Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

 La restructuration des dettes souveraines Européennes : un plan Brady à l’européenne


Xavier LÉPINE Président du directoire, UFG-LFP.
Face à la crise persistante de la dette souveraine de certains pays européens, l’auteur avance que la mise en œuvre d’un plan « Brady » pourrait permettre de trouver une issue acceptable financièrement et économiquement. Bien que les situations du Mexique des années 1980 et de l’Union européenne ne soient pas directement comparables, l’exemple et les résultats du plan Brady mis en œuvre en 1990 montrent clairement que des solutions techniques existent. Cela suppose néanmoins que les décideurs politiques européens optent clairement pour plus de fédéralisme.

Une analyse de la situation actuelle des dettes souveraines dans la zone euro permet d’imaginer un plan Brady à l’européenne. La création d’une solidarité européenne, le transfert de richesse entre les États à travers les taux d’intérêt et l’allégement de la charge de la dette nous apparaissent pertinents et présentent des avantages certains.

Ce plan Brady à l’européenne mobiliserait en effet très peu de richesses, nécessiterait un effort « supportable » par les pays riches, permettrait une solution politique acceptable par tous les protagonistes et préserverait les banques d’un haircut significatif imposé, la récupération de l’effort public des États riches auprès des créanciers privés pouvant se faire par le biais de l’impôt. Une telle issue politique, économique et financière semble envisageable et préférable à un défaut qui serait beaucoup plus coûteux pour tous1.

Le contexte

Depuis maintenant plus d’un an, le risque de non-paiement d’une dette souveraine est de nouveau au-devant de la scène. Cette situation est loin d'être inédite, les années 1980, pour ne prendre qu’un passé récent, s’étant illustrées par la « décennie perdue » de l’Amérique latine (ainsi que de nombreux pays d’Afrique, d’une bonne partie de l’Europe de l’Est et de rares pays d’Asie – notamment les Philippines).

L’origine de cette crise de la dette était alors claire : un afflux d’argent facile dans les années 1970 lié au recyclage des pétrodollars (les pays exportateurs déposant des dollars dans les banques américaines qui les reprêtaient sous forme de prêts bancaires syndiqués en dollars) ; des pays emprunteurs mal gérés (projets pharaoniques, taux de change inadaptés, budgets publics incontrôlés…), souvent corrompus (à l’époque, on a estimé les détournements de capitaux via Miami et la Suisse à plus de 30 % des montants prêtés), dans un contexte de taux d’intérêt qui avaient explosé au début des années 1980 (16 % pour le Libor) rendant insupportable le fardeau de la dette.

Les points de comparaison avec la situation actuelle sont nombreux : des prêteurs privés, essentiellement bancaires, à des États dans des proportions telles que les prêteurs sont dans l’incapacité financière de supporter un non-paiement ; une réelle incapacité de remboursement des États ; des effets domino entre les pays ; des risques de « précédents » qui complexifient les négociations ; une intervention forte du FMI (Fond monétaire international) et des gouvernements (principalement américain) des banques créancières ; des populations locales supportant très difficilement les plans de rigueur imposés par le FMI (bouc émissaire idéal) ; des États riches, et singulièrement les États-Unis, eux-mêmes en grande difficulté à l’époque (récession postcrise pétrolière iranienne, surendettement, faillite des caisses d’épargne…) ; mais peut-être et surtout des pays qui ont bénéficié d’un enrichissement sans cause et sans précédent du fait ici de leur appartenance à l’euro qui a également bénéficié aux pays prêteurs (gains de compétitivité de l’Allemagne via un « taux de change » sous-évalué).

Mais sur d’autres points clés, la situation actuelle est inédite :

  • de nombreux pays ont restructuré leurs dettes libellées dans une devise tierce (dollar, devises fortes) que ce soit auprès des emprunteurs privés (Club de Londres) ou d’État à État (Club de Paris) ;
  • rares sont les pays à avoir fait défaut sur leur devise nationale (Argentine en 1983, Russie en 1998, mais la dette obligataire en roubles, GKO, était très majoritairement détenue par des investisseurs étrangers) ;
  • il n’y a pas d’exemple dans le monde moderne de défaut de paiement, ni de restructuration de dette souveraine dans une devise commune à plusieurs pays2 ;
  • les populations des pays emprunteurs, mais également celles des pays prêteurs se sentent très concernées ;
  • les financements sont effectués via les marchés de capitaux et non plus par des crédits bancaires. La volatilité des capitaux et le mark-to-market supporté par les prêteurs sont instantanés et modifient singulièrement les modalités de négociation ; les emprunteurs comme les prêteurs sont paradoxalement beaucoup plus tenus que dans une relation bancaire a priori moins souple ;
  • il s’agit d’obligations émises par des États européens : ces deux spécificités sont également très importantes. La résultante est que les négociations actuelles ne se font pas entre les créanciers obligataires et l’emprunteur, mais directement au niveau de l’Europe. Il est de fait très difficile de réunir des créanciers obligataires autour d’une table (à la différence de créanciers bancaires bien identifiés dans le cadre de contrats de prêts avec de multiples clauses…) et l’appartenance à l’Europe fait que les négociations se passent dans un cadre juridique unique et un peu surprenant : au stade actuel, ce ne sont pas les créanciers privés qui discutent du problème de leur créance avec leur emprunteur, mais les États, et il ne s’agit pas de discussions tripartites !

Il est toutefois une seule certitude : la Grèce, l’Irlande et le Portugal n’ont pas les moyens financiers autonomes leur permettant d’honorer leurs échéances.

Bien que disposant de ratios d’endettement stricto sensu très acceptables, l’Espagne est embourbée dans une crise immobilière d’une ampleur inédite provenant de stocks « inécoulables » et avec un taux de chômage de 20 % associé à une perte de compétitivité liée à l’euro et à la spécialisation immobilière qui en a résulté. Par effet domino, ce pays pourrait à son tour faire l’objet d’une très forte défiance et il est alors assez probable que l’Italie serait dès lors affectée.

En préambule de la réflexion, il faut se rappeler que les obligations d’État sont les produits les moins risqués, le taux d’intérêt des obligations de l’État national libellées dans la devise nationale étant supposé être le taux sans risque (de crédit) et le niveau de taux dépendant de la croissance économique et de l’inflation anticipée. Les primes de risque sont censées ne pas exister pour l’État et ne s’appliquer qu’au risque de crédit des émissions corporate. Ces primes de risque corporate correspondent à une probabilité de défaut de telle sorte qu’in fine, l’encaissement du spread vient couvrir en valeur actuelle la probabilité de ne pas être totalement payé. Pour être correctement valorisée, la prime de risque requiert un échantillon statistique de comportement large sur une longue période (d’où les notations…). À la création de l’euro, des primes de risque – faibles – entre les différents titres émis par les États membres ont néanmoins été observées, bien qu’il s’agisse de dettes souveraines. Par leur faiblesse, elles reflétaient l’adhésion au fait que « tous les pays se valaient peu ou prou » et s’inscrivaient dans une logique de convergence, plus ou moins rapide, de prime vers zéro. Mais par leur existence même, elles symbolisaient le fait que les marchés reconnaissaient explicitement que la Grèce n’est pas tout à fait l’Allemagne, sans très bien savoir ce qu’était réellement la différence. En ne définissant pas juridiquement de processus de restructuration de la dette souveraine dans le cadre de l’euro, les créateurs eux-mêmes ont créé ce flou.

Dans cet environnement très incertain, il existe cependant quelques points d’ancrage :

  • la situation est nouvelle et très complexe et le dilemme proche de celui de la fable de l’âne de Buridan : problème financier « insoluble », mais également impasse économique, le recours à la dévaluation pour relancer la machine n’étant pas possible, d’où également une dimension politique de plus en plus forte que ce soit dans les pays endettés comme dans les pays « prêteurs » et à deux niveaux – les gouvernements et les populations –, la singularité du fonctionnement des institutions européennes (unanimité pour de nombreuses décisions) complexifiant encore plus les débats. La première conclusion est que le processus sera lent. Entre la crise mexicaine de 1982 et le plan Brady, il a fallu huit ans avec : moratoire, puis DFA (deposit facility agreement) du montant des tombées d’intérêts et de principal, puis new money (1985, plan Baker) car contraction économique trop forte dans les pays (pour espérer récupérer, il fallait prêter plus), puis de nouveau restructuration des échéances sur plusieurs années (MYDFA – multi-year deposit facility agreement) jusqu’à ce que le niveau des provisions des créanciers et l’intervention des États riches permettent de trouver une solution ;
  • les créanciers sont principalement étrangers : banques et, marginalement, investisseurs institutionnels, mais les nationaux sont également des banques prêteuses. Toute restructuration violente, accompagnée d’une réduction de dette, aurait donc un effet désastreux sur le système bancaire européen (qui sort à peine de la crise), y compris sur celui du pays pratiquant la restructuration. Deuxième conclusion : sauf un risque politique interne majeur (élections populistes dans l’un des PIG – Portugal, Italie, Grèce – ou en Allemagne), le risque de défaut brutal comme celui d’une restructuration violente est faible car tout le monde se tient ;
  • les montants concernés sur ces trois pays sont gérables à la taille de l’Europe, la question est de savoir qui doit faire les efforts de restructuration : les prêteurs privés (donc majoritairement les banques), les populations locales, les États des pays riches et donc la solidarité européenne. La réponse apportée officiellement par l’Europe jusqu’à présent est claire :
  • les États débiteurs doivent engager un processus très dur de retour à l’équilibre comportant des efforts très significatifs et dans la durée sur le niveau de vie des habitants ;
  • les échéances dues aux prêteurs privés jusqu’en 2013 seront bien couvertes par la possibilité pour les débiteurs de tirer sur des lignes de crédit accordées par l’Europe et autres prêteurs supranationaux (FMI), avec ainsi une substitution de créanciers publics à des créanciers privés (la dette est donc en partie « nationalisée ») ;
  • au-delà de 2013, le flou… Les marchés en ont donc tiré la conclusion que le problème n’a pas été traité, mais que les dirigeants politiques ont juste acheté du temps, ce qui n’est pas totalement vrai dans la mesure où une partie significative de la dette aura été transférée aux États riches au pair. L’Europe a effectivement acheté du temps pour définir ce que doit être la solidarité européenne : entre les États, selon la nature des créanciers ou celle des débiteurs (banques locales nationalisées ou non, ou États).

Dans ce contexte très perturbé, il apparaît :

  • que les mécanismes pour les paiements des échéances dues d’ici à 2013 seront très probablement efficients ;
  • que l’issue finale est tout autant politique qu’économique ;
  • qu’en conséquence, les marchés continueront, à juste titre, d'être très nerveux dans les mois et vraisemblablement dans les années à venir ;
  • que la remise en cause des engagements pris par l’Europe sur les échéances antérieures à 2013 ne pourrait provenir que d’une crise politique majeure soit en Allemagne, soit dans un pays emprunteur concerné.

Quelles solutions sont dès lors possibles ?

Le point fondamental réside dans la difficulté à trouver une restructuration de la dette qui soit efficace, c’est-à-dire :

  • qui permette d’enclencher un processus économique vertueux : double problématique de l’euro et de contraction de l’économie interne si la cure d’austérité est trop forte. Comment recréer un processus de croissance économique suffisamment fort pour leur permettre de rembourser in fine la dette, ou plus exactement de la maintenir à un niveau normal, c’est-à-dire où tout le monde se sente en confiance (les prêteurs comme les emprunteurs…) ? Au stade actuel, à part une logique de transfert de richesse des pays riches vers les pays faibles, il n’apparaît pas vraiment de solution sauf à ce que les politiques (au sens large) des pays riches acceptent de subventionner les erreurs du passé et de prêter de nouveau ;
  • qui permette d’enclencher un processus financier vertueux : les taux d’intérêt de la monnaie locale doivent in fine revenir à une logique monétaire, fonction de l’inflation et de la croissance. En effet, un taux de 14 % sur les taux grecs à dix ans signifie que la Grèce n’a plus accès au financement (et non qu’elle emprunte à ce taux-là) !

Restructurations…

Quels types de restructurations peuvent alors être faits ?

  • une restructuration des tombées d’intérêts, de principal, du stock pris à certaines dates… Tout a été fait au cours des trente dernières années. Le choix dépendrait du plan d’ensemble et donc de l’implication des États riches ;
  • avec ou sans haircut : imposer un haircut est évidemment possible, mais supposerait que les créanciers bancaires aient les moyens financiers de le supporter, ce qui est loin d'être évident pour le moment, et que les débiteurs aient les moyens pour une période assez longue de se passer de ces créanciers. Il en résulterait donc que les États riches imposent aux banques le haircut et se substituent à elles pour les prêts futurs…Les probabilités d’occurrences de ce type de restructurations semblent assez faibles car sauf à ce que la dette ait été entre-temps rachetée par la BCE (Banque centrale européenne) ou toute autre forme de nationalisation de la dette, il n’y aurait pas de cercle vertueux : les prêteurs n’auront plus envie de prêter de nouveau et les pays emprunteurs ne résoudront pas leur problème économique de fond. Cependant, cette approche serait retenue si l’Espagne entrait à son tour dans un processus de restructuration, les montants concernés n’étant alors plus gérables sans haircut, c’est-à-dire faire participer les créanciers bancaires et autres obligataires à l’effort de restructuration.

…ou plutôt solidarité européenne pouvant prendre la forme d’un plan Brady à l’européenne

La création d’une solidarité européenne repose sur une solution d’un mix d’efforts. C’est sans doute la voie qui sera empruntée à terme et le traitement de la dette pourrait ainsi être l’occasion d’organiser des transferts peu douloureux entre pays de la zone euro. Depuis quelques mois, les discussions tournent autour du niveau des taux d’intérêt, l’« enrichissement sans cause » des années 2000 lié à l’euro ne peut pas être restitué aux autres pays européens, d’autant plus que d’une certaine manière, les pays riches, et notamment l’Allemagne, ont à l’inverse bénéficié d’une monnaie sous-évaluée au sein de la zone euro. Concrètement, il pourrait s’agir d’une version adaptée du plan Brady qui permettrait une issue économique, financière et politique.

Pour mémoire, rappelons le principe sur le cas du Mexique qui a servi de prototype : après huit ans de restructuration, les banques créancières qui le souhaitaient ont accepté un plan de réduction de dette de 35 % en échangeant en juin 1990 leurs créances bancaires contre des obligations ayant les caractéristiques suivantes :

  • devise en dollars ;
  • maturité trente ans bullet ;
  • garantie en capital : via un zéro coupon émis par le Trésor américain (le taux d’émission du Trésor américain était à l’époque de 9 % et n’avait pas été subventionné par l’État américain), le prix à payer par les Mexicains était donc de 7,5 % pour couvrir un capital de 100 ;
  • coupon annuel à taux fixe de 6,25 %, correspondant à une réduction de dette de 35 % par rapport au taux du trente ans américain ;
  • rolling garantie sur les intérêts de dix-huit mois (via un dépôt du Trésor mexicain dans une banque américaine).

Il convient de noter que le Trésor américain n’a pas fait d’effort particulier (d’autant plus que toutes les banques prêteuses n’étaient pas américaines) ni en faveur des banques créancières (à l’exception d’une politique monétaire sur les taux facilitant les profits des banques), ni pour aider le Mexique (en tout cas pas officiellement), si ce n’est de « faciliter les négociations » (Brady était alors le secrétaire d’État au Trésor américain).

À cette époque, la dette bancaire mexicaine se traitait sur le marché secondaire entre 30 % et 45 % du nominal selon les évolutions des négociations et payait ses intérêts sur la base d’un taux variable.

Au départ, c’est la valeur des garanties externes (capital et dix-huit mois d’intérêt, soit 18 %) qui a rehaussé mécaniquement le prix de 45 % à 63 %, puis rapidement, la dette mexicaine, ainsi transformée en obligations négociables et théoriquement difficilement restructurable (par rapport à des prêts syndiqués), s’est activement traitée sur le marché secondaire avec des primes de risque qui se sont contractées et sans commune mesure avec la décote antérieure de 55 % à 70 %. Le Mexique a pu revenir sur le marché dès 1996, bien que la crise du peso de décembre 1994 (30 % de dévaluation du Cetes) ait failli faire craquer le système. Les Brady bonds ont finalement été rachetés par anticipation par le Mexique en 2010, le taux de 6,25 % étant désormais jugé prohibitif, le Mexique empruntant désormais à vingt ans à 165 points de base au-dessus du Trésor américain…

En ce qui concerne les PIG, le mécanisme à l’européenne pourrait être le suivant : en 2013, échange de tout ou partie du stock contre des obligations garanties en principal par l’Europe à trente ans, amortissement in fine, alors que les échéances courtes auront déjà été nationalisées (sorties du bilan des investisseurs).

Ces obligations émises par le pays concerné, mais avec un capital garanti par l’Europe via l’émission d’un zéro coupon, porteraient un coupon du type « Europe + 1 % » qui resterait en risque sur le pays emprunteur. Comme pour les Par bonds mexicains, elles traiteraient probablement dans un premier temps avec décote, mais le capital étant garanti et le taux d’intérêt nominal « normal », leur prix ne serait sans doute pas très différent de celui d’une dette périphérique à trois ans ou à cinq ans en risque sur capital et intérêt. Rapidement, les pays concernés devraient ainsi pouvoir revenir se financer sur des échéances courtes. Sur le modèle mexicain, avec une garantie d’un an à deux ans de paiement d’intérêt, le spread s’abaisserait rapidement, ce qui permettrait un retour plus rapide au financement par le marché.

C’est par l’intermédiaire du taux de coupon que les banques seraient mises à contribution. Un taux fixe de « Europe + 1 % » sur trente ans serait suffisant en mark-to-market. Avec une valeur de la garantie en capital de 30 %, une valeur actuelle des intérêts à 5 % (si l’on suppose le trente ans Europe à 4 %) actualisée à 8 % (spread normal de la Grèce à trente ans sur les intérêts seulement) serait de 60 %, portant ainsi la valeur totale de l’obligation à 90 % de telle sorte que l’effort des banques serait de 10 %.

Toute solution qui impliquerait un haircut des créanciers obligataires nécessiterait d'être négociée avec lesdits créanciers (et il n’y a pas que des banques européennes…), mais il n’y a pas de cadre juridique pour cela. Au cas où le paiement des simples intérêts s’avérait trop lourd pour un pays, un mécanisme de capitalisation partielle des intérêts des premières années ou toute autre solution d’assouplissement temporaire – dont les ex-PVD (pays en voie de développement) ont été friands dans le passé – pourraient être mis en place.

Par ailleurs, la « nationalisation » des pertes potentielles des banques créancières (l’essentiel de la dette obligataire étant porté par les banques) ne sera politiquement acceptable par les États (riches) que si les banques participent à un effort financier. Ce dernier devra être conséquent et peut s’envisager de deux manières : la première, si la restructuration se fait relativement à froid, pas le biais d’un taux d’imposition sur les bénéfices plus élevés (nous avons sauvé votre compte d’exploitation en subventionnant dans le temps la Grèce, mais on récupère cette subvention par une augmentation du taux d’imposition) ; la seconde, en cas de crise majeure – politique ou financière –, via une nationalisation des banques créancières comme cela fut le cas dans de nombreux pays, y compris l’Angleterre, pendant la crise financière.

L’organisation du transfert de richesse entre pays riches et les PIG pourrait se faire par le biais des taux d’intérêt :

  • le zéro coupon servant de garantie au capital des obligations à trente ans pourrait être émis et donc acheté, par exemple par la Grèce, à des conditions avantageuses pour le prêteur (ici, la Grèce) : par exemple, si l’Europe émet à trente ans avec un coupon de 7 %, le cashà verser par la Grèce ne serait que de 13 %, contre 30 % avec un coupon de 4 % ;
  • pour permettre l’acquisition de 13 % de plus de stock de dette (afin de réaliser l’émission), l’Europe pourrait prêter à un taux très inférieur à son taux d’emprunt (par exemple, 1 % au lieu de 4 %), ce qui reviendrait à faire un cadeau supplémentaire de 10 % à la Grèce qui serait autant de cash disponible pour garantir le coupon annuel.

Cette méthode présente de nombreux avantages :

  • le montant à mobiliser instantanément n’est que de 13 % du montant de la dette à garantir ;
  • l’effort des pays riches est de l’ordre de 26 % (émettre à 7 % au lieu de 4 % et prêter à 3 % au lieu de 4 %) et est étalé sur trente ans (le calage de l’effort nécessaire pouvant alors se faire par le biais des taux d’intérêt) ;
  • la Grèce se retrouve avec un taux annuel de 5 % seulement sur 100 % de sa vieille dette et de 3 % sur 13 % (la nouvelle dette), soit l’équivalent de 5,4 % sur l’ancienne dette et le capital est remboursé à maturité par l’échéance de l’emprunt émis par l’Europe (donc sans effort des Grecs), ce qui réduit singulièrement le poids de la dette aux seuls intérêts sur la totalité du stock ;
  • le transfert de richesse entre la Grèce et l’Europe peut être régulé par des accords dans le temps sur le niveau des taux ou des clauses de retour à une meilleure fortune ou, à l’inverse, d’augmentation du soutien, comme de lier la subvention via les taux en fonction de critères économiques ;
  • politiquement, les Grecs peuvent afficher une dette allégée et les Allemands l’absence d’abandon de créances ;
  • les banques ne se voient pas imposer un haircut, mais un mark-to-market évaluant le risque grec sur les intérêts d’un pays n’ayant plus de stock de principal à rembourser ;
  • les émissions obligataires, désormais garanties en capital par l’Europe, peuvent être acquises sereinement sans décote par de nombreux investisseurs (y compris bancaires), solution qui a été comptablement retenue par de nombreuses banques lors de la création du plan Brady (les banques reprenant les provisions ou le mark-to-market).

Notre analyse prospective, se basant sur une histoire encore récente et à certains égards plus complexe que la situation d’un groupe de pays qui ont accepté d’unir leurs destins financiers à travers une monnaie commune, démontre qu’il est possible de trouver des issues financières et économiques acceptables, et ce, d’autant plus que l’alternative, c’est-à-dire le défaut, serait in fine beaucoup plus coûteuse pour toutes les parties en présence.

Il reste néanmoins à trouver une solution politique. Deux options se présentent : plus de fédéralisme et donc moins de souveraineté nationale pour avoir finalement une dette européenne (les Eurobonds), ou l’éclatement de la zone euro actuelle avec soit la sortie de la Grèce, soit la création de deux monnaies entre les pays forts de l’euro et les pays faibles, la France étant en quelque sorte l’arbitre selon qu’elle choisisse le camp des forts, ce qui signifierait à terme la fin de l’euro, ou d'être le leader des pays du Sud.

Nous faisons le pari que la raison l’emportera et que plus d’Europe, dans le monde globalisé dans lequel nous évoluons, est la voie qui sera in fine retenue.


Notes

Cette réflexion a été menée au mois de mai 2011. Elle est largement présente dans le plan de sauvetage présenté le 21 juillet 2011, en cours d’approbation par les parlements nationaux.
1 Note de l’auteur : l’une des différences principales entre cette réflexion et le plan de sauvetage de juillet 2011 est l’inclusion dans le plan de sauvetage des échéances d’ici à 2013 en contradiction avec les accords antérieurs qui laissaient penser que les financements à court terme étaient protégés. Sur le plan financier cela aura peu d’effets. Par contre, la crédibilité de tout plan ultérieur (grec ou d’autres pays) risque d'être fragilisée à partir du moment où la troïka (FMI, Commission européenne et BCE) peut remettre en cause, pratiquement sans concertation des créanciers, des accords qu’elle avait pourtant approuvés.
2 Abraham Lincoln dans ses correspondances raconte comment la première zone monétaire explosa du fait de conditions économiques qui devinrent tellement différentes entre le Nord et le Sud des États-Unis (pratiquant l’esclavage, les coûts de production n’étaient pas tout à fait les mêmes…). Ne pouvant pratiquer de dévaluation, les tensions furent telles que la guerre de Sécession éclata à l’initiative du Nord ; l’abolition de l’esclavage avait comme objectif de rééquilibrer les conditions de production entre les deux zones (le statut des Noirs donné par le Nord n’était d’ailleurs pas celui des citoyens américains, mais était plus proche de l’indigène de nos DOM-TOM, une voix d’un Noir ne comptant que pour trois cinquième de celle d’un Blanc et leurs droits étaient loin d'être les mêmes…).