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 De la nécessité d'une adaptation de la réglementation sur l'usage de la monnaie électronique : le cas du mobile money dans la CEMAC


Désiré AVOM * Doyen, Faculté des sciences économiques et de gestion, Université de Yaoundé II-Soa ; directeur, Laboratoire de recherche en économie appliquée (LAREA). Contact : davom99@gmail.com.
Honoré BIDIASSE ** Directeur, Groupe de recherche en économie et gestion (GREG), Université de Douala ; chercheur associé, Laboratoire d'économie théorique appliquée (LETA). Contact : honobid72@gmail.com.
Grégory MVOGO *** Chargé de cours, École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC), Université de Douala ; chercheur, LAREA. Contact : mvogogregorypaulin@yahoo.fr.

L'objectif de cet article est de suggérer une évolution de la réglementation sur l'usage du mobile money afin d'en améliorer les gains d'efficacité dans la sous-région CEMAC. Nous montrons que cette efficacité repose sur la nécessité de la coordination des actions, l'établissement de la confiance, la gestion des moyens de paiement et la sécurité. Le nouveau cadre réglementaire doit ainsi migrer progressivement d'une approche institutionnelle vers une approche plus fonctionnelle. Nous admettons que les gains attendus permettront de garantir la stabilité, la fiabilité et l'intégrité du système de paiement, tout en favorisant l'inclusion financière des populations pauvres.

L'émergence des moyens de paiement électronique génère de nouveaux défis prudentiels et juridiques importants. En effet, au-delà des avantages indéniables que leur existence procure, il convient de relever que leur utilisation est porteuse de risques divers, susceptibles de compromettre la stabilité des systèmes bancaires, d'exposer les consommateurs à des abus, tout en favorisant la fraude et le blanchiment d'argent (Godeffroy et Moutot, 2000 ; Mvogo, 2016). Les risques liés au paiement électronique sont nombreux avec des conséquences sur l'intermédiation financière. La pratique des paiements par le truchement des réseaux électroniques s'étend de plus en plus aux agents non financiers (Aglietta et Scialom, 2001 ; Ati et Abdellatif, 2003).

En ce qui concerne le mobile money (MM), il s'agit d'un instrument de paiement non rattaché à un compte bancaire, mais plutôt stocké dans la carte SIM d'un téléphone mobile. Ce service ou application permet aux utilisateurs d'exécuter des ordres de dépôts de transfert de fonds, de payer des factures et de convertir en liquidité de la monnaie électronique à partir des points de vente agréés. Tel que décrit, le MM est un véritable instrument de paiement comparable aux cartes de crédit (Visa, Mastercard, etc.). Parmi ses multiples avantages, le MM promeut l'inclusion financière des personnes exclues des services financiers traditionnels, permet la réduction des coûts de transaction, améliore la gestion de la trésorerie et réduit le temps nécessaire pour la réalisation des transactions (Avom et al., 2021).

Dans la sous-région CEMAC (Communauté économique et monétaire de l'Afrique Centrale)1, son usage s'est amplifié. En effet, le nombre de transactions de MM est passé de 97 millions en 2016 à près de 1 milliard en 2020. Celles-ci sont constituées des mouvements de fonds (recharges, transferts, retraits) et des paiements de services. D'après le rapport de la BEAC (2020), ces différentes transactions sont réalisées à hauteur de 93 % par le truchement du MM. Le même rapport relève que le MM est l'instrument privilégié de transferts de fonds dans la sous-région, représentant 99 % des transactions. Ces transactions électroniques sont pour l'essentiel réalisées hors des circuits bancaires traditionnels exposant le système à de multiples risques dont le MM est susceptible d'amplifier (Bara, 2013).

En effet, l'émission de la monnaie électronique par les non-banques dans une multitude de réseaux interconnectés est une source de partage de risques. De plus, l'immixtion de ces non-banques dans le système de paiement électronique peut rendre complexe les fonctions de contrôle et de supervision des autorités en charge de la gestion des moyens de paiement (Abdallah, 2011 ; Mvogo, 2016). Par ailleurs, la circulation des moyens de paiement dans les supports électroniques est source de risques aussi bien financiers que non financiers dont les plus importants sont opérationnels et juridiques (Lawack-Davids, 2012).

Pourtant, de par ses caractéristiques telles que l'ubiquité, la facilité d'usage (Bidiasse et Mvogo, 2019), le MM est devenu un outil de réduction de l'exclusion financière des populations dans les pays en développement, de même qu'il constitue un moyen d'atteindre l'objectif ultime d'une économie sans signes monétaires. Dans cette perspective, la CEMAC, avec une population estimée en 2017 à 52,8 millions d'habitants environ, a l'un des taux de bancarisation les plus faibles au monde (moins de 20 %) et ainsi qu'une incidence de pauvreté élevée (45 %) (Demirgüç-Kunt et Klapper, 2013 ; Guérineau et Jacolin, 2014). Avec un taux de diffusion de la téléphonie mobile estimé à 89 % (Bidiasse, 2018), la CEMAC présente les caractéristiques favorable à l'expansion du MM. Conséquemment, selon les statistiques produites par le GSMA (2017) et la BEAC (2017), les compagnies de téléphonie mobile de tous les pays de la CEMAC ont adopté un service actif du MM depuis 2011. Cependant, l'émergence de ce service financier demeure atone. Jusqu'ici, le nombre d'abonnés au MM évolue lentement relativement à l'étendue de la population passant de 7,4 millions en 2014 à 30 millions en 2020, soit un taux de pénétration de 39 %. Le volume de transactions réalisées pour la seule année 2017 représente 7 % du PIB de la CEMAC, bien loin des 74 % réalisés au Kenya et des 25 % réalisés dans l'UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine). Ces statistiques révèlent l'existence des contraintes environnementales notamment réglementaires susceptibles d'inhiber le déploiement du MM dans la CEMAC. Pourtant, les questions réglementaires sont un facteur déterminant dans le paysage opérationnel de la plupart des industries de télécommunications (Tagoe, 2016), car une architecture réglementaire favorable et plus accomodante facilite la pénétration du marché (Paelo et Roberts, 2022). Il devient opportun d'adapter le cadre réglementaire dans la CEMAC, afin de le rendre plus apte à satisfaire les exigences du marché, et de permettre aux opérateurs de MM de mettre en place des mécanismes facilitant les transactions financières.

L'intérêt pour les économistes et les autorités réglementaires de proposer une réglementation des services financiers électroniques remonte aux travaux de Lielieveldt (1997) et Randall (1997) qui se sont nourris du développement des terminaux électroniques et des cartes magnétiques. Dans les pays en développement particulièrement, cette nécessité s'est imposée avec la prolifération des services financiers électroniques par téléphone mobile, lesquels ont un impact indéniable sur l'inclusion financière et les conditions de vie de l'ensemble de la population (Nyaga Kariuki, 2014 ; Tagoe, 2016 ; Bernal, 2017). Cette littérature propose une définition des conditions d'efficacité de la réglementation en fonction du contexte de l'étude. À cet égard, l'émergence des services financiers par téléphone impose à la réglementation au moins trois objectifs. Premièrement, assurer la protection des consommateurs face aux multiples risques opérationnels que génèrent les services financiers électroniques, au regard de leur grande diversité (Bara, 2013 ; Tagoe, 2016). Deuxièmement, permettre aux différentes parties prenantes d'évaluer pleinement leur rôle dans le déploiement de leurs stratégies et dans la rédaction des contrats d'affaires (Kemp, 2013). Troisièmement, harmoniser les réglementations propres au secteur financier et celles qui relèvent du secteur des télécommunications, en intégrant aussi bien les différents modèles d'affaires que les différentes formes de monnaie électronique (Nyaga Kariuki, 2014). Toutefois, si ces différentes études ont eu le mérite de proposer un cadre réglementaire visant à renforcer l'efficacité du marché et le développement des paiements électroniques, elles sont restées de portée nationale. Au stade actuel de nos connaissances, aucune étude ne semble avoir été menée à l'échelle d'une union monétaire aux réalités différentes. Ce qui rend complexe la mise en place d'un cadre réglementaire convergent. Cet article vise à combler ce vide en proposant, dans le cas de la CEMAC, un cadre réglementaire adapté à l'activité du MM.

De ce qui précède, cette étude présente trois intérêts. Le premier est l'urgence de définir un cadre réglementaire de fonctionnement du service de MM afin de préserver la viabilité et la stabilité du système financier dans son ensemble (Nyaga Karuki, 2014). Le deuxième est la protection du consommateur dans un environnement concurrentiel tout en garantissant la rentabilité des opérateurs. À titre d'illustration, la diversité des services que le règlement par le MM rend possible (assurance, paiement des frais de scolarité, des factures, collecte des taxes et impôts, transferts internationaux, achat du crédit de communication, etc.) justifie davantage la nécessité d'une réglementation. Le troisième est lié à l'interopérabilité instaurée dans l'usage du MM, et surtout à la mise en place de la portabilité laquelle permet à un client de migrer d'un réseau téléphonique à un autre sans dommage.

Après cette introduction, le reste de l'article est organisé de la manière suivante : la première section présente l'organisation actuelle du secteur de MM dans la CEMAC en mettant en exergue les insuffisances réglementaires. La deuxième section analyse les enjeux alors que la troisième y propose un cadre réglementaire évolué. La quatrième conclut.

Un cadre réglementaire limité

Dans la sous-région CEMAC, le statut d'émetteur de monnaie électronique est dévolu aux seuls établissements de crédit. Ces derniers disposent ainsi d'une légitimité claire, sur la base des textes réglementaires, leur permettant d'offrir les services de monnaie électronique. Ce cadre légal et réglementaire va de l'autorisation à la réalisation des transactions par monnaie électronique.

Le règlement no 01/11-CEMAC/UMAC/CM du 18 septembre 2011 définit les conditions d'exercice de l'activité d'émission de la monnaie électronique. Il clarifie également les rôles des autorités de régulation. D'après ce texte, l'activité d'émission de la monnaie électronique est conditionnée par une autorisation délivrée par la Banque des États de l'Afrique Centrale (BEAC). Il s'agit alors pour le régulateur, d'évaluer le potentiel de développement du réseau du requérant et la maîtrise par ce dernier de la technologie susceptible de garantir des transactions sûres. Les dispositions de ce règlement mettent en avant les exigences à respecter pour être éligible à l'activité d'émission de la monnaie électronique. La lettre d'autorisation de la BEAC garantissant la conformité du dossier du requérant est adressée à l'Autorité monétaire locale, la représentation nationale de la BEAC et la Commission bancaire. Par ailleurs, ce règlement fixe le régime d'émission de la monnaie électronique et les modalités de sa conversion en monnaie fiduciaire ou scripturale, ce qui clarifie les règles de fonctionnement de la monnaie électronique. Sont concernées les opérations de chargement et de déchargement de la monnaie électronique, le paiement et le transfert des unités de valeurs, et la tarification des services. Il définit aussi les règles de clôture du compte monnaie électronique. Ledit règlement fixe in fine le rôle des différents acteurs en charge de la régulation, du contrôle et de la surveillance de la monnaie électronique, en subordonnant les établissements de crédit à fournir, selon la périodicité prescrite, des informations sur l'évolution de l'activité. Il s'agit donc d'un règlement transversal, qui balaye l'ensemble des fonctions de l'activité relative à la monnaie électronique. On constate que les dispositions de ce texte réglementaire s'adressent exclusivement aux établissements de crédits. Cela est compréhensible, puisque malgré l'intervention de nombreux acteurs non financiers dans la création de la monnaie électronique, l'émission de celle-ci reste l'apanage des établissements de crédit. Toutefois, dans la perspective d'une application harmonieuse de ce texte réglementaire, trois instructions ont été émises.

L'instruction No 01/GR/UMAC du 31 octobre 2011 relative à la surveillance des systèmes de paiement par monnaie électronique. Cette instruction vient en application du règlement précédent relatif à l'activité d'émission de la monnaie électronique. En conséquence, elle définit la base juridique et opérationnelle sur laquelle s'appuie la BEAC pour garantir le bon fonctionnement du système d'émission. L'objectif est de s'assurer de la conformité permanente aux conditions d'exercice de la monnaie électronique des établissements autorisés. Ce cadre référentiel de surveillance spécifie, d'une part, l'organisation de la surveillance des établissements assujettis et, d'autre part, les modalités de mise en œuvre de cette surveillance. S'agissant de l'organisation de la surveillance, elle couvre, d'un côté, l'aspect juridique relatif à l'adéquation au régime d'émission de la monnaie électronique et de sa conversion en espèces et, d'un autre côté, l'aspect technique relatif au respect des normes de sécurité et d'efficacité du système d'émission. En ce qui concerne les modalités de mise en œuvre de la surveillance, elle s'effectue sur pièces et sur place. Toutes les missions de contrôle donnent lieu à un rapport, qui est aussi transmis à la COBAC (Commission bancaire de l'Afrique Centrale).

Toutefois, on constate que, telle que définie, cette instruction n'autorise pas explicitement chaque partenaire technique à avoir plus d'un établissement de crédit émetteur de monnaie électronique. Ce faisant, elle a légitimé des situations de quasi-monopole dans l'émission de la monnaie électronique, c'est-à-dire un émetteur pour un partenaire technique. Or l'éventualité d'une pluralité d'émetteurs de monnaie par partenaire peut avoir une incidence sur la tarification de la monnaie électronique et sur le trafic d'usage de ladite monnaie. Pourtant, les autorités monétaires de la CEMAC prendront trois ans pour corriger cette lacune.

L'instruction no 02/GR/UMAC du 07 mai 2014 est relative à la mise en place du multibanking dans le cadre de l'activité d'émission de la monnaie électronique. Celle-ci vise cinq objectifs. Premièrement, elle spécifie les conditions de l'interopérabilité de la monnaie électronique pour des émetteurs ayant un même gestionnaire technique. Deuxièmement, elle vise ainsi à inciter l'apparition des externalités positives aussi bien du côté de l'offre que du côté de la demande, avec la constitution des réseaux d'émetteurs de monnaie électronique. Troisièmement, elle fixe les conditions portant sur les modalités de participation au multibanking qui, par ailleurs, se fait sur demande de l'établissement. En plus de statuer sur les conditions de participation, cette instruction précise les différents acteurs intervenant dans le réseau multibanking, en mettant un point d'emphase sur l'existence d'une banque de règlement, chargée d'assurer la compensation des transactions entre les établissements du réseau. Quatrièmement, elle subordonne ainsi la compensation à l'existence d'un fonds de garantie visant à couvrir les retards et les éventuels défauts de paiement. Cinquièmement enfin, elle définit des dispositions complémentaires relatives à la surveillance de l'activité de monnaie électronique, des obligations de reporting spécifiques au multibanking de l'activité de la monnaie électronique. Cette instruction pose implicitement les bases de l'interopérabilité, d'où l'instruction suivante.

L'instruction no 001/GR/2018 est relative à la définition de l'étendue de l'interopérabilité et de l'interbancarité des systèmes de paiement monétique dans la CEMAC. Elle vise à définir les modalités de fonctionnement aussi bien de l'interopérabilité que de l'interbancarité. S'agissant de l'interopérabilité, elle impose un échange des données entre les adhérents des plateformes sur l'ensemble des transactions réalisées sur un réseau ou sur plusieurs réseaux. Elle édicte également les normes de sécurité à respecter pour l'ensemble des instruments de paiement émis par les fournisseurs de monnaie électronique. Concernant l'interbancarité, elle fixe les modalités de compensation et des règlements des transactions interbancaires. Elle érige la banque centrale en banque de règlement. Par ailleurs, elle fixe les conditions de participation à une plateforme hors CEMAC2. L'une des conditions pour que ce soit possible est de créer un compte de compensation et/ou de garantie libellé en FCFA (francs CFA) ou en euros. Enfin, elle fixe des délais de régularisation à la plateforme, assortis de sanctions en cas de retard.

De manière générale, on peut dire que l'analyse de ce cadre réglementaire présente quelques insuffisances dont trois nous paraissent importantes pour être relevées. Tout d'abord, il consacre la BEAC et la COBAC comme organes de réglementation de l'activité de monnaie électronique, et donc du MM. Pourtant, s'agissant de la COBAC, il est difficile pour elle d'assurer avec une efficacité certaine la fonction de surveillance qui lui est dédiée. Car le dispositif actuel de cette institution la confine à l'encadrement des établissements de crédit, délaissant la gestion des moyens de paiement, laquelle se réduit au ratio de liquidité. Ensuite, le MM, en tant que principale modalité de la monnaie électronique dans la sous-région, est diffusé à travers le modèle collaboratif banques-opérateurs de téléphonie mobile. De ce fait, toute la partie technique échappe à l'actuel régulateur et est sous le contrôle d'un autre régulateur. Enfin comme le précise le Groupe d'action contre le blanchiment d'argent en Afrique Centrale (GABAC, 2017), ce cadre réglementaire ne dote pas le régulateur de mécanisme de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme par le canal du MM. Ces insuffisances non exhaustives justifient l'urgence d'une évolution réglementaire du MM dans la sous-région CEMAC.

La définition du cadre réglementaire de l'activité de la monnaie électronique dans la CEMAC a visé à élaborer l'ensemble des règles du jeu conditionnant l'entrée sur le marché et affectant les stratégies des acteurs sur celui de la monnaie électronique. Ce cadre réglementaire a visé deux objectifs majeurs. D'une part, garantir la maîtrise des risques opérationnels dans l'émission de la monnaie électronique. D'autre part, promouvoir l'interopérabilité des réseaux de monnaie électronique.

Il s'agit dans un premier temps de circonscrire les risques opérationnels liés à l'activité de la monnaie électronique, les autorités monétaires ont opté pour un modèle collaboratif dans lequel les banques émettent la monnaie électronique en s'appuyant sur un partenaire technique qui se trouve être ici un opérateur de téléphonie mobile3. Ce dernier assure la distribution de la monnaie électronique et ne reçoit l'argent que pour effectuer des transferts et des paiements à la demande du client. L'avantage d'une telle configuration réside dans la limitation des entrées des agents véreux dans le marché de la monnaie électronique et l'assurance d'un service sécurisé. Ainsi, les autorités, à chaque demande d'émission de la monnaie électronique, évaluent le potentiel de développement du réseau du requérant et la maîtrise par ce dernier de la technologie susceptible de garantir des transactions sûres. Toutefois, cette association banque-opérateur de téléphonie mobile a permis à la banque centrale d'être cohérente avec la réglementation prudentielle en place, laquelle intègre uniquement les institutions de dépôt. Or, par définition, la monnaie électronique n'est pas une monnaie de dépôt. Elle est ici une valeur monétaire stockée dans un support technologique contrôlé par des agents non financiers évoluant hors de la compétence de supervision de la banque centrale. Il devient donc nécessaire d'élaborer une réglementation non prudentielle afin de gérer les risques technologiques non pris en compte par le premier règlement de la BEAC régissant l'activité de monnaie électronique.

Il s'agit dans un deuxième temps de mettre en place par la BEAC des actions visant à favoriser l'interopérabilité de la monnaie électronique et donc de favoriser l'inclusion financière4. Afin d'éviter des situations de quasi-monopole qui se dégageaient avec les premiers textes réglementaires et afin de rendre le marché de la monnaie électronique contestable, les autorités monétaires ont prescrit le multibanking aux différents opérateurs de téléphonie mobile, c'est-à-dire le fait pour un opérateur de téléphonie mobile d'être partenaire technique de plus d'une banque émettrice de monnaie électronique. De plus, ces opérateurs de téléphonie mobile se doivent de distribuer la monnaie électronique au-delà de leur réseau. En effet, les opérateurs de téléphonie mobile disposent d'un avantage capital : ils disposent d'une expérience dans la gestion d'un grand nombre de transactions ayant une valeur individuelle. À cet égard, ils peuvent offrir la monnaie électronique en toute sécurité, tout en dégageant des économies d'échelle par rapport aux banques, et éviter des situations de niches de la clientèle propres aux stratégies bancaires. Il s'agit donc de permettre aux usagers d'effectuer des transactions au-delà du réseau de leur fournisseur de services. Ils doivent être capables de choisir leurs fournisseurs en évaluant l'offre qui leur convient le mieux, en tenant compte, entre autres, des prix et de la possibilité d'effectuer des transactions avec un plus grand groupe d'individus ou avec ceux avec lesquels ils interagissent davantage. C'est sans doute pour toutes ces raisons qu'il a été recommandé aux prestataires de services de monnaie électronique de prendre des mesures pour ajouter de la valeur à leurs réseaux et d'attirer les clients soit en différenciant les produits, soit en réduisant les prix offerts. Toutefois, dans le contexte de la CEMAC, les régulateurs n'ont pas pu assurer que l'interopérabilité technique était réalisable à un faible coût. Ce qui a entraîné la consolidation de la position dominante de l'opérateur leader ; l'exemple du Cameroun est à cet égard illustratif.

Le MM dans la CEMAC :
les défis de la réglementation

D'après la description de Chaix et Torre (2015), les paiements mobiles sont offerts dans les pays en développement suivant le modèle collaboratif. C'est le même modèle qui a été retenu dans la sous-région CEMAC, où les établissements de crédit offrent le MM en partenariat avec les opérateurs de télécommunications. Dans ce modèle, chaque partenaire concentre ses efforts sur ses propres compétences et connaissances, avec pour objectif une minimisation des coûts d'exploitation. Dans ce contexte, de nombreux enjeux doivent être relevés pour assurer un fonctionnement optimal du service MM. Il s'agit dans ce cas de la coordination des actions dans le cadre d'une autorité de réglementation, de l'établissement de la confiance, de la gestion des moyens de paiement et de la sécurité.

L'enjeu de la coordination des actions peut être perçu à travers deux dimensions : la tarification des services et l'exclusivité des transactions. La première dimension est relative à la tarification des services. Elle pose problème dans la mesure où l'offre du MM implique l'intervention des établissements de crédit et des opérateurs de télécommunications. Deux acteurs qui appartiennent à deux secteurs distincts ayant chacun son modèle d'affaires. La structure oligopolistique peut amener les opérateurs de téléphonie mobile, en raison de leur base de données, à facturer des frais plus élevés au détriment des consommateurs, d'une part, et, d'autre part, à se focaliser sur des niches de consommateurs. À titre d'illustration, dans le domaine des communications électroniques, le Gabon a vu son marché se concentrer avec la fusion en 2016 de Moov Africa et Airtel Gabon. À l'évidence, si la diminution du nombre d'opérateurs de télécommunications permet de générer des économies d'échelle, elle peut néanmoins être à l'origine d'une augmentation des tarifs. On peut donc s'attendre à une accentuation de l'exclusion financière et, partant, à une certaine atonie dans la diffusion du MM dans la CEMAC.

En ce qui concerne la seconde dimension, il faut dire que le MM est distribué par plusieurs compagnies de téléphonie mobile, chacune ayant une exclusivité dans la réalisation des transactions. À titre d'exemple, dans le cas du Cameroun, il n'est pas possible pour un abonné Orange money de réaliser toutes les transactions possibles dans le réseau MTN mobile money, alors que les usagers sont abonnés à Orange ou MTN en fonction des avantages offerts. Cette exclusivité des transactions MM donne l'impression que ces réseaux sont disjoints, ce qui va à l'encontre de l'interopérabilité. Dès lors, l'effet de réseau, pourtant nécessaire à la diffusion de ce service, ne peut pas être mis à profit. Dans ces conditions, les opérateurs de téléphonie mobile peuvent indûment s'engager dans des activités qui ne relèvent pas de leurs compétences, comme, par exemple, le domaine des assurances. L'unité de gestion du MM au sein de ces opérateurs de téléphonie fonctionne finalement comme une institution financière à part entière.

En conséquence, la coordination des actions nécessite la mise en place d'une réglementation conjointe entre les autorités bancaires et celles en charge des télécommunications, afin de garantir une meilleure tarification, de définir les conditions de l'interopérabilité dont l'absence contribue à renforcer la position dominante du plus grand opérateur de téléphonie mobile et, en fin de compte, de favoriser l'inclusion financière.

Pour garantir la confiance, deux problèmes doivent être résolus en permanence. Le premier, la liquidité des points de vente et la qualité de réseau de télécommunications. Le premier est relatif à l'illiquidité des points de vente des services à laquelle sont confrontés les usagers du MM. En effet, cette lacune entame considérablement la confiance de nombreux consommateurs, qui doivent alors supporter d'autres coûts de transaction du fait de la recherche d'un point de vente plus liquide. Ces coûts supplémentaires rendent le service davantage onéreux pour les ménages pauvres notamment. En zone rurale plus particulièrement, ces coûts additionnels conduisent les ménages à opter pour des solutions alternatives. La conséquence de cet état de fait est une augmentation du nombre d'abonnés inactifs. Pourtant, comme observé bien avant en Afrique de l'Est, les points de vente plus liquides jouent un rôle considérable dans la diffusion du MM.

Le second problème concerne la mauvaise qualité du réseau de télécommunications qui ne facilite ni ne garantit une meilleure transmission des ordres de paiement. Les bugs de réseau peuvent conduire à des incidents de paiement, ce qui limite la possibilité d'une extinction instantanée des dettes. De plus, la qualité insuffisante du réseau peut entamer la confiance des clients et surtout celle de ceux qui ne maîtrisent pas suffisamment la technologie. Le nouveau cadre réglementaire se doit ainsi d'exiger des caractéristiques technologiques (nombre de giga) nécessaires pour garantir la sécurité et d'éviter les problèmes de piratage récurrents dans la sous région CEMAC. Ce sont ces gages préalables qui peuvent conférer aux points de vente une fonction de relais dans la distribution du MM, et garantir la confiance des ménages vis-à-vis de cet instrument innovant de paiement.

En ce qui concerne l'enjeu juridique, celui-ci est perceptible lorsque survient un incident de paiement dans l'usage du MM. À titre d'illustration, deux cas de figure peuvent être évoqués. Dans le fonctionnement actuel du MM, il existe un vide juridique dans la gestion du décès d'un abonné. En effet, il n'existe pas de procédure explicite qui autorise un ayant-droit à rentrer en possession des fonds lorsque décède le titulaire d'un compte MM. Il n'existe pas non plus de voies de recours en cas de doute.

La question de l'extinction de la dette est également préoccupante. Pour le montrer, envisageons deux situations : un usager règle sa facture d'achat par MM, mais le créancier affirme n'avoir pas reçu le mandat ; un abonné de la compagnie d'électricité règle sa facture par MM, mais fait face à une suspension d'abonnement parce que la compagnie n'a pas reçu le paiement de la facture. Dans les deux cas de figure, il n'y a pas extinction de la dette et, en l'état actuel du fonctionnement du MM, aucune voie de recours n'est prévue pour la ou les parties lésées dans ces transactions financières. Par conséquent, la réglementation doit proposer des mécanismes susceptibles de prévenir ce type d'incident lors de l'usage du MM.

Enfin, la dépendance du service du MM vis-à-vis du réseau de télé communications et des équipements informatiques met en évidence l'importance de la sécurité. En l'occurrence, la protection des données personnelles des clients, la maîtrise du décryptage de celles-ci et la gestion des bugs informatiques sont autant de défis relatifs à la sécurité du MM.

C'est fort de ces enjeux multiples que nous suggérons un cadre réglementaire élargi permettant de garantir un fonctionnement optimal du MM.

Proposition d'un cadre réglementaire du MM

Les insuffisances du cadre légal évoquées plus haut ne permettent pas au MM d'exploiter pleinement son potentiel en tant qu'instrument de paiement et d'inclusion financière. Par ailleurs, le modèle actuel de la réglementation des services MM implique plusieurs autorités de surveillance (BEAC, COBAC et ART), ce qui est source d'inefficacité à cause d'un chevauchement de la réglementation. Une telle approche institutionnelle est à l'évidence insuffisante.

Pour enclencher la dynamique vertueuse, un cadre réglementaire efficient doit intégrer toutes les parties prenantes de l'offre MM. Pour y arriver, on doit migrer progressivement de l'approche institutionnelle jusqu'ici implémentée vers l'approche fonctionnelle. Cette dernière consiste à appréhender tous les fournisseurs de services financiers mobiles, aussi bien les banques que les non-banques, en ceci qu'elle met l'accent sur la responsabilité fonctionnelle. De par cette approche, la banque centrale supervise toutes les institutions fournissant le MM, tout en gardant un contrôle sur l'évolution du marché et en garantissant des règles équitables du jeu à tous les fournisseurs et distributeurs. En droite ligne de cette approche, laquelle intègre les risques opérationnels plus prégnants, certaines fonctions du MM nécessitent des relations contractuelles régies par le droit commercial, tandis que d'autres requièrent des mécanismes spécifiques de réglementation. Précisément, le cadre réglementaire à définir doit davantage assurer la conduite de l'activité d'offre des services financiers sur mobile. L'accent doit être mis sur la protection du consommateur, la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme et les perspectives de développement de ce service.

Les fonctions qui relèvent du droit commercial

Il s'agit des fonctions de conversion de monnaie et de réserve de valeurs. La conversion de monnaie consiste à un échange dans les deux sens, soit des unités électroniques vers le cash, soit du cash vers les unités électroniques. Cet échange s'effectue par le truchement de deux canaux de distribution. Le premier, interne, est contrôlé par l'opérateur MM. Le second est constitué par le réseau de partenaires distributeurs. Cet échange présente un risque de fraude qui est lié aux activités de piratage ou de décryptage des informations confidentielles au cours des transactions MM. Cette fonction doit être régie par le droit commercial, du fait de la mise en œuvre, lors du fonctionnement du MM, par au moins trois types de contrats. Un premier contrat lie le client final au point de vente. Le second lie le point de vente au grossiste MM. Le troisième lie les points de vente, les grossistes et l'opérateur de télécommunications. Il apparaît ici que le risque financier est inexistant et, dans ce cas, une réglementation prudentielle est inopportune mais plutôt une obligation de définir un cadre juridico-légal visant à assurer la protection des données personnelles des ménages.

En revanche, en assurant la conversion monétaire et en permettant la réalisation des transactions à distance, le MM peut affecter la vitesse de circulation de la monnaie. Par conséquent, en vue de sauvegarder la stabilité du système financier, les autorités monétaires doivent avoir un droit de regard sur l'évolution des transactions via le MM. Dans ce contexte, étant donné que les transactions MM sont parfaitement traçables et transparentes, les autorités monétaires doivent exiger, en temps réel, une transmission régulière des données de la part de l'opérateur mobile, pour des besoins de politique monétaire5.

Le MM permet aussi aux agents économiques de mettre en réserve leurs fonds, dès lors qu'ils sont détenteurs d'un compte MM. Contrairement au modèle chinois décrit par Torre et Xu (2019), ici aucun intérêt n'est versé aux ménages qui stockent sous forme électronique leurs encaisses, ces derniers y ont recours comme un lieu sûr pour déposer leur argent et éviter des situations désagréables (agressions, vols et perte). Dans ce cas, le MM leur sert d'encaisse courante que le ménage peut disposer à chaque instant à sa demande. Grâce à cette fonction de mise en réserve, le MM permet aux agents économiques d'optimiser leur gestion de la liquidité. Mais cette fonction présente également un certain nombre de risques : ceux liés aux erreurs de saisie des informations lors des transactions, et ceux associés au vol et à la perte d'argent. Pour protéger les consommateurs vis-à-vis de ces risques, et en s'inspirant de la réglementation prudentielle, les autorités monétaires doivent assurer la sauvegarde de l'intégrité du MM. Ils doivent aussi instaurer un système de récupération des données des clients MM en cas de perte du téléphone, de piratage, d'erreur de transaction et même de décès. Cette protection des données va permettre de réduire les frictions informationnelles sur le marché, faciliter les transactions, renforcer la confiance des consommateurs vis-à-vis du système et enfin accroître l'utilité sociale (Spencer, 2021).

Un tel système peut être une entité entièrement à part, indépendante des opérateurs MM (qui sont encore les compagnies de téléphonie mobile). Il pourrait, le cas échéant, être logé à la banque centrale, puisqu'il implique tous les opérateurs et les banques partenaires à l'offre du MM. De plus, la centralisation de ce système permet aux opérations de compensation d'être réalisées avec plus de facilité. Enfin, cette centralisation peut permettre de lutter plus efficacement contre le blanchiment d'argent et éventuellement le financement du terrorisme.

Les mécanismes spécifiques

Les services MM qui nécessitent un mécanisme spécifique de réglementation sont les dépôts et les retraits de fonds, les transferts de fonds, le paiement des factures et l'accès à l'information sur le compte.

Le transfert de fonds par MM constitue l'un des services les plus sollicités par les usagers, d'autant plus que les populations à revenus modestes sont les plus concernées. Mais il pose de nombreux risques liés à la forme électronique de cette monnaie. En effet, les erreurs dans la transmission des données (c'est-à-dire un numéro erroné, un oubli du mot de passe) et les erreurs de comptabilisation se traduisant par des écarts de solde sont autant de risques qui mettent à mal la fiabilité du système MM. Pour s'en prémunir, la réglementation doit s'orienter vers un meilleur fonctionnement du marché du MM et la gestion des situations d'arbitrage. En effet, l'instauration de la portabilité et de l'interopérabilité est potentiellement porteuse des situations dont il va falloir établir la responsabilité. En conséquence, la mise en place d'un organisme de compensation va prévenir les situations de débordement et garantir la stabilité du marché de la monnaie électronique.

La spécificité de la réglementation est liée à ce que, dans la CEMAC, la baisse des coûts de transaction va induire d'importants flux de transferts des fonds aussi bien à l'intérieur de la sous-région qu'à l'extérieur ; les transferts de fonds des migrants étant plus importants. Or les textes réglementaires actuels n'intègrent pas le MM dans le transfert de fonds à l'international. Pourtant, ces mouvements de fonds peuvent avoir une incidence sur la politique monétaire et le taux de change de l'espace économique qui les reçoit au vu de leur rythme effréné et volatil (Mandelman, 2012). Nos économies étant fortement dépendantes des transferts de fonds des migrants puisque ces derniers viennent soutenir la consommation des récipiendaires, une augmentation des transferts de fonds va conduire les autorités monétaires en régime de change fixe à adopter des mesures de politiques visant à éviter les mésalignements. En effet, une augmentation des transferts de fonds des migrants va conduire à une appréciation du taux de change. Conséquemment, le banquier central va chercher à atténuer la hausse du taux d'intérêt implicite afin de contenir l'appréciation du taux de change. Seule une étude approfondie de l'impact des transferts de fonds sur le taux de change dans la CEMAC permettra de définir clairement les mécanismes de contrôle des transferts via le MM. Quelle qu'en soit l'incidence, la réponse politique et institutionnelle reste indispensable pour accompagner le développement du marché des transferts de fonds à travers le MM. A priori, Nefzi et al. (2020) pensent qu'inciter les ménages récipiendaires à épargner et ou à investir réduirait significativement le risque d'inflation importée et d'appréciation du taux de change.

De plus, cette possibilité de transferts de fonds à l'international doit conduire à une collaboration entre autorités réglementaires afin de garantir des exigences et des normes cohérentes dans les transferts de fonds par MM et aligner le cadre réglementaire de la sous-région avec les cadres réglementaires des autres régions du monde.

En ce qui concerne le règlement des factures par MM, il convient de relever que ce service est plus avantageux que le règlement des factures par le système bancaire traditionnel, du fait de l'instantanéité de la transaction, sous réserve de l'effectivité de l'interopérabilité. Toutefois, cet avantage est aussi source de problèmes, semblables à ceux évoqués lors du transfert de fonds. Car les donneurs d'ordres, comme les receveurs, ont besoin d'une confirmation que la transaction a été effectivement réalisée. D'où l'émergence des risques de piratage, d'erreur dans la transmission des données, des retards dans la transmission des ordres de paiement. Les mécanismes spécifiques de réglementations doivent prévoir un système qui assure l'intégrité de ce processus. Il s'agit précisément d'identifier les parties impliquées, d'instaurer des mots de passe spéciaux, de renforcer la protection des informations par la mise en place de techniques de cryptage, de pare-feux, etc. Il est donc recommandé aux autorités réglementaires de créer un département chargé de la protection des consommateurs et de la conduite de marché, dont le rôle serait de fournir un mécanisme de recours pour les consommateurs dans le cadre des transactions MM et les protéger contre les comportements opportunistes et illégaux des fournisseurs de services MM.

Conclusion

L'émergence des paiements électroniques utilisant l'infrastructure de la téléphonie mobile est une innovation permettant de faciliter l'inclusion financière des populations pauvres, mais elle s'accompagne des risques multiformes dans son fonctionnement. L'intervention de l'État est plus que nécessaire, compte tenu non seulement de la présence des rendements croissants liés aux infrastructures de télécommunications, mais aussi de la naissance des risques nouveaux en raison de l'immixtion de nombreux agents non financiers dans le système bancaire traditionnel. L'objet de cet article était de faire des propositions amélioratives du cadre réglementaire existant, manifestement insuffisant, afin de faire émerger des gains d'efficacité attendus de l'usage du MM dans la CEMAC.

Il ressort de cette analyse que la fonction de surveillance attribuée à la BEAC et la COBAC ne peut pas être réalisée avec efficacité, puisque son dispositif actuel la confine à l'encadrement des établissements de crédit, délaissant de fait la gestion des moyens de paiement. De plus, toute la partie technique est sous le contrôle d'une autre institution, à savoir l'autorité de régulation des télécommunications. Enfin, ce cadre réglementaire ne dote pas le régulateur de mécanisme de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme par le canal de la monnaie électronique et donc du MM.

Nous proposons la prise en compte des différents enjeux de la réglementation du MM que sont, la coordination des actions, l'établissement de la confiance, la gestion des moyens de paiement et la sécurité, que le cadre réglementaire migre de l'approche institutionnelle jusqu'ici implémentée vers l'approche fonctionnelle. Il s'agit précisément de privilégier deux types de fonctions. Les premières nécessitent des relations contractuelles qui doivent, par conséquent, être régies par le droit commercial. Les secondes requièrent des mécanismes spécifiques de réglementation. Dans cette perspective, si les fonctions de conversion de monnaie et de réserve de valeurs appartiennent à la première catégorie, les dépôts et les retraits de fonds, les transferts de fonds, le paiement des factures et l'accès à l'information sur le compte nécessitent inéluctablement une réglementation spécifique. En tout état de cause, le cadre réglementaire à définir doit davantage assurer la conduite de l'activité d'offre des services financiers sur mobile, en mettant un accent particulier sur la protection du consommateur, la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme et les perspectives de développement de ce service. Un tel cadre réglementaire pour le MM est susceptible de garantir la stabilité, la fiabilité et l'intégrité du système de paiement, tout en favorisant l'inclusion financière des populations défavorisées.

Nous soutenons que toute réglementation doit se situer dans une dynamique d'évolution, afin de s'adapter aux mutations rapides du système financier et pérenniser les gains d'efficacité recherchés. À titre d'illustration, un objectif pourrait être de promouvoir une transformation des comptes MM en comptes courants bancaires, ce qui permettrait aux usagers de réaliser des opérations d'investissement avec plus de facilités et de sécurité.


Notes

1 La CEMAC comprend six pays à savoir le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République Centrafricaine et le Tchad.
2 Le 19 juin 2017, le gouverneur de la BEAC invite les banques en activité dans la CEMAC à cesser toutes opérations de transfert de fonds à l'international dans le cadre des activités de monnaie électronique, par le canal de (leurs) partenaires techniques.
3 Le règlement no 01/11-CEMAC/UMAC/CM du 18 septembre 2011 définit les conditions d'exercice de l'activité d'émission de la monnaie électronique.
4 L'instruction no 001/GR/2018 est relative à la définition de l'étendue de l'interopérabilité et de l'interbancarité des systèmes de paiement monétique dans la CEMAC.
5 Cette recommandation est déjà présente dans les travaux de Mvogo (2016).

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