Revue d’économie financière REF 149
Les monnaies numériques et les cryptoactifs
Les monnaies numériques et les cryptoactifs
Introduction Accès gratuit
Les cryptos : la bienveillance coupable des régulateurs
Alors que le secteur dit des « cryptos » s'est vendu comme une alternative aux failles de notre système bancaire, financier et monétaire, nous constatons qu'après plus de quatorze ans d'existence, ce marché crée plus de problèmes qu'il n'offre de solution. Fraudes, blanchiment d'argent et faillites n'ont cessé de se multiplier, notamment du fait d'une régulation quasi inexistante, ou plutôt d'une réglementation complaisante.
Il a en effet été décidé politiquement de privilégier un cadre incitatif favorable au développement du secteur des cryptos au détriment de la protection du consommateur. C'est ce choix que nous qualifions de regulation washing : une réglementation existe, mais elle ne protège pas. Le consommateur peut donc être induit en erreur.
L'analyse montrera ainsi, d'une part, que le double standard français (enregistrement et agrément) introduit par loi PACTE s'avère au mieux contre-productif et au pire dangereux, et que, d'autre part, au niveau européen, si le règlement MiCA est certes plus complet, il entérine néanmoins la création d'une législation spécifique.
Si nous souhaitons réellement réglementer ce secteur, donner au superviseur les moyens d'agir et protéger les consommateurs, il faut abandonner le double standard français et la philosophie conduisant à une législation spécifique.
État des lieux
L'industrie crypto française et européenne : les nouveaux bâtisseurs de monnaies numériques
Depuis plus d'une décennie, les technologies blockchain et les cryptoactifs sont au cœur d'un changement de paradigme général. En rendant à l'utilisateur la propriété et le contrôle de ses actifs, de ses données et de la valeur qu'il crée dans l'univers numérique et en lui permettant d'en disposer comme il le souhaite en toute autonomie, « la crypto » nous fait basculer en quelques années vers le nouveau référentiel du Web3. Un référentiel dont la première brique, le bitcoin, a immédiatement posé les jalons de nouvelles modalités d'échange nativement numériques.
Dans le présent article, nous peindrons le paysage de l'industrie française et européenne des cryptoactifs et dresserons le portrait de ses parties prenantes privées et publiques, ainsi que les travaux déjà accomplis afin d'appréhender et s'approprier cette innovation. Nous montrerons ainsi que si la France et l'Europe ont très tôt engagé le chantier réglementaire autour de ces nouvelles monnaies numériques, beaucoup reste à faire pour lever les freins à leur développement. Nous présenterons ensuite les trois formes de monnaies numériques – les cryptomonnaies, les stablecoins et les monnaies numériques de banque centrale – qui s'inscrivent chacune dans la transformation profonde en cours de l'économie et de la finance mondiales.
Les fausses promesses de Terra-Luna
Cet article présente les caractéristiques des stablecoins algorithmiques en distinguant ceux comme Terra-Luna, dont l'actif de référence a une valeur endogène, de ceux pour lesquels le prix de cet actif est exogène et indépendant du protocole mis en place. À partir d'une modélisation simple du processus, nous montrons que le schéma retenu pour Terra-Luna s'apparente à un schéma de Ponzi, du fait d'une promesse de rémunération des apports impossible à tenir. Cependant, si l'on corrige cette « fausse promesse », un stablecoin algorithmique peut apporter à ses porteurs une plus grande stabilité que celle de Bitcoin par exemple, ce qui le rend plus attractif. Cela reste toutefois un actif risqué, dont on ne peut garantir la stabilité sur une longue période, même en l'absence d'une attaque spéculative.
Enjeux et promesses des stablecoins décentralisés
Cet article propose une analyse économique des stablecoins mettant en évidence les liens avec la finance traditionnelle. Même s'il existe des stablecoins dont l'arrimage est garanti par un tiers de confiance, cet article se concentre principalement sur les stablecoins gérés directement par un système d'incitations sur une blockchain décentralisée. Nous mettons en évidence les enjeux de gouvernance et de liquidation des stablecoins décentralisés, qui sont au cœur du système de maintien de leur valeur. Enfin, nous discutons des risques associés à ces stablecoins, notamment les mécanismes entraînant une perte de stabilité.
Monnaies numériques de banque centrale : une mise en perspective des travaux à travers le monde
Les réflexions et les travaux relatifs à l'émission de monnaies numériques de banque centrale (MNBC) ont connu une accélération marquée ces dernières années, à la faveur de la numérisation de l'économie et de la baisse de l'utilisation des espèces pour les paiements, mais aussi de l'émergence des cryptoactifs et des possibilités ouvertes par la tokenisation des actifs financiers. Cet article propose une mise en perspective historique et géographique des travaux des banques centrales sur la MNBC. La perspective historique montre que certaines banques centrales s'étaient initialement concentrées sur la MNBC de détail (destinée au grand public), alors que d'autres centraient leurs travaux sur la MNBC de gros (interbancaire), mais que l'annonce par Facebook de son projet Libra a déplacé le balancier en faveur de la MNBC de détail. Toutefois, on observe dans la période récente un regain d'intensité des travaux sur la MNBC de gros. La perspective géographique montre qu'aujourd'hui, 90 % des banques centrales font état de travaux sur la MNBC. Un tour d'horizon, nécessairement sélectif, de ces travaux illustre la diversité des motivations, des contextes et des approches, mais aussi une convergence sur un certain nombre de principes fondateurs.
Technologies des stablecoins et monnaies numériques de banque centrale
L'association de la connectivité internet et de la confiance numérique intégrée est en train de rebattre les cartes du monde des paiements. Un nouveau monde s'ouvre via l'utilisation croissante des distributed ledger technologies dans de nombreuses applications financières.
Cet article présente les cryptomonnaies, les monnaies stables et les monnaies numériques des banques centrales sous un angle technique et de cas d'usages.
Il discute de la programmabilité, c'est-à-dire de la manière d'automatiser l'utilisation des transactions, de la stabilité, c'est-à-dire de la garantie de la valeur de stockage de ces nouveaux actifs, de l'interopérabilité, c'est-à-dire de la manière dont nous pouvons facilement les relier et les combiner, et de l'utilisation générale de ces nouvelles infrastructures.
Perspectives et interrogations
Un euro numérique est-il légal ?
Cet article examine les conditions de légalité, au regard du droit européen, d'émission d'un euro numérique par la Banque centrale européenne. Après avoir rappelé et examiné les différents textes potentiellement utilisables, et discuté de la nature juridique d'un euro numérique et de la notion de cours légal au regard de ces mêmes textes, l'article estime qu'il serait préférable de modifier au minimum les statuts de la BCE, et idéalement de procéder à une modification de l'article 128 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) afin d'éviter un risque juridique de contestation de la légalité du pouvoir de la BCE.
Concevoir une monnaie numérique de banque centrale : partenariat public-privé et complémentarité avec les espèces
L'introduction d'une monnaie numérique de banque centrale (MNBC), de détail pour les particuliers ou « de gros » pour les transactions interbancaires, soulève la question des bouleversements que cette nouvelle forme de monnaie de banque centrale pourrait apporter à l'écosystème des paiements. Au travers de l'exemple du projet Eurosystème de l'euro numérique « de détail », le présent article montre que le modèle traditionnel de la monnaie et son architecture à double étage, avec la monnaie de banque centrale (les espèces et les dépôts des banques commerciales auprès de la banque centrale) et la monnaie de banque commerciale, est préservé. Grâce à une distribution des rôles et des dispositifs appropriés pour sa mise en œuvre, cette nouvelle forme de monnaie de banque centrale sera complémentaire aux autres formes de monnaie. L'introduction d'une MNBC « de gros » a pour sa part vocation à continuer d'offrir l'actif de règlement le plus sûr dans le cadre de la finance « tokenisée ».
Comment les stablecoins et les MNBC peuvent rebattre les cartes dans les services financiers et les paiements
La technologie des blockchains rend possible une nouvelle économie dite « économie tokenisée », avec des actifs numériques d'un nouveau type. Mais le monde « tokenisé » est encore peu mature dans ses dimensions technologiques, légales, réglementaires, et aussi ses usages, avec des enjeux encore nombreux : cybersécurité, partage et protection des données, sujets technologiques d'interopérabilité et de mise à l'échelle (scalabilité), tentations de forte recentralisation par certains acteurs publics ou privés, impacts systémiques mondiaux (financiers, environnementaux, sociaux), besoin d'éducation et d'accompagnement de l'évolution des compétences. Si le champ d'application des blockchains est très large, les premiers cas d'usages se développent dans les services financiers et les paiements, où les technologies décentralisées semblent présenter un fort potentiel. Les banques ont des places à y prendre pour construire les fondamentaux de cette nouvelle économie ; elles sont légitimes et peuvent y assurer la sécurité, la confiance et l'interopérabilité entre solutions nouvelles et traditionnelles. En dépit des incertitudes réglementaires et d'un manque de maturité technologique, elles doivent commencer à expérimenter et prendre place, car pour elles comme pour les autres acteurs économiques, ne rien faire n'est pas une option.
Réglementer les émetteurs de stablecoins adossés à des actifs
Malgré la nature expérimentale de la blockchain sur laquelle les stablecoins sont émis, l'activité des émetteurs de stablecoins basés sur des actifs « off chain », tels que Tether (USDT), Circle (USDC) et Binance (BUSD), n'est pas nouvelle ou innovante. Nous montrons que la composition des actifs de USDC et BUSD ressemble aux fonds monétaires de dette publique à valeur liquidative constante. En revanche, la composition des actifs d'USDT, le plus grand stablecoin qui investit dans des billets de trésorerie et des actifs risqués, ressemble à celle d'un fonds à valeur liquidative variable, tout en promettant une valeur liquidative constante, ce qui a été interdit dans l'Union européenne à la suite de la crise financière mondiale. Le règlement sur les marchés des cryptoactifs étend le champ d'application de la directive sur la monnaie électronique aux stablecoins. Cependant, aucun des émetteurs de stablecoins présentés dans cet article ne pourrait prétendre à la licence d'établissement de monnaie électronique, car ils ne permettent pas les rachats individuels, sont peu susceptibles de respecter le ratio de fonds propres de 2 % et ne détiennent pas 30 % de leurs fonds sur un compte séparé dans un établissement de crédit. Par ailleurs, le nouveau règlement ne permet pas aux émetteurs de stablecoins d'opérer avec une licence de fonds monétaire.
Usage et régulation des stablecoins dans les paiements
Les stablecoins offrent des infrastructures de paiement ouvertes et mondiales dont le modèle et les technologies sous-jacentes ont inspiré de nombreuses initiatives privées et publiques. Cependant, leur régulation en tant qu'instruments de paiement demande la recherche de plusieurs équilibres. Cet article procède à une analyse de l'état actuel des stablecoins et de leur évolution potentielle pour proposer deux dimensions d'une approche réglementaire. La première est le recours à des cadres progressifs. Les stablecoins sont des projets naissants, avec une adoption limitée et des technologies immatures, mais qui ont le potentiel d'atteindre une importance systémique. La seconde est d'établir des cadres spécifiques aux technologies. Les stablecoins reposent sur des infrastructures partagées avec des intermédiaires périphériques. Préserver l'intégrité des paiements et protéger les intérêts des consommateurs de façon optimale suppose une réglementation sur mesure avec des responsabilités repensées et différenciées.
Enjeux macroéconomiques et sociétaux
Implications des nouvelles formes de monnaie pour la stabilité financière : les monnaies numériques de banque centrale et les stablecoins
La monnaie joue un rôle omniprésent dans les échanges économiques et la finance, et il faut donc s'attendre à ce que l'introduction de nouvelles formes de monnaie, tout en permettant vraisemblablement d'améliorer encore l'efficacité et la liquidité de l'économie, crée également de nouveaux risques. Ces risques doivent être compris et traités. Deux nouvelles formes de monnaie actuellement émergentes, la monnaie numérique de banque centrale (MNBC) et les stablecoins, jouent encore un rôle limité dans la pratique, mais peuvent devenir importantes à moyen et long terme. Les implications sur la stabilité financière ont été largement discutées dans la littérature de ces dernières années. Dans cet article, nous résumons cette littérature et en tirons des conclusions quant à la nature, l'étendue et les options d'atténuation de ces risques pour la stabilité financière.
Politique monétaire et monnaies numériques
Cet article examine les conséquences pour la politique monétaire de l'émission de monnaies numériques de banque centrale (MNBC) et de stablecoins, dans l'ensemble assez similaires. Ces conséquences devraient surtout s'exercer sur le mécanisme de transmission, avec des risques de désintermédiation dans l'ensemble des économies et d'asymétries accrues et de dollarisation dans les économies émergentes et en développement. En outre, le canal des taux d'intérêt pourrait être renforcé en rémunérant la MNBC à un taux référencé sur le taux directeur. S'agissant des objectifs de politique monétaire, l'inflation, la croissance économique et la masse monétaire pourraient transitoirement s'accélérer. Surtout, le change pourrait devenir plus volatil, gênant la poursuite d'un objectif sur celui-ci. En temps normal, la mise en œuvre de la politique monétaire serait globalement peu affectée, sauf passage à une politique monétaire en temps réel.
Stablecoins et monnaies numériques de banque centrale : un enjeu géostratégique pour le Système monétaire international
Cet article analyse les effets potentiels de l'émergence des stablecoins et des monnaies numériques de banque centrale (MNBC) sur le Système monétaire international, en particulier en termes de domination du dollar. Il est montré que les stablecoins devraient renforcer, plutôt qu'affaiblir, le rôle dominant du dollar, via leur ancrage qui tend à favoriser une dollarisation accrue des agents privés à l'échelle internationale. L'analyse des MNBC distingue les MNBC de gros des MNBC de détail. Les MNBC de gros sont susceptibles d'engendrer des altérations de la hiérarchie monétaire internationale par leur utilisation potentielle dans les paiements transfrontaliers, selon l'implication des principales puissances dans la conception de ces MNBC. Les MNBC de détail ne devraient pas avoir d'effet majeur sur la configuration monétaire internationale, mais elles pourraient avoir à terme une incidence indirecte, notamment via leurs effets sur le secteur bancaire et donc sur la performance relative des économies.
La confidentialité des paiements : du xviiie siècle à l'euro numérique
Cet article propose une approche objective de la question de la confidentialité des paiements. Au xviiie siècle, cette question était simplement vue sous l'angle pénal. Les tentatives ultérieures de l'intégrer à la sécurité des entreprises ou de proposer des solutions cryptographiques se sont avérées inadéquates. Lorsque la banque de détail a découvert comment extraire des revenus des données opérationnelles, la confidentialité des paiements a finalement été définie comme le fait de fournir une protection de base des données relatives aux consommateurs et aux investisseurs. Les questions de confidentialité soulevées par le projet d'euro numérique sont examinées sous cet angle, ainsi que d'un point de vue microéconomique.
Chronique d'histoire financière
Qu'est-ce qui a déterminé la fréquence plus élevée et la plus grande gravité des crises financières en Espagne au cours des 165 dernières années (1850-2015) ?
Finance et littérature
Innovation ne signifie pas résilience...
Recension
Recension de l'ouvrage « Entre dollar et cryptomonnaies – Le défi des sanctions pour l'Europe »
Articles divers
Le label ISR français : gage de qualité extra-financière sans coût financier
Créé en 2016, le label ISR français a été introduit afin de dissocier les OPCVM conventionnels de ceux qui mettent en avant des objectifs extra-financiers. En analysant des OPCVM investissant sur le marché des actions de la zone euro, cet article a pour objectif de comprendre l'impact financier des contraintes extra-financières requises par le label. Les résultats montrent que les OPCVM labélisés présentent des rendements au moins en ligne avec le marché et les OPCVM conventionnels. Ainsi, le label ISR permet de financer des émetteurs responsables sans coût financier notable.