Revue d’économie financière REF 144
Les nouvelles doctrines des banques centrales
Les nouvelles doctrines des banques centrales
Introduction Les leçons tirées des crises Accès gratuit
La toile de fond : la baisse inexorable du taux d'intérêt « naturel »
Les banques centrales s'adaptent à de nouveaux défis
La pandémie de Covid-19 a braqué les projecteurs sur le rôle clé des banques centrales dans la gestion des crises. Les banques centrales ont à nouveau démontré leur capacité à faire face à des événements systémiques en adaptant leur réponse. Les banques centrales des économies avancées et émergentes ont mis en œuvre un ensemble de mesures sans précédent, allant bien au-delà de celles adoptées pendant la crise financière. Ces mesures visaient non seulement à stabiliser les marchés financiers, mais aussi à canaliser le crédit directement vers les entreprises et les ménages.
Les difficultés et les défis sont nombreux et vont de l'apparition de nouveaux marchés financiers à une meilleure coordination des politiques budgétaires et monétaires.
Il existe un consensus sur le fait que l'auto-assurance par l'accumulation de réserves de change n'est pas optimale. De même, les pays ne peuvent pas faire grand-chose pour limiter les risques par le biais de mesures de protection en matière de gestion des flux de capitaux sans renoncer aux avantages de la participation au système financier mondial. En l'absence d'un filet de sécurité mondial complet et bien financé, les mesures de sauvegarde de la liquidité sous l'égide de la banque centrale émettrice de la monnaie internationale resteront la principale protection (Carstens, 2021b).
La meilleure façon de réduire les tensions entre les politiques budgétaires et monétaires est d'augmenter la croissance durable. Pour parvenir à une croissance plus élevée, il faut des réformes structurelles, soutenues par des politiques budgétaires favorables à la croissance. L'indépendance des banques centrales est indispensable pour qu'elles puissent continuer à se concentrer sur leur mandat principal, à savoir le maintien de la stabilité des prix et de la stabilité financière.
Comment expliquer la faiblesse durable des taux directeurs dans la zone euro ?
Les taux à court terme sont négatifs dans la zone euro depuis 2014. Cet article démontre que la banque centrale n'a pas pu réagir à un contexte de désinflation après la crise financière. La nouvelle stratégie de la BCE, adoptée en juillet 2021, met l'accent sur un objectif de contrôle de la désinflation. Est-ce que les taux d'intérêt qui sont de fait dirigés par la BCE vont pouvoir évoluer naturellement à un niveau cohérent avec la croissance potentielle et l'objectif d'inflation autour de 2 % ?
Une réhabilitation raisonnée de la finance fonctionnelle : stagnation séculaire, croissance et inflation
L'incertitude sur la croissance, le retour de l'inflation et la transition énergétique renouvellent le débat de politique économique. Si la situation était auparavant appelée stagnation séculaire, d'autres dénominations apparaissent : stagflation, reflation. Au-delà du diagnostic, quelle utilisation de la politique monétaire ou de la politique budgétaire dans un environnement de dettes élevées ? Cette problématique est d'autant plus importante que les règles européennes de coordination budgétaire sont remises en question. À partir d'exemples concrets, cet article affirme le rôle central de la politique budgétaire par rapport à la politique monétaire. Cette évolution doit être comprise comme une réhabilitation de la « finance fonctionnelle » sous une forme mesurée. Les implications pour le mandat des banques centrales et l'encadrement budgétaire européen sont développées.
La nécessité de nouvelles doctrines, de nouvelles stratégies monétaires
La stratégie de politique monétaire de la Banque centrale européenne
Cet article présente les principales caractéristiques de la nouvelle stratégie de politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). Dans le cadre de cette stratégie, la BCE vise à stabiliser l'inflation à 2 % à moyen terme. Elle adopte un point de vue symétrique sur les écarts par rapport à cet objectif : les dépassements dans un sens ou dans l'autre sont considérés comme également indésirables. Dans le même temps, la stratégie tient pleinement compte des implications de la borne inférieure effective : étant donné que les taux directeurs sont effectivement fixés à un niveau plancher, il est nécessaire, d'un point de vue stratégique, de recourir également à des indications sur les taux d'intérêt, à des achats d'actifs et à des opérations ciblées de refinancement à long terme pour garantir la réalisation de l'objectif d'inflation. La nouvelle stratégie vise également à intégrer les implications du changement climatique et de la transition carbone pour l'évolution macroéconomique et l'inflation.
Le nouveau cadre de la Federal Reserve : contexte et conséquences
Cet article argumente la capacité des nouveaux cadres conceptuels de la politique monétaire établis par la Federal Reserve en 2019 et 2020 qui sont adaptés par le pilotage dynamique de l'inflation aux défis actuels d'une reprise de l'inflation. Ces modifications qui visaient à donner des objectifs de long terme à la politique monétaire ont en effet des implications politiques majeures.
Les défis posés à la politique monétaire par un environnement plus exigeant
La politique des banques centrales a permis de surmonter deux crises majeures dans la période récente. Et si l'adage qui veut que la banque centrale ne peut pas tout reste vrai, il est néanmoins manifeste que les banques centrales sont désormais obligées de s'intéresser non pas au seul pilier monétaire, mais aussi à des catégories nouvelles comme la montée des dettes publiques, les investissements nécessaires au changement climatique, la montée des inégalités ou la concentration des patrimoines, bref élargir les critères de stabilité par une analyse monétaire et financière.
Nouvelles orientations de la politique monétaire : abandon du point d'ancrage ?
Lorsqu'on se demande s'il faut envisager de nouvelles doctrines, de nouvelles orientations pour la politique monétaire, il faut analyser l'expérience du passé, les erreurs ou les succès. Par exemple, qu'avons-nous appris de la période de la « grande modération » dans laquelle une politique monétaire améliorée a joué un rôle majeur ? La Fed (Federal Reserve) et la Banque centrale européenne (BCE) ont revu leurs stratégies. Les deux banques centrales ont modifié leurs objectifs d'inflation. Le ciblage de l'inflation en tant que tel est largement considéré comme la stratégie optimale. Cependant, il n'existe à ce jour aucun modèle de ciblage de l'inflation qui intègre les risques du système bancaire et des marchés financiers, avec toutes leurs dynamiques, leurs non-linéarités et leur complexité globale. Le « deuxième pilier » de la stratégie de la BCE peut être considéré comme une approche visant à intégrer ces aspects dans le processus de décision de la politique monétaire.
Contrôler ou orienter plus modestement les anticipations d'inflation reste un défi majeur pour les banques centrales. L'orientation prospective est devenue la principale stratégie de communication pour ancrer les anticipations d'inflation. L'élargissement du rôle des banques centrales a suscité des inquiétudes quant à l'indépendance de cette institution. Globalement, le rôle des banques centrales dans la société doit être reconsidéré. Les banquiers centraux ne doivent pas ignorer la menace qui pèse sur leur indépendance en s'impliquant dans des questions politiques.
Comprendre les banques centrales – Les mesures d'exception troublent-elles le tableau ?
L'efficacité des banques centrales à atteindre leurs objectifs de politique monétaire dépend également de leur capacité à signaler clairement leurs intentions aux participants des marchés financiers et au grand public. Après tout, les actions de politique monétaire sont transmises par les marchés financiers à l'économie réelle et aux ménages privés. En temps normal, c'est-à-dire avant la crise financière, le taux d'intérêt à court terme était le principal outil de communication de l'orientation de la politique monétaire. Connaître l'évolution du taux d'intérêt à court terme donnait une bonne idée de l'orientation que la banque centrale souhaitait donner à l'économie. L'ajout d'outils de politique non conventionnels, tels que l'achat pur et simple d'actifs financiers, et une interaction plus étroite entre les politiques monétaire et budgétaire ont rendu la «lecture» des banques centrales plus compliquée pour les acteurs du marché. En conséquence, les banques centrales doivent redoubler d'efforts pour faire passer leur message. Malheureusement, cela implique également un risque plus élevé de mauvaise communication et d'erreurs de politique.
Trop proches pour se justifier ? La budgétarisation de la politique monétaire
Limiter la budgétarisation des banques centrales
Depuis 2007, et en particulier pendant la pandémie de Covid, les banques centrales ont élargi la portée et l'ampleur de leurs interventions de manière sans précédent, brouillant les frontières entre politique monétaire et politique budgétaire. Cette fiscalisation met en danger l'indépendance des banques centrales, affaiblissant ainsi la capacité des responsables de la politique monétaire à remplir leurs mandats de stabilité des prix et de stabilité financière. Pour retrouver la répartition des responsabilités d'avant-2008, les gouvernements doivent fixer des limites plus claires à ce que les banques centrales peuvent et ne peuvent pas faire. Pour limiter la fiscalisation, les autorités peuvent faire deux choses : s'engager à établir des distinctions structurelles entre la politique budgétaire et la politique monétaire, et articuler une fonction de réaction du bilan (analogue à la fonction de réaction du taux d'intérêt directeur) qui prévoit l'annulation des interventions en cas de crise lorsque la fonctionnalité du marché est rétablie. Après s'être engagées dans la fiscalisation plus d'une fois, par choix ou par circonstance, les banques centrales doivent établir un cadre qui empêche la répétition.
La dimension budgétaire de la politique monétaire et l'autonomie des banques centrales : leçons de deux crises
La comparaison et le contraste des politiques adoptées par la Fed et la BCE en réponse à la crise financière mondiale de 2008 et à la pandémie de Covid-19 mettent en évidence l'importance de la dimension budgétaire de la politique monétaire, ainsi que les pièges si une banque centrale indépendante néglige la synergie des politiques budgétaire et monétaire. Pour la BCE, deux changements cruciaux dans ses politiques de réponse à la crise ont conduit à des résultats nettement meilleurs à la suite de la pandémie. Contrairement à l'hésitation dont elle a fait preuve en 2008, la BCE a élargi son bilan de manière plus adaptée en 2020 en conduisant des achats massifs de la dette publique à long terme. De plus, la BCE a suspendu les éléments de son dispositif qui avaient entravé le fonctionnement des marchés de la dette publique, comme la dépendance par rapport aux agences de notation du crédit pour déterminer l'éligibilité de la dette publique aux opérations monétaires. En protégeant les marchés des obligations d'État contre les équilibres négatifs autoréalisateurs que la BCE avait tolérés à la suite de la crise financière mondiale, la BCE a soutenu le refinancement de la dette publique à faible coût dans l'ensemble de la zone euro, plutôt que seulement dans certains États membres. Cela a facilité la mise en place d'une politique budgétaire plus expansionniste, qui a favorisé une reprise plus vigoureuse et a protégé la zone euro d'une nouvelle fragmentation.
Un horizon qui s'élargit : des défis supplémentaires
Changement climatique : quel rôle pour les banques centrales ?
Les émissions de gaz à effet de serre ne coûtent rien à leurs émetteurs, le changement climatique est donc un bel exemple d'externalité : dans leurs choix individuels, les agents économiques ne tiennent pas suffisamment compte des dommages que leurs choix entraînent pour l'environnement.
L'Accord de Paris a constitué un pas de géant, mais il doit être suivi d'actions collectives rapides. La transition vers la neutralité carbone nécessite un effort mondial de la part de tous les secteurs. Cela comprend l'industrie financière, dont le rôle central a été souligné pour la première fois dans l'article 2.1c de l'Accord de Paris, qui plaide pour des « flux financiers compatibles avec un profil d'évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques » (CCNUCC, 2015). En d'autres termes, le système financier doit jouer un rôle clé dans le soutien à la transformation économique.
Le changement climatique a une incidence sur les missions et les opérations des banques centrales. Par ailleurs, si le thème du changement climatique est relativement nouveau pour les banques centrales, il s'agit néanmoins d'un concept profondément ancré dans leurs mandats traditionnels et ne constitue donc pas une nouvelle doctrine, ni ne nécessite son invention. Au contraire : il s'agit plutôt d'une interprétation moderne et opportune des objectifs de longue date des banques centrales, qui leur demandent principalement de préserver la stabilité des prix et parfois aussi de faciliter une croissance soutenue, de promouvoir l'emploi ou de préserver la stabilité financière.
La relation asymétrique des banques centrales au financement de marché : une évaluation des implications pour la stabilité financière à la lumière des événements liés à la Covid
Les banques centrales sont aujourd'hui le garant d'un système financier fragile et volatil basé sur le marché, comme en témoigne la récente instabilité financière dans le contexte de la crise de Covid. Cet article étudie la genèse de cette position, en l'associant à un programme asymétrique des banques centrales visant à prévenir l'instabilité financière. Rapide et résolu dans les moments de crise, ce programme est lent et hésitant, voire inefficace dans les moments d'essor financier. Cet état de fait est lié au manque de contrôle des banques centrales sur le comportement procyclique des institutions du secteur bancaire parallèle, résultat d'un système de gouvernance fragmenté que les banques centrales partagent avec les autorités de marché. La crise de Covid et les programmes de QE à grande échelle qui ont suivi, entrepris pour assurer la stabilité de ce système d'intermédiation du crédit, mettent en évidence la nécessité d'une re-réglementation fondamentale de ce secteur. Si les banques centrales doivent continuer à soutenir ce secteur, elles doivent demander une expansion substantielle de la surveillance et du contrôle réglementaires. En l'absence de telles réformes, la garantie de facto installera un aléa moral, invitant à une prise de risque accrue dans le secteur.
La souveraineté de la monnaie et ses transformations historiques : l'invention de la monnaie digitale de banque centrale au xxie siècle et ses conséquences géopolitiques
L'irruption des technologies digitales menace la souveraineté de la monnaie par l'ouverture des systèmes de paiement à des acteurs non bancaires, les Bigtechs. Ceux-ci tirent des rentes énormes de leur accaparement des plateformes du e-commerce, donc de la capture des données des consommateurs. En l'absence de toute régulation, ils exercent une concurrence déloyale vis-à-vis des banques. Le projet Libra de Facebook, prétendant établir une monnaie mondiale sous le contrôle d'un monopole privé a attiré l'attention des autorités monétaires et des régulateurs financiers. Hormis l'établissement d'une réglementation pour rétablir la concurrence dans les services de paiement, l'affirmation de la souveraineté monétaire au sein des nations conduit à l'émergence de la monnaie digitale de banque centrale. Cette innovation apparaît à des rythmes différents selon les pays, en rapport avec la rapidité de la disparition du cash dans les pays les plus avancés, au premier chef la Chine, les dispositions sont prises dans l'organisation des paiements, pour éviter de déstabiliser les banques commerciales. Le problème le plus épineux concerne la transformation du système monétaire international. Car le code digital qui identifie la monnaie numérique de banque centrale permet à celles-ci de conserver le contrôle de l'usage transfrontalier des liquidités qu'elles émettent. Cela remet en cause fondamentalement le principe de la devise clé. Une réforme devra s'ensuivre avec deux possibilités : une mise en comptabilité des codes digitaux pour établir une devise synthétique mondiale ou, plus vraisemblablement, la promotion du DTS digital en tant que liquidité ultime. cela permettrait d'instaurer le multilatéralisme monétaire en faisant du FMI le prêteur international en dernier ressort.
La responsabilité sociétale des banques centrales
La responsabilité sociétale des banques centrales fait écho à la responsabilité sociale des entreprises. La différence de qualificatif traduit le fait que les banques centrales sont responsables vis-à-vis de l'ensemble de la société et non simplement vis-à-vis de partenaires avec lesquels elles entretiennent des relations contractuelles. Nous nous attachons dans cet article à décrypter les forces à l'œuvre dans la déconstruction du mythe d'une banque centrale uniquement dédiée à la préservation de la valeur de la monnaie et déconnectée des grands enjeux et débats sociétaux. Nous développons l'idée que depuis la crise financière, les banques centrales réencastrent de leur politique dans la vie de la cité. Nous illustrons cette assertion à travers deux questions intensément débattues : d'une part, les effets en termes d'inégalités de la politique monétaire et, d'autre part, le rôle des banques centrales dans la transition écologique. Enfin, nous pointons des questions qui restent en suspens en matière de responsabilité sociétale des banques centrales.
La Banque centrale européenne : quelle responsabilité devant le Parlement européen, corollaire de son indépendance pour assoir sa crédibilité et sa légitimité ?
L'évolution de la politique monétaire et du rôle de la BCE après 2007 ré-ouvre le débat sur les conditions et les modalités de sa responsabilité démocratique devant le Parlement européen. Elle s'est construite à partir de 1998 sur la base du traité de Maastricht ; elle a évolué parallèlement au développement institutionnel des responsabilités de la BCE, mais la montée en puissance de politique monétaire non conventionnelle, de ses effets secondaires et l'élargissement de l'interprétation de son mandat posent de nouvelles questions.
Chronique d'histoire financière
Les marchés financiers ont-ils anticipé le déclenchement de la Grande Guerre ?
Articles divers
L'évolution des normes prudentielles affecte-t-elle le risque de non-conformité des banques de la CEMAC ?
Dans cet article, nous analysons, empiriquement, l'évolution des ratios prudentiels de Bâle I à Bâle III et apprécions son effet sur le niveau de risque de non-conformité des banques de la CEMAC. Pour y parvenir, nous spécifions et estimons, en recourant à la méthode des équations simultanées, sur la période 2000-2018, plusieurs variantes de la fonction de réaction des banques commerciales en panel dynamique sur un échantillon des six pays de la CEMAC. Nos résultats montrent : premièrement que la baisse de la marge d'intermédiation conduit les banques à sélectionner les projets les moins risqués afin de se conformer au respect des normes prudentielles, et, deuxièmement qu'une variation du niveau de risque contraint les banques à ajuster leur niveau de concurrence en tirant un avantage informationnel sur les emprunteurs. Par ailleurs, la procyclicité de la réglementation prudentielle est amplifiée alors que le risque de non-conformité est affaibli.