations (Baron-Bual, 2017). Ces processus sont actuellement rénovés par :

  • les nouvelles offres des logiciels de gestion des admissions ;

  • l'utilisation de la robot process automation dans les processus comptables ;

  • l'usage de l'IA dans les processus comptables.

A priori, rien dans ces outils ne devait modifier les relations entre ordonnateur et payeur. Mais il est légitime de s'interroger sur l'impact que peut avoir la refonte des processus d'admission sous-jacente à ces outils. Cette méthode est en effet basée sur deux principes :

  • une modification profonde des tâches et des responsabilités, avec notamment un rôle majeur donné au patient en début de processus (préadmission), tout comme au fournisseur ;

  • la gestion continue et sans césure du début à la fin de la prise en charge du patient ou du processus.

L'optimisation de ces deux processus clés améliore la prise en charge du patient et la trésorerie et de l'établissement ; les nouvelles organisations comptables en plateformes de « services partagés » le modifient également. Ces facteurs nécessitent que les tâches soient réorganisées. Et posent une série de questions. Qui sera responsable de l'usage au quotidien d'un algorithme comptable ? Qui validera les modèles de paiement automatique par robot et reconnaissance optique ? C'est donc sous cet angle que nous suggérons que soit réexaminé le bienfondé du très ancien principe de la séparation ordonnateur-comptable.

L'utilisation du coût complet pénalise les services médicaux

La comptabilité analytique dépend de l'usage que l'on en fait. Ainsi, en se plaçant du point de vue de la direction d'un établissement, voire de la tutelle, il peut être intéressant de savoir combien coûte une journée du service de gériatrie, une consultation aux urgences ou une intervention chirurgicale au bloc opératoire.

Le cœur de l'allocation de ressources dans la santé reste nolens volens la notion de coût. Les débats sur ce thème sont sans fin. Gardons-nous de participer ici à la question générale du coût et de la valeur de la santé. En revanche, voyons comment améliorer les processus utilisés par l'hôpital public et ses financeurs pour bien comprendre les questions de création de valeur.

Calculer un coût complet n'est jamais simple et est en partie arbitraire. En effet, outre les dépenses directes d'un service, le service de gériatrie (personnel, chauffage, etc.), il faut trouver un moyen de lui affecter sa part aux autres dépenses de l'hôpital : la direction, les services généraux, l'informatique, etc. et donc avoir une clé de répartition de ces charges indirectes (au prorata du montant des coûts directs, par exemple). Ce système est la règle dans les EPS et nous allons voir qu'il peut pénaliser les services de soins et favoriser les services support1.

La règle en gestion d'entreprise est de partir des unités productives, dans notre cas les services cliniques et les services médicotechniques (laboratoires, imagerie, centre d'exploration fonctionnelle, etc.), car eux seuls représentent la vocation essentielle de l'EPS et seules leurs activités génèrent des recettes dans le mode de rémunération actuel, basé le plus souvent sur le paiement au séjour.

Pour chacun d'entre eux, il suffit donc de recenser les recettes générées par jour, semaine, mois ou année, puis d'en déduire leurs seuls coûts directs, pour l'essentiel des dépenses de personnel, de consommable et des dépenses hôtelières. En soustrayant recettes et dépenses directes, on obtient la contribution à la marge brute annuelle de l'hôpital. Soulignons encore que seuls ces services produisent des soins ou contribuent directement aux soins ; les autres sont des services « support » et donc, en cas de difficulté, c'est d'abord vers eux qu'il faudrait chercher des économies. Cela ne veut nullement dire que les services support sont des services mineurs dont le développement doit être négligé ; une prise en charge réussie et sans danger nécessite des prestations parfaites de toute la chaîne de production. Or le calcul des coûts complets part de la logique inverse car il considère que les coûts et les performances des services support sont quasiment intangibles. La façon de présenter les comptes ne permet pas de poser la question de leur efficacité ; ils sont, du point de vue comptable, considérés comme une donnée intangible.

Cela ne veut pas dire que les « services producteurs de soins » sont intouchables. Dans l'industrie et les services marchands, la comptabilité analytique est toujours accompagnée d'une description fine des processus de production avec des standards physiques de production (soit la meilleure performance possible, soit la cible à atteindre) et de plans d'action destinés à réduire en permanence les coûts.

Un coût se réduit, se combat quotidiennement, sinon il enfle inexorablement, aboutissant à une perte de compétitivité. Les coûts trop élevés d'une société l'empêchent de maintenir ses ventes et la font entrer dans un cercle vicieux dont elle ne sortira qu'en diminuant brutalement ses coûts. Mais, dans ces deux types d'entreprise, on ne perd pas trop de temps à calculer les coûts ; en revanche, on tente de les diminuer de façon permanente. Lorsqu'une prise en charge est réalisée en suivant des référentiels reconnus avec un personnel formé, on améliore la qualité et on maîtrise les coûts.

Si le recours à la comptabilité analytique est actuellement obligatoire dans le cas d'un EPS, elle ne donne pas la priorité à la gestion du processus de soins et au coût global des services support pour lesquels des gains de productivité pourraient aussi être réalisés. Notons au passage que les établissements du secteur privé à but lucratif n'utilisent que très peu la comptabilité analytique.

Les charges dites « variables »

La comptabilité en coût complet déverse les charges des centres support dans les centres de coût producteurs de valeur, ceux qui produisent des soins et déclenchent une facturation. Si un centre de coût producteur de soins commence sa journée avec des charges principalement fixes (le personnel du service), ce qui est normal et existe dans tous les établissements de santé de la planète, ce système comptable lui donne le sentiment que ses charges fixes sont devenues variables, parce qu'elles lui seront d'autant plus imputées qu'il fera des séjours ou des actes.

À l'inverse, la comptabilité en coût variable direct commence par considérer ce que les services médicaux produisent comme soin, puis elle calcule la marge dégagée par ces services afin de déterminer les sommes disponibles pour les fonctions support. Dans un cas, le dirigeant disperse, ventile et répartit ; dans l'autre, il fait vivre son établissement en fonction de ce qu'il produit, ce qui le conduira à accroître le volume de soins en étant attractif et à réduire les coûts pour pouvoir maximiser les marges.

Soulignons de surcroît que les charges des services support sont peu variables, contrairement à ce que la comptabilité analytique en coût complet laisse entendre. En effet :

  • un service de consultation n'a pratiquement que des charges fixes sur une année ;

  • un service de restauration n'a en moyenne que 50 % de charges variables ;

  • un service de lingerie n'a que 20 % de charges variables ;

  • un service de stérilisation n'a que 25 % de charges variables.

Aussi, ce qui compte pour l'EPS comme pour tout établissement de santé, c'est d'abord le coût global de ces services et leur processus de production. Or la comptabilité en coût complet laisse croire que le coût du kilo de linge est à 100 % variable.

En défavorisant les services cliniques par l'usage extensif des unités d'œuvre, l'EPS donne un avantage concurrentiel à ses concurrents : les établissements privés. En effet, le périmètre d'activité de l'EPS est bien plus large que celui de la clinique privée, donc c'est une avalanche de charges dite « induites » qui vient handicaper les services cliniques des EPS.

L'EPS cumule les désavantages concurrentiels car les hôpitaux publics produisent des soins en étant employeurs de ses médecins, ce que ne font pas les établissements de santé à but lucratif ; c'est aussi le cas des actes médicotechniques support (laboratoires de biologie, services d'imagerie, etc.) produits à l'hôpital et le plus souvent sous-traités dans les cliniques. Cela aboutit à élever le niveau du point d'équilibre et à le rendre très sensible aux variations d'activité, à cumuler les risques financiers et à réduire la capacité de réaction et d'adaptation des hôpitaux publics. 

Ce qui est en cause n'est pas le niveau des salaires, mais la variabilité des prises en charge de patients. Les ESP et les établissements privés d'intérêt collectif (ESPIC) assurent le plus souvent la gestion des étapes des prises en charge incluant des urgences, de l'imagerie, de la biologie, de la chirurgie, puis éventuellement des soins de suite. Cela aboutit à ce que les coûts des prises en charge seront très variables pour un même type de patient selon la qualité de la coordination entre services et, bien entendu, les durées de séjours. Aussi nous suggérons de travailler sur les chemins cliniques et les modalités de prise en charge des patients pour accroître la qualité et réduire les coûts (Siok et al., 2014).

Le coût de quoi ?  La question des unités d'œuvre

Au lieu de réaliser des mesures physiques tangibles et simples comme le nombre d'agents ou les consommables, l'utilisation de concepts biaisés par les EPS peut conduire à déresponsabiliser.

Ainsi, par exemple, la production de la stérilisation se mesure par le mètre carré de produit stérilisé. Mais sait-on qu'un mètre carré d'instrument à nettoyer peut comporter des instruments très complexes et d'autres très petits ou très souillés ? De la même façon, la blanchisserie utilise le kilogramme de linge nettoyé. Il faut ne jamais avoir visité une blanchisserie industrielle pour ne pas savoir que le coût de revient du nettoyage d'une blouse n'est pas le même que celui du nettoyage d'un drap. Si l'ANAP (Agence nationale d'appui à la performance) a développé des outils remarquables pour gérer la stérilisation1, la comptabilité analytique continue à utiliser une seule unité d'œuvre.

Aussi, mis à part la mesure de la consommation d'eau (mètre cube), d'air (mètre cube) et d'électricité (kWh), l'usage d'unités d'œuvre est simplificateur à l'extrême et fausse les calculs. Cela ne serait pas grave en tant que tel ; après tout, il ne s'agit que de comptabilité analytique sans décaissement. Malheureusement, la comptabilité analytique en question aboutit à la comptabilité tout court à cause de la structure en conglomérat.

Exemple : le coût relatif des blocs chirurgicaux

L'ICR (indice de coût relatif) est une unité d'œuvre destinée à mesurer la production et les coûts des interventions chirurgicales, de l'anesthésie, de l'anatomie pathologique, ainsi que d'autres soins très spécifiques.

Il est basé sur des actes de la classification commune des actes médicaux (CCAM) établie par la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAM-TS). Toutefois l'actualisation de la CCAM est très lente et bien plus lente que celle des techniques et des pratiques médicales. En outre, le calcul de leur coût « à dire d'expert » donne lieu à des résultats étonnants et manque de transparence.

Les ICR présentent des points positifs :

  • ils introduisent la notion de coût standard dans la sphère hospitalière publique et privée ;

  • ils permettent d'aborder les coûts des actes médicaux, ce qui est le cœur de métier de l'EPS ;

  • ils permettent de réaliser une mesure de la production médicale des centres de coût médicotechniques.

Les ICR ont donc dans un premier temps rendu de grands services à l'hospitalisation publique.

Toutefois, toute personne ayant travaillé avec des chirurgiens sait que ceux-ci connaissent heureusement mieux les noms des interventions chirurgicales que ceux des actes de la CCAM. Les actes de la CCAM sont pour la plupart des fictions qui correspondent rarement à des entités de coût. Ils décrivent souvent les composantes des interventions, mais pas la totalité des interventions (Ifergan, 2017). Certaines interventions combinent plusieurs actes de la CCAM, d'autres interventions peuvent être rattachées à des actes de la CCAM par nécessité sans toujours correspondre à la réalité. Mais la correspondance entre les actes de la CCAM et les interventions n'est pas parfaite. Comment mesurer, par exemple, le coût d'une intervention comportant plusieurs actes ?

La valeur des composantes de l'ICR est basée sur le temps, surpondère le coût en personnel et sous-pondère le coût des consommables, des frais fixes et des amortissements des équipements. C'est sans doute une bonne méthode pour calculer le coût du personnel d'un centre de coût médical, mais cette méthode s'applique difficilement aux consommables (Mévellec, 2021).

L'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH) publie un tableau qui donne pour chaque acte la valeur du travail, de l'équipement et des consommables, ce qui suppose que les coûts du travail, la composition des équipes et les consommables utilisés par les chirurgiens soient les mêmes pour tous les chirurgiens dans tous les EPS, pour chaque acte de la CCAM. Cela n'est pas évidemment pas le cas. En outre, les consommables ne sont pas achetés au même prix pour tous les EPS. Pourtant, le recours à l'ICR présume que l'on puisse reconstituer le coût complet du bloc. Le côté tautologique de la comptabilité analytique réalisée en coût complet apparaît alors clairement.

Ce système peut toutefois être grandement amélioré en se focalisant sur les coûts standards directs du bloc. Il est possible de calculer des coûts détaillés à la compresse près et de reconstituer le total des dépenses. Les coûts ne se réduisent pas en utilisant des approximations, des plans d'action ou des indices a priori. Ils peuvent être réduits en agissant sur les achats au centime d'euro près, et de façon permanente. Les fournisseurs de consommables médicaux sont particulièrement doués pour les augmenter et ce sont les utilisateurs qui doivent être vigilants.

Le cas particulier des groupes homogènes de malades (GHM) et de séjour (GHS)

Si la mesure de l'activité et la tarification d'un hôpital en France, comme dans le monde entier, se font à partir d'une classification des séjours en GHM, si cette mesure est un indéniable progrès quand on la compare aux méthodes précédentes qui se contentaient de facturer les journées et les actes, on assiste cependant à un mésusage de cette classification quand on tente de l'utiliser en gestion interne. En effet, on s'en sert de manière inappropriée car il se trouve que tous les groupes prétendument homogènes ne le sont pas nécessairement. Cela n'est pas grave quand on se place à l'échelon de l'établissement ; ça l'est quand on l'utilise en gestion interne.

Un certain nombre de GHM sont donc bien homogènes car les séjours correspondent à des séjours bien définis en termes d'intervention, d'exploration et d'hébergement. Il en est ainsi, par exemple, de la cataracte en ambulatoire ou d'un accouchement par voie basse en maternité. Il y a cependant de nombreux séjours hétérogènes, notamment en médecine. En outre, certains concernent plusieurs services et la bonne gestion du parcours du patient nécessite alors d'autres outils que les quelques informations collectées pour classer les patients dans un GHM.

Par ailleurs et surtout, la révision de la classification par l'ATIH se base sur l'étude nationale des coûts qui elle-même utilise des coûts complets de certains EPS et fait donc des moyennes de pratiques médicales hétérogènes et de dépenses qui le sont tout autant. Aussi, faudrait-il non plus partir des moyennes de pratiques constatées, mais créer des tarifs à partir d'une conduite thérapeutique de référence et donc d'une description détaillée du processus de soins.

Nous suggérons la généralisation des GHM homogènes correspondant à des prises en charge définies. Oui, le nombre de GHM augmentera, mais leur lisibilité en sera accrue et leur gestion mieux maîtrisée. L'adhésion du corps médical passe par une plus grande lisibilité des GHM.

Un mode de financement qui oblige à des réajustements financiers 

Le calcul des GHM-GHS ne tient pas compte du financement de l'investissement futur. Ils comportent les amortissements et les frais financiers du passé. Cette situation est logique car comment prévoir le montant des investissements futurs à travers la rémunération par séjour ?

Cela a en partie justifié le choix de certains pays, notamment la Belgique, qui financent les investissements hors des GHS.

Pour comprendre ce problème, il faut distinguer la « capacité à offrir des soins » et le respect des protocoles implicitement retenus par les GHS. La « capacité à offrir des soins » est une charge fixe, elle préexiste à toute activité et donne lieu à autorisation. Quant au GHS il est en principe basé sur un modèle sous-jacent de séjour avec des niveaux de charge standardisés. Ce modèle comporte notamment une durée de séjour et des actes et est censé couvrir à la fois le coût de la « capacité à offrir des soins » et les coûts variables générés par la délivrance des soins aux patients de ce GHS particulier. Le seul problème de ce type de rémunération est qu'il est sensible à la nature et au niveau de l'activité d'un hôpital une année donnée.

Les EPS recherchent de plus un « équilibre d'exploitation », mais un établissement de santé doit aussi investir sans cesse et ne devrait pas dépendre de subventions pour investir. L'équilibre d'exploitation exclut le surplus, l'excédent, le profit ; c'est sans doute pour cela qu'il est affiché.

Il apparaît comme vertueux, or tout établissement devrait rechercher un excédent pour pouvoir rembourser ses dettes financières et autofinancer ses investissements, mais les tarifs des GHM ne peuvent pas tenir compte de l'investissement futur. C'est cela qui requiert de façon chronique les subventions et les plans successifs, alors qu'il serait si simple de laisser les EPS dégager une marge pour investir. En outre, au lieu de présenter leurs résultats en termes d'exploitation, les EPS devraient utiliser comme base de leur communication le tableau de flux financiers et montrer leur capacité à rembourser leurs dettes ainsi qu'à financer leur programme d'investissement. Le fait de ne communiquer que sur les résultats d'exploitation et non sur les résultats en flux financiers empêche les EPS de préparer le futur.

Il est normal de demander aux entités recevant un budget fixe de l'État de présenter des budgets avec leur état prévisionnel de recettes et de dépenses (EPRD) à l'équilibre. Mais il n'est pas sain de demander à des entités financées à l'activité de présenter des budgets à l'équilibre. Cela suppose que le montant de leurs investissements sera égal à celui de leurs amortissements, ce qui n'est pas certain et trop souvent dangereux. 

Adapter régulièrement les découpages internes

Quand on observe la comptabilité des activités hospitalières de court séjour dites « MCO » (médecine, chirurgie, obstétrique), le nombre de centres de coût paraît parfois important.

Pour mesurer l'origine du coût de certaines activités, il convient au préalable de définir les étapes du processus de production de ses activités et ses résultats. Or, trop souvent, les analystes calculent a posteriori les coûts en additionnant les charges dans un réceptacle comptable et en les dénommant « centre de coût ». De nos jours, les travaux de l'ANAP et de la base d'Angers, tout comme les guides de la comptabilité analytique, évitent ce type de bévue. En revanche, il n'existe pas toujours une parfaite correspondance entre la structure comptable et la structure de l'organisation. Or tout découpage d'une entité en centres de responsabilité devrait répondre à trois critères :

  • correspondre à un métier et un enjeu stratégique ;

  • avoir un pouvoir effectif et disposer des outils permettant de l'exercer, à commencer par un système d'information ;

  • connaître les objectifs attendus et les unités de mesure qui seront utilisées pour les mesurer. Ce dernier point est clé car dans la pratique, il permet également de contribuer à la gestion des carrières. Or il arrive de donner une responsabilité sans fixer d'objectifs, voire, quand ils existent, sans les évaluer. Rappelons que tout cela se place dans un cadre institutionnel que les EPS doivent respecter car ils n'ont pas la liberté de s'organiser comme ils l'entendent. En effet, une nouvelle entité administrative, le « pôle », s'est surajoutée au service et aux unités médicales ou fonctionnelles.

La nouvelle gouvernance qui voudrait que ces pôles constituent l'unité de gestion des EPS a parfois du mal à passer dans les faits. Le découpage en quatre niveaux (hôpital, pôle, service, unité fonctionnelle) peut devenir un obstacle à des mouvements stratégiques rapides et diluer les responsabilités effectives s'il ne correspond pas à une réalité effective exercée. Le pôle peut devenir un obstacle s'il ne correspond pas à un niveau de gestion effectif.

Par ailleurs, la mise en place des GHT (un cinquième niveau) bouscule profondément les modes d'organisation. Adapter le contrôle de gestion à cette nouvelle dimension demande de revoir souvent les pratiques et les procédures (Mévellec, 2020). Quant à la structure comptable, les hôpitaux ne peuvent pas s'appuyer simplement sur le modèle des organisations du secteur privé marchand. Si tel était le cas, les centres de coût devraient devenir centre de profit, centre de coût productif et centre de coût discrétionnaire :

  • les centres de profit seraient autonomes dans leur gestion, ils factureraient leurs prestations, auraient leurs propres dirigeants, auraient des actifs délimités et des équipes dédiées. Ils correspondraient aux activités médicales (Pôles ou Services). Leur objectif devrait être de rendre la meilleure qualité des soins et des services dans le respect des normes sanitaires. Ils devraient dégager un excédent ;

  • les centres de coût productifs auraient pour vocation de produire des prestations plus ou moins diversifiées. Ils devraient en permanence rechercher la manière la moins onéreuse et la plus efficace à les offrir en respectant des normes de qualité et de sécurité. Les centres de coût productifs n'auraient pas à équilibrer leur compte, ni à faire du surplus, mais à être efficaces.

Ce schéma de pensée théorique n'est pas applicable sans adaptation à un établissement de santé car dans une prise en charge, il n'y a pas de hiérarchie des centres de coût, comme dans le secteur privé marchand. Toutes les étapes de la prise en charge doivent être de qualité pour des raisons de sécurité et d'efficacité des soins. C'est ce que nous verrons dans le chapitre suivant.

Mieux appréhender la réalité des centres de coût médicotechniques

Faut-il ou non les sous-traiter ? C'est le débat qui vient à l'esprit quand ces centres de coût sont abordés. Nous ne répondrons pas ici à cette question certes financière, mais aussi politique car cela serait perçu comme un démantèlement du service public. En revanche, on peut en améliorer la gestion.

Un ESP ou un ESPIC facture pour un séjour de chirurgie une prestation qui comporte une intervention chirurgicale, des hébergements, des explorations et des charges administratives. Cette suite d'actes est complexe à gérer car elle met sur le même plan des prestations hétérogènes.

Ces prestations sont produites, comme indiqué plus haut, par des services de trois types :

  • les services qui produisent des actes ou des examens dans un bloc ou à l'aide d'une machine (chirurgie, médecine, imagerie, radiothérapie, anesthésie). La quantité et le coût de chaque examen sont pris en compte dans le calcul du tarif du GHM au travers des moyennes que réalise l'ENC ;

  • les services médicotechniques associés (pharmacie, stérilisation, bionettoyage) ;

  • les services administratifs ou d'hôtellerie que l'on pourrait retrouver dans de nombreuses activités de la sphère marchande.

Les risques pris par un établissement public sont ainsi difficilement maîtrisables car pour chaque GHM, le recours à plusieurs médecins et à plusieurs techniques varie et est difficilement standardisable. Un hôpital prend donc plusieurs risques, notamment celui de la variation des examens pour une même pathologie facturée de façon unique, mais surtout celui de la productivité de ses services médicotechniques.

Les performances des services médicotechniques dépendent :

  • de la demande des services producteurs de soins ;

  • de leur processus de production plus ou moins automatisé ou mis à jour ;

  • des exigences réglementaires.

Or elles ne sont pas mesurables par un indice ou un coût unique. Elles comportent une dimension qualitative et quantitative. Par exemple, le métier de pharmacien hospitalier connaît actuellement une évolution accélérée. Aussi, évaluer ses prestations au travers d'une seule unité d'œuvre ne reflète en rien la réalité.

Deux erreurs majeures doivent être évitées :

  • la comparaison de ces services avec des pairs sans décrire les prestations réalisées, leur niveau de qualité et leur quantité ;

  • la création de compte de résultat pour ces centres de coût.

Nous suggérons une contractualisation entre les services médicaux et médicotechnique basée sur une mesure de qualité de service et une mesure de productivité. La réalisation de ces contrats est certes très difficile car elle demande un effort pédagogique important. Mais elle seule permet d'assurer la qualité des prestations et la productivité nécessaire. Elle se pratique dans de nombreux hôpitaux étrangers cependant et ce depuis des décennies.

Le suivi économique et financier des EPS

Tout hôpital doit soumettre à sa tutelle un projet d'évolution de ses activités à moyen terme, mais surtout un budget. Il est bâti au cours de l'année n-1 pour l'année n, alors que l'année n-1 est toujours en cours et surtout quand les tarifs des GHS-GHM n'ont pas été publiés. Elle ne le fera que plusieurs mois plus tard.

Par ailleurs, au lieu de suivre la réalisation d'un budget discutable (ce que recommande la tutelle), il faudrait analyser mois par mois recettes et dépenses et les comparer, non pas au budget, mais aux comptes de l'année précédente. Rappelons que dans les entreprises, le budget n'est jamais qu'indicatif, ce qui compte c'est la réalité des recettes et des charges.

De surcroît, il est difficile de faire des prévisions fiables sur plus de 750 types de GHM ne serait-ce que parce que la patientèle évolue d'une année sur l'autre. De façon surprenante, le nombre et la nature des GHM connaissent de grandes variations annuelles ; ainsi dans un grand établissement, près de 20 % des GHM d'une année ne se retrouvaient pas l'année suivante.

 Ainsi, le modèle budgétaire classique avec la séquence produits = volume × tarifs est inopérant en raison de l'instabilité des volumes et des mix d'activité. Le modèle en coût complet est inopérant car il introduit une erreur potentielle dès la genèse du budget. Il faudrait séparer les prévisions des coûts directs de celles des coûts indirects et celles des charges variables de celles des charges fixes.

Les résultats intermédiaires gagnent à être calculés mensuellement

C'est parce qu'elles devaient publier leurs comptes rapidement que les entreprises du secteur marchand ont amélioré leurs procédures de facturation et de comptabilité.

Si plusieurs EPS produisent des comptes de résultat mensuels, ce n'est pas la règle ; or l'absence de compte mensuel constitue un handicap majeur. Connaître ses résultats avec au moins quatre mois de retard rend toute adaptation impossible. Le mois est la seule unité de temps pour réagir. Il y a trente ans déjà, dans de très grands groupes industriels, plus complexes que l'AP-HP, les comptes mensuels des 80 entités mondiales du mois M arrivaient avant le 7 du mois M+1 et étaient finement analysés par le président-directeur général. 

L'absence de situation intermédiaire diminue la crédibilité des dirigeants. Comment prétendre exécuter un plan si on ne suit pas mensuellement sa mise en œuvre ? Comment justifier des comptes faux en milieu d'année lorsqu'il arrive que des Pôles, à l'occasion d'examens trimestriels, aient dû réduire leurs effectifs ou retarder des recrutements en raison de résultats intermédiaires calamiteux, alors que ces résultats ne prenaient pas en compte toute la facturation ! 

Conclusion 

Les conditions de gestion des EPS pourraient être améliorées par des mesures comptables assez simples à mettre en place tant dans le calcul de la contribution à la marge brute que dans le suivi budgétaire. De nombreuses applications informatiques, facilement accessibles, le permettent. Cela aurait en outre l'avantage de revenir au cœur de la fonction de l'hôpital : soigner les patients et donc comprendre et aider ceux qui soignent.


Notes

1 Voir le site : https://www.anap.fr/ressources/prise-en-charge/biologie-pharmacie-sterilisation/sterilisation/.

Bibliographies

Baron-Bual H., Nolet P. et Schlauder A. (2017), « Réussir le binôme entre l'ordonnateur et le comptable. Les modalités juridiques de gestion de la fonction achat par les 135 établissements supports précisées par le décret no 2017-701 du 2 mai 2017 », Finances Hospitalières, no 114, juin.

Delnatte J.-C. (2021), « La situation de la dette hospitalière », Finances Hospitalière, no 160, septembre.

Hernu P. (2017), « La place du comptable public dans le contrôle interne comptable des établissements publics de santé », Finances Hospitalière, no 115, juillet.

Ifergan J. (2017), « Rattraper le retard accumulé dans la mise en œuvre de systèmes de comptabilité analytique performants », Finances Hospitalières, no 112, avril.

Lucido S. et Armand A. (2019), « L'observatoire de la stratégie financière des CHU : analyse de la liquidité, du financement et des risques », Finances Hospitalière, no 140, novembre.

Mévellec P. (2020), « Lorsque la méthodologie comptable entre en conflit avec les besoins de gestion : le cas de la comptabilité analytique hospitalière », Finances Hospitalière, no 149, septembre.

Mévellec P. (2021), « Les ICR, boîte noire ou bombe à retardement ? »,  Finances Hospitalières, no 158, juin.

Mévellec P. et Nautré B. (2021), « Le développement du contrôle de gestion à l'hôpital : l'apport de la notion d'objet frontière », Finances Hospitalières, no 155, mars.

Peugny P., Hammoudi A., Alexandre C. et Eissier C. (2013), « Les filières internes de production de soins au service du pilotage stratégique et de la performance », Finances Hospitalières, no 72, septembre.

Siok S. T., Geissler A., Serdén L., Heurgren M., van Ineveld M., Redekop K. et Hakkaart-van Roijen L. (2014), « DRG Systems in Europe: Variations in Cost Accounting Systems Among 12 Countries », European Journal of Public Health, vol. 24, no 6, décembre, pp. 1023-1028.

Sommer A., Ollivier E. et de Kervasdoué J. (2016), « Les limites du coût complet », Finances Hospitalières, no 107, novembre.